The Multiversity

Une fois le message passé, la réponse ne tardait pas non plus et Suki recevait très bien le message, une bonne nouvelle si elles n'avaient pas trop d'encombre sur leur chemin, c'était préférable. Suki devant la poignée en métal de la porte blindé, ses subordonnées prête à faire feu à vue d'une arme à feu. Non, la vision n'était pas plus dangereuse que ça, elle était horrible! Suki déboula dans le bureau d'une dimension classique, une dizaine de mètres sur une dizaine de mètres, elle avait vu mieux dans ce genre de locaux. Les femmes derrière elles observaient les alentours en quête d'un garde caché mais rien. Rien à part une pauvre petite fille qui devait avoir quatre, cinq ans maximum, allongé sur le bureau, sur le ventre, sa tenue en lambeau, une véritable loque plutôt qu'une tenue, sa culotte aux chevilles, le regard perdu, presque morte et vivante à la fois. Ses larmes tombaient sur le bureau et quelques gémissements de honte, de peur qui prouvait sa vie toujours là. Et derrière, un type, la quarantaine, aussi musclé qu'une allumette, dégarni sur le crâne, une vulgaire mèche tentaient de cacher sa calvitie bien avancer. Cet enfoiré était en train de fermer sa ceinture en paniquant.

Déboulant en trombe, Suki se rapprocha en laissant son arme prendre à son épaule, le regard aurait pu suffire à le tuer si ça aurait état possible. Le mal était fait, il allait mourir ou devenir un légume dans le meilleur des cas prévus par Suki. Tremblant de peur, il commençait à remuer les lèvres pour tenter de dire quelque chose mais un coup de poing dans le ventre lui coupa la respiration alors qu'il se repliait sur lui-même, incapable de parler. Il bavait, presque à s'en vomir. La lieutenante le remonta par le col, il faisait une taille de plus que la celkhane et ça ne l'empêchait pas de lui coller une tête pour le faire reculer alors que sa garde commençait à vérifier si la petite allait bien, même si après ça, elle n'allait plus être comme avant. Le nez et la lèvre supérieure en sang, il venait de sortir un couteau de sa ceinture, la tendit en tremblant de toute son âme vers Suki. Ni une, ni deux, elle donna un grand coup de pied sur ses doigts qui écrasa sa main contre le mur, brisant ainsi tous ses doigts de la main droite. Il gémissait de douleur en lâchant contre sa volonté sa seule arme qui n'avait aucune chance contre Suki. Ce petit chef menait les autres à la baguette avec son pognon et seulement ça!

« Le-le-le-le... le robot! Co-co-co... »
« Rassure-toi, lui il n'a pas souffert, toi, tu vas souffrir par contre! »
« Pitié... »
« Pitié! » Coupa-t-elle brusquement « Tu en as eu pour cette gosse? Non, alors va crever! »
« Sisisisisisisis j'en ai eu! J'ai... je l'ai laissé vierge... »

Et il pensait vraiment s'en tirer avec une telle excuse? Qu'il se rassure, aucune réponse de sa part n'aurait été la bonne! Petite mais costaud, elle souleva cet esclavagiste par le col, le laissant même plus pied-à-terre, elle sortit son propre couteau caché sur sa combinaison et planta l'arme entre ses jambes, pile près de son trou arrière. Avec sadisme, elle gardait des yeux dans les yeux se tordant de douleur alors qu'elle faisait avancer sa lame vers le nombril et une fois sur d'avoir causé des dégâts irréparables, elle le relâchait en le laissant se vider de son sang pendant quelques secondes.

« Lieutenante... il va mourir de toute façon, lais... »
« Hors de question! »

Son pied écrasa son crâne contre le mur derrière lui, elle l'avait au minimum assommé mais ça ne lui suffirait pas. Tombant à genoux, elle l'attrapait de nouveau par le col avant de lui foutre une série de coups de poing, fracassant, mâchoire, arcade, nez, sa face ne ressemblait plus à rien! Même l'œuvre d'un certain Picasso sur Terre était plus humain. Ce fut Lika qui retira Suki de force de ce cadavre en sang dont seuls quelques organes seront encore bon à prélever. Ils ne pourront pas lui soutirer des informations non classé et ils ne pourront plus refaire le procès de la lieutenante Tetsuhiko. Sa tenue était parsemée par plusieurs tâches de sang, tout comme son visage mais elle s'en fichait bien. Essoufflée, elle regardait cette petite sur le bureau, toujours dans le flou, choqué, Chika tentait de la faire revenir sur le monde réel. Suki s'en approcha, regardant la petite dans les yeux, tournant légèrement sa tête en la prenant doucement par la mâchoire.

« On verra avec la psy comment elle va, pour le moment, personne n'y connaît rien en pédopsychiatrie alors on va devoir rentrer. »

Suki prit l'enfant sous les épaules avant de la prendre dans ses bras laissant sa petite tête sur les épaules et en bloquant une de ses oreilles avec sa main en mimant une caresse.

« L'avez-vous nettoyé, Chika? Yunee? »
« Nettoyé? »
« Oui! Là où ce porc la souiller bordel! »
« Je... non mais... »

Si elle n'avait pas cette enfant dans les bras, son regard indiquait clairement qu'elle aurait pu la plaquer contre le mur en la menaçant mais la grande sœur de Chika intervint avec un mouchoir pris dans le bureau en écartant doucement sa sœur, elle remonta la longue tenue sale de la petite pour lui essuyer doucement l'arrière-train alors que Suki lui caressait les cheveux pour la rassurer n lui murmurant que c'était fini. Elle n'oublia pas de lui remonter sa culotte avant de commencer à avancer sur le chemin du retour.

« Shiska, contacte-moi Delta et le sergent Yukimitsu, je veux savoir s'ils ont une femme ayant perdu une petite fille d'environ quatre ans, les cheveux blonds et courts. Je veux que l'on me retrouve sa mère avant de foutre le camp! La moindre information sur ce à quoi elle ressemble. Et si rien n'est arrivée de dangereux pour le sergent, on se retrouva là où nos chemins se sont séparé. »
« Oui Lieutenante! »

Hélas pour Suki, sa mère était déjà morte dans un coin de la base, depuis plusieurs jours déjà. Mais seuls les esclaves ayant vu la séparation de la mère et la petite ainsi que la mère abattu sans ménagement pouvaient le savoir. Le chemin était calme et c'était les autres qui couvraient Suki pendant qu'elle gardait cette petite dans les bras. Voilà un des pires visages de l'esclavagisme, les pédophiles! Cette gamine avait perdu son innocence aujourd'hui et tout ça pour tenter d'emporter un triste souvenir en enfer? Il aurait été plus noble de sa part de lui offrir sa liberté avant sa mort, Suki aurait surement laissé ce malheureux en vie avec un tel geste. Bien que choqué, sonné et perturbé, la petite se tenait à Suki en continuant de gémir doucement, ses larmes ne voulant pas s'arrêter pour autant. Sans ce robot, elles auraient surement pu éviter ce cauchemar pour cette petite... Parcourant le chemin, Suki arriva au point de rendez-vous et Chika informa déjà que Delta n'avait reçu aucune information du côté des esclaves en haut, ça ne leur disait rien du tout, pas plus des quelques prisonniers. La lieutenante risquait d'avoir deux nouvelles pas faite pour conclure une journée avec le sourire...

" Non, on a eu chaud mais aucune perte. On transfert les réfugiés au monte-charge et on vous attend... D'accord. Non, personne a l'air de se manifester. Mais je pense que d'une cellule à l'autre elles n'avaient pas beaucoup de contact. "

Une fillette du côté où il y a le boss mais pas de cage. Je préfère ne pas trop y penser, ça risque de m'énerver. Et je suis loin d'être zen. Heureusement que je n'ai pas trop utilisé mes pouvoirs, j'aurais du mal à les contenir. À part quelques horreurs que l'on devrait considérer comme très communes dans ce genre d'endroit, mon baptême du feu n'aura pas été la traversée de l'enfer qu'on m'avait prédite. Tant mieux, c'est déjà assez éprouvant comme ça. Il va peut-être falloir que je passe par l'infirmerie prendre un shoot de dymérite. Je vais passer une nuit de merde, mais en cas de cauchemar je ne transformerais pas ma chambre en cheminée volcanique.

En attendant tout ce petit monde remonte les passerelles du hangar, et alors que je m'arrête pour vérifier que ça suit j'aperçois une fille qui se détache du groupe. Je suis la seule à la remarquer, mais je ne m'attendais pas à ce genre de méfiance.

" Garden, prenez la tête, je vous rejoins.
- Sergent ?
- Une civile qui se balade, j'en ai pas pour longtemps. "

J'espère que je n'aurais pas à la traîner de force, mais vu le gabarit ce sera jouable. Je longe la file à contre-courant, tâchant de sourire et de rassurer ces pauvres femmes. Je tarde pas à trouver la "fuyarde" blottie derrière la carcasse du mille-patte robotique. Et je remarque que de toutes celles qu'on a sorties des cellules elle semble la plus en forme. Dix ou onze ans, brune, et elle porte des vêtements. les autres n'ont que des haillons déchirés. Sa tête me dit quelque chose, très vaguement. Elle me rappelle quelqu'un mais je sais que ce n'est pas elle. Je rengaine mon arme en m'approchant, doucement. Et sourit, ma fille ! Elle va croire que tu vas la remettre en cage. Merde, elle a l'air complètement terrifiée.

" Hey ? Pourquoi tu te caches comme ça ?
- Ma... Ma maman... Je dois aller la chercher. "

Pitié, qu'elle ne soit pas en train de délirer. Vu la situation, si sa mère n'est pas dans le groupe d'esclaves elle est sans doute morte. J'essaie de ne pas trop montrer mes doutes. Mais si la première impression est la bonne...

" On va la chercher ensemble. Tu sais où elle est ? "

Elle pointe le doigt vers une épaisse porte blindée. Grosse saloperie rouillée, à code. Sur quel scène d'horreur je vais encore tomber derrière ça. je prend la gamine par la main et je la laisse taper le code. Apparemment elle connaît, et je me dis que j'ai bien fait de dégainer au cas où. Si on avait été plus nombreuses j'aurais gardé quelqu'un. J'écarte la gamine pour entrer quand la porte s'ouvre et... je reste sous le choc.

" Maman ! "

Elle me bouscule pour entrer et filer vers la femme au milieu de la pièce, qui lèvent les mains... Et les gants chirurgicaux couverts de sang qu'ils portent. Je suis dans une salle d'opération. Non, à y regarder de plus près je suis dans une morgue. Une morgue aussi nickel que la salle du rez-de-chaussée. Mais cette fois c'est vraiment médical. Et pour un peu je céderais à la tentation de faire sauter la tête de cette bouchère, mais elle me fixe d'une drôle de façon. Et quand elle retire son masque, je lâche presque mon arme.

" Docteur... Chakwas ? "

Retour à mes huit ans, et l'incident des échangeurs thermique sous l'aéroport militaire. J'ai sorti des conduits un gamin qui s'y était aventuré. Il y a perdu deux membres et plusieurs organes internes, en lui sauvant la vie j'aurais pu y perdre autant que lui. le Docteur Chakwas m'a évité ça. J'ai appris plus tard qu'elle partait avec ses deux filles quelque part entre Tekhos et les Terres Sauvages. Une mission humanitaire civile. Mais elles n'étaient pas installées au dispensaire depuis trois semaines que les esclavagistes attaquaient. Une doctoresse, avec deux moyens de pression, pour eux c'était une affaire en or. Quand il lui ont ordonné de charcuter les cadavres d'esclaves pour y récupérer les organes sains elle a refusé. Quand ils ont tué sa fille aînée, elle est revenue sur sa décision.

Voilà qui cette gamine me rappelait. Depuis dix ans un docteur diplômé, une celkhane, alimente le trafic d'organe de ces enfoirés. Mais comment lui en vouloir quand la vie de sa fille était sur la sellette ? Sa vie dans tous les sens du terme, parce que la gamine que la Lieutenante Tetsuhiko a trouvée n'est pas vraiment sauvée. Celle du docteur a au moins l'air relativement préservée. En fait sa mère s'en assurait à chaque visite. Et j'ose à peine imaginer comment une mère arrive à sourire à sa fille, ou à lui expliquer qu'elle va vérifier que son hymen est toujours là. Cette bande d'enfoirés n'a pas assez souffert pour tout ça.

Je finis par couper cours aux retrouvailles, le docteur Chakwas comprend on ne peut mieux. Elle les a attendus, les secours. Mais en repartant j'attarde un regard à la femme qui est allongée sur la table d'opération. Aux coutures, la récolte doit être finie. Une femme, blonde, avec un trou bien propre au milieu du front. J'ai peur de demander.

" Est-ce que vous savez... Pourquoi ils...
- Elle a griffé un de ses geôliers, en essayant de l'empêcher de prendre sa fille.
- Merci. "

Merci pour l'info, mais surtout merci de pas avoir attendu que je finisse. Je quitte la salle avec elles, et elles ne se font pas prier pour presser le pas. Je les couvre et fait jouer l'anneau de ma broche.

" Ganae. J'arrive avec deux civiles, deux ressortissantes celkhane portées disparues. Et dites à... Faites passer le mot : j'ai retrouvé la mère de la gamine. Elle est morte. "

Suki en avait terminé de son côté, la zone était nettoyée et il n'y avait rien d'intéressant. À part cette enfant à sauver, le reste n'était plus que cadavre et abomination en tous genres. Ainsi, si Lika était quand même parti jeter un œil aux données des expériences, le reste de la troupe avançait vers le point de rencontre, seule Yunee restait auprès de sa camarade pour surveiller le couloir, ne sait-on jamais s'ils avaient une salle secrète? Sur le chemin, c'était plutôt calme mais en sachant que le sergent comme la lieutenante avait fini leur mission, chaque celkhane était déjà plus détendu même si personne ne dormait sur ses lauriers, tant que Caelestis n'est pas en vue, la mission n'est pas terminée! On n'a encore jamais vu d'esclavagiste piloté de vaisseau ou sur une monture volante mais attention quand même! Précaution est mère de sureté.

Les couloirs vidés, la carcasse encore fumante du monstre qui était autrefois humain était tout ce qu'il y avait de plus mort! À moins que son fantôme ne vienne se venger, elles n'avaient rien à craindre... sauf l'odeur peut-être? Qui sait ce qui se baladait comme liquide inflammable dans ce tuyau qui passait dans son corps mais ça pue une fois cramé! La petite restait silencieuse, toujours accroché à Suki qui ne lâchait aucun mot. Ce ne fut que lorsque la réponse arriva qu'elle tourna la tête vers celle qui s'occupait des transmissions et vu sa réaction, une chose grave venait de se produire! En effet, secouant la tête doucement, elle prononçait le mot « morte » sans que la voix ne s'échappe de sa bouche. Pauvre gamine, ainsi, une nouvelle orpheline de guerre était née. La guerre avait bien des visages atroces et celui de plongés les enfants dans cette guerre d'adulte con et sans la moindre valeur morale était l'une des pires facettes.

Renforçant son étreinte sur cette pauvre petite, Suki continuait d'avancer, préférant ne pas lui annoncer la nouvelle. Vu son âge, ça risque d'être très douloureux pour elle, d'autant plus qu'elle allait avoir du mal à vraiment comprendre. Encore une chose qu'elle détestait de la guerre. Une fois arrivé en première au point de rencontre, le second message circulait pour Suki, celui à propos des deux autres celkhanes retrouver par le sergent, c'était une petite bonne nouvelle malgré tout! En observant le couloir décoré par les tirs adverses, quand elles se firent repérer par les gardes esclavagistes. Soudain, elle repensait à une chose! Zut, c'est qu'elle les avait oublié cette bande de connards à poil!

« Shiska, va foutre les menottes aux autres cons dans la douche, laisse leur le temps d'enfiler quelque chose et attend nous ensuite. N'hésite pas à en blesser un ou deux s'ils jouent les fortes têtes sous prétexte que tu es seule. »
« Bien reçu. »

Pendant qu'elle allait faire son job, Suki commençait à se demander ce qu'elle allait faire d'elle? Comme toutes les autres, elle allait devenir orpheline et placer dans l'orphelinat de guerre. Une famille sur Caelestsis ira l'adopter un jour ou l'autre, c'est évident mais elle gardera à vie cette expérience douloureuse. Le groupe du sergent arrivait, Destata en tête avec plusieurs femmes et filles derrière elle. La plupart ayant des morceaux de tissu en guise de vêtement, comme cette petite qu'elle tenait. Toutes abordaient au moins un sourire de liberté, maigre compensation pour le moment après la nouvelle qu'elle venait d'encaisser mais vu le nombre de nouvelle celkhane qui allait vivre sur l'archipel ou même Tékhos, ça serait toujours un plus. Suki leur donna l'ordre de continuer jusqu'à l'ascenseur et de les attendre. Elle confia aussi comme mission à Mélissa d'escorter les prisonniers avec Shiska afin qu'avec Delta, elles puissent déjà passer l'appel pour une seconde navette pour transporter les prisonniers. Pas question de mêler ses connards à ses pauvres femmes.

Voir Suki avec une enfant dans les bras n'était pas si étrange que ça pour celles qui faisaient équipe avec elle depuis longtemps. Suki avait beau râler, être une véritable chienne de l'armée et suivre les ordres à la lettre, elle faisait très maternelle voire grande sœur quand il s'agissait de s'occuper de ce genre d'orphelin de guerre. Cette même scène avait déjà plusieurs fois été vu par le reste de son équipe et elle n'avait pas honte de les aider. L'ascenseur redescendait pour accueillir à présent les esclaves et les celkahnes et le sergent furent de nouveau de retour avec une jeune fille et sa mère.

« Bon travaille, sergent! À ce que je vois, tout c'est dérouler comme prévu. Vous me ferez votre rapport plus tard, allons les rejoindre pour le moment. »

Sa main toujours plaquée sur le dos de cette petite qui paraissait dormir sur son épaule, sauf que ses yeux restaient toujours bien grand ouverts et qu'elle versait ses larmes en silence, gémissant parfois. Suki observa la jeune fille et la jeune femme, les deux celkhanes donc? Voyant la blouse blanche pleine de sang, elle faisait vite le rapprochement qu'elle était médecin, pour le coup, ça lui sera grandement utile.

« Vous êtes médecin je suppose? Une fois dans le vaisseau, venez me rendre une petite visite, j'aurais besoin de vos conseils. »

Un signe du regard posé sur la petite qu'elle tenait, elle comprenait que ses conseils et son diagnostic même un premier, étaient pour elle. Voyant cela, Ganae s'approcha de Suki dans le but de lui laisser le temps de se reposer en gardant la petite.

« Lieutenante, laissez-moi m'en occuper. »

Mais les gémissements de refus de la petite qui s'accrochait de plus en plus autour de Suki alors que ses mains touchaient à peine ses côtes voulaient très bien dire non.

« Laisse là. » elle ne disait pas ça méchamment mais calmement, de façon à bien se faire comprendre. « Elle me lâchera quand elle en aura envie, laisse là tranquille pour l'instant. »

Cette petite avait trop bien souffert pour qu'on lui refuse autre chose. Plongée dans son mutisme, elle restera surement ainsi pendant quelques jours, si on ne lui dit rien, il est aussi possible que ses seuls mots seront de rejoindre sa mère, hélas, dans l'au-delà.

« Hormis ce que vous m'avez dit dans le message radio, rien à signaler de votre côté, rien de bizarre? »

Rejoignant l'ascenseur, les portes se fermaient derrière elles, entourées de toutes les autres anciennes esclaves et le reste de la troupe celkhane. Cette petite mission touchait à sa fin mais pas dans la joie et la bonne humeur, pas pour tout le monde en tout cas.

Je suis encore sur les nerfs quand nous rejoignons la troupe. Le docteur Chakwas n'a pas l'air très à l'aise de rejoindre les esclaves, pourtant ces dernières ne semblent pas hostiles, au contraire. Et découvrir la pauvre gamine dans les bras de la lieutenante n'est pas pour me calmer. Les anciennes équipières de ma mère avaient raison : la fin d'une mission est toute relative. Je voudrais qu'une milliers connards supplémentaires arrivent pour pouvoir me défouler, et oublier qu'on est arrivées si tard. Mais si je me lance là-dedans je vais devenir folle, parce que tout ce merdier prend racine bien avant ma naissance.

Je souffle un bon coup en suivant la lieutenante.

" Il va falloir appeler des équipes d'enquête. Ces gars faisaient une tonne de trafic, ça peut remonter loin à Tekhos. "

Je préfère ne pas rentrer dans les détails. Pendant qu'on se battait, et que cette petite fille devait souffrir le martyr entre les mains d'un gros salopard, le Docteur Chakwas vidait sa mère comme un lapin. Combien de cadavre elle a dû éviscérer pour épargner sa dernière fille vivante ? Elle n'avait pas le choix, et aura sans doute beaucoup de mal à assumer une fois de retour sur Caelestis. On tue les enfants pour forcer leurs mères, on tue les mères pour prendre leurs enfants : je crois que je vais rapidement prendre goût à l'élimination de ce genre de vermine.

La gamine reste cramponnée à la lieutenante, mais je pense qu'elle non plus ne la lâcherait pour rien. Au monde. Je devrais lui dire de confier cette enfant à quelqu'un d'autres, ne serait-ce parce qu'elle est sur les nerfs et que ça se sent. Il y a aussi le risque d'un connard isolé qui nous aurait échappé, et voudrait faire un carton sur nous. Au lieu de ça je viens caresser les cheveux les cheveux de la petite et lui murmurer quelques mots à l'oreille pour la rassurer.

" C'est fini, petit ange. Ça va aller. "

Ce que ma mère me disait tout le temps, et qui a toujours réussi à me remonter le moral. Même après sa mort, sa voix enregistrée suffit à me faire relever la tête quand ça va mal. J'espère que ça lui fera un peu de bien. Puis en entrant dans l'ascenseur je me lance.

" On est tombées sur une esclave un peu spéciale. Je ne suis pas certaine mais je pense que c'était un Vampire. Elle a dit s'être faite capturer pour atteindre le chef de la base. Elle menaçait Garden, j'ai pas pu la descendre. Et elle a pris la fuite. "

Le reste est mon problème. cette chose connaît mon nom et prétend avoir une dette. Qu'elle me tombe un jour dessus seule à seule et on en reparlera. Il paraît que les Vampires n'aiment pas le feu. J'enchaîne, en choisissant mes mots, une fois de plus.

" On a aussi trouvé tout un arsenal, et un local technique avec quelques engins plutôt douteux. "

Bon il faudra aussi le dire à un moment ou un autre. Je pose les mains sur les oreilles de la petite pour venir murmurer à celle de la Lieutenante.

" Et une banque d'organes. Ils ont forcé la Docteur Chakwas à disséquer les esclaves qui mourraient en menaçant sa fille cadette. Ils ont tué l'aînée dès le départ et l'ont forcée à la découper. Elle avait pas le choix, ma Lieutenante. "

Enfin l'ascenseur arrive, Delta tient toujours tout son petit monde sous la menace d'une arme chargée. Le temps de rassembler les esclaves, je m'approche de Chakwas et sa fille qui la ceinture de ses bras.

" C'est vraiment fini ?
- Oui, on vous ramène à Caelestis... Tu dois plus trop t'en souvenir, toi ? "

Le sourire un peu gêné de cette fille réchauffe instantanément le cœur. Nous sommes arrivées bien trop tard pour leur éviter toutes ces souffrances, mais peut-être que finalement mieux vaut tard que jamais. La femme aux cheveux grisonnant balade un regard coupable sur la foule qui se prépare au départ, puis sourit en revenant à moi.

" Tu as bien grandi, Rinako. J'ai appris pour ta mère, je suis désolée. C'était une femme bien. Et elle serait fière de toi.
- Vous aussi vous êtes une femme bien. "

Elle n'en est pas convaincue, et moi non plus en fait. Elle n'est qu'une femme qui dû faire ce qu'il fallait. Je me demande jusqu'où ma propre mère serait allée pour moi. À l'époque si elle avait été sur la base, elle n'aurait pas hésité à filer dans les gaz toxiques pour nous récupérer ce garçon et moi. Elle aurait risqué sa vie, et aurait tué tout ceux qu'il aurait fallu. Le côté obscur de l'amour. Je sais que je porte aussi ça en moi, parce que je n'attend que la personne pour qui je ne reculerais devant rien. Celle pour qui je serais prête à balayer jusqu'à mon devoir de sous-officier. une femme, comme celle que j'ai devant moi, ou une fille, comme celle dont je caresse le visage en souriant. Un jour ou l'autre.

En attendant je rejoint à nouveau la Lieutenante pour le départ.

" Vous voulez que je reste m'occuper des prisonniers, ma lieutenante ? "

Honnêtement, en posant la question, je compte surtout sur la monumentale connerie de ces hommes. Qu'ils se disent qu'amputées d'une part nos effectifs nous serons moins dangereuses. Qu'ils jouent à ça, et me donne l'occasion d'en tuer encore un ou deux pour me passer les nerfs. Je me demande si ça transparaît pas un peu trop sur mon visage.

Rinako continua de lui expliquer certaines choses dont les étranges expériences qu'il se passait dans ses locaux soi-disant abandonnées. C'est vrai que ses connards ne reculaient devant rien. Mécontent de se faire de l'argent sur le dos de la liberté des gens, ils faisaient aussi sur la vie des gens? Les esclavagistes étaient vraiment la pire race humaine! Pour Suki, un démon resterait inférieur face à de tels chiens galeux! D'ordinaire, elle culpabilisait toujours un peu à la fin d'une mission, se disant qu'à son tour, elle avait brisé une famille, que malgré ce boulot démoniaque, il était peut-être un gentil papa avec sa femme et ses enfants et qu'eux, il ne leur ferait jamais de mal. Mais porté cette petite et revoir cet enfoiré attaché sa ceinture lui suffisait de balayer tous ses doutes d'un coup! Plus question d'avoir la moindre pitié! Elle avait bien fait de le tuer mais hélas, il était mort trop rapidement!

« Jusqu'où sa remonte, ce n'est pas notre affaire. Nous avons libéré les esclaves et nous laissons d'abord la place au service de nettoyage. Ensuite, ça sera à eux et à nos rapports de voir si Uatis doit en prendre le relais ou non. »

Les nettoyeurs, un boulot qui ne fait envié personne. Nettoyé le sang, transporter les cadavres pour leur offrir une sépulture décente. Ils devaient aussi tout analysé, ordinateur et document pour joindre tout ça au rapport et ils seront un poids décisif sur les têtes pensantes de l'armée à savoir si le dossier irait à Uatis ou non? Vu l'alliance entre les deux cités, il sera confié à la ville sur Terra et si l'enquête est menée par les Celkhanes, ils en seront informés. Continuant son chemin, elle laissait le sergent tenté de remontée le moral de la petite mais Suki n'y croyait pas trop, après un tel choc pour son jeune âge, ni elle, ni Suki ne réussira à lui redonner le sourire. Ses petits yeux continuaient de pleurer en revoyant ce qu'elle avait subi sans y comprendre grand-chose hormis la douleur. Elle devait surement penser à sa mère, à ce qui se passait? Qui elles étaient? Où était sa mère? Trop jeune pour qu'on touche à son innocence et ce salaud ne s'était pas privée.

Dans l'ascenseur, Rinako pourrait surement remercier la môme que la lieutenante tenait dans ses bras car si elle ne la retenait pas, elle aurait surement fini plaquée contre le mur le plus proche alors que Suki tenterait de lui soutirer la moindre information sur ce mystérieux vampire. En entendant seulement le mot vampire, elle tourna sa tête d'un geste brusque, son regard assez triste pour la petite était soudainement devenue des plus rouges. Surtout qu'elle avait bien précisé que le vampire était de sexe féminin et qu'elle avait menacé Mélissa. Cette dernière risquait surement de se faire convoquer pour avoir sa version et surtout, ce qu'elle savait de ce vampire. Sa couleur des yeux, ses cheveux, sa voix, elle n'y croyait pas mais si c'était Mélinda, elle était capable de bloquer la base et de foncer seule dedans pour la retrouver. Le sergent Yukimitsu continue à lui révéler les horreurs de cette base souterraine et décidément, les nettoyeurs vont avoir un sacré boulot! Suite à ça, un long soupir en fixant le sol. À quel cauchemar cette petite avait échappé? Ou au contraire, à quel cauchemar Suki l'avait tiré?

« Cela nous concerne peu, sergent. Nous les avons libéré, il est évident qu'elle ne pouvait pas faire ça volontairement en gardant sa fille en vie. Mise à part notre parole, c'est au tribunal de l'armée de décider de son sort. Mais ne vous inquiéter pas, je ne pense pas qu'ils tenteront quoi que ce soit. Nombreux sont ceux qui ont agi par obligation et vous n'êtes pas la dernière. Évité quand même de donner trop de détails, certaines personnes pourrait y voir... une forme de plaisir a déballé tant de détails macabres. »

Une celkhane prisonnière, agissant pour le bien de sa fille, peu de chances de voir le docteur derrière les barreaux! Une fois de retour à la surface, Suki n'était pas étonnée de voir tout comme avant, les esclaves avec un grand sourire, des tronches d'enterrements du côté des hommes amochés pour certains, c'était toujours drôle de voir les rôles s'inverser un peu. Sans vraiment donner de directive, les autres celkhanes géraient les esclaves et certains guidaient les prisonniers en dehors du bâtiment, l'arme bien pointée sur eux. Le vaisseau qui les avait amené ici arrivait doucement pour ne pas paniquer les autres. Rinako se dirigea vers elle pour savoir si elle devait veiller sur eux mais ça ne sera pas la peine.

« Inutile, prenez donc des notes sur la façon de les gérer une fois la mission finie. Voyez avec Mélissa ou une autre quoi faire car toutes les fins de missions ne sont pas aussi calme. Vous avez bien bossé, sergent. Je préfère vous laisser quelque chose de simple. De plus, on ne quittera pas la zone tant que le second vaisseau ne sera pas là pour transporter nos prisonniers. »

Suki s'avançait vers le vaisseau avant de se retourner vers le sergent.

« Rejoignez-moi une fois que vous aurez fini, j'aurais quelques questions à vous poser. »

En passant à côté du docteur, elle lui dit aussi la même chose même si elle lui confia de consulter rapidement les autres filles pour voir si aucun ancienne esclave n'était blessé ou quoi que ce soit? Il ne faudrait pas qu'une de ces filles souffre alors que leur calvaire était fini. Suki rejoignait directement sa chambre privée, Mélissa étant sa seconde – de son bataillon actuel –, elle pourra volontiers donner quelques conseils aux sergents sur la façon de ne pas avoir un débordement de bonne humeur ou de crise, ça dépend de la situation. Comme Suki le disait si bien une mission n'est fini qu'une fois sur Caelestis. Dans sa chambre, la jeune femme tentait doucement de retirer la petite accrochée à son cou comme si sa vie en dépendant mais elle écartait à peine son corps du sien qu'elle sentait sa tristesse et sa peine sortir par les yeux et par sa gorge. Elle ne voulait vraiment pas la lâcher alors...

« Petit ange... tu ne crains rien maintenant... Je veux juste te déposer sur le lit. »

Mais elle s'en fichait, répondant que par quelques gémissements et de nouvelle larmes, Suki se posa sur le lit, assise, elle caressa les cheveux de la petite blonde, doucement pour la rassurer alors qu'elle chantonnait une petite chanson. Aucune parole mais elle laissait quand même une mélodie pour bercer la petite contre elle. Quand ses mains se relâchaient sur ses épaules, elle continua la mélodie en l'écartant doucement, sa tête penchée sur le côté, elle dormait déjà comme un loir. La fatigue avait anéanti cette petite. Suki continua la petite berceuse en la couchant sur son lit, elle y remonta doucement une couverture posée sur le lit pour la recouvrir. Combien de temps n'avait-elle pas profité d'un vrai lit? Son visage endormi, elle ressemblait vraiment à un petit ange... les ailes en moins... l'innocence volée aussi. Elle passait de longues minutes à regarder son petit visage, passant sa main sur sa petite joue. Elle s'en voulait un peu de ne pas pouvoir retirer cette tenue sans risque de se retrouver nue. La chaleur de son corps lui aurait surement été plus agréable que celui de la matière dans laquelle était faite les tenues celkhanes.

Rien à craindre du côté de la porte, elle s'ouvrira automatiquement en restant posté devant trois secondes. Elle n'avait plus qu'à attendre Rinako et une fois arrivée, elle l'accueillait en posant son index sur ses lèvres pour lui ordonner le silence avant de la rejoindre près de la porte. Elle refusait de quitter la pièce, rien qu'à imaginer la détresse à son réveil en ne trouvant personne, la pauvre serait si paniquée! C'est à voix basse qu'elle commençait à parler de nouveau avec elle, la fin de mission approchait à grands pas, les anciennes esclaves étaient surement déjà éparpillées dans le vaisseau, sous bonne garde alors que le vaisseau pour prisonniers ne devrait pas tarder en mettant la gomme. Elle était posée contre le mur de façon à voir son lit en face, juste au cas où.

« Comment se portent les autres esclaves? Tout se passe bien? »

Inutile de tourner autour du pot, elle savait que ça, c'était de simple formule pour ne pas lui poser les bonnes questions dès le début.

« Sergent, parlez-moi de ce vampire... je veux chaque détail de ce que vous avez pu voir chez elle ou entendre. Chacun de ses gestes, décrivez-moi tout... »

Mélinda Warren, sa hantise. Il y avait une petite mais alors très petite chance que les deux ennemies étaient si proches sans le savoir – ou au contraire en le sachant? Cette vampire était devenue sa raison de vivre pour mieux piquer sa tête sur une lance et l'exposé au monde entier.

La lieutenante a l'air de vraiment tenir à cette gamine. C'est peut-être ma première mission mais j'en ai vu assez, elle s'accroche autant l'une que l'autre. Je connais ça et je l'ai vécu d'une certaine façon, plus d'une fois en accueillant des réfugiés. Enfin ! Elle, au moins, a de quoi s'occuper plus sainement que nous. Je ne sais pas pour les autres mais voir tous ces enfoirés alignés, à genoux les mains dans le dos, me donne envie de leur coller une balle derrière la tête pour compléter le tableau. Je reste avec Garden, Chakwas et sa fille. La doctoresse faisait plus que des autopsies. Elle fait le tri entre les esclaves libérées selon ce qu'elle sait déjà d'elles. Je la laisse prendre un peu de distance au fil de ses rapides auscultations.

Sa pauvre fille en prend les épaules. Les autres esclaves la regardent en coin, sans doute à cause du favoritisme dont elle a bénéficié. Quant aux prisonniers, ils la regardent aussi. Pauvre gamine. Passer toute ça vie entourée par les pires saloperie, dans la peur que ça lui tombe dessus, et la honte de pousser sa mère à commettre des horreurs pour la protéger. Elle porte tout ça, il suffit de la regarder. Et elle attend encore que ça lui retombe dessus. Je passe la main sur son épaule pour la rassurer alors que tout le monde se prépare à embarquer. D'après le docteur, les prisonniers blessés tiendront jusqu'à l'arrivée du second vaisseau. Je m'en remet à ce diagnostic. Ils peuvent bien crever, ça ne m'empêchera pas de dormir.

D'ailleurs ça m'arrangerait, sur le coup. Certains ont compris qu'on ne les tuera pas et y cherche un moyen de se rassurer. Ils lancent des regards, et bientôt se mettent à ricaner, à menacer. Je lève la main pour intimer aux autre de ne pas intervenir tout en marchant vers eux.

" Garden ! Rappelez-moi le compte des prisonniers !
- Dix-huit, Sergent.
- Dix-huit, vous êtes sûre ? "

Je plante devant l'un d'eux, mais tous ont déjà fermé leurs grandes gueules.

" Peut-être dix-sept.
- C'est ce qui me semblait. "

Je dégaine et braque. L'homme détourne les yeux en se tassant sur lui-même. Je repousse sa tête et passe au suivant. Même réaction, même tarif. Il faut que j'arrive au quatrième pour tomber sur un courageux, qui soutient mon regard.

" Vas-y, gamine. Si t'avais pas ton flingue...
- Si t'avais pas queue t'aurais violé personne. Si t'avais pas eu de flingue t'aurais fait peur à personne. Maintenant j'ai le flingue et ta queue se ratatine.
- J'ai pas peur de mourir.
- Tant mieux, parce que tu vas mourir. D'ici peut-être deux semaines, quand t'auras craché toutes les saloperies que t'as faites. Et tu crèveras pas d'une balle dans la tête. Deux électrodes derrière le crâne, et ton bulbe rachidien va cramer. Comme les porcs à l'abattoir. Tu vas disparaître, sans avoir le temps de souffrir. Et on te balancera dans un incinérateur. Tu finiras mélangé avec les cendres de tes potes, compacté dans une décharge. Et toutes ces femmes derrière moi finiront par se remettre des saloperies que tu leur a faites. "

Je rengaine.

" Aboyez tant que vous voulez : vous êtes tous déjà morts ! "

Puis je leur tourne le dos. Du côté des esclaves, la plupart des regards sont déjà moins effrayés. Mon petit numéro était pour elles. Qu'elles sachent comment traite ces fumiers. On les tue, toujours, on les élimine. Rien n'excuse ce qu'ils font. Et on est dans centaines sur l'Archipel, pour monter la garde. Plus rien à faire ici. Je laisse la suite à Garden le temps que je second vaisseau arrive. Puis je Chika et Azaki pour faire embarquer les esclaves. Je donne à la doctoresse accès aux communications pour prévenir déjà l'hôpital de ce qu'il faudra. En revanche j'embarque sa fille en quittant l'infirmerie. Inutile qu'elle s'impose les compte-rendus médicaux de ce qu'elle a vu toutes ces années. Je lui demande d'attendre gentiment à quelques pas de la porte du Lieutenant. On se fait discrètes, le petit ange a fini par s'endormir.

" Dans l'ensemble elles vont bien, physiquement. Le docteur est en contact avec l'hôpital militaire. Les prisonniers se tiennent à carreaux. "

La Vampire. Il fallait bien que ça tombe. Je sais déjà à quel point elle déteste ses bestioles, plus encore depuis l'affaire Warren. Aussi je n'y vais pas par quatre chemins. J'ai vu des photos dans son dossier, et ce n'était pas elle.

" Brune, foncée. Les yeux marrons, je crois. Mais il faisait très sombre. Elle a massacré deux gardes en trois secondes. Le temps de rentrer dans sa cellule, elle était passée derrière Garden et la menaçait. "

Je serre les poings une seconde en repassant la scène.

" Désolée, mon Lieutenant. je l'ai pas vue venir et elle m'a pas laissée une seule occasion. Mais elle savait qui on était, et elle a dit qu'elle venait tuer le chef de ce bunker. Apparemment ça lui faisait pas peur de passer sur tous les gardes pour y arriver. Elle a aussi dit qu'on avait fait les choses à sa place, et elle a parlé d'une dette. Et...[/ "

Je soupire en baissant la tête. j'ai la rage rien que d'y penser.

" Elle a demandé mon nom. Je lui ai donné. Elle menaçait Garden, je savais pas quoi faire d'autre... Désolée, mon Lieutenant. J'ai merdé. "

Si dehors, on pouvait entendre la confiance de certains connards, les rires de certaines femmes libres, à l'intérieur du vaisseau, on n'entendait que le vrombissement des moteurs et rien d'autre. Suki avait pu déposer la petite fille dans le lit, la couvrant avec une couverture alors qu'elle semblait enfin apaisée. C'était le sergent qui avait raison, un petit ange. Suki évitait de faire le moins de bruit possible en restant près de la porte pour parler à voix basse. Elle savait que quitter la chambre, même trois secondes, si la petite se réveillait durant ce cours laps de temps, elle allait de nouveau avoir peur. Hors de question pour cette petite qu'elle ne fasse de nouveaux cauchemars. On pouvait croire la lieutenante proche de cette enfant mais il n'en était rien. Des gosses comme ça, elle en accueillit des dizaines de dizaines! Perdue, triste, apeuré, ils sont très fatigués et une fois sur Caelestis, ils sont emmenés à l'orphelinat de guerre pour qu'une famille ne vienne les adopter. Il lui arrivait d'aller rendre visite à ses jeunes filles durant ses repos pour leur montrer qu'elle ne les avaient pas oublié. Puis avec le temps, elles s'accrochent à leur nouvelle famille puis leur vie prend un nouveau sens. Cette petite ne fera pas exception.

Parlant des autres avec Rinako, ce n'était que pour masquer l'envie d'entendre son rapport sur le vampire qu'elle a rencontré. Mais malgré la même couleur de cheveux, ça ne collait pas, Mélinda avait des yeux verts... des yeux verts remplis de folie et de cruauté! Le fait que cette vampire s'en prenait aux gardes n'était pas un problème mais menacer sa troupe, ça c'était autre chose! Selon son rapport, Suki ne voyait pas sa pire ennemie faire appel à une « amie » pour vaincre un concurrent potentiel? Faut se rendre à l'évidence, malgré qu'elle savait qui elles étaient, elle ne bossait pas pour Warren, ça devait être un autre vampire esclavagiste? Oui, Rinako avait merdé, donner son nom mais elle avait sauvé Mélissa. Puis sans l'affaire Warren, elle aurait surement tenu un discours sur son erreur, Suki aurait été fière, la tête haute en rabaissant Rinako. Mais aujourd'hui, elle vivait jour après jour avec sa pire erreur, sachant sa meilleure recrue chez les dingues pour encore quelque temps. Comment pouvait-elle faire la morale? Rinako ne savait peut-être rien de son cas, c'était censé être secret mais elle savait que les choses se savaient vite malgré tout.

Elle soupçonnait déjà toutes les dirigeantes de l'armée de savoir son histoire, de même que sa troupe et l'escadron de Caelestis, dont Yukimitsu. Que dire, que faire? Rinako avait donné son nom et l'ennemie – si s'en ai un – le possédait mais ça fallait mieux plutôt qu'un DVD où les actrices principales étaient des celkhanes en mission, clamant haut et fort vaincre les esclavagistes, se trouvant à jouer les esclaves en appelant la pire des conasses Maîtresses! Combien de temps encore devra-t-elle se dégouter à repenser à tout ça! Chaque jour, elle se dégoutait, chaque jour, elle pensait au moins une fois à se tirer une balle pour ne pas que ses futurs enfants n'aient honte d'elle, pour ne pas tacher plus encore l'armée celkhane. Elle restait les bras croisées, silencieuses, elle devait au moins citer les avantages de son « erreur » pour lui remonter le moral.

« Tu n'a pas totalement merdé... Tu n'as pas abandonné tes camarades. J'admire celles qui prenne leur mission à cœur et qui donne leur vie pour la réussir mais je crache sur celles qui sacrifient leurs camarades pour une mission. Un ordre ne dicte pas d'effacer des liens comme ça. Mélissa est vivante et je ne peux que te féliciter de ne pas avoir joué les héroïnes en tentant de la sauver en tuant cette vampire. »

Suki ne lâchait pas l'enfant du regard, de peur qu'elle ne se réveille si elle parlait trop fort?

« Tu as fait une erreur mais nous vivons tous avec nos erreurs, chaque jour qui passe... nous les gardons sur nous... Je ne suis pas parfaite et personne ne l'est, sergent. Nos erreurs servent à ne pas recommencer la même chose, à nous rendre plus fort! »

Oui, jamais elle ne retombera si bas en jouant les esclaves, avec une esclavagiste en plus. Mais depuis, Suki avait vraiment progressé et était devenue plus forte, chaque jour de repos forcé, elle avait délaissé un peu ses visites à l'orphelinat pour sa future vengeance. Aujourd'hui, elle n'avait pas peur de se battre contre Mélinda.

« Parmi nos erreurs, nous pouvons être fière de nos réussites... l'un ne va pas sans l'autre. Ce sera dur mais chacune de ses femmes retrouvera une vie normale, chacune d'entre elles pourra sourire et vivre sans avoir à craindre d'être violé dans la minute qui suit. Ce sera dur pour certaines, c'est évident... mais nous devons leur rendre la vie plus facile en éliminant chacun de ses bourreaux, un à un s'il le faut. »

Durant son sommeil, la petite fille gigotait un peu, elle devait rêver mais Suki avait aussi bougé, prête à la rassurer mais non, elle continuait de dormir et se posa une fois de plus sur le mur.

« Regarde là. Elle a l'air si paisible à dormir comme ça... et je suis sur que son réveil sera horrible, en sursaut, en sueur? Pourquoi? À cause de ses connards! Nous avons tiré cette enfant de l'enfer mais combien de filles aussi jeunes qu'elle continuent de vivre l'enfer juste pour amuser des sales porcs? Des milliers encore et tout ça, sans que ça ne choc personne sur Terra! Si je pouvais... je te réunirais tous ses sales enfoirés et je te fusillerais le tout, vite fait et bien fait! J'aurais dû le faire plus souffrir... elle... elle vivra avec cette douleur toute sa vie alors que lui... c'était trop doux comme mort... »

Ses mains se serraient sur ses bras, elle ne voulait pas perdre son calme sinon elle serait capable d'en éliminer un ou deux en plus dans les prisonniers, juste pour faire un peu plus de place. Suki finit par se calmer en silence, soupirant plusieurs fois pour retrouver un peu sa tension normale.

« Qu'auras-tu retenue de ta première mission? De ton baptême? Dis-moi tout ce que tu en as pensé... nous serons bientôt de retour à la maison de toute façon, nous avons bientôt officiellement fini notre mission. »

Suffisait d'attendre que les nettoyeurs se mettent au travail que le vaisseau décolle et le tout sera fait. Est-ce qu'elle avait bien fait son travail d'instructeur pour guider cette nouvelle recrue? Elle cherchera la réponse dans ses propos.

" Je crois qu'elle en avait vraiment qu'après mon nom. Elle aurait pu filer sans rien dire ou nous éliminer Garden et moi. "

Je ne parle pas de l'esclave qui partageait la cellule. Le lieutenant ne lâche pas la gamine des yeux n'a plus l'air si intéressée par cette histoire. Ce n'était pas Warren, et je suis contente de ne pas avoir eu à le dire en toutes lettres. La suite me fait frissonner tant elle me met mal à l'aise. Je ne peux m'empêcher de voir sa propre expérience derrière la mienne. Elle à ma place, cette soldate tombée en dépression à celle de Garden, et Warren dans le rôle de cette inconnue. La situation n'a rien à voir ou ça m'étonnerait, seulement la mécanique a l'air d'être la même. Ma plus grosse erreur n'a pas été de donner mon nom, mais d'entrer trop vite dans la cellule sans lever les yeux. Tout le monde s'en est sorti indemne et avec un peu de recule je ne pense pas que la menace était si sérieuse.

Puis son laïus sur les victimes et les bourreaux. Il n'y a pas de mystère, même une nouvelle recrue comme moi en pense autant. Ma mère et combien d'autres ont donné leur vie pour sauver si peu de gens. Et certaines blessures ne s'effacent pas, je le sais pour avoir accueilli des centaines de réfugiés sur Caelestis depuis que je suis toute gosse. Des femmes, des enfants, des familles entières marquées à vie par les cauchemars dont on ne les avait sortis que trop tard. Comme cette fillette. Mais pour la suite...

" Il est mort, c'est tout ce qui compte, mon Lieutenant. Plus vite on en élimine un, plus vite on passe au suivant. "

J'en ai vu un agoniser et je l'ai achevé parce que je ne supportais pas le spectacle. Je n'ai encore aucun goût pour la souffrance des autres, du moins des Humains. Et je crains le moment où ça commencera à me venir. Ma mère avait ça en elle, tout le monde l'a d'une manière ou d'une autre. Et celles qui ne l'ont pas finissent par le sentir se planter en elles, à force de voir toutes ces horreurs. Parfois ma mère pleurait des nuits entières entre deux missions. Elle ne voulait pas me dire pourquoi, mais il ne peut pas y avoir des centaines d'explications.

Changeons à peu près de sujet.

" Comme à l'entraînement. Toute l'équipe a été parfaite. Je vois pas trop quoi dire d'autre vu que c'est moi qui suis évaluée aujourd'hui. Mais en tant qu'instructrice vous aurez mon rapport. "

Je baisse la tête en m'adossant également dans l'encadrement de la porte, croisant les bras.

" Honnêtement, je pense que je vais avoir du mal à trouver le sommeil cette nuit, si c'est votre question. Mais je m'étais préparé à tout ça, il va me falloir du temps pour digérer. "

Mon regard se met à dériver en repassant les horreurs de ce soir, ou plutôt celles qui se déroulaient avant qu'on arrive. Cette affreuse sensation d'avoir échoué quoi qu'il arrive, d'être impuissante à effacer les marques visibles ou non que ces femmes porteront à jamais. Immanquablement mes yeux se posent la gamine. La pauvre gosse remue dans son sommeil.

" Elle aussi, elle aura besoin de temps... Mais elle arrivera à s'en sortir. L'orphelinat... "

Mais je reviens à au lieutenant en me redressant, avec un léger sourire.

" Vous savez très bien, de toutes façons. On s'est croisées des dizaines fois, là-bas. D'ailleurs les filles parlent de vous tout le temps. "

On parle d'elle tout le temps. Le Lieutenant Tetsuhiko, si attentionnée derrière ses allures de machine à combattre. En voilà une réputation que je n'hésite pas à croire même si je n'ai jamais eu l'occasion de la vérifier. D'ailleurs on est nombreuses à s'étonner qu'elle n'ait jamais adopté l'une de ces filles. Mais le dire serait aller trop loin avec ma supérieure, comme lui dire ce que je pense de sa façon d'agir avec cette petite fille. Elle s'en défendrait sûrement, pourtant elle ne l'a confiée à personne, elle l'a emmenée dans sa cabine plutôt qu'à l'infirmerie. Et surtout elle ne la quitte pas des yeux. J'en reviens au petit ange tourmenté sur la couchette.

" Vous devriez retourner près d'elle. Elle a besoin de sentir une présence rassurante. Je m'occupe du retour, si vous voulez. "

Elle n'avait pas totalement tort, plus vite on écrase un cafard, plus vite on en écrase un second. Mais celui-ci n'était pas un simple cafard comme un autre, Suki revoyait les yeux vidés d'espoir et d'innocence de la petite et ce porc qui tentait vainement de rattacher sa ceinture, quel porc immonde! Il aurait mérité bien pire! Si elle aurait pu et si elle connaissait quelqu'un surtout, elle l'aurait jeté dans les bras du plus gros psychopathe pour qu'il le torture des jours entiers sans qu'il ne puisse frôler la porte de la mort! Vouloir faire pour tous ses sales types, Caelestis serait ruiné à engager autant de fous pour chacun des esclavagistes qui peuplent Terra. Rinako aura du mal à trouver le sommeil mais elle pouvait la comprendre, la première balle qu'elle avait logé entre les deux yeux d'un esclavagiste, c'était jouissif sur le coup! Elle, la toute-puissance venait d'équilibrer un peu plus la balance de la justice! Mais une fois posé, repensant à ce que son acte avait déclenché, la haine d'une famille, les cris de vengeance d'éventuels enfants ou femme, elle se sentait mal la première fois! Heureusement, elle a appris à maitriser tout cela et même quand ça arrive, c'est moins atroce dans sa tête qu'avant. La guerre, ça ne laissait personne indemne.

« C'est une réaction normale. On voit tellement d'horreur dans ce genre d'endroit que personne ne reste de marbre très longtemps et vous voir toute souriante, en redemandant même, j'aurais pu trouver ça un peu louche... »

Sauf si elle finirait par comprendre son geste et regretter certaines choses. Tuer des esclavagistes était une chose normale pour elles mais y prendre trop de plaisir sans avoir un moindre remords, même plusieurs années après, ce n'était pas humain. En revoyant les scènes atroces, ses idées de remords étaient bien loin mais Suki ne préférait pas commencer à y penser. Elle préférait se dire qu'ils étaient tous des connards et qu'aucun d'eux n'avait de famille derrière, pas de femme, pas d'enfants, des loups solitaires en quête de richesse simplement. La petite gigotait un peu mais Suki n'y allait pas, tant qu'elle n'était pas trop agité ou réveillé, elle devait la laisser. Le moindre contacte, même pour la réconforter pourrait la réveiller en sursaut. Après avoir vécu un tel cauchemar, quoi de plus normal! Lorsque le sergent commençait à parler de l'orphelinat de guerre, Suki se tourna un peu plus vers elle, son visage du moins. Maintenant qu'elle en parlait c'est vrai qu'elle l'avait souvent vu là-bas? Elle n'avait pas fait très attention sur le coup mais en effet, elle l'avait vu plus d'une fois là-bas sans jamais oser aller plus loin qu'un signe de tête en guise de salutation.

C'était égoïste mais Suki n'était pas là-bas pour faire du social avec les autres mais pour revoir les petites qu'elle avait tiré des horribles cauchemars avec l'aide de ses copines. Derrière celle qu'elle affichait à l'armée ou même dans le priver, la lieutenante était une femme très gentille avec les jeunes demoiselles, ça en avait surpris plus d'une d'ailleurs quand elles ont pu voir ça de leurs propres yeux! Elles parlaient d'elle? Logique, cela lui faisait plaisir mais elle connaissait la suite. C'était une véritable star quand elle déboulait là-bas en leur offrant un petit quelque chose et après, elles trouvent une nouvelle famille, elles la salue dans la rue et puis après, elles ne la remarquent même plus. Elle était heureuse de savoir qu'elles vivaient assez bien pour oublier le cauchemar dans lequel elles ont vécu mais ça la rendait assez triste d'être devenue pour elles une simple citoyenne de Caelestis. Quand Rinako lui demanda de rester avec elle pendant qu'elle prendrait la suite des opérations, ça la soulageait. Non pas qu'elle n'osait pas le lui demander mais... si c'est plutôt ça. Elle avait beau savoir qu'elle fréquentait beaucoup l'orphelinat, ce n'était pas une raison pour devenir aussi douce et mielleuse qu'elle peut-l'être en compagnie des enfants. Elle quitta son mur pour marcher vers son lit, tournant la tête vers elle, ne parlant pas trop fort pour brusquer la petite.

« Merci sergent. »

Elle la laissait quitter la pièce ou rester quelques secondes puis elle se posa sur le lit doucement, caressant la joue en lui soufflant un petit « chuuuuuuut » pour la pousser à replonger dans un beau rêve mais elle ne tardait pas à ouvrir ses petits yeux, la peur toujours si présente dans ses pupilles. Elle tremblait, elle n'osait pas parler malgré sa bouche ouverte, ses yeux brillaient aussi, la pauvre, elle devait repenser à son calvaire. Puis sans prévenir, elle quitta sa couverture pour reprendre sa position comme un petit koala en s'accrochant à Suki, noyant ses yeux dans son épaule en pleurant. Elle pleurait pour quoi? Elle savait pour sa mère? Elle repensait à ce porc? Elle était heureuse? Peu probable! Suki continuait de la maintenir contre elle, caressant ses cheveux en essayant tant bien que mal de l'endormir une fois de plus mais elle n'était pas déterminée à voyager vers le pays des rêves. Quand elle releva enfin sa petite tête vers elle, Suki pensait qu'elle s'améliorait mais elle posa une question, la seule qu'elle ne voulait pas entendre!

« Elle est où, Maman? »

Comment répondre à une enfant que sa mère est morte et qu'elle devra vivre sans elle? Elle avait toujours eu de la chance jusque-là de sauver des enfants qui avaient des amies ou des grandes sœurs pour veiller sur elle et lui expliquer ça une autre fois du coup, jamais elle n'avait répondu à cette question mais là, personne n'était là pour l'aider. La vérité? Hors de question, elle a déjà perdu son innocence, autant ne pas lui faire perdre son enfance. Mentir? Oui mais dire quoi? Rien que l'idée de lui dire un mensonge, elle commença à se sentir mal à l'aise et rdoutait son obstination ou ses autres questions pour savoir la vérité.

« Ta maman... elle est... euh... »
« Elle est avec les anges, ma cocotte. »

Le docteur! Celle que Rinako avait sauvé! Elle tombait vraiment à pic! Suki lui avait demandé de passer plus tard mais là, c'était vraiment parfait! Elle devait avoir connu ce genre de chose dans sa carrière et devait surement savoir gérer ça! Se rapprochant du petit duo, elle restait tout sourire en caressant sa petite tête. Comment la môme allait le prendre? Comprendrait elle qu'elle était morte où elle verrait là plutôt l'image de sa mère en visite dans le domaine des anges pour une raison qui la dépasse?

« Faut te reposer ma chérie maintenant. Tu craint rien ici, personne ne viendra t'embêter... »

La petite semblait assez obéissante soudainement et tenta de s'endormir mais en restant accroché à Suki, voulant bien dormir dans le lit que si elle se couchait avec elle. Suki accepta, elle ne comptait pas dormir mais rassurer cette enfant. D'un simple regard, elle remercia Chakwas et cette dernière observa la scène, attendant que la petite dorme de nouveau pour lui parler sérieusement ou simplement savoir ce que Suki lui voulait pour tout à l'heure?

Je souris peut-être pas, mais s'il y avait du rabe je ne serais pas malheureuse. Quelques connards de plus pour me passer les nerfs. C'est bien en regardant la petite fille dormir que j'arrive à me calmer. la voir là, même dans son état... je ne sais pas. Quelque part c'est du concret, on a accompli quelque chose ce soir. C'est loin d'être suffisant, pourtant j'arrive à m'en contenter. L'image est un peu bizarre, mais sur Caelestis certaines m'ont déjà comparée à une araignée. Depuis toute gamine j'accueille autant de réfugiées que possible, je traîne à l'orphelinat ou dans les quartiers d'habitation. Tout le monde m'appelle par mon prénom, là-bas. À force de tisser des liens, j'ai fini par avoir une espèce de toile qui recouvre l'archipel. Bientôt cette petite et toutes les autres qu'on a libérées en feront parti. Même si je les perds de vue elles connaîtront quelqu'un qui me connaît.

La voir me ramène aussi à une autre gamine qui tremblait dans son lit. Rien à voir avec ce que celle-ci a subit. Quand j'avais son âge, même avec la porte entrouverte sur le couloir allumé, mes nuits étaient longues à force de penser aux méchants Formiens qui se cachaient sous mon lit. Je soupire alors que le Lieutenant va s'asseoir au bord du lit. Je deviens trop sentimentale, d'un coup, il faut que je me reprenne. Je quitte la porte sans un mot et remonte la coursive pour arriver nez à nez avec le docteur Chakwas.

" Ça va, doc ? "

Elle a l'air surprise, mais pas seulement. Elle reste interdite un petit instant, la bouche entrouverte.

" Je... "

Puis elle se détend d'un coup, baissant la tête avec un grand sourire.

" Oui, ça va. J'ai juste encore du mal à croire que c'est fini. Et je suis fatiguée pour tout dire.
- C'est compréhensible. Vous devriez vous reposer un peu avec votre fille. "

Il y en a qui ont de la chance, et je pense que ces deux-là le savent. Après avoir vu son corps inanimé, même si je ne voulais pas la reconnaître, j'ai fini par comprendre que ma mère ne me prendrait plus jamais dans ses bras. ces derniers temps je commence à me dire que je ne suis pas près de retrouver ce genre d'attentions. Je ne suis plus assez jeune, pas encore assez mûre. Et pour tout dire je ne me suis jamais vraiment intéressée aux autres sur le plan sentimental, à part quelques petits fantasmes... Reprend-toi, ma fille !

" J'y compte bien. Ton lieutenant m'a demandé de passer la voir, tu veux bien surveiller Sarah pour moi ?
- D'accord. "

Je la dépasse avec un sourire.

" Rinako ! "

Je m'arrête pour me retourner, scrutant son regard dans l'attente de la suite. Sa bouche s'entrouvre à nouveau, mais elle se détourne.

" Non, oublie. "

Oublier quoi ? Elle n'a rien dit. Et elle entre déjà dans la cabine du lieutenant. Inutile d'être télépathe pour se douter qu'elle a quelque chose à me dire, que je ne serais peut-être pas contente d'entendre. Elle a sans doute des remords pour tout ce qu'elle a fait, et comme elle me connaît elle voudrait en parler. Ça doit être ça. En attendant j'ai encore une équipe à gérer. J'embarque gentiment la fille du docteur et je fais le tour du vaisseau. Le temps de voir que tout va bien je file vers le cockpit pour apprendre que la deuxième équipe est en approche. D'ici une poignée de minute tout ça sera loin derrière nous. par contre, avant de redescendre, je laisse fille du docteur à bord. Inutile de la confronter encore à la bande de porcs alignés dehors.

Le second vaisseau ne tarde pas à se poser près du nôtre et débarquer toute une troupe. Le temps de passer le flambeau dans les formes, je rappelle tout le monde à l'intérieur. Roulez jeunesse !... Je sens que je vais passer toute la nuit devant un écran holographique, à regarder les épisodes les plus larmoyants de ma série préférée avec un gros pot de glace au chocolat...

Depuis la fin de cette mission, Suki avait une nouvelle mission moins officielle mais tout aussi important, veillé sur cette petite qui ne voulait pas lâcher la lieutenante mais dans un sens, c'était réciproque. Suki aimait voir le visage des esclaves se réjouir de leur liberté, de les voir pleurés de joie pour avoir fini leur cauchemar et vivre une vie meilleure. Mais elle ne pouvait sourire que si la troupe entière avait le sourire et pour cette petite, le sourire ne serait pas pour le moment. Elle était traumatisé, orpheline sans le savoir, comment pourrait-elle sourire? Son jeune âge pouvait surement la sauver en ne sachant pas exactement ce qui lui arrivait mais une fois qu'elle aura compris? Que deviendra-t-elle? L'orphelinat de guerre avait de bons pédopsychiatre pour ce genre de situation mais ça n'empêchait pas la jeune femme d'avoir pitié d'une enfant à l'enfance brisée. On voyait toujours Suki Tetsuhiko comme une chienne de guerre, n'ayant que les mots « morts » et « exécution » à la bouche mais sous cette carapace épaisse que lui avait donné l'armée, il y avait une femme comme une autre qui avait ses faiblesses. Et si dans son malheur elle devrait avouer une chose qui lui crève le cœur à chaque fois, c'est que sa mésaventure avec la vampire l'avait rendu plus douce avec les personnes dans le besoin comme cette enfant. Sans Mélinda, elle aurait agi avec douceur aussi mais peut-être pas autant...

Trouvant rapidement son sommeil sans la moindre chanson, la petite fille dormait et, voyant sa bouille d'ange dormir comme un loir lui donnait envie de remettre à plus tard sont entrevus avec Chakwas. Elle aurait aimé dormir avec elle, la réconforter un peu plus. Elle retira doucement ses bras de la petite, déposant la couverture jusqu'à son cou avant de se dégager doucement du lit pour parler avec le médecin provisoire du vaisseau. Suki retrouva son mur comme quand elle était avec Rinako, avec le même timbre de voix, elle commença la discussion.

« Merci d'être venue rapidement. »
« Je ne fais qu'obéir. Alors, un petit bobo de mission à guérir? »
« Non, pas pour moi en tout cas. Je voulais que vous examiner la petite mais vu son état, je pense que ça attendra son réveil... Finalement, ça sera peut-être quelqu'un d'autre qui le fera une fois sur place? »
« Surement. Après avoir vécu un tel cauchemar, il est normal pour son âge d'être fatigué, bien qu'elle ne doit pas tout comprendre, elle doit savoir que les vilains messieurs ne seront plus là pour l'embêter. »
« Ce n'était pas la première fois? »
« Je n'en sais rien... j'ai honte de l'avouer mais je ne pouvais rien pour les autres, je ne pouvais que protéger ma fille et m'excuser auprès des cadavres que l'on me mettait sous le nez... »
« Le pire est derrière elle au moins maintenant... »
« Malgré votre petit air supérieure, pardonner la remarque mais vous êtes plutôt aimable et douce. Vous n'avez jamais songé à adopter un de ses enfants? Vous sembler vraiment attaché à elle? Elle n'est peut-être pas la première à faire fondre votre petit cœur? »

Pour le coup, Suki était muette et commençait même à avoir le rouge aux joues. C'est vrai qu'en présence de ses enfants, elle ne voulait pas montrer la moindre parcelle de son mauvais caractère voulant être une bonne copine pour toutes ses petites filles sans défenses. C'était assez idiot quand on voyait qu'elle prenait son pied à s'entrainer aux tirs avec sa troupe, qu'elle était vraiment heureuse à l'armée de se dire que dehors, jouer avec des enfants la rendait adorable et docile en présence des enfants. Deux parfaits opposés et pourtant, elle adorait ses deux activités différentes.

« Ne dites pas n'importe quoi. Je ne fais que m'occuper d'elle le temps de l'emmener là-bas. J'avoue que j'ai eu de la pitié pour elle quand je l'ai trouvé mais ça s'arrête là. De plus... »

Rien que le fait de continuer sur ce chemin montrait déjà qu'elle y avait au moins déjà pensé plus d'une fois...

« Pour adopter, il faut au moins être un couple, voire même marié dans certains cas. Je suis seule, pratiquement toujours à l'armée, ma maison, je ne la visite qu'une fois par semaine, et encore. Ce n'est pas en étant jamais chez moi et célibataire que l'on accepterait de me confier un enfant. Ma place dans l'armée n'est certainement pas un atout sur un entretien pour une adoption. »

Chakwas avait un sourire qui en disait long. Suki avait beau être beaucoup de choses, parler de ce genre de chose était apparemment l'une de ses faiblesses, ne remarquant peut-être même pas qu'elle avait mis les deux pieds dans le plat.

« Allez faire un tour, je vais veiller sur elle pendant ce temps-là. Vous devez bien avoir quelques petites choses à faire avant de souffler un peu? Voir si tout va bien dans les rangs ou dans le vaisseau? »

En théorie, Melissa était tout à fait capable de voir si quelque chose clochait mais elle pouvait effectivement voir ce qui allait ou non? Certaines de ses camarades aimeraient peut-être lui faire part d'une remarque ou autres? Et les anciennes esclaves voulaient peut-être aussi remercier celle qui était la plus haute gradée dans cette opération? Maintenant que les vaisseaux rentraient à la maison, que les chiens étaient bien gardés et enchainés dans l'autre vaisseau, elle pouvait presque souffler. Passant dans le cockpit, rien à signaler, dans les différentes parties du vaisseau, quelques sourires, des rires, des signes pour Suki de la part des Celkhanes ou des esclaves mais toujours pas de Rinako? Elle n'a quand même pas décidé de surveiller les autres blaireaux? Non, Suki la trouva dans un coin du vaisseau, seule mais pas caché pour autant. Elle croisa la fille du docteur et lui indiqua où elle se trouvait mais sans faire moindre bruit en allant dans sa chambre quand même. Elle cherchait un peu d'intimité? De solitude? Elle ne pouvait pas la laisser comme ça, si elle avait juste, elle avait des remords ou quelque chose à se reprocher, ça lui arrivait bien assez à elle après les missions. Une main posée sur son épaule pour la rassurer et lui signaler sa présence, Suki se posa à côté d'elle, faisant attention à ne pas s'asseoir sur sa longue chevelure blonde.

« Un souci, sergent? Que direz-vous d'aller boire un verre une fois la journée finie? Les rapports sont en général pour le lendemain saufs lors des missions importantes et sauf en cas de gros souci, une fois rentrée sur Caelestis, on auras terminé notre journée et surtout notre mission. Nous pourrons dormir ce soir plus tranquillement en sachant que nous avons sauvé des vies et éliminé des mauvaises. »

Bien sur, pendant ce temps, de nouvelles esclaves naissaient, de nouveaux bourreaux naissaient aussi mais il ne fallait pas toujours dire toutes les vérités. Elle voulait se faire plus amicale envers le nouveau sergent, maintenant qu'elle avait vu de quoi elle était capable et que la mission semblait être un succès, elles devront laisser leur souci de côté pour sourire un peu malgré tout.

Le vaisseau a décollé, tout a l'air de rouler. Mien de rien je me suis calmée, mais ça m'a demandé un bon effort de volonté. En quittant Caelestis j'étais remontée à bloc, et finalement je suis loin d'avoir donné mon maximum. j'ai beau me dire que c'est fini pour aujourd'hui, la frustration a du mal à retomber. Je la sens ramper dans ma nuque et mes épaules, me faire dresser les cheveux sur la tête. J'étais prête à déchaîner une tempête enflammée et faire trembler le sol, au lieu de ça mon flingue et une petite boule de feu ont suffit. Bien sûr ça vaut mieux comme ça, on a sorti toutes les esclaves sans subir de perte, sur le papier le résultat est parfait. Je suis enfin allée sur le terrain, j'ai enfin marché dans tes pas et je sais que tu serais fière de moi, maman.

Je laisse le détail à Garden et confie la fille du docteur aux autres Celkhanes le temps que ça mère revienne. J'ai besoin de m'isoler un peu pour laisser retomber la pression. Je file comme une voleuse dans la première cabine que je trouve et faute de mieux je m'allonge sur la couchette. Puis je fixe le plafond dans la pénombre, je respire lentement pour me détendre, peut-être un peu trop. Le temps que je percute que quelqu'un a ouvert la porte, la lieutenante est déjà assise près de ma tête, une main sur mon épaule. Je ne suis pas en train de rêver, et quand je le réalise je préfère fermer les yeux.

" Ça va, mon lieutenant. "

Ça va pas, mais ce n'est plus une question de colère envers nos ennemis ou de pouvoirs magiques. Je pourrais massacrer une armée entière, me déchaîner pendant des heures jusqu'à tomber de fatigue que ça ne me soulagerait pas de ce qui me pèse soudain sur la poitrine. En fait tout allait à peu près bien jusqu'à ce qu'elle n'entre dans cette cabine. Mais ça, je ne peux pas le lui dire.

Je me redresse assise à côté d'elle et me passe les mains sur le visage. Je noies le poisson en omettant ce qui me ronge vraiment, et j'évite de la regarder. Je me ferais une raison.

" Je suis seulement fatiguée, mon lieutenant. C'est mes pouvoirs, je les ai pas beaucoup utilisés alors je dois me contenir le temps de laisser retomber la pression. "

Je me passe une main dans la nuque, vaine tentative de chasser plus vite le frisson désagréable qui s'y est niché. Je vais devoir faire avec au moins jusqu'à Caelestis, en fait même là-bas puisque je suis assez conne pour sourire.

" Mais je crois qu'un verre me fera du bien. "

Pauvre conne ! J'aurais dû refuser poliment, elle n'aurait pas cherché plus loin. En plus je dis n'importe quoi, j'ai jamais bu d'alcool de ma vie. De toutes façons je vais pas trainer des heures avec elle. D'abord parce que si je me mets à boire et que je finis saoule je risque d'incendier l'archipel, et surtout... parce qu'avant qu'elle entre dans cette cabine tout allait à peu près bien. Depuis que j'ai percuté qu'elle est vraiment là je m'arrange pour ne pas la regarder en face, et oublier que la porte est à peine entrouverte. Je pourrais la claquer d'un simple geste, un petit courant d'air, et pour les quelques minutes qui nous séparent encore de Caelestis on se retrouverait seules.

Dire que j'ai rêvé de cet instant. Retour de mission après avoir tué un paquet de méchants et sauvé plein de monde. Une petite pièce sombre avec une petite couchette trop étroite pour deux, seule avec la grande Suki Tetsuhiko... Arrête de rêver, ma fille, t'es pas dans un de tes feuilletons à l'eau de rose. Je me lève. Je sens que si je reste là je vais dire ou faire une connerie.

" On doit être en approche. Il faudra que je fasse un saut par ma chambre avant de quitter la base. Dans trois quart d'heures à la sortie de la caserne, ça vous irait, mon lieutenant ? "

Suki était partie retrouver Rinako car elle savait qu'après une première mission, il ne fallait pas laisser les autres s'isoler, c'était le meilleur moyen qu'ils fassent une connerie ou se rabaisse alors qu'ils ont été parfait. Ce n'était certes pas une mission compliquée mais Suki avait pu voir comment se défendait le sergent Yukimitsu et elle n'avait rien à dire de ce qu'elle avait vu avant leur séparation et au résultat. Pour le reste, Melissa lui donnera quelques détails en plus. La pauvre semblait fatiguée, même pour une petite mission, on est fatigué, surtout lors des premières. Elle allait devoir s'y habituer bien qu'à l'écouter, c'était surement le fait de ne pas avoir assez usé de sa magie. C'est vrai que les rapports disaient d'elle qu'elle avait un grand potentiel magique, elle avait pu voir qu'un petit échantillon quand elles étaient prises dans les couloirs. Si tel est vraiment le cas, c'est sur qu'elle ne saurait rien faire pour faire diminuer cette pression magique pour qu'elle se sente mieux. Suki était forte pour les armes et un peu la magie. Ce qui concerne, le feu, la foudre surtout et la lumière, elle reste forte mais pas pour le reste. Alors après, elle n'avait jamais eu ce genre de réaction. La fatigue due à la magie oui mais pas parce qu'elle n'en avait pas assez usé.

L'entendre dire qu'un verre pourrait quand même lui faire du bien la faisait sourire. C'était toujours sa façon de faire connaissance. Depuis qu'elle avait atteint le grade de lieutenant, elle avait toujours eu plus de facilité avec celles en dessous de son grade, celle au-dessus, c'était une autre histoire. Tout çà à cause de son syndrome d'infériorité, elle n'arrivait pas à s'entendre aussi bien avec ses supérieures qu'avec celles en dessous d'elle. Cela ne voulait pas dire qu'elle s'entendait mal avec ses supérieures, elle aimait moins les fréquenter que les autres. Avec Sora par exemple, ça se passait assez bien en dehors de l'armée. Bon, c'est vrai que c'était plus simple quand elle avait un coup dans le nez mais là, c'était jouer à la roulette russe! Sauf qu'il y avait toujours une balle qui changeait Suki en quelqu'un d'autre. La dépressif, la coquine, la marrante, celle qui cherche des noises à tout le monde ou celle qui dort sur place tout simplement. C'était dingue de voir que cette fille proposait souvent à boire alors qu'elle ne tenait pas vraiment la route... il suffit de deux verres, parfois un pour voir déjà les effets de l'alcool.

Rinako se lève pour ensuite commencer à quitter la cabine, donnant l'heure du rendez-vous, ça semblait parfait! Elle devrait avoir le temps d'accompagner les petites à l'orphelinat. Comme toujours, ça allait lui faire un petit pincement au cœur, surtout si certaines voudraient qu'elle reste. Autant avec les adultes ou adolescente, elle n'avait pas ce genre de problème et un « merci » de leur part suffisait mais les petites... Dire que celle que tout le monde prenait pour la plus insensible du commando Celkhan avait en réalité un cœur d'artichaut avec les enfants.

« Très bien, je compte sur vous sergent. Vous savez où me trouvez si vous avez besoin de moi à nouveau. »

Un petit sourire aux lèvres, elle se relevait elle aussi en se dirigeant vers la porte. Facile de la trouver, dans sa cabine avec la petite. Le docteur aurait peut-être des choses à lui dire si elle s'était réveillé à cause d'un cauchemar ou d'une courte sieste? Suki quittait la cabine en se retournant sur Rinako, ses longs cheveux roses qui se balançaient au rythme de ses pas. Elle était mignonne celle-là! En mission, Suki ne voyait que des soldates mais en dehors, une fois fini, elle commençait à s'apercevoir du charme de chacune des femmes qui l'avaient entouré, épaulé et mener cette mission à bien. Et Rinako était loin d'être moche. De retour dans sa cabine, la petite blonde dormait toujours à point fermer, comme un petit ange. Le docteur avait veillé sur elle et quittait la pièce à son tour avec un petit sourire... mystérieux? Qu'importe, elle semblait toujours si paisiblement endormie puis elle devait simplement être heureuse de retrouver sa liberté et sa fille, d'où ce sourire? La lieutenante se coucha près d'elle en se lovant autour d'elle comme pour la protéger de quoi que ce soit.

Après ses quelques minutes, quand le vaisseau se posait, toutes les femmes du vaisseau descendaient, certaines savaient ce qu'elles avaient à faire comme les soldates et d'autres étaient accueillis par d'autres Celkhanes qui les accueillait sur la terre des libertés. Elle fut la dernière à descendre avec la petite fille dans les bras – elle n'avait toujours pas dit son nom d'ailleurs? Se tenant de profil pour qu'elle puisse voir et écouter cette soldate qui parlait, la demoiselle suait son pouce en observant autour d'elle. Elle semblait avoir passé l'âge mais après un tel choc, elle ne pouvait pas lui dire ça. Comme d'habitude, la lieutenante était parti avec les petites, accompagnée de quelques soldates pour veiller sur le groupe. Pas une seule fois, elle ne l'avait lâcher mais pour la petite aussi, elle ne voulait pas descendre non plus. Arrivée dans l'orphelinat, toutes les autres petites filles les accueillaient et certaines ne manquaient pas de venir saluer Suki qui se retrouvait souriante, loin de son visage de glace. Une à une, les petites donnaient leur nom et recevaient une tenue pour lutter contre le froid de l'altitude. Quand vint le tour de la lâcher, elle la déposait par terre malgré quelques gémissements mais restait accrochée à sa jambe. Rarement elle avait vu une petite si attaché à elle!

D'ordinaire, elles la lâche quand elles voient les autres enfants? Malgré tout leur effort, elle ne donna aucun nom, que ce soit ses femmes spécialisées avec les enfants, que ce soit les soldates ou même Suki, elle ne donna aucun nom. Elles la jugeaient peut-être encore un peu trop sous le choc pour dire son nom... Elles laissèrent quand même sa nouvelle combinaison et ce fut avec Suki qu'elle allait se changer. Dans la petite pièce, elle avait eu peur quand elle lui avait demandé de retirer ses vêtements et c'était compréhensible après ce qu'elle avait vécu avant d'être sauvé. Même si ses larmes recommençaient à couler, elle se faisait très câline avec elle en lui parlant à voix basse, la rassurant. Baissée à sa hauteur, elle essuyait ses petites larmes en retirant doucement la petite robe sale qu'elle devait porter depuis des mois. En revanche, elle refusait de retirer sa culotte mais cela était fréquent avec ses petites. Habitué comme ça puis se mettre vraiment nu réveillait surement leur cauchemar. En général, elles arrêtaient d'en porté d'elles-même car après tout, une combinaison Celkhane faisait déjà tout. Pas besoin de culotte, chaussette ou soutien-gorge. C'était un petit plus pour s'habiller le matin, en deux secondes, c'était fait! Comme une grande sœur, voire même une mère, elle aidait cette petite en lui mettant les pieds dans les trous des jambes, elle l'aidait à mettre ses bras dedans et elle lui apprenait comment régler sa combinaison. Pour les plus jeunes, un bouton sur le col suffisait pour qu'elle épouse les formes de sa porteuse.

Dans sa petite combinaison blanche, elle était ravissante! Mais à peine était-elle prête qu'elle s'accrochait déjà à elle pour remonter dans ses bras. Comment pouvait-elle dire non à cette bouille? Surtout quand on connaît son triste passé... Violé, peut-être plus d'une fois, plus de mère alors qu'elle était si jeune... Bien connue ici, la lieutenante tentait d'aider les autres en s'occupant des petites mais même quand on leur désignait un groupe pour qu'elles se sentent moins seules et qu'elles évitent de repenser à leur cauchemar, une seule refusait qui que ce soit. Suki était même tentée d'annuler son verre avec Rinako mais elle ne pouvait pas répondre à tous ses petits caprices comme ça. Ce n'était pas la première fois que ça lui faisait ça avec une orpheline. Mais comme le temps défilait et qu'elle ne voulait pas la lâcher, elle fit tout pour qu'elle dorme. Au pire, elles allaient gérer cela au réveil et ça passera naturellement! Surtout qu'avec de la chance, elle sera de nouveau là demain pour jouer un peu avec elle et les autres. Dormant comme un bébé sur son épaule, l'une des infirmières la prenait délicatement pour la mettre dans un lit, elle devra faire quelques examens pour voir si tout va vraiment bien. En la laissant seule comme ça, elle avait ce fameux pincement au cœur mais qu'est-ce qu'elle y pouvait?

Elle espérait ne pas l'entendre pleurer en partant et heureusement, ce ne fut pas le cas. Mais elle se sentait coupable de la laisser là alors qu'elle ne parlait que, même un peu, avec elle et le docteur Chakwas. Finalement, elle avait rejoint les portes de la caserne, attendant Rinako qui arriverait d'une minute à l'autre. Le temps passait vite en leur compagnie mais il était temps de se changer un peu les idées et de chasser cet air triste sur le visage. Croisant ses bras en s'adossant au mur, elle se sentait toujours coupable de l'avoir laissé seule, sans un mot... qu'elle puisse entendre en tout cas...

Je vais craquer, heureusement qu’on arrive. Je souris, je dis que c’était bien normal, que tout ira bien et que je passerais sans doute plus tard voir comment chacune s’y fait. Mais intérieurement je suis une bombe atomique qui atteint sa masse critique. J’étais trop gonflée à bloc en partant et je n’ai pas eu l’occasion de me défouler, ça pourrait passer tout seul ou je pourrais simplement tasser tout ça de force. Je pourrais me prendre une pastille de dymérite ou prendre mon bracelet en obsidienne dans ma chambre. Mais ma chambre est soudainement trop loin de la piste. Alors que tout le monde avance, je recule sous le vaisseau. Et voir le lieutenant avec cette pauvre gamine fait sauter le peu de crampons qui restent, alors je continues à reculer sous le vaisseau et tape du bout du doigt sur ma broche.

« Sergent Yukimitsu à Contrôle. Je vais faire un tour, activez ma balise-radio.
- Vous avez un plan de vol ?
- Négatif, je pars pas en vaisseau. Mais prévenez les patrouilles aériennes. Terminé. »

Je me retourne au bord de la piste, face au vide, et je saute les bras écartés. Je préfère filer sous l’archipel qu’au-dessus, que personne ne voit une boule de feu filer à travers le ciel en se disant que la pauvre petite Rinako pète son câble. Je pète mon câble, c’est clair. J’ai pas envie d’y penser, je veux juste filer avec le vent et me nimber de flammes aussi ardentes que possible. J’aurais peut-être dû demander qu’on me colle un vaisseau aux fesses, pour filmer. Plutôt que de me défouler rageusement, laisser la colère et la frustration prendre le pas, mais je suis encore assez lucide pour me concentrer. Le mieux à faire reste encore de répéter mes figures, dommage que Caelestis soit si loin du rivage. La terre est mon pouvoir le moins développé vu que j’ai été élevée et entraînée sur un archipel volant, mais la terre a le don de me calmer.

Toute une ménagerie enflammée défile sous l’archipel, principalement mes serpents qui sont bien plus impressionnants en vol qu’au sol. Puissance, précision, concentration, pratiquer mon art m’aide vraiment. Un moment j’hésite à contacter le lieutenant et la prévenir que j’aurais un peu de retard. Finalement il n’y a peut-être que dans la solitude que j’arrive à me sentir bien ? Je devrais pas penser ça, bien sûr, encore moins avant d’aller boire un verre avec une femme qui me fait tant d’effet. Mais c’est peut-être mieux, en fait. Une de tes supérieures, qu’est-ce que t’as dans le crâne, ma fille ? Même si elle était du genre à faire copine avec ses subordonnées ça n’irait pas plus loin, ou une aventure en marge du règlement et une rupture quand ça commencera à jaser.

J’aurais dû sourire gentiment et dire que je buvais pas.

Retour à la base, et dans ma chambre au plus vite. J’ai besoin d’une douche avant...

« Merde ! »

Dix minutes ! Seulement dix minutes pour prendre une douche, me changer et filer à l’entrée de la base ! Je devoir péter mon record ou c’est fout ! Je file à la salle de bain et je finis de me déshabiller sous l’eau. En me secouant la serpillière je réalise que j’ai pas enlevé ma broche, révélation qui doit bien me coûter toute une mèche ! je me rince vite fait, je sors et j’attrape la serviette... que je balance. Séchage aux flammes et j’ai plus de que cinq minutes ! Même pas !

« Merde de merde ! »

Mon foutu bracelet d’obsidienne, et un truc qui s’enfile vite ! Une robe ! J’ai pas de combi complète, moi ! J’ai des chaussures, au moins ? Des grosses godasses de l’armée, ça va faire bien avec ma petite robe. La galère ! À peine habillée j’attrape mon sac à main et je sors de ma chambre. Je dois sprinter à travers les couloirs, remonter la cour d’entraînement des recrues et longer les hangars de... Minute ! J’ai pas mis de culotte ! Je jette un œil en arrière, puis en avant, puis encore en arrière.

« Bordel ! »

Pas le temps d’hésiter, encore moins de revenir en arrière. Je repars au galop en espérant que ma robe ne vole pas trop. De quoi j’ai l’air avec ce truc sans manches rose délavé, ce bracelet incrusté de cristaux noir au poignet gauche et mon sac dans la main droite, à courir en grosses godasses à travers la base ? J’arrive enfin à l’entrée de la base et si la honte était un mur je la percuterais si violemment que je serais vaporisée et étalée sur des kilomètres carré. Je suis en retard, essoufflée, habillée comme l’as de pique, en train me démêler les cheveux comme je peux en espérant qu’elle va pas se tourner trop vite. Et elle est là à ruminer, encore en tenue de combat et depuis je sais pas combien de temps. Allez ! Respire, ma fille ! Et sourit, tant que t’y es !

« J’ai pas été trop longue ? »

Pas glousser. J’ai déjà l’air assez conne comme ça. Pourquoi il a fallu que je dise une énormité pareille ? Pas trop longue ? Genre je viens de passer trois quart d’heures à me pomponner... Et toutes ces pétasses qui me disent que je devrais sortir plus souvent ! Je suis même pas encore sortie et c’est la catastrophe ! Je sais même pas dans quelle direction je dois aller ! En plus je dois commencer à rougir, et faire le coup du sourire boiteux. Depuis le jour où j’ai abordé Marika à l’école primaire pour lui demander d’être mon amoureuse, ça me poursuit comme une malédiction. Dès que je me retrouve avec une femme qui me plaît j’ai les coins de lèvres qui savent plus où se mettre. Ça monte, ça descend, parfois pas la même hauteur des deux côtés.

Je détourne la tête et j’essaie de pas trop avoir l’air de me cacher en regardant la rue qui sort de la base. La dernière fois que je suis sortie avec des copines c’était au parc d’attraction. Je sais pas du tout où on va. Je dois trouver une façon pas trop débile de mettre ça sur le tapis.

« Alors ? Vous m’emmenez où ? »

Raté...

Suki n'attendait pas depuis longtemps, en fait peut-être? Elle avait tellement la tête dans les nuages que la nuit aurait pu tomber sans qu'elle ne remarque grand-chose. Adossée contre le mur de la caserne, elle avait croisé les bras, regarder le sol, puis elle avait réfléchi, encore et toujours. D'habitude, une fin de mission s'arrose ou se passe bien au moins. Elle sort avec des filles de la caserne, elle rigole, parfois elle broie du noir dans le coin d'un bar. Suki a toujours abordé deux faces en dehors de la caserne. Celle qui tente de se faire des amies sans pour autant vraiment réussi et celle qui noie son chagrin. Depuis Mélinda, ça arrive de plus en plus souvent. Déesse merci, elle n'a jamais causé le moindre souci à une Celkhane. Depuis la fin de mission, elle ne cessait de penser à cette petite, ça l'obsédait. Elle avait vu pire mais souvent, ses petites avaient quelqu'un à qui s'accrocher, une mère pour les plus chanceuses, un père, un frère, une sœur pour les autres. Un membre de la famille, un ami de la famille mais elle, elle était abandonnée à présent. Elle espérait une chose, qu'elle trouve une bonne famille avec qui elle pourra grandir normalement, s'amuser, retrouver le sourire... Les enfants ne lui sapent pas le moral à ce point d'habitude, elle se remet vite mais ce soir, ça ne semble pas être encore le cas. Quoi qu'il faisait encore jour? La nuit n'était pas encore ici.

Quand Rinako arriva, elle relevait la tête et fut surprise. Une robe? Sur Caelestis? Tout le monde porte des combinaisons d'habitude pour ne pas avoir froid à cause de l'altitude! Donc soit c'est nouveau et malgré que ça ne colle pas à la peau, ça maintient au chaud ou alors, c'est Rinako qui n'avait pas froid et aux yeux, aux jambes, aux bras et ainsi de suite. Ça changeait de d'habitude mais c'était plutôt rare ici.

« T'en fait pas, ta pas été longue. »

Peut-être? Mais ce n'était pas important! Elle remarque le détail en trop, des bottes? Elle était pressée? Allons, ce n'était pas le moment de faire attention à ça! Rinako était là, contente – apparemment – de sortir, elle était bien mignonne dans sa petite robe et elle avait toujours sa broche. Elle y tenait beaucoup apparemment? Surement un cadeau.

« On va aller dans un petit bar pas loin. L'ambiance est plutôt calme, ça aide après une bonne journée! »

Ce n'était pas la plus fatigante mais au moins, c'était une mission où elles avaient pu délivrer des tas d'esclaves et tuer ou emprisonner des esclavagistes! D'ordinaire, un bar était l'occasion pour Suki de boire un peu, tombé rapidement dans l'alcool comme elle ne le tient pas et éviter les mauvais rêves mais elle évitait autant qu'elle pouvait. Elle ne voulait pas avoir une réputation d'alcoolique! Marchant près d'un petit parking, elle grimpa sur un petit scooter antigravité, faisant déjà rugir le moteur.

« La petite robe était une mauvaise idée même si ça te va bien. J'essaierais de ne pas aller trop vite car t'accrocher et tenir le pan de ta robe ne sera pas facile. Allez, grimpe. »

Se tenir à Suki et maintenir sa robe pour ne pas montrer ses dessous à tout le monde. Évidemment, elle ignorait que cette dernière n'avait rien mis en dessous, plutôt qu'elle avait oublié mais en allant doucement, ça ne devrait pas être dangereux pour Rinako. Il lui fallait prier que le vent ne vienne pas lui jouer un sale tour.

J'ai à peine assez de volonté pour me retenir de glousser comme une cruche. Ça je me sens cruche à baisser les yeux en rougissant. Je ne peux pas m'en empêcher. Une mauvaise idée, mais ça me va bien. Il ne m'en faut pas plus pour me retrouver dans cet état. Le compliment ne vient pas de n'importe qui.

" Je ferais attention. "

C'est la débandade chez mes neurones, et me coller dans le dos de Suki Tetsuhiko ne va pas m'aider de ce côté-là. Je prends soin de ramener ma robe entre mes jambes avant de m'asseoir derrière elle, et de passer un bras autour de sa taille. D'un côté c'est une torture, d'un autre c'est presque un rêve qui se réalise. Il fait plutôt bon pourtant je frissonne. Je suis vraiment mal barrée si ma robe m'échappe, dans le meilleur des cas tout Caelestis verra mes fesses. Mais je suis aussi avec elle, tout contre elle, et dès qu'on part ses cheveux se mettent à voler autour de mon visage.

Je sens que mes prochains fantasmes vont gagner en réalisme, parce qu'ils n'ont toujours pas la moindre chance de se réaliser. Je sens aussi que ma robe commence à m'échapper, tout comme le lieutenant. Je fais quoi ? Si je la lâche elle : je tombe, et j'aurais sans doute pas le temps d'enlever mon bracelet. Donc je me retrouve morte ou morte avec les fesses à l'air. Si je lâche la robe... Je suis vraiment trop conne d'avoir mis cette robe ! Tant pis, je lâche pour passer mon deuxième bras autour de la taille du lieutenant et me serrer contre elle. Mon cul est en train de prendre un sacré coup de froid !

Et si quelqu'un lève les yeux elle va bien rigoler, ou me coller un procès pour attentat à la pudeur. Génial ! Je voulais l'accompagner en civil, histoire de laisser la mission et le protocole derrière. Joli coup, elle pourra voir encore plus que je ne voulais lui montrer ce soir sans même me déshabiller. J'aurais dû zapper la douche, venir directement après m'être défoulée. Ou j'aurais dû rester avec elle tout du long... J'aurais jamais dû accepter son invitation, qu'est-ce que je croyais ?

Merde ! Dans le genre catastrophe ça part bien : je traverse l'archipel le cul à l'air pour aller dans un bar sans doute plein de soldates. Je vais faire tâche dans le décors, et me retrouver coincée avec la fille de mes rêves dans la réalité bien chiante qui ne me laissera aucune chance. Tout ça sans sous-vêtements ! Faut que j'arrête, que je pense à autre chose. Je vois déjà vider mon verre cul sec et partir en courant. C'est clair que je vais pas faire traîner les choses.

Mais quand même un peu. Je n'ai jamais été si près, l'occasion est trop belle. L'occasion de quoi ? D'être avec elle, au moins un peu.

Rinako était prête, en civil. Pour Suki, peu de différences, même sa tenue de civil qui restait une combinaison semblait se confondre avec sa tenue militaire à quelques détails près. Grimpant sur le scooter antigravité, elle laissait le temps au sergent de grimper, se préparer pour éviter de laisser sa robe voler au fil du vent et de l'attraper pour ne pas tomber. Elle fera attention à ne pas aller vite mais prudence quand même. Le petit voyage pour passer sur l'autre île volante était court mais plutôt silencieux. La petite tête blonde n'était pas dans le même état que d'habitude. En général, elle partait dans un bar, un pub, une boîte de nuit comme en mission. Le but? Oublier la soirée, se réveiller le lendemain pour reprendre sa vie militaire. Mais ce soir, elle pensait surtout à sa mission aujourd'hui, pas d'échec, pas de perte pour ses troupes, pas même un blessé, un bon nombre d'otages libérer, de prisonnier à condamner pour leur crime abominable et pourtant... la joie n'y était pas. N'y était plus du moins. Depuis son seul et unique échec, sa vie était une pente raide, très raide et elle n'avait aucun moyen de freiner de s'arrêter. Bien sur parfois, elle arrivait à se redresser un peu, freiner tout ça durant quelques instants pour continuer la chute, sans jamais voir le fond pour autant. Cette putain de vampire allait la hanter nuit et jour! Tant qu'elle sera en vie, tant qu'elle n'aura pas une balle entre les deux yeux, tant que Kairi n'ira pas mieux, elle trainera cette vie comme un boulet attaché à sa cheville!

Rinako l'avait sanglé avec ses deux bras, elle avait donc trouvé un moyen de bien bloquer sa robe? Elle accéléra à peine, peu de temps de gagner jusqu'au bar mais toujours ça en moins malgré tout. Après le baptême du feu du sergent, créé de nouveaux liens avec elle sera surement un plus? De quoi oublié son quotidien? Suki accordait peu de temps en dehors du travail aux filles de son groupe. Elle devait être leur supérieure, pas leur copine. Elle les complimentait quand elles faisaient du bon travail, leur passait un savon quand ce n'était pas bon. Mais pour ce qui est du commando de Caelestis, le Colonel Sokoku, Commandant Akisada, Major Fusanari, elle, Sergent Yukimitsu, Caporal Kawanomu et enfin l'Opérateur Nagafusa, elles représentait l'escadron de Caelestis, le meilleur bataillon en quelque sorte. Avec ses filles, elle se devait d'ailleurs plus d'affinités, plus de liens qu'avec les autres même si pour elle, c'était compliqué avec le Commandant, le Major et le Colonel, ses supérieures hiérarchiques en gros. Suki avait le complexe d'infériorité. Elle se fichait d'être petite, d'être assez plate, moins forte en magie que Rinako par exemple car elle était Sergent et elle Lieutenant. Mais face au Colonel par exemple, elle s'en mordait les lèvres de ne pas être à sa hauteur, d'avoir moins de forme généreuse, d'être moins doué en magie. Son complexe, c'était une bataille de tous les jours pour éviter les problèmes, même pour taquiner, ses supérieures. Elle devait être un exemple pour les soldates Celkhane, pas une vulgaire parodie!

Stoppant son appareil sur un petit parking, elle attendit que Rinako descende avant d'en faire de même et de se diriger vers le bar. Ce qu'il y avait de bien avec ses machines, c'est qu'il n'y avait pas besoin de clé, vocale, digitale, tant de moyen de l'activer sans perdre les « clés ». Le bar où elles se rendaient n'était pas un truc glauque où l'ambiance fait déprimer, non, c'était un endroit assez convivial avec une musique en fond sonore, des rires, de la joie, de la bonne humeur. Ça pouvait d'ors et déjà ressembler à une bonne soirée. Mais ressembler seulement. Elle s'installa à une table, assez petite, pour deux seulement puis elle passait commande sur une petite tablette tactile pour que la serveuse ramène ensuite leur commande.

« Te sent pas obligé de prendre de l'alcool, prends ce que tu veux, je t'invite. »

C'était elle qui l'avait invité après tout. Même elle, préférait prendre un soda plutôt qu'un verre d'alcool, fort ou non, là n'était pas la question. Elle buvait parfois pour oublié mais face à Rinako, face à cette journée, elle ne voulait pas oublier. Elle était nouvelle, elle ne devait pas se dire que le lieutenant tant adulé était une alcoolique qui passait ses soirées dans des bars... la vérité faisait mal parfois, mais ce n'était pas sa faute.

« Première fois dans un bar je présume? Tu n'as même jamais été ivre, ça se lit facilement sur ton visage. Mais c'est bien, continue comme ça. Ce truc, c'est de la merde. Tu arrives toute contente et tu sais jamais dans quel état tu finis... tu restes toute pimpante et tu t'amuses avec des gens. Tu déprimes pour un rien et tu déballes ta vie sans aucune honte... Parfois, tu cherche même la baston mais heureusement, ça m'est jamais arrivée. Et le matin, ta plus ou moins une gueule de bois. Des fois, ta même des surprises dans ton lit... ou dans le lit d'une autre... »

Tous ses souvenirs lui faisaient dire la même chose au réveil, c'est la dernière fois! Mais les missions faisaient qu'elle retournait dans un bar et continuait ce cercle vicieux. Restant bien contre le dossier de sa chaise, elle croisait les bras en observant la table, d'un air blasé alors que la serveuse ramenait les boissons.

« Regarde-moi, pas une seule goutte d'alcool et je déprime déjà... je te fais un beau discours sur le fait qu'il faut pas boire puis là, c'est la seule chose dont j'ai envie... Un désastre... Je sais rien faire d'autre que la guerre, toute petite, j'adorais écouter mes parents me parler de leur mission sur Tékhos, les contrebandiers, les Formiens, les armes qu'ils maitrisaient, puis naturellement, j'ai suivi la même voie. Jeune déjà, j'étais engagé. Je suis une soldate, le parfait petit soldat que chaque armée rêverait d'avoir. Je sais rien faire d'autre! J'ai une maison, pourquoi faire? Si je pouvais je vivrais à la caserne mais bon... je reste une femme... »

Eh oui, les relations dans l'armée étaiten mal vue, mieux valait ne pas se faire attraper. Rougissant à peine, elle relevait la tête en prenant son verre pour y boire deux gorgées, en gardant son verre dans la main.

« Matin, midi, soir, le pense soldat. Chez moi, je tourne en rond et au bout de dix minutes, je craque. Tout est déjà fait, aucune corvée, peu de bouquin m'intéresse, les films, pareils. Une soldate, je te dis! Et après, on s'étonne que les gens boivent... C'est le moyen le plus rapide pour faire passer la soirée, oublier les atrocités que l'on peut voir et après, bosser... Tu peux le dire tu sais, je te saoule. À part combattre, je sais rien faire d'autre... même draguer c'est pas dans mes cordes. A jeune, on doit me faire du rentre dedans pour que je cède et bourrer... j'en sais rien mais ça marche... haaaa, putain de vie... »

Malgré son commentaire, elle gardait un petit sourire en coin. Qu'est-ce que ça serait si elle aurait bu? Ce serait pire pour Rinako! C'était rare qu'elle se déballe mais quitte à lancer un sujet, en voilà un et comme ça, elle en saura un peu plus sur elle, les relations sociales n'étaient pas son fort mais en dehors de l'armée, peu de chose était son point fort. Si jeune et on croirait pourtant entendre une mamie. Pourtant, elle oubliait les enfants mais c'était peut-être volontaire? Peut-être qu'elle considérait ça comme une part de son travail? Elle voulait offrir à ses gosses ce qu'elle n'avait pas eu? Une vie normale avec des jouets, des poupées, des nounours? Elle en avait à peine étant jeune, tous les jouets qu'elle réclamait étaient des fausses armes, née pour être soldate, c'était surement vrai.

« Et toi, Rinako, tu l'aimes ta vie? Pff, voilà que je déprime les autres hein? Même faire des efforts pour ce genre de choses, j'y arrive pas... »

Je suis arrivée habillée, du moins le peu que je porte sur le dos de s'est pas envolé. Le bar devant lequel on se pose ne me dit vaguement quelque chose, j'ai dû en entendre parler à la caserne. L'ambiance est plutôt festive, ce qui me surprend un peu. La plupart des femmes qui me parlent de ce genre d'endroits évoquent des endroits plus... je ne sais pas trop, feutrés ? Lumières tamisées, musiques qui donne beaucoup dans les basses, chaleur étouffante. Mais la plupart de ces histoires parlent aussi de telle ou telle femme ramenée en fin de soirée, sans doute pas le genre de situation que le lieutenant cherche pour l'instant.

Je réalise seulement qu'elle s'est changée et n'a pas simplement nettoyé le sang sur sa tenue de combat. Il faut que je me calme, ce qui n'a rien d'évident avec une question qui tourne en boucle dans ma tête : est-ce que je vais retrouver une vidéo de mes fesses sur le réseau ? Enfin ! Nous voilà dans ce bar, à une table pour deux... En tête à tête... En parlant de tête la mienne tourne déjà un peu. Je respire, je suis calme, et surtout je rougis pas... Pas tout à fait... Pas trop... J'espère.

Au moins la carte me dit quelque chose, je la parcoure en essayant de me souvenir de ce que j'ai entendu. Les trucs à éviter, les alcools traites, les bons cocktail. Après tout aujourd'hui j'enchaîne les premières fois, pourquoi pas celle-ci ? Au moins, si je rougis, j'ai un semblant d'excuse.

" Non, c'est vrai. J'ai même jamais bu une goutte. "

Et vu ce qu'elle me dit je vais pas commencer ce soir. Ou peut-être que si ? Finalement j'hésite en pensant à la "surprise" qui pourrait m'attendre demain matin. Si je me réveillais dans son lit à elle ? Non, même pas la peine d'y penser. De toutes façons je vois d'ici la panique... Mais d'un autre côté, puisque les premières fois s'enchaînent aujourd'hui... Non ! Pas comme ça. Ressaisis-toi un peu, ma fille ! Et puis commande, pose ton doigt n'importe où mais surtout pas d'alcool. Pourquoi j'ai commandé un verre d'eau ?! J'ai les mains qui réagissent plus vite que le cerveau, je tape "grenadine" au lieu de "retour".

Et comme si j'étais déjà assez mal à l'aise la discussion prend un tour un peu bizarre, et très démoralisant. je ne sais pas trop quelle image serait la meilleure. D'un côté la douche froide irait bien, ou la tonne de brique sur le coin de la figure. Mais on peut aussi dire que dans ma tête une vilaine petite Suki blasée de la vie est en train de coller de grands coups de masse au piédestal du lieutenant Tetsuhiko. Elle me raconte sa vie dans le désordre : un coup les cuites, un coup les parents, et encore les cuites. Elle a peut-être vraiment envie de picoler, en fait ?

Je veux bien qu'elle ne soit pas aussi parfaite que je me l'imaginais, mais là c'est à croire qu'elle le fait exprès. Pour un peu je penserais qu'elle sais que j'ai le béguin pour elle et qu'elle veut me dégoûter. Soudain l'inébranlable officier se transforme sous mes yeux en une véritable épave à la dérive. je m'efforce de sourire pourtant je commence presque à avoir pitié d'elle, et un peu peur. On fait partie du même corps d'arme, de l'élite de l'armée, et il n'aura finalement pas fallu longtemps à cette femme à peine plus âgée que moi pour devenir la seule alcoolo de l'archipel qui n'a pas besoin d'alcool pour être bourrée. Comme si j'allais dire à ma supérieure qu'elle me gave ! En plus elle parle encore de coucher.

Bien le moment de parler de ma vie : je sais plus du tout où j'en suis. Mais soudain un sourire tire le coin de mes lèvres alors que je fais tourner les glaçons dans la grenadine. D'ailleurs c'est froid. Mine de rien, on a quand même ça en commun.

" De ce côté-là je suis pas mieux lotie que vous, mon lieutenant. "

Je ne peux pas retenir un petit rire ironique.

" La preuve. "

Alors maintenant qu'est-ce que je fais ? Elle n'est déjà plus vraiment la femme sur laquelle je craquait encore il y a une heure, mais je craque toujours. Est-ce que je dois en rajouter avec mes petits malheurs ? Ou je dois faire mine de voir la vie en rose toute seule dans mon coin pour lui remonter le moral ? De mon verre mon regard passe sur mon bracelet d'obsidienne, ma muselière. Je pourrais bien me plaindre de ça. Mes pouvoirs innés font de moi un élément précieux de l'armée de Caelestis, rien que pour ça je suis déjà connue de beaucoup de monde, on me prédit un grand avenir grâce eux. Mais ils me font peur.

Le pire reste que la personne la plus importante de ma vie est morte avant d'apprendre que je possédais ces dons. Je relève les yeux vers la blonde qui broie du noir depuis dix minutes, avec un petit sourire.

" Ma mère m'a jamais poussée à devenir une soldate, du moins je crois pas. Mais dans la vie elle avait que ça, et moi. Deux et deux... Quand elle est morte c'est devenu évident, et avec mes pouvoirs l'armée a rien eu à redire sur mon âge. Mais parfois je me demande si c'est ce qu'elle aurait voulu pour moi. J'en étais encore à changer d'avis toutes les semaines. Je voulais être docteur, vétérinaire, pilote, ingénieure, même danseuse. "

J'aurais encore pu l'être. Mais à huit ans allez faire le tri dans ces choses-là, surtout après que votre mère soit revenue de mission criblée de balles. Je soupire. Le lieutenant ne peux pas se sortir l'armée de la tête, moi c'est ma mère. Elle me manque tellement. Et soudain je me fige en réalisant que j'ai penché la tête pour tripoter ma broche sans avoir à lever le coude de la table. Depuis combien de temps ? Je me redresse en m'efforçant de dresser un sourire digne de son nom. Je dois focaliser sur le positif, sinon alcool ou pas on va vieillir d'un coup.

" Enfin ! Je suis officiellement une soldate, maintenant. On a ramené tout le monde, on a même sauvé des Celkhane disparues depuis des années. "

Soudain je percute. L'idée n'est peut-être pas bonne mais comme elle l'a dit nous sommes des soldates. Je prends bien soin de regarder le lieutenant dans les yeux.

" Et ce que cette petite fille a subi ne deviendra pas une habitude. "

Suki broyait du noir, même sans alcool, c'était une sorte d'obligation pour elle dès qu'elle franchissait les portes d'un bar. Son subconscient la forçait à devoir consommer de l'alcool pour passer pour une fille joyeuse, amusant mais le problème, c'est que l'on ne choisit pas son attitude quand on a un coup dans le nez. On peut passer de l'état d'épave à festif, colérique à chouineur, non, boire pour oublier, c'était une véritable roulette russe! Elle se souvenait une fois de s'être réveillé dans sa salle de bain, à côté des toilettes pleines de vomi bien sur, une arme près d'elle. Pourquoi? Comme bien souvent lors de ses terreurs nocturnes, elle s'affronte devant le miroir, un pistolet sur la tempe. En finir avec sa vie ou continuer? Tout cela était la faute de ce vampire! Suki avait brisé la vie de Kairi qui était toujours chez les dingues, meilleure forme quand même mais revoir Suki ou parler de Mélinda la refaisait délirer. Elle avait perdu cette nuit-là, elle avait échoué. Un échec aurait pu être passé avec le temps mais pas face à une putain d'esclavagiste! Elle se dégoutait à avoir couché avec, avoir éprouvé du plaisir! Elle aurait dû vider son estomac quand elle lui roulait une pelle à cette garce! Elle aurait perdu la vie surement, mais elle serait au moins morte au combat!

Heureusement, Rinako est là pour lui remonter un peu le moral. Elle aussi n'a pas eu une vie facile? Autant pour Suki, tout se déroulait plutôt bien jusqu'à cette mission sur Tékhos avec cette pourriture de vampire! Toute jeune aussi, elle avait choisi la voie de l'armée. Sur Caelestis, c'était un véritable rêve de gosse que de sauver des gens, jour après jours. Elle n'en disait rien, mais Suki supposait que c'était ce que la mère de Rinako aurait souhaité, l'armée. À vrai dire, comme toutes les mères, elle aurait simplement souhaité qu'elle soit heureuse? Qu'importe le métier, danseuse, médecin, scientifique. Petit à petit, elle s'étalait sur la table, sa main caressait sa broche. Un réflexe? Un tic? Elle ne s'en pose pas la question ou du moins, elle la garde pour elle. Après cette histoire, c'est certain que ça viens de son passé, que ce soit à sa mère ou non, elle y tenait. Maintenant qu'elle était redressée et qu'elle souriait un peu, elle trouvait son regard légèrement insistant. Elle qui tenait sa tête dans l'une de ses paumes, elle s'ennuyait? Pas du tout, elle broyait surtout trop de noir à force de repenser à toutes ses erreurs. Peu de vie sociale, trop heureuse dans l'armée, Mélinda, toujours cette garce qui revenait la hanter, de jour comme de nuit! Le jour où elle lui aura collé une balle entre les deux yeux, elle vivra heureuse, pas avant. Elle observa Rinako et cette chose qu'elle avait à lui dire...

Ha oui, la môme... Elle pourra vivre heureuse maintenant. Sans vraiment y faire attention, elle souriait, le regard fixé sur un point imaginaire sur la table mais elle avait le sourire au moins. Elle, puis toutes les autres petites filles qui étaient heureuses d'avoir de nouvelles copines, de bientôt avoir des parents, des sœurs, une vie normale comme on ne leur aurait pas arraché normalement.

« Une preuve que notre boulot a beaucoup de bons côtés. En espérant qu'elle tourne rapidement la page après ce qui lui est arrivé... Pauvre petit ange... Leur futur. Une petite consolation qui nous pousse à nous lever le matin et qui nous aide à dormir le soir. »

Pour l'heure, il était encore tôt mais le sourire d'une rescapé qui vous remercie quelque temps plus tard pour lui avoir offert une nouvelle vie, ça n'avait pas de prix. Elle avait oublié ce détail, dans ses congés, bien souvent elle était là-bas à jouer avec elles, dessiner, comme leur copine ou leur grande sœur. Elle les adorait tous ses mômes et qu'importent que les gens ne voient plus la Suki froide, au moins, elles étaient une petite source de chaleur qui la maintenait en vie jour après jour. Puis tant que ça ne s'ébruitait pas trop à la caserne, rien à foutre. De plus, faudrait pas que les petites pimbêches y voient une faiblesse à exploiter car elle n'en avait pas honte et elle remet les petites joueuses à leur place sans problème!

« C'est vrai que j'y tiens à ses mômes sans m'y rendre compte. Hmph! C'est con et impossible mais j'aimerais bien toutes les adopter et les élever moi-même... Impossible sous plusieurs points mais bons, ça rêve un petit rêve comme un autre... »

Buvant quelques gorgées en plus pour laisser un fond de soda, elle observa Rinako, calmé, un peu plus joyeuse apparemment mais elle ne perdait pas le nord pour autant.

« Bien sur, ça, c'est entre nous. »

Mieux vaut une précision avant que ce genre de chose ne fasse le tour de l'archipel. Mais néanmoins, oui, s'occuper de toutes ses filles, ça serait beaucoup, beaucoup de travail mais elle serait aussi heureuse que les délivrer. Seule, elle n'y arriverait pas. Sans l'armée, elle aurait surement fini par trouver un travail où il faut s'occuper d'enfant? Une fibre maternelle un peu plus développée que les autres.

« En parlant de ce sujet, je t'ai souvent croisé là-bas, avant même que tu ne deviennes sergent. Tu as des amies qui travaillent là-bas ou une petite que tu connais? »

C'est vrai qu'en général, là-bas, on ne voyait que des couples qui cherchaient à adopter ou certaines femmes qui venaient s'occuper de certaines petites de leur défuntes amies qui sont mort au combat, en attendant de leur trouver une famille. Oh bien sur, il y avait des gens comme Suki qui cherchait simplement à jouer avec elles et leur redonner goût à la vie. Mais pour son cas, c'était plus fort comme lien, elle en avait tiré beaucoup de leur enfer...

Je rame vraiment à rester à flot mais j’ai l’impression que j’avance. Le lieutenant ne danse pas la gigue pour autant. Entre ces facettes peu glorieuses que je découvre se profilent les rumeurs les plus glauques sur l’Affaire Warren. Comment je m’y prends pour lui faire oublier ça deux secondes ? Comment je mets les mots sur ce que je ressens ? Les mots qui vont au moins la faire réagir, au mieux tirer un peu le coin de ces lèvres. Difficile car elle enchaîne. À peine le sauvetage de la petite évoqué il est relégué au rang des « petites consolations ». Après ce qu’on vient de se dire, ça me met un petit coup d’entendre ça. Je baisse les yeux, mais les relève assez vite. Je rêve ? Le lieutenant Tetsuhiko en mère célibataire adoptive ? Et de toutes les filles, ce qui n’a rien d’un « petit rêve ». Rien que l’imaginer nécessite une lourde logistique.

Et ça reste entre nous. Entre nous deux, ou entre elle, moi et celles à qui elle l’a avoué après quelques verres ? C’est affolant de réaliser à quelle vitesse les plus grandes idoles tombent vite ! Je réalise aussi que nous sommes des icônes diamétralement opposées. Ma mère a engendré un prodige avant de mourir au combat, et on attend de moi que je sois à la hauteur de ma mère. Le feu me va bien parce que je suis une idole incendiaire, je me consumerais. Ne jamais reculer, en somme. Le Lieutenant Tetsuhiko n’avait jamais connu l’échec ni la moindre perte, une pièce intégrante de machine tactique qui ne s’enrayait jamais. Aujourd’hui je remplace une de ses soldates qui est en dépression après sa première et encore seule foirade. Elle n’est plus à la hauteur de sa réputation et des attentes de toute... Petite amies ?

Ça m’apprendra à gamberger pendant qu’on me parle ! C’est pas comme ça que je vais arriver à lui remonter le moral. Minute : elle a entendu les rumeurs ou elle demande vraiment sans arrière-pensées ? Rien que d’y penser je baisse la tête avec un sourire gêné.

« Pas de petite amie, lieutenant. »

J’ai réussi à caser que je suis libre, c’est déjà ça. Allez, ma fille ! Tient-toi mieux que ça et trouve quelque chose !

« Dès toute petite j’ai commencé à faire le mur pour aller accueillir ma mère quand elle revenait de mission. Mais quand on revient de mission on est en nage, on pue, on est parfois couverte de sang. Donc à chaque fois maman me laissait avec les infirmières et les réfugiés. J’ai vite pris le pli et je me suis mise à aider comme je pouvais. Je me suis fait des amis alors quand ma mère était en mission, ou des fois avec elle, j’allais à l’orphelinat ou chez des réfugiés. J’ai jamais rien coûté en baby-sitting. En fait j’ai pratiquement grandi à l’orphelinat. »

Je reprends une petite gorgée. Cruelle ironie que je me remets dans la gueule toute seule comme une grande. Je balaies ça en reposant mon verre de grenadine avec un sourire... Foutu grenadine...

« Pendant un moment y’avait même des rumeurs sur moi et une des filles. Comme quoi je revenais parce qu’on sortait ensemble... Maintenant je connais plus le personnel que les pensionnaires. Quand j’ai commencé mes classes la plupart des orphelines de ma génération avaient trouvé des parents. Les autres sont parties dans les années suivantes. »

Et là c’est moi qui ai l’air de déprimer, ou de rager. La plupart des filles dont je parle sont à Tekhos pour leurs études. La nouvelle vie à laquelle le lieutenant n’a plus l’air de croire s’est présentée et elles l’ont saisi à bras le corps. Toutes les blessures ne sont pas guéries pourtant elles ont réussi à aller de l’avant.

Je baisse les yeux vers mon verre. Si ça avait été de l’alcool, est-ce que je me sentirais mieux ?

« À nous aussi, elles devraient nous apprendre à tourner la page... »

Je baisse immédiatement la tête en la secouant avec un gros soupir.

« Fait chier... »

Comment j’cause à ma supérieure, moi ?! Je relève immédiatement la tête en remettant un peu d’ordre dans le sac de nœuds roses que j’ai sur la tête.

« Pardon, lieutenant ! J’veux dire... Fait chier, quoi ! Ces filles ont subit les pires horreurs, d’accord. Je cherche pas à minimiser parce qu’on y peut rien. Mais grâce à nous, elles aussi elles vont pouvoir se demander si elles veulent être danseuses ou docteurs. C’est pas une petite consolation, lieutenant ! Et vous le savez très bien. Vous ne voudriez pas les adopter pour leur offrir une petite consolation... »

Mais comment je parle à ma supérieure, moi ?!