Ryouka aimait bien Rinako. Non seulement leurs noms se rapprochaient, mais Rinako était une Celkhane... Sexy... Très sexy, même... Et, outre ces éléments purement physiques, elle avait sauvé sa sœur, et avait en elle quelque chose qui forçait Ryouka à vouloir se rapprocher d’elle, et la couver... Un peu comme une grande sœur. Après tout, Ryouka avait toujours été la protégée de Nika. À chaque fois que quelqu’un l’embêtait, Nika était là pour le remettre à sa place. Il fallait croire que son comportement avait déteint sur Ryouka, mais ce n’était pas pour autant qu’elle considérait Rinako comme une gamine. En réalité, personne, au sein des Héroïnes, ne la prenait pour telle. Mais Ryouka avait du subir une formation militaire rigoureuse, et, comme toute formation militaire digne de ce nom, ingrate... Les éducateurs privilégiaient les défauts de leurs élèves à leurs qualités. Rinako s’était forgée une carapace, et on avait sans cesse du lui dire qu’elle agissait de manière immature, amenant une sorte de blocage... Ryouka se faisait une petite minute de psychologie, tandis que Rinako parlait d’Holy, et de Suki.
Holy était donc un surnom désignant une gamine martyrisée par des salopards. Elle s’était amourachée de Suki, et vice-versa. Cette Suki devait avoir un cœur d’or... Mais, curieusement, quand elle essayait d’imaginer la copine de Rinako, elle avait du mal à voir une fille romantique et ouverte... Plutôt un style garçon manqué. Les Celkhanes avaient la réputation d’être des fleurs bleues, et, par conséquent, elles se forgeaient une carapace solide, en se donnant un style de guerrières insensibles. Holy était donc en cours d’adoption. Ryouka hocha la tête. Dans ses pérégrinations sur la Toile, elle s’était renseignée là-dessus. Caelestis autorisait l’adoption d’anciennes esclaves, mais, comme on pouvait s’y attendre, la procédure était longue et difficile. Juridiquement parlant, Caelestis n’était clairement pas au point, et l’adoption était donc une procédure obscure et complexe.
D’Holy, Rinako se mit à dériver, tandis que Ryouka reprit un coup d’Hydro-Jet. Elle pouvait voir cette dernière trembler devant elle, se mordillant les lèvres, hésitant visiblement à parler, à se confier. Brainstorm évita de parler, sachant que, dans ce genre de moments, il fallait tout simplement se montrer patient. Elle pouvait sentir une sorte de lutte interne dans le corps de Rinako. Ryouka attendait, sentant presque les mots venir, imaginant ce que Rinako allait dire... Et l’aveu finit par sortir, d’une voix tremblante et hésitante.
« La vérité c'est que... J'ai... J'ai aucune amie... »
Un léger silence suivit cet aveu. Ryouka aurait pu mal le prendre (et elle le prenait d’ailleurs un peu mal, mais savait le dissimuler), et finit par hocher lentement la tête, son dos glissant contre le dossier de sa chaise, retournant dessus.
« Je vois... » dit-elle.
Elle cligna des yeux, attendit quelques secondes, et répondit, essayant de deviner ce qui amenait Rinako à penser ça...
« Tu sais... Ah, Rinako, si je peux me permettre... Tu as tellement peur qu’on te prenne pour une gamine que tu finis par voir n’importe quel comportement comme un reproche envers ton immaturité... Mais nous, on te prend pas pour une gamine... Bon, on râle beaucoup, mais on est des filles, après tout, donc, c’est normal... Ce que je veux te dire, Rinako, c’est que, si on te prenait pour une nulle, une faible, une gamine, ou je sais pas quel autre truc, on aurait jamais accepté que tu travailles encore avec nous... C’est Isabelle qui t’a foutu le moral à zéro ? C’est une Ange, c’est normal qu’elle soit casse-couilles... Quand Nika m’avait présenté à elle, elle m’avait complètement démoli... Incompétente, immature, perverse... Bien que j’admette volontiers sa dernière critique, elle m’avait complètement plombé... Malgré ça, j’ai réussi à creuser mon trou... Isabelle n’a jamais admis qu’elle avait tort, mais elle me fait confiance... C’est dans la nature des Anges... Regarde comment elle se comporte avec Elaine. Elle est douée, elle a du charisme, mais elle est incapable de donner des compliments. D’agir comme une mère... Crois-moi, elle n’est pas méchante, mais elle ne peut pas s’empêcher de nous trouver faibles... Nous ne sommes que des humaines, après tout... »
Et Ryouka était une sacrée pipelette. Isabelle continuait à parler avec Elaine, et Elaine avait les bras croisés, une moue pensive sur le visage. Visiblement, elle réfléchissait à ce que sa mère lui avait dit. Ryouka attrapa alors le poignet de Rinako, et planta son regard dans le sien :
« Soit dit en passant, Rinako... Si jamais tu oses encore me dire que tu n’as aucune amie, je te défoncerai le cul si fort que même ta culotte infernale ne pourra plus se poser dessus. »
Elle avait dit ça sans ciller, et continuait à tenir la main de Rinako.
« Je te l’ai dit : tu n’es qu’une humaine. Holy... Son histoire est terrible, ça se voit que ça te turlupine... Je ne pourrais jamais remplacer ta Suki, mais, être ton amie, ça, je peux le faire... Et ne crois pas que toutes les filles ici sont toutes des bourrines insensibles. La souffrance, on sait ce que c’est. J’essaie pas de te dire que ce que tu ressens, que tes problèmes, sont insignifiants, et que tu devrais te secouer le cul pour penser à autre chose... C’est tout le contraire. Tu veux finir comme Lorenza ? Une jeune fille qui agit comme une vieille snob’ en préférant passer du temps auprès de ses armes ? Lorenza en a gros sur la patate, aussi, mais a tellement peur qu’on se foute de sa gueule qu’elle ne dit rien... Moi, je suis ton amie, Rinako. Et crois pas que ce soit un comportement de gamine que de vouloir avoir des amies... À moi, tu peux te confier. Tu sais que je suis plutôt douée pour conserver des secrets, non ? »
Elle lui fit alors un petit sourire, et relâcha son poignet.
« Quant à tes problèmes d’adoption... Et bien, je ne suis peut-être pas assez forte pour aller botter le cul d’un Annexien, mais j’ai passé trente-six heures d’affilée à faire des recherches de programmation sur des milliers de pages... Alors, je pense que je peux t’aider à faire en sorte qu’Holy devienne ta fille adoptive. »
Et Ryouka prit un coup de Jet.
Mine de rien, elle avait quand même beaucoup parlé.