« Oui… Oui, je vous ai senti ! »
La petite voix s’était mise à gronder. Bayonetta n’aimait pas ça, et elle sentit ses pieds heurter une surface solide. Toutefois, il n’y avait encore que du noir autour d’elles. Le décor évolua toutefois rapidement. Les surfaces noires se déchirèrent pour montrer le sanatorium, à un moment où il était encore en parfait état. Bayonetta pouvait voir de multiples gardes japonais, tandis qu’un camion amenait des enfants. Ils avaient le crâne rasé, et des uniformes de prisonniers. Ils descendirent dans la cour commune du sanatorium, où un agent recensait leur matricule.
« Nous venions de Chine… »
Changement de décor, montrant cette fois une ville. Bayonetta sentit alors le sol trembler, et comprit qu’elle allait voir une scène traumatisante.
« Nous étions des élèves à Nankin… Quand le Mal est venu. »
Les deux magiciennes virent ce qui ressemblait à une sorte d’école religieuse. Les enfants étaient sur le sol, en train d’étudier, quand les explosions retentirent, et que les cloches d’alarme de la ville résonnèrent. Tout le monde était inquiet, on disait que les Japonais venaient de prendre Shanghai, et que Tchang Kaï-chek s’était enfui, condamnant la ville. Il était parti avec ses soldats, et cette journée de cours était totalement irréelle. D’ailleurs, les élèves avaient pu le constater, car les professeurs, d’habitude stricts et très pointilleux, étaient complètement largués. Ils quittaient les cours, et, alors que les enfants en profitaient souvent pour faire la cohue, aujourd’hui, personne ne songeait à faire le pitre… Pas même Ming, qui était pourtant le plus rebelle de tous. Même si leurs parents ne disaient rien, ils voyaient bien ce qui se passait. Yuan avait été frappé par un soldat quand il s’était aventuré près de l’un des tunnels. Les soldats l’avaient repoussé en le frappant.
Ils profitaient de la pause pour montrer un prospectus qu’ils avaient ramassé. Des avions japonais avaient largué des prospectus. Chan, l’intello de la classe, avait été la première à en ramasser un, mais sa mère, d’habitude si calme, l’avait pris des mains, et avait giflé Chan (une chose inédite !) quand celle-ci avait voulu récupérer le document.
Ils observaient le prospectus quand les premiers tirs d’artillerie avaient fait s’effondrer une partie du toit de l’école. Nous étions alors le 10 décembre 1937, et l’armée japonaise commençait le siège de Nankin, un siège qui deviendrait ensuite l’un des plus sordides pogroms de l’Histoire. Un sujet toujours polémique près d’un siècle après. Bayonetta commençait à comprendre ce qui avait bien pu se passer. Pour Mana, qui était l’innocence incarnée, les images qui suivirent furent sans doute d’une violence extrême.
« Kichiku… Ils nous désignaient comme des animaux. Les soldats japonais nous ont capturés, et nous ont emmené ici, pour que nous servions d’expérience. Mais ils ne s’attendaient pas à ce que nous nous unissions… »
Mana put voir des enfants victimes des pires sévices que l’on puisse imaginer. Les chiffres officiels variaient tant ils donnaient le vertige. La population de Nankin avait été pendant six semaines victime de soldats japonais transformés en monstres. Viols, tortures, massacres… Les morts s’étaient comptés par dizaines de milliers, ainsi que les viols, que ce soit sur les femmes ou les enfants. Ces enfants avaient vu leurs parents mourir sous leurs yeux, leurs mères et leurs sœurs violées collectivement dans la rue, avant d’être massacrés, profanés. La barbarie à l’état pur. Bayonetta se rapprocha de Mana, et posa ses mains sur ses épaules.
« Tant de maux et de tristesse… Tu veux prendre une décision, Mana ? Tu veux être notre amie ? Le prix à payer est le prix du sang. NOUS LES TUERONS TOUS !! Soit tu es notre amie, SOIT TU MEURS AVEC EUX ! TU VEUX JOUER À LA MARELLE, MANA ?! VIENS JOUER, ESPÈCE DE SALOPE ! BÉTAIL ! BÉTAIL ! BÉTAIL !! » hurlait la voix, qui devenait de plus en plus hystérique, se déformant au fur et à mesure qu’elle s’énervait, et déformant aussi les éléments autour d’elle.
Les visions des corps violés, torturés, des bûchers, des rues transformées en rivières de cadavres que des soldats cruels tuaient et massacraient en ricanant, commencèrent à se fracturer, à se déchirer…
La sphère devenait de plus en plus instable, et Bayonetta puisa dans sa magie, déclenchant une onde de choc en frappant violemment le sol. Une rosace se forma autour d’elles, et la sphère se volatilisa, les ramenant dans la réalité, dans la forêt. Bayonetta comprit qu’elles avaient quitté le rêve. Elles étaient toujours sur l’île, et avaient traversé le village. Elle relâcha Mana, se demandant dans quel état celle-ci se trouvait…