The Multiversity

Kim ne vient pas de Terra. De nombreux détails sont encore manquants afin de lui donner un portrait éclairé de cette ville et de ces burgraves. Un système de mentalité basé sur la mythologie ou autres théologies donnerait à la mutante un avantage afin de les intimider. Ce qu’elle voulait savoir est si cette peur du divin existe ou non. Certes, ces types s’en prennent à l’acropole mais en sera-t-il tout autant après la démonstration d’un pouvoir assez puissant ? La jeune recrue doit mettre sa théorie de côté et placer son attention sur la mission décrétée par la reine Andromaque. D’ailleurs, on lui laisse savoir que les magiciens de Terra rendaient ce genre de bluff plus que difficile à réaliser. Quoi qu’il advienne, son pouvoir sera présent pour les sortir d’une embuscade ou d’une escalade vive de la situation.

Le plan de la reine démarre une fois le rideau tombé sur une journée de siège. Un petit groupe d’amazones y comprit Kim elle-même se mette en marche. Elle s’était reposée et ressourcée devant un humble repas avant de rejoindre le groupe aux abords des murailles de la cité. Malgré le mur qui bloque la vue de la guerrière en formation, les pointes des tours percent le ciel étoilé telles des fourches venues des ténèbres. Les lueurs des torches perceptibles même de l’extérieur montrent une activité dans les rues. Les Burgraves n’allaient pas se coucher tous ensembles avec leur cible encore inaccessible. Kim écoute le plan de Clara pour une infiltration en deux troupes vers le prochain point de rencontre avant de porter leurs regards vers l’acropole. Si la chamane permet de passer la muraille avec de la magie le second groupe se voit contraint d’emprunter un chemin via le conduit d’égout, c’est-à-dire sous la terre. Pas la marche la plus glorieuse et digne d’un poème pour la postérité mais plus intelligent que l’assaut frontal. Malgré ses compétences moyennes à l’épée la brune ne peine aucunement à abattre les quelques monstres habitant dans le tunnel. Les feux que Kim a remarqués plus tôt se confirme alors en des patrouilles fréquentes dans des rues presque désertés par la population.

- Nul besoin de tuer quiconque. À courte portée je peux les envoyer visiter Morphée sans répandre le sang.

Le pouvoir de Kim est la foudre, cette force énergétique jadis la seule propriété du roi des Olympiens en personne. Zeus et ses éclairs représentent la colère du ciel et l’irrésistible puissance des cieux. Entre les mains d’une mortelle et d’une civilisation plus avancée, on découvre des capacités plus subtiles que de la pure destruction. Sachant que leur traversé du bas quartier sans gardes est improbable, la brune frotte ses doigts pour générer une statique de base. Un œil vif remarquera les particules qui étincellent faiblement les paumes de la recrue.

Kim observe les rues et les ruelles servant de corridors entre elles. Sa suggestion est une marche en zigzag afin de contourner les petites patrouilles par derrière. À la prochaine lueur d’une torche les amazones passeraient vers la prochaine ruelle ou se terre derrière une échoppe vide. Il lui suffit de garder en mémoire la position approximative de la taverne afin de ne pas se retrouver à tourner autour de la cité comme des amateurs. Et tel un ancien soldat Uatéenne, Kim est focalisée sur son objectif.

Malgré les précautions et le niveau d’alerte plus faible de la basse ville une patrouille de trois hommes arrive alors de derrière une des grandes maisons de bois et de plâtre. Aucune échoppe ne peut les couvrir et elles se font interpeller sur le champ. Kim est couverte d’une cape de nomade en plus de son bikini d’amazone en-dessous quand elle montre ses mains aux hommes exigeant identité et raison de la sortie. Si jamais ils agissent par la force cela tournerait vite en bagarre. Elle improvise une visite familiale et que ses sœurs l’escortent dans la ville basse. Les gardes jugent chaque femme en ne gobant pas le mensonge. Quand deux hommes lui agrippent chaque poignet, Kim agit instantanément. Ils sont alors prit de convulsions et bavent de l’écume de leurs bouches. Avec ses facultés la recrue amazone injecte une décharge électrique relativement faible à travers leur système nerveux. Comme une anguille prit dans la mâchoire d’un prédateur l’énergie déployée paralyse ces types qui s’écroulent au sol. Puis se ruant à la manière d’une lionne elle saute sur le troisième type pour lui couvrir la bouche et poser son index directement sur l’arrière du cou. Une nouvelle dose de voltage sur l’épine dorsale engourdie et tétanise toute réaction musculaire, incluant le mouvement des bras.

Les Amazones étaient habituées à être persona non grata en ville. C’était même fréquent. La Horde des Amazones était très mal vue par la plupart des États terrans. Les exemptions dont elle bénéficiait, et qui remontaient à l’époque du Premier Royaume, s’étaient depuis longtemps atténuées. Et certaines souveraines amazones aux pratiques particulièrement violentes et barbares avaient aussi contribué à rendre les souverains frileux. Et puis, de manière générale, une Amazone avait toujours le talent inné pour semer le désordre là où elle passait. Les Amazones étaient donc aguerries à ce genre d’exercices, et commerçaient souvent avec les réseaux de contrebandiers, les pègres locales… En clair, les deux Amazones rejoignirent l’intérieur de Lamstrodt sans difficulté.

Une tension palpable se faisait ressentir dans la ville. Le couvre-feu était impressionnant, et les gardes contrôlaient chaque sujet, n’hésitant pas à enfermer ceux qui n’avaient pas de dérogations officielles. Les murs étaient recouverts d’affiches propagandistes vantant les mérites des burgraves, et diabolisant Mihnea Milos…

Clara soupira doucement, et fit signe à Kim et à Cynna de la suivre. Cynna avait troqué ses armes à feu pour une sorte d’arbalète à répétition, de lance-arbalètes étrange. Prenant la forme d’un fusil, l’arme projetait des carreaux à l’aide d’une pompe à air. Une construction des Métallurgistes, avec un réservoir rond abritant une cinquantaine de carreaux. Clara les guidait à travers un dédale de ruelles dans les quartiers pauvres de la ville.

Le Chaudron Rutilant se trouvait dans les faubourgs, un endroit mal famé, où les gardes évitaient de trop s’aventurer dans les ruelles. Clara le faisait sans crainte, et elles évitèrent quelques ruelles dangereuses, sentant de vieilles odeurs. Des monstres rôdaient parfois dans ces endroits, s’échappant des cryptes ou des catacombes. Tandis que le trio continuait leur route, elles tombèrent brusquement sur trois gardes.

« ’Merde… »

Kim réagit toutefois, usant de ses pouvoirs électriques pour neutraliser les trois gardes, à la surprise des deux Amazones, qui s’étaient apprêtées à devoir se battre.

« Bravo, petite. »

Clara la complimenta, puis s’avança encore un peu, se dirigeant vers le Chaudron Rutilant. Alors que les femmes avançaient nerveusement, des sifflets se firent entendre. Elles s’abritèrent dans une ruelle. Des soldats avaient retrouvé les trois hommes neutralisés par Kim, et sifflèrent furieusement.

« Insurgés ! Des insurgés ont attaqué une patrouille ! »

Le sergent dirigeant l’escouade siffla encore. Clara se pinça les lèvres, et la situation ne tarda pas à s’embraser. Les soldats se dirigèrent vers une place avec une auberge, et furent rejoints par d’autres gardes, exigeant qu’on leur rende les insurgés. En se rapprochant un peu, Clara reconnut le nom de l’enseigne.

Le Chaudron Rutilant.

« Et merde ! » jura-t-elle à nouveau.

Les évènements étaient en train de s’emballer, et elle avait un mauvais pressentiment.

« Vous abritez des insurgés qui viennent d’attaquer des soldats !
-  On a rien à voir là-dedans, tirez-vous ! Vous n’avez pas le droit de nous importuner, le Tribunal a autorisé l’ouverture des auberges !
-  Livrez-nous les insurgés, tout de suite !
-  Va te faire enculer ! »

La crosse d’une hallebarde frappa un homme au visage. Celui-ci tenait encore sa chope de bière, et s’effondra mollement sur sa table. La tension monta encore d’un cran, et un capitaine se rapprocha.

« Assez ! Nous perquisitionnions cette auberge, et vérifions l’identité de tous les clients ! Le Tribunal vous autorise à séjourner dans les auberges de votre quartier de résidence seulement ! »

Des vivats éclatèrent, et, quand un homme éméché se rapprocha du sergent, et lui cracha son vin à la figure, celui-ci le poussa violemment du pied, l’envoyant briser une chaise. Un autre sortit une dague, et un vase tomba d’une fenêtre alentour, se fracassant sur la tête d’un soldat, qui tomba au sol.

« Mutinerie, c’est une mutinerie ! Aux armes, aux armes ! »

Le sergent allait siffler encore quand une chaise se brisa sur sa tête. Alors les lames jaillirent, et l’agresseur se reçut un coup d’épée dans le ventre. Une porte s’ouvrit alors sur le côté, et un homme musclé et barbu jaillit avec une hache, puis la planta dans le crâne d’un soldat, fendant son heaume en deux.

« Mort aux usurpateurs ! Vous avez damné la Voltovie ! »

Et la zone passa du calme à l’émeute la plus complète…

Native d’Uatis, Kim Uzuki commence à remarquer la différence majeure entre sa ville d’origine et celle de ce monde qu’est Terra. Sur le moment la brunette s’exécutait pour mettre les gardes K.O avant de constater qu’ils sont des hommes et que cela très longtemps depuis que l’ex-soldate en a rencontré en personne.  Elle remarque les affiches sur les murs des habitations et les caractères indéchiffrables dont la nature du message est reconnaissable. La propagande Uatéenne est fortement présente contre leur ennemi juré de la nation d’Auris et vice-versa. Avec ou sans technologie ce scénario qui confine ces innocents chez eux ressemble de près aux anciennes époques de la formation des deux nations tel que vu dans les cours d’histoire. Kim est surtout consciente que dans ce cas spécifique le ressentiment d’une faction peut être étouffé avec la chute de cette dernière ou une fois leur victoire décisive. Bref, plus vite la Horde résoudra le désagrément et aidera Milos le mieux la ville sera libérée de son confinement arbitraire.

Leur avancée est de courte durée avec ces sifflements aigus d’une autre patrouille déjà alertée par les hommes engourdis par les chocs électriques. Ils sont plus nombreux que laisse suggérer les anticipations des sœurs de Kim et les faubourgs sont un endroit à se charger avec une majorité du nombre. Le groupe d’amazones poursuivent leur chemin dans les ruelles sombres avec les quelques chats errants à la recherche du prochain rat à dévorer. Même les rongeurs se cachent face à tant de remue-ménage à l’extérieur. Paradoxalement, des citoyens se tenaient devant une auberge en osant se tenir dans le chemin des gardes rustauds. La tension fulmine et finit par jaillir en une pousse de violence spontanée. En fait c’est un effet boule de neige qui aboutit inévitablement à un échange de coups mortels. Œil pour œil dent pour dent, dit-on.

Kim fait signe à Clara vis-à-vis de la porte ouverte laissée par l’homme à la hache. Pour entrer dans l’auberge il serait possible de montrer du soutien aux habitants et les défendre des gardes avec plus d’expérience avec les armes. Toutefois cela reviendrait à s’épuiser avant même de véritablement rejoindre le temple d’Artémis. Kim finit par proposer de simplement se faufiler vers la porte.

- Si on intervient ces burgraves utiliseront le massacre pour purger plus d’innocents. On devrait se ruer vers la porte et barricader derrière nous.

Kim observe l’émeute et le vacarme auditif occasionné. Encore plus d’hommes viendront et sur le coup elle commence à marcher puis à accélérer le pas. Elle reste en retrait de la masse de gens agglutinés avec la porte bien en vue. Un soldat repoussé a son regard attiré par le mouvement de Kim dont la superficielle apparence d’une visiteuse lui fait braquer son arbalète vers la brunette. Pas en mesure de bloquer la flèche avec son pouvoir la recrue agrippe sa cape et l’utilise comme couverture. Ses pieds sont droits mais elle se penche vers l’arrière afin d’esquiver le projectile de quelques pouces de son visage.  Son poing chargé d’éclairs et un regard transperçant l’homme, Kim l’approche et abruptement l’envoie au sol d’un coup à la tempe. Elle recule vers ses sœurs avec son bikini d’amazone désormais en évidence.

L’infiltration ne semblait vraiment pas être le fort des Amazones, et une bataille était en train de dégénérer autour du Chaudron Rutilant. Les soldats voltoviens se regroupaient, et, dans le doute, les Amazones finirent par se retrouver impliquées dans le combat lorsqu’un arbalétrier tenta de tirer sur Kim. La jeune femme, anticipant le tir, esquiva le carreau, et contre-attaqua en se ruant sur lui, et le frappa au visage avec un poing chargé d’électricité. Les autres soldats voltoviens la regardèrent alors, et sifflèrent à nouveau, tandis qu’un arbalétrier la visa à nouveau. Cette fois, Léda s’interposa, tendant sa main en générant un bouclier sur lequel le carreau se mit à rebondir. Clara contre-attaqua en brandissant son arc, et décocha une flèche qui toucha l’arbalétrier à l’épaule, le faisant hurler de douleur. Les Voltoviens se ruèrent alors, et Acté et Cynna se ruèrent à leur tour, leurs lames heurtant celles des soldats.

« Arrêtez-les ou tuez-les, ce sont des terroristes ! »

Acté grogna en heurtant la lame d’un soldat, et un autre se rua sur sa gauche, tendant une hallebarde. Ne pouvant se battre sur deux angles, Acté bondit en arrière, évitant la pointe de la hallebarde, que le soldat balaya ensuite sur le côté, forçant Acté à parer avec sa lame. Les deux armes se heurtèrent, et le premier soldat voltovien, armé de son épée, attaqua par le haut. Acté remonta sa lame, croisant la sienne, et bondit sur le côté, cherchant à attaquer l’ennemi par le flanc. Celui-ci eut néanmoins le bon réflexe de se retourner, et leurs deux lames se croisèrent à nouveau, les deux duellistes se faisant face.

« Hrmmm… »

Le soldat appuya avec son corps, et Acté, consciente qu’elle ne pouvait pas lutter contre un homme équipé d’une armure de plates, bascula vers l’arrière et bondit sur le côté. Emporté dans son élan, l’homme bascula sur le devant, et elle le frappa au dos. Il grogna en sentant la lame heurter son dos, mais celle-ci ne perça pas son armure. D’autres Voltoviens se rapprochaient, et la porte de l’auberge s’ouvrit, tandis que des insurgés grimpèrent à l’étage, utilisant des arcs. Des volées de flèches s’abattirent sur les soldats voltoviens.

« Venez, vite ! »

Sans demander leur reste, les Amazones se faufilèrent par la porte. Un carreau d’arbalète fendilla toutefois l’air, et atteignit Clara dans le dos, la frappant à l’épaule. Elle venait alors juste d’entrer dans l’auberge, et poussa un cri de douleur en tombant au sol.

« Ah ! »

Acté la rattrapa, et Léda referma la porte avec la magie, puis déplaça un meuble à proximité.

« Il faut la soigner, vite ! »

Autour d’elles, les insurgés étaient troublés, confus, regardant ces femmes en se demandant qui elles étaient. Acté rejoignit une table, et aida Clara à se coucher dessus. Les Amazones n’étaient pas des héroïnes intouchables, il fallait donc soigner cette plaie.

« Putain, mais vous êtes qui ?! » demanda un homme en se rapprochant.

Cyunna se déplaça vers lui, tandis que Léda demanda l’aide de Kim pour retirer la plaie et soigner au mieux Clara…

Kim affrontait des carreaux de flèches. La vélocité de ces projectiles n’est rien à comparer des balles à feu d’Uatis et une déflection par décharge électrique est une défense suffisante. Mais son intervention fit embarquer le reste du groupe dans la confrontation avec les soldats Voltoviens. Tuer ou être tué, voilà la dangereuse partie que ces hommes comptent jouer. Une caste d’individus qui ironiquement a créé cette bataille pour maintenir le contrôle et du chaos finit toujours par suivre. Kim commença à se servir de son épée pour se mêler au style de combat de ses sœurs d’armes mais emploie encore son pouvoir pour paralyser quiconque croise sa lame avec la sienne. Le métal des armures est un conducteur adéquat pour l’électricité et la nouvelle guerrière exploite cet avantage pour tétaniser un Voltovien en armure complète. À la longue elle finirait épuisée si les soldats poursuivent leur avancée vers l’auberge.

C’est alors que de braves villageois couvrent les gens au sol depuis l’étage de l’auberge. Kim et le groupe se rue rapidement vers l’entrée lorsqu’un carreau parvient à toucher l’épaule de Clara. Elle allait pointer son doigt et décharger un éclair quand il fut plus sage de fermer la porte et la barricader. Elle lâche un soupir de soulagement avant de porter appui à sa sœur blessée. Le tir n’est pas mortel, juste douloureux et capable de débiliter le bras pour quelques temps. La brune n’est pas une soigneuse qualifiée mais à la demande de Léda elle vient retirer le carreau en un mouvement franc et fait pression sur la plaie pour interrompre la perte de sang. Ses doigts se tâchent de sang, un rappel que ce monde est loin de l’idyllique fantasme de voyager sans anicroche avec toutes les filles voulant baiser avec la nouvelle venue.

- Il nous a aidé, laisse-le Cynna.

Il n’est pas donné au commun des mortels de rester de sang-froid après une escarmouche aussi soudaine que violente. Kim vit cela par une tension palpable sur tout son corps. D’autres auront un ton et une attitude plus prononcé et volatile. Il pourrait la toucher ou avoir un mauvais caractère mais répondre par la violence dans ces circonstances serait un terrible choix.

- Je me nomme Kim. Nous sommes là pour exfiltrer le chef Minhea Milos du temple d’Artémis. Tant qu’il restera au temple l’ordre martial continuera dans cette ville. Ce statu quo est une mauvaise option pour tous les partis impliqués et c’est dans l’intérêt commun qu’il quitte Voltovie. Et ce même s’il nous faut forcer le barrage autour du temple.

Léda se chargea de soigner Acté, tandis que Cynna et Kim discutèrent avec les autochtones. Kim annonça sans fioriture qu’elles étaient là pour exfiltrer Minhea Milos. L’annonce déclencha de multiples murmures parmi la foule. Clara, elle, savait que les Amazones avaient peu de temps pour agir. D’autres soldats voltoviens allaient venir, et l’auberge n’était pas une place forte. L’homme qui les avait interpellés les regarda d’un air soupçonneux. Comment douter, toutefois, qu’elles soient dans leur camp, alors même qu’elles venaient de combattre les troupes de Voltovie ? Clara, en tout cas, n’était jamais à l’aise avec ce genre de choses. Certes, il arrivait à la Horde de se mêler des affaires des autres, mais c’était toujours délicat. Elles ignoraient les tenants et aboutissants de la guerre civile qui couvait en Voltovie, l’opposition entre Milos et les burgraves. Mais les ordres étaient les ordres.

« Et en quoi le sort de Minhea Milos vous intéresse ? »

Ce fut Clara qui répondit :

« Nous sommes des Amazones. Comme toute Amazone, nous servons le culte d’Artémis. Votre ville a été construite autour d’une acropole, et notre avis sur la chose est que Milos sera plus à même de veiller à l’intégrité de l’acropole que les autres burgraves. »

Le silence qui suivit fut rompu par les légers soupirs d’Acté. La blessure était pansée. Les Amazones ne plaisantaient jamais avec les blessures qu’elles recevaient. Des infections pouvaient après tout vite se produire.

« Je vois… Les burgraves ont décidé de taxer l’accès à l’acropole, ce qui a fait fuir les pèlerins. Cela n’a pas dû plaire énormément aux Dieux…
-  Savez-vous comment trouver Minhea Milos ? Selon nos informations, il serait dans l’acropole…
-  Oui, il semble logique que vous interveniez, après tout. Suivez-moi. »

Acté s’était relevée, un bandage sur l’épaule, et remercia sa sœur. Le groupe sortit de la salle principale, et elles rejoignirent une pièce annexe.

« On nous a dit que Milos était le chef de la résistance…
-  La résistance, rien que ça ? » ironisa l’individu.

Ils avaient rejoint une salle de réserves avec des tonneaux de vins et des bouteilles stockées dans des armoires à vins.

« Je m’appelle Phineas Marlow, et je puis vous dire que la résistance n’existe pas.
-  Que voulez-vous dire ?
-  Ce que je viens de dire, répliqua Phineas. Milos est un burgrave, lui aussi. Il s’est opposé à la vision d’autres burgraves. Ce qui se passe est un conflit intestinal entre nos différents dirigeants. Chaque burgrave est le représentant d’une maison, et ce conflit dans lequel vous vous apprêtez à plonger est plus complexe que les bribes d’informations que vous avez réunis. »

C’était souvent le cas, alors Clara n’était pas surprise. Paradoxalement, une guerre était aussi simple à comprendre que ses causes étaient complexes.

« Plusieurs des dirigeants de la baronnie ont souhaité s’emparer de l’Acropole, raffermir l’autorité du pays sur cette sphère religieuse qui continue à appliquer les anciennes lois, et à refuser de payer les taxes auxquelles les autres Voltoviens sont assujettis. On accuse Milos de privilégier l’intérêt des Dieux au lieu de celle des Voltoviens. »

Clara resta silencieuse, semblant peu à peu prendre conscience que la situation en Voltovie avait effectivement l’air assez complexe…

Sa sœur à son tour répond sans fioriture à la question de cet homme visiblement plus en charge que les autres individus au sein de l’auberge. L’intérêt de la Horde dans cette affaire tourne autour  d’un objectif objectivement égoïste en voulant sauver l’acropole d’une faction politique enclin à tout démolir. Mais sauver Milos permettrait un changement bénéfique pour la cité alors une alliance est plus que probable dans ces circonstances. La Horde est forte sauf que renverser les Burgraves salirait leur réputation au niveau des régions de Terra.  Heureusement pour le groupe de Kim, cet homme raisonnable finit par accepter de les guider vers une salle annexe pour un conseil de guerre improvisé. La nouvelle recrue brune aide Acté à les suivre et lui suggère d’un murmure de prendre un siège pour se reposer.

Phineas Marlow révèle l’inexistence de la résistance, que Milos est en fait un burgrave opposé à la vision de son groupe. En Uatis on appellerait cela un déviant, un traître, un potentiel ennemi à la suprématie Uatéenne. Toutefois, plusieurs familles s’avèrent impliqués dans ce qui se dévoile être une guerre entre camarades. Kim observe Marlow avec attention. Le cœur du problème la fait secouer la tête en silence lorsqu’il s’agit de taxes et de lois.

- Donc ils détestent l’acropole parce qu’ils veulent le contrôle complet de la ville ? Elle fut bâtie tout autour donc c’est à l’élite d’assumer le compromis. Ces types craignent plus le manque d’argent et de pouvoir que les dieux eux-mêmes on dirait.

Kim ne connait pas personnellement de cultes religieux sur Uatis. La ville se tourne vers le pouvoir de la Femme sur le reste de la société et c’est tout. Ou presque. Bref, ce siège est objectivement simple à comprendre au niveau des motivations. Sauf que l’opération de la Horde ne résoudra pas complètement le problème avec seulement Milos sain et sauf hors de la ville. Le groupe le comprend et Kim fronce les sourcils.

- Quoi que l’on en pense, l’extraction de Milos reste un ordre direct de la reine Andromaque. Tant qu’il sera en vie le risque que les maisons Burgraves se déchirent davantage restera et c’est cela qui justifie la confrontation avec l’acropole. Marlow, pouvez-vous nous aider à rejoindre notre destination ?

Comme on pouvait s’y attendre, la réalité était plus compliquée que ce qu’on en avait dit aux Amazones. Clara était habituée à ça. Il n’y avait que dans les contes pour enfants que tout était blanc ou noir. Sous bien des aspects, elle était convaincue que ce Milos était un homme exécrable, mais, comme le fit remarquer Kim, leur mission était de le libérer. Clara n’était pas là pour discuter les ordres, mais pour les exécuter. On lui avait demandé d’exfiltrer Milos. Si la résistance se résumait à un conflit entre les burgraves de la ville, alors Clara l’acceptait aisément. Kim, de fait, s’interrogea sur l’importance de ce culte, et sur les motivations de Milos.

« La Voltovie tirait jadis sa puissance du protectorat eldois. C’était une province eldoise à la base, mais, même lorsque nous avons eu notre indépendance, les Eldois nous défendaient. L’Acropole avait été conçu pour eux… Depuis la Chute, plus rien n’est comme avant. Les monstres se sont multipliés, et les burgraves, qui se reposaient trop sur les investissements eldois et leurs soldats, se sont trouvés désemparés. Il y a eu des complications, des attaques de fermes, des épidémies, des intempéries climatiques… Les burgraves ont trouvé un bouc-émissaire parfait avec l’Acropole, et ont augmenté les impôts, les taxes, les restrictions à la liberté de culte. En faisant des prêtres de l’Acropole les boucs-émissaires parfaits, les burgraves ont pu maintenir leur régime. Alors, non, les burgraves ne détestent pas vraiment l’Acropole, ils sont avant tout cupides et opportunistes. »

Phineas Marlow se déplaça lentement. Il attrapa une chope de vin, et s’en versa une rasade.

« Ces histoires-là, je les connais, répliqua Clara. Mais nous ne sommes pas là pour gérer vos affaires. En revanche, on ne peut pas tolérer que l’un de nos temples soit attaqué.
-  Des intérêts qui convergent, c’est le principe de la politique, mes jolies. Mais vous n’êtes pas les seules autorités étrangères qui se mêlent de nos histoires. La Voltovie est plutôt stable, ce qui est assez exceptionnel dans cette région. Les Luméens s’y intéressent de très près, ils caressent toujours l’idée de reconstruire l’Eld et de restaurer la sécurité dans cette région.
-  Venez-au fait, Marlow.
-  Des espions luméens nous soutiennent. Lumen n’apprécie pas que les burgraves cherchent à affaiblir l’Acropole, car, si les Dieux perdent leurs lieux de cultes, les monstres prolifèreront. C’est aussi pour ça que Milos s’est dressé contre les burgraves. Il compte sur les espions luméens pour mener son combat. Alors, il n’y a pas de rébellion à proprement parler, mais il y a bien un camp rebelle, celui de Milos et des Luméens. Les Luméens ne se sont pas impliqués directement, mais ils ont envoyé une compagnie qui leur obéit… Les Stries bleues, menées par un certain Vernon Roche. Je peux vous aider à retrouver les membres des Stries bleues qui se trouvent dans la ville, et qui servent de relais. C’est votre meilleure chance de retrouver Milos. »

Sa majesté Andromaque lui avait raconté lors de leur première rencontre l’histoire de l’Eld et de sa chute face aux forces du mal. Tout ce qui menace le Multivers dans son ensemble vient de cette tragédie et de nombreuses plus petites répercussions s’en suivirent. Des dommages collatéraux plus exactement et la Voltovie en fait partie. Kim comprenait désormais les motivations avares des élites Burgaves sur l’Acropole et symbole d’un temps révolu. Si cet homme est exact alors il ne serait pas dans l’intérêt de ces gens de complètement éliminer le temple amazonien et provoquer les foudres de la reine Andromaque. Avec l’addition des Luméens dans le portrait elle doute fortement obtenir une fin idéale dans ce conflit interne.

- Je crains fort que rien ne se passera pacifiquement. Même si on retrouve ces Stries bleues les autorités burgaves veulent définitivement leur excuse pour attaquer. Par contre si on parle de Luméens adeptes de la magie alors je peux voir un moyen d’éviter l’effusion de sang. Une technique de téléportation peut-être.

À Uatis comme dans les parties les plus technologiquement avancées du royaume Indigo le processus de téléportation est une science reconnue et applicable selon certaines conditions. Il est plus facile de transférer la matière inorganique d’un point à l’autre tandis que les êtres organiques sont une autre paire de manches. Même avec un appareil Uatéen Kim n’aurait aucun moyen de leur donner cet atout. Par contre les Stries peuvent être utiles dans ce domaine.

- Marlow, ce qui est une priorité absolue de la Horde est de sauvegarder l’intégrité de l’Acropole et préserver la protection de Dieux dans votre région. Les amazones sont déterminées à se battre pour nos institutions fondamentales. Si nous pouvons évacuer Milos en toute sécurité avec l’aide des Luméens, tant mieux. De l’autre côté il faudra une force de frappe conséquente pour percer le barrage et entrer dans l’Acropole. Ma conclusion est que oui, il nous faudra toute l’aide disponible.

Kim n’était pas une amazone de sang mais elle avait grandi dans une ville avec une appréhension négative du genre masculin. Les hommes vivant à Uatis sont sujets à de la propagande en vue de les féminiser sans aucune considération pour leur virilité naturelle ou pas. C’était aussi dans la propagande d’état de rester méfiant d’Auris et de sa population. Kim avait toutes les raisons pour se retrouver dans ce moule sexiste mais se montre tout à fait capable d’égalité et de professionnalisme. La jeune recrue de la Horde tend la main vers Marlow.

- Je ne suis pas la cheffe du groupe mais moi j’accepte votre aide. Surtout si Clara le souhaite aussi.

Kim résuma la position des Amazones. Clara accepta donc de rencontrer les Stries bleues. Elle n’était pas convaincue que tout se passerait sans accroc. Dès qu’on parlait politique, les choses devenaient compliquées, et la Voltovie était en pleine éruption. L’idée que l’Acropole se réduise à un enjeu politique entre bulgraves était intolérable pour Clara. Marlow semblait ravi d’avoir des Amazones, et les guida vers un plan de la ville. Il avait une grande carte dans une sorte de salle de commandement. La carte était sur une table centrale, avec de multiples punaises.

« Brandbourg est une ville divisée en plusieurs quartiers, dix, plus précisément. Au centre, il y a l’Acropole. »

Brandbourg, nom de la cité, était aussi la capitale de la Voltovie. L’Acropole formait donc le onzième quartier.

« Chaque burgrave contrôle l’un des quartiers. Minos contrôlait le quartier des artistes. Depuis que les burgraves se sont retournés contre lui, le quartier est sous haute tension. Si les gardes se sont montrés si nerveux tout à l’heure, c’est aussi parce que la situation est éruptive dans ce quartier. Il y a des émeutes, des manifestations, et le quartier est bouclé. »

Plus Marlow leur parlait, et plus la situation semblait s’envenimer. Les burgraves devaient penser que Minos se trouvait dans le quartier des artisans, alors ils avaient envahi ce quartier, pour l’appréhender, lui, ou ses partisans.

« Les Stries bleues se trouvent dans ce quartier. C’est la capitaine des Stries bleues, le bras droit de Roche, qui gère les émeutes. C’est elle que vous devez rencontrer. »

Une femme, donc… Les Stries bleues étaient un commando luméen un peu nébuleux. Ils se chargeaient d’opérations spéciales potentiellement illégales, et en tout cas en-dehors des traités internationaux. Lumen souhaitait sans doute éviter de s’impliquer directement dans ce conflit interne. Il ne faisait également aucun doute que Minos avait dû promettre aux Luméens des engagements intéressants. Comme Kim l’avait signalé, la priorité était de sécuriser la position de l’Acropole.

« Pour mettre fin aux émeutes, les soldats voltoviens ont ouvert les égouts du quartier des artisans, ainsi que le cimetière. Il y a des monstres qui sortent la nuit, mais c’est votre meilleure manière d’éviter les gardes. On peut vous faire passer par le cimetière, justement, il se trouve entre ce quartier et le quartier des artisans. »

Pas de soldats, donc, mais des monstres… Qui avait dit que cette mission serait facile, après tout ?