The Multiversity

Korë avait hoché la tête, confirmant de ce fait son offrande gustative pour le dragonnet. Elle ne rougit pas avant d'avoir reçu un baiser de sa part, Ashka toujours enclin à répondre à la gentillesse par son équivalent. Quelque chose de très agréable aux yeux de la Wyvérienne. Et de simple, aussi. Cela suffisait à la détendre. Elle attendit sagement qu'il veuille bien s'habiller. Ce qu'il fit non sans lui parler de sa formidable nuit.

- Tu as rêvé de ta grand-mère... entre mes bras ? s'enquit la bardesse.

De quoi lui donner un petit côté maternel ! Pensée positive et encourageante aux yeux d'une pondeuse de monstres exécrables. Cela lui donnait l'impression d'avoir contribué à quelque chose de bien, pour une fois. Un doux sourire naquit sur ses lèvres alors qu'il continuait à lui décrire son aventure onirique. Ashka disait avoir eu une conversation avec sa grand-mère au sujet des raisons qui l'avaient poussé à quitter leur foyer.

- Trois réponses, considéra-t-elle en le regardant grimper sur le dos de Jordy. Cela ne m'étonne pas de toi. Un bon bavard - même à l'intérieur de ta propre tête. Je trouve que c'est une qualité indéniable ; elle n'est certes pas synonyme d'intelligence mais peut être source de grande imagination.

Son regard flotta sur Jordy. Elle se rendit compte qu'elle n'avait pas salué dignement le cheval blanc, alors elle s'accorda un peu de temps pour lui flatter l'encolure. Un geste apaisant qui ne l'empêchait pas de se concentrer sur la conversation initiée par le doux paladin. Apparemment, ses multiples réponses à la question de mère grand avait laissé cette dernière sur sa faim.
Un rêve se soldant par une énigme ? Celle-ci semble le préoccuper bien plus qu'il ne le laisse transparaître.
Sans plus attendre, Ashka l'aida à se hisser derrière lui. Une fois qu'elle s'eut installé, il l'interrogea sur la suite du programme - et notamment leur destination.
Korë secoua la tête.

- Mérileya n'était pas une grande bavarde. Si je ne l'avais pas reconnue, je n'aurais pas su qu'elle est la fille du Baron Prestàr en personne. En dehors de ces informations purement identitaires, je ne sais pas grand chose sur ses véritables intentions. Elle me payait grassement, en compagnie des autres, pour l'escorter et la protéger jusqu'à sa prochain destination. J'ignore donc ce qu'elle comptait faire à Ming'hard. Il va donc nous falloir enquêter à ce sujet. En commençant par trouver l'un de ses contacts, j'imagine.

Ce qui ne serait pas chose évidente... à moins d'appâter celui ou celle que la noble aurait dû rencontrer ?
Korë préférait ne pas trop s'avancer. Il leur restait d'ailleurs de la route à faire. Et une énigme de plus à résoudre en la substance de ce rêve incomplet.
Subitement, elle réorienta la conversation.

- Que t'ont fait tes parents pour que tu veuilles mettre autant de distance entre vous ?

Elle ajouta plus bas :

- Si ce n'est pas trop indiscret de ma part...

Simple politesse ; après ce qu'ils avaient fait la nuit dernière, elle ne s'imaginait pas trop invasive.

Loin de se comporter en vilain petit cachottier, Ashka lui expliqua la relation tendue qu'il s'était efforcé d'entretenir avec ses parents. Elle apprit ainsi que le dragonnet avait fui un mariage arrangé. Le genre de situation trop sérieuse qu'il l'aurait obligé à consacrer son débordant amour envers un seul être. Or, la Wyvérienne avait bien compris que cela était contraire à ses propres vœux de bonheur.

- Tu as donc choisi ton propre chemin, conclut l'aventurière. Une décision sensée que le quidam n'est pas toujours enclin à saisir à bras le corps. Je ne suis pas en position pour te jeter la pierre pour avoir pris ton courage à deux mains. Et je ne pense pas non plus que tu aies à te le reprocher. C'est quelque chose... d'admirable ?

Câliner tout le monde ? Pour une Wyvérienne, oui, c'était bel et bien quelque chose d'admirable. Korë avait connu bien des partenaires. Pour la plupart d'entre-eux ? Des coups d'un soir, des amourettes essentiellement... Mais pour d'autres rares élus ? De véritables coups de cœur ! Dont la plupart, hélas, ayant pris fin de façon abrupte et tragique.
Korë en avait beaucoup rêvé il fut un temps. Aujourd'hui, les souvenirs restaient frais dans sa mémoire ; simplement, ils ne la visitaient plus aussi souvent la nuit...

Alors qu'ils évoluaient sur un paysage vallonné à dos de ce brave Jordy, la paladin revint sur son rêve surréaliste. Notamment sur ce que sa grand-mère avait tenté de lui dire, et que la bardesse s'était donné pour mission implicite de décrypter. Largement de quoi faire passer le temps pendant ce haut-le-pied. Ashka parla finalement de son deuil pour sa grand-mère. A laquelle il pensait toujours. Pour laquelle il éprouvait toujours de la tristesse.
Korë se serra un peu plus contre lui.

- Le contraire serait injuste et cruel, lui dit-elle en toute franchise. La douleur fait partie de la vie. Et elle est aussi bien morale que physique. Si tu souffres, c'est que tu vis. Cette tristesse que tu ressens, dans tes cœurs, n'est pas un mal à prendre à la légère ; elle est une irréfutable preuve d'empathie qui contribue à la continuité de cet amour que tu portes à ta grand-mère. Un poids à porter qui n'en est pas vraiment un. Un inévitable bagage moral dont tu dois te servir pour lui rendre hommage à travers la moindre de tes actions.

Elle le laissa assimiler ses propos avant de reprendre :

- Tu sais... dans le fond, je ne me sens pas plus futée qu'une autre Wyvérienne. Moi aussi, j'obéis à mes bas instincts. Ils sont comme une drogue dont je ne peux pas me passer durablement. Un courant contre lequel on peut lutter pendant un temps mais qui, au bout du compte, finit toujours par nous emporter. (Elle lui soupira dans le cou - de façon accidentelle.) J'essaye de faire avec. Ce n'est pas toujours évident mais quel autre choix me reste-t-il que d'avancer ? Tout arrêter n'a jamais été une option, pour les nôtres.

Comme en attestait son immortalité. Une Wyvérienne ne pouvant point séjourner indéfiniment dans le monde des morts sans avoir été dépouillée de ses pouvoirs après avoir connu le partenaire élu. Un repos qui se voulait bien mérité ! Une funeste légende à laquelle s'attachait la bardesse dont la malédiction, intrinsèquement liée à ses monstrueuses pontes, lui pesait parfois lourdement sur la conscience.
Elle s'empressa de chasser cette pensée de son esprit.

- Ta grand-mère était comme un mentor pour toi. Un véritable guide durant ta toute jeune existence. Que peux-tu me raconter d'autre à son sujet ?

Une bardesse friande d'histoires ? Oui, tout à fait ! Mais celle-ci, Korë n'envisageait pas de la partager avec ses futurs auditoires, au sein des tavernes. Du moins, certainement pas sans le consentement de son adorable petit-fils !

Grand-mère dragon avait toujours été là pour lui. Elle avait occupé une grande place dans sa vie et, depuis un autre plan, à travers ses rêves, continuait de lui être de bon conseil. Elle l'avait gâté de son vivant. Elle avait passé sa vie à protéger leur univers, son monde, leur entourage, privilégiant la diplomatie avec leurs peuples voisins. Hélas, même si cela avait permis à leur population de prospérer et de toujours voir le lendemain, la sage mamie, elle, avait fini par succomber à l'un de ses voyages...
Elle aurait été attaquée par des dragons noirs.
Les plus agressifs. Un code couleur parmi les grands reptiles que la bardesse connaissait bien. D'autant qu'elle en avait vu un à l'œuvre, tout récemment. Un qui avait fini par violer la fille du baron avant de l'emporter avec ses cruels accompagnateurs.
Korë soupira une nouvelle fois, évacuant son angoisse afin de mieux se recentrer sur le récit du paladin.
Elle avait tout écouté de bout en bout, en se gardant bien d'interrompre le jeune conteur.
Entre-temps, la pluie s'était mise à tomber. Comme les arbres alentours les protégeaient encore, la Wyvérienne n'avait pas encore songé à les couvrir avec ce quelque chose qu'elle avait ramassé la veille, suite à leurs mésaventures.
Ensemble, toujours juchés sur Jordy, Ils découvrirent au loin les contours du village minier.
La bardesse acquiesça d'une petite secousse de la tête ; Ashka avait tout dit : à en juger par la distance, il leur faudrait encore une bonne journée à dos de son fidèle destrier.

- Peut-être un peu plus en incluant, pour notre compagnon que nous montons, une pause aussi méritée que salvatrice.

Elle aimait les animaux. Jordy ne dérogeait pas à la règle. C'était même tout le contraire, puisqu'elle en profita pour caresser un flanc du vaillant cheval. Ce n'est qu'après ça qu'elle considéra la dernière question que lui avait posé son cavalier :

- Tout comme toi, je ne peux pas me passer d'une certaine... affection.

Elle le câlina, frottant son doux minois contre sa nuque.

- Ce que j'ai fait hier, je l'ai fait pour toi mais aussi pour moi, avoua-t-elle. Parce qu'il m'est impossible de me passer durablement de ce genre de contact. De ce genre... d'amour.

Si l'on pouvait appeler ça comme ça ?
Korë elle-même n'en était pas sûre.

- Les pulsions sexuelles sont relatives aux bas instincts, paladin. Les êtres vivants y sont sensibles ; les wyvériennes, plus encore. C'est... ainsi. Je n'y peux rien. J'ai fini par l'accepter.

Elle sourit malgré tout. D'un petit air - très légèrement - rusé.

- Je pense avoir trouvé réponse à l'énigme de ton récent rêve, déclara-t-elle soudainement.

Elle laissa planer le silence. Un silence suffisamment court pour qu'il puisse demander quoi. Alors, elle surenchérirait doucement :

- Ta grand-mère cherchait à te faire entendre que ton vœu le plus cher est de rester toi-même. D'être toi-même. De ne pas accepter que les autres viennent te dicter ta conduite.

Elle ajouta alors :

- Ton besoin de liberté en fait partie. Mais le tout, c'est ce que tu es, toi : Ashka, l'usine à câlin. Le dragon-chou qui déborde d'amour pour tout ce qui vit et ce qui respecte la vie.

Puis, sans attendre de validation de sa part, la Wyvérienne déplia de ses maigres bagages le grand manteau bordeaux de Mériléya. Ce quelque chose qu'elle avait ramassé sur le champ de bataille de la veille. En même temps que... la culotte abandonnée de la fille du baron. Un artefact aux yeux de la Wyvérienne, pour qui les sous-vêtements relèvent limite du domaine de l'identitaire et du sacré.
Afin de les protéger de la pluie, Korë les couvrit tous les deux avec.

La leçon de mère grand avait fini par faire mouche dans son esprit draconique. A voix haute, Ashka effectua un petit travail d'introspection. Elle ne chercha point à le ralentir dans sa réflexion. Il avait compris et ne comptait pas se mentir à lui-même. C'était là l'essentiel.

- La pluie n'est pas si gênante. Elle est source de vie. Nul ne devrait jamais avoir à s'en plaindre.

Il leur suffisait de se couvrir. Korë avait pris les devants. Le parfum de Mérileya se mélangeait déjà à celui des pins alentours. Une odeur agréable, synonyme d'aventure ! Presque aussi chaleureuse que ce contact que la bardesse entretenait avec le cavalier jaune.
Ashka l'interrogea sur son ressenti. Sur ce sentiment de félicité qu'elle retirait même longtemps après avoir partagé une aventure avec les autres.

- Il existe deux types de trésors, lui expliqua gentiment la Wyvérienne qui, autrefois, s'était longuement penché sur le sujet. Les récompenses matérielles, qui nous rendent fiers et nous assurent un certain confort. Certaines durent plus longtemps que d'autres - dépendamment de notre attachement personnel - mais toutes partagent le même point commun : elles sont physiques, bien ancrées dans la réalité et fabriquées par un tiers.

Quant à la seconde catégorie ?
Korë eut un sourire nostalgique.

- Les trésors du cœur n'ont certes aucune valeur auprès des artisans mais ils nous sont chers, à nous autres : êtres de chair et de bons sentiments. Ils nous aident à surmonter les épreuves en alimentant nos espoirs les plus fous. Ils sont autant un bien-être qu'une force qui nous pousse à aller de l'avant. Bien sûr, l'on souhaiterait tous les revivre et qu'ils ne s'arrêtent jamais. Mais, paradoxalement, leur brièveté et leur rareté contribuent à leur incomparable éclat. Alors, plutôt que d'espérer s'en gaver, il s'agirait surtout d'en profiter l'instant T et d'en conserver les meilleurs souvenirs.

Sans doute le pensait-il au fond de lui.
Professeure Korë ne faisait jamais qu'éclairer un peu plus sa lanterne de bon vivant.

Ashka l'entendait d'une bonne oreille. Il était bon public. Peut-être même trop attachant pour un cœur meurtri et un esprit aussi mélancolique que celui de la bardesse. Une relation chanceuse qu'elle ne pensait pas mériter. Parce qu'elle ne se faisait pas d'illusion : tôt ou tard, malgré leur affinité, le destin finirait par les séparer. Cela faisait partie de sa malédiction, après tout ; celle inhérente à son statut de Wyvérienne Crépusculaire. Tout ce que pouvait espérer Korë, c'était donc de faire durer leur relation aussi longtemps que possible.

- Je nous en trouverai un, décida-t-elle. De présent susceptible de nous lier.

Une bague richement ornée ? Ou une breloque plus modeste ? Korë ne voulait rien de tout ceci ; elle convoitait un objet marquant, unique, qu'elle était prête à acheter lors de leur prochain arrêt.

- Laissons le monde de côté pour le moment, sourit pensivement la Wyvérienne. Concentrons-nous plutôt sur ce qui nous attend, d'accord ?

Elle n'était pas du genre à faire des plans sur la comète là où le paladin se projetait à des lieux et des lieux de leur destination. Un grand rêveur, cet Ashka ! La bardesse appréciait cet état d'esprit, très utile dans son métier, mais s'efforçait tout de même de ne pas en abuser.

Plus tard, alors qu'il leur restait encore un peu de chemin à parcourir à travers cette épaisse forêt, ils décidèrent de bivouaquer.
Le dragonnet jugea le moment opportun pour se donner en spectacle avec Jordy. Les mains tendues, il généra un jet d'eau qui lava l'animal avant de lui tomber directement dans la gueule. Comme le jet était parfaitement dosé, cet abreuvement ne le dérangea pas. C'était même tout le contraire !

- Tu maîtrises cet élément ?

Plus surprenant encore : le liquide était potable et nourrissant !
Korë salua ses talents de mage d'un hochement de tête. En revanche, elle la secoua pour signifier à son compagnon qu'elle ne désirait pas se mouiller.

- N'y vois là aucune offense, dit-elle. Ta magie m'impressionne beaucoup. L'eau est un bel élément, et je suis peut-être bien sur le point de te jalouser - gentiment. Mais... je n'ai pas très envie de me retrouver trempée. Cela nous retarderait car il me faudrait alors me sécher.

Braquant son regard sur la sylve, elle réfléchit vite fait à ce qu'un potentiel défeuillage de sa part, sous cette cime, aurait engendré avant leur reprise du voyage.
Avec un petit sourire sur les lèvres, elle haussa les épaules et ajouta :

- Sachant que si jamais je finis par me retrouver nue devant toi, il y a de très fortes chances que je revienne te débarrasser de ta robe pour une nouvelle session de câlins. Et ce, au grand dam de ce pauvre Jordy.

Elle regarda le blanc destrier. Korë le savait très intelligent. Beaucoup plus que la moyenne, parmi les équidés.

Le dragonnet avait-il compris la chose de travers ? Rien de vexant pour la bardesse qui se sentit tout de même, dans le doute, obligée de lui préciser sa pensée. Elle commença par secouer doucement la tête.

- J'ai bien remarqué que Jordy est un étalon pudique ; la dernière nuit, il nous a laissé le champs libre. Je préférerais éviter d'avoir à abuser de son bon sens pour notre petit plaisir égoïste en pleine nature.

La Wyvérienne ne l'avait jamais fait avec un cheval et ne s'imaginait pas non plus capable d'encaisser une telle charge - qu'elle fusse avec un partenaire hybride ou non.
Ashka en vint alors à parler de sa magie. Il partageait une affinité avec l'eau et la terre. La première pour sa douceur ; la seconde pour son côté protecteur.
Korë devait bien avouer que pour un chevalier comme lui, cela faisait sens.

- Je comprends le principe.

Une énième preuve de la sagesse de sa regrettée grand-mère !
Contente pour le paladin, la bardesse le laissa jouer à l'eau avec Jordy. Entre-temps, s'aidant du couvert des arbres et de son manteau d'emprunt, elle leur concocta un déjeuner de fortune autour duquel ils discutèrent sereinement. Tout juste de quoi se remplir un peu l'estomac avant de reprendre la route sous une pluie bien moins drue.
Plus tard, à une centaine de mètres du village, alors qu'ils avaient soulagé Jordy de leurs poids conjugués et évoluaient à son côté, les lumières de Ming'hard qui perçaient à travers les fenêtres de masures éclairaient leur destination aussi sûrement que le proche scintillement des étoiles.

- Il va nous falloir trouver un endroit où passer la nuit.

La bardesse songea bien sûr à une taverne. Un établissement potentiellement animé à cette heure, où elle pourrait échanger ses services contre une chambre pour deux. Korë n'oubliait pas Jordy, qui finirait à l'écurie. Alors, seuls dans cette chambre, le petit couple aurait toute l'amplitude nécessaire pour-

- Dame Mérileya.

Une mince figure encapuchonnée était soudain sortie de l'ombre d'une ruelle.



Korë jeta un rapide coup d'œil autour d'eux. L'inconnue avait attendu d'obtenir le champ libre avant de se manifester. Et sa méprise était due à ce qu'elle portait elle-même sur la tête. A savoir que la Wyvérienne avait rabattu sa capuche sur son front au moment de prendre la route. La capuche de son manteau bordeaux qu'elle avait emprunté à la fille du baron.

- Puis-je savoir à qui nous avons l'honneur ?

Ce "nous" invita la rouquine à jeter un bref regard au furry dragon. Elle conserva le silence un moment avant de leur révéler :

- Je m'appelle Tahutia. Je fais partie de l'équipage de l'Albatrousse. On m'a envoyée vous chercher dès votre entrée au village. Vous et votre... escorte.

- Vous êtes armée, lui fit remarquer Korë.

- Etant donné votre situation, il vaut mieux ça plutôt que le contraire, non ?

La bardesse se permit un coup d'œil vers Ashka, puis hocha la tête à l'attention de Tahutia.

- Ils ne vous ont pas suivis, je présume ?

Comprenant qu'elle parlait des hommes du baron, Korë secoua la tête.

- Suivez-moi, dit-elle en leur tournant le dos. Les autres vous attendent.

Alors que leur guide en devenir ne regardait pas, la bardesse fit signe à Ashka de conserver le silence. Ils allaient très certainement devoir s'expliquer à bord du vaisseau qui, si tout se passait bien, leur livrerait des informations essentielles sur la prochaine manœuvre qu'aurait initié Mérileya à leur place.

Korë dut se retenir de faire la grimace. Vexé, la langue du dragon, que l'on avait traité de vulgaire lézard, avait légèrement fourché.
Démasquée ? Déjà ?
Tahutia regarda curieusement Ashka avant de poser ses prunelles fendues sur l'usurpatrice, qui s'était raidie sous son manteau.
C'est mal engagé.
Contre toute attente, la néko ne releva pas la bourde.

- ... ?

L'intervention de Jordy empêcha in extremis son cavalier de refaire des siennes. La Wyvérienne soupira discrètement alors que son compagnon sautillait sur un pied - celui que l'étalon n'avait pas "accidentellement" écrasé, en l'occurrence. Korë dut réprimer la peine que son petit air boudeur lui inspira par la suite.

- Pff ! Ton cheval est bien gauche, le saurien, se moqua l'éclaireuse. Reste que ce n'est pas une raison pour faire la tronche.

- Laissez le tranquille, lui intima la fausse fille du baron. Il s'en remettra très vite.

- De ce petit bobo, peut-être bien, marmonna Tahutia.

- Vous avez dit quelque chose ?

- Rien d'intéressant. Allez ! Rejoignons le vaisseau.

Ils traversèrent un dédale de ruelles moussues et boueuses, l'humidité étant chose courante dans ce village. Toutefois, comme si Tahutia connaissait l'endroit par cœur, le trio ne gâcha guère de son précieux temps en détours inutiles. Un peu à l'écart des chaumières crasseuses, le fameux vaisseau attendait. Il avait été mis à quai et, avec le blanc de sa coque imposante et les dorures qui l'ornaient, détonait largement par rapport à son lieu d'amarrage.
Face au majestueux bateau volant, les yeux rouges de la Wyvérienne s'étaient sensiblement arrondis.



- Voici l'inégalable Albatrousse, scanda la chatte humaine en se tournant vers les autres. Vous n'en avez jamais vu de pareil, je paris !

Son sourire de filoute accentua le doute qui taraudait Korë.

- Humpf ! J'ai gagné d'avance, poursuivit-elle, les mains sur les hanches. Fille de baron ou pas, les vôtres n'auriez eu ni moyens ni l'intelligence pour concevoir cette inestimable merveille d'ingénierie.

La bardesse ne chercha point à la contredire. Elle imaginait très mal la famille de Mérileya disposer d'un tel appareil. Ce qui, d'un côté, était hautement préférable. Car sans doute que la baron, avec ses fréquentations douteuses, en aurait fait un très mauvais usage.
D'un mouvement de main, Tahutia les invita à la suivre.

- Nous n'emprunterons pas l'échelle. Venez plutôt par là ; il s'y trouve une ouverture pour les privilégiés dans votre genre.

Là encore, Korë n'argumenta pas. Même si elle ne comprenait pas trop ce que ce "dans votre genre" voulait dire. Un ajout superflus qu'elle n'espérait pas être de mauvais augure pour eux.

Cette fois-là, les familiarités du dragonnet ne paressèrent point inaperçu.

- "Kiki-choute ?"

Les yeux réduits à deux fentes suspectes, elle regarda les deux imposteurs tour à tour.
Korë se vit contrainte de retirer pudiquement sa main en forçant un petit sourire gêné.

- Ce n'est... pas ce que vous croyez.

Tahutia eut un malin sourire.

- Ah bon ? La damoiselle essaye de me faire croire qu'elle n'a pas du tout profité de sa fugue pour s'acoquiner avec son lézard de compagnie ?

L'usurpatrice baissa la tête sans mot dire, ses yeux tournés vers le sol.
Coupable de ce "forfait" et toujours sujette à la méprise, elle préférait continuer d'endosser muettement son rôle de fille de baronne.
La néko rousse eut un mouvement négligé de la main.

- Bah ! Qui suis-je pour vous juger ? Vous avez vos goûts ; nous avons les nôtres.

Korë hocha la tête en silence avant de renouer ses doigts dans ceux de son euphorique partenaire. Ils marchèrent ainsi deux ou trois bonnes minutes jusqu'à emprunter un pont au bout duquel était amarré le navire volant. La bardesse aida Ashka à faire monter Jordy. Tahutia ne se donna pas cette peine, évoluant en tête avec une indifférence typiquement féline.
Korë ne la rabroua pas comme l'aurait sans doute fait Mérileya.
J'ai le sentiment que, tôt ou tard, nous allons devoir nous expliquer.
Pour le moment, le manteau bordeaux protégeait sa véritable identité. Il relevait également du droit de passage auprès d'un équipage pas très bien informé de leurs clients.
Le matelot qui avait baissé le pont leur ouvrit une porte menant dans les entrailles du vaisseau.

- Après vous, fit Tahutia avec une révérence volontairement bâclée.

Korë ne commit pas l'erreur de la remercier. Elle passa devant la petite teigne avec Ashka et Jordy. Tahutia entra la dernière, fermant la porte derrière elle, puis reprit la tête du groupe.

- Toujours tout droit.

Ashka eut l'intelligence de supposer une audience auprès du capitaine de l'Albatrousse. La réponse de Tahutia sonna quelque peu ambiguë aux oreilles sensibles de la bardesse.

- L'affaire est urgente, insista cette dernière.

La neko lui coula tout juste un regard par-dessus son épaule.

- Sans blague ? Etant donné la moitié de la somme considérable que vous avez déjà déboursé, le contraire nous aurait franchement étonné !

La fausse fille du baron tiqua. Mérileya avait embauché cet équipage pour une mission. Elle avait déjà effectué un versement. Il lui en restait un autre à effectuer. Sans doute lorsque l'objectif principal aurait été atteint.
C'était une information à la fois encourageante et perturbante.
Tahutia s'arrêta devant une porte un peu plus petite que les autres.

- C'est cette cabine là, dit-elle en la pointant du doigt.

Korë marqua un blanc sonore qui se voulait pensif.

- Je vois. Et pour Jordy ?

- Qui c'est, ce Jordy ?

- Notre étalon, lui rappela Korë en flattant l'encolure de l'animal. Il ne rentrera jamais là-dedans.

- J'en fais mon affaire. Vous, entrez là dedans et fissa. Parce qu'on vous y attend de pied ferme.

Le regard tourné vers la porte, Korë hésita. Elle avait comme un mauvais pressentiment...
Elle renonça à la main chaude d'Ashka.

- Entendu.

- Vous êtes bien brave, "noble dame", marmonna Tahutia une fois que le duo eut pénétré dans la pièce où deux matelots d'un genre très spécial les attendaient de pied ferme.

Avant de voir apparaître ces sérieux candidats, Korë nota l'absence totale de hublot. L'espace était clos, avec une table, une chaise et quelques grosses caisses pour mobilier. On avait étalé un jeu de cartes sur ladite table. Les deux hommes se levèrent à leur approche, délaissant leur partie au bénéfice d'une analyse muette.





Un homme-lapin habillé comme un voleur accompagné d'une armoire à glace à tête de buffle ; Korë ne reconnaissait aucun capitaine parmi ce duo que tout opposait.
Ce n'était pas bon signe...

Le lapin avait pris la parole. Et ces mots ne sonnaient pas de façon très agréable aux oreilles de son auditoire.
Les cachots de l'Albatrousse ?
Korë promena une nouvelle fois ses yeux sur leur environnement. La pièce ressemblait plutôt à la cale d'un navire, et non à une prison...
Elle observa le dénommé Traven - ce moitié homme moitié bovin au poil sombre qui agissait de connivence avec son compagnon aux longues oreilles. Ce dernier surveillait la scène d'un œil torve.
Lui, par contre, il m'a tout l'air d'un geôlier.
Avec de plus en plus de familiarité, l'homme-lapin la prit pour cible, démontant son déguisement, soutenant qu'elle n'était pas celle pour qui elle avait essayé de se faire passer.
Malgré ce frisson désagréable qui serpentait le long de son épine dorsale, la Wyvérienne ne perdit point son sang-froid :

- Je peux tout vous expliquer...

Malheureusement, le furry lagomorphe n'était pas disposé à l'écouter. Il avait eu vite fait de jeter son dévolu sur Ashka, qu'il avait pris pour une fille en raison de cette robe jaune qu'il portait. Ce fut d'ailleurs de la bouche de ce dernier que fut narré leur aventure... ou plutôt leurs déboires. Histoire que le dragonnet solda par une remarque à l'adresse de cette insolente neko qui les avait mis dans de beaux draps !
J'aurais dû m'en douter.
Rétrospectivement, le piège paraissait si prévisible...
Toujours aussi beau parleur, le lapin, qui ne leur avait toujours par révélé son nom, continua à les tourner en ridicule, disant ne croire pas à leur histoire, préférant plutôt se pencher sur leur châtiment pour avoir menti.
Ashka, qui osait sans doute trop de questions à son goût, fut le premier à se faire attraper. Dans le genre culotté, le lapin n'avait pas hésité une seule seconde à étudier ce qu'il cachait sous sa robe - des attributs masculins qui ne le rebutaient visiblement pas !
Au contraire du musculeux Traven, qui venait d'ouvrir la bouche pour lui laisser de bonne grâce cette "friandise".

- Vous ne devriez pas faire ça. Nous pouvons toujours devenir vos alliés.

Qu'en avaient-il à faire ? Après tout, leur capitaine n'était pas présente pour leur donner des ordres qui allaient en ce sens.
Lorsque le lapin força Ashka à se mettre à genoux en le tirant par les cheveux, la bardesse, indignée, entama un mouvement dans leur direction. Mais alors que le lapin se vantait de la longueur de sa « carotte » et jouait les dominants face à un dragonnet impuissant, l'homme-bovin se dressa face à sa proie déguisée en la fille de baron. Une de ses énormes paluches lui tomba sur la tête, tirant sur sa capuche pour la ramener contre son torse surdimensionné qui lui faisait l'effet d'une muraille infranchissable.
Korë grimaça de plus belle lorsque son autre battoir fourailla dans les replis de son manteau, s'introduisant jusque sous sa jupe.

- A-arrêtez ça, gémit-elle. Ce n'est... pas bien~

Traven jubila.

- Et depuis quand est-ce aux otages d'en décider ?

Relâchant sa capuche, l'armoire à glace cornue déporta sa main sur sa poitrine, qu'il pinça par-dessus son manteau. Trop sensible pour ne pas y réagir, la Wyvérienne accusa un léger soubresaut qui la fit basculer en avant. Geste inutile dans la mesure où Traven la maintenait fermement contre lui non sans la peloter comme un pervers doublé d'un gros rustre !
Les yeux rouges de la bardesse tombèrent sur le visage d'Ashka, si proche de la virilité de son tortionnaire à poils blancs.

- Nous ne devons pas... leur faire de mal, soupira la jeune femme, la respiration sensiblement alourdie par les attouchements.

Ces deux-là se trompaient sur leur compte. Korë s'imaginait toujours capable de les convaincre de cette méprise et de faire d'eux leurs alliés. Même si ce n'était pas très bien parti et que cette musculeuse fripouille arrivait quand même, avec ses grosses mains, à l'exciter !
Traven dut sans doute la remarquer, car il lança à son vicieux compagnon :

- Sois un bon garçon et enchaîne, Otho. Je sens que ça la met dans l'ambiance.

Le piège s'était refermé.

Cet entretien n'était pas sain. Il ne l'était en rien et pourtant Korë parvenait à éprouver une sombre excitation par rapport aux attouchements de ce mufle. Le solide animal avait poussé le vice encore plus loin, allant jusqu'à introduire la main sous sa culotte. La bardesse n'avait pas pu s'empêcher de pousser un gémissement pincé lorsque son gros doigt s'était glissé en elle.

- S-stop... Vous ne pouvez décemment pas...

Des jérémiades qui n'avaient eu aucun effet sur la prise du minotaure. La Wyvérienne était à sa merci ; elle percevait son désir dans le bas de son dos. Un monceau qui l'effrayait un peu, pour être honnête. Chez l'imposant et puissant Traven, tout paraissait déjà hors norme. Alors en comparaison de la petite chose féminine qu'il tenait si fermement contre lui...

- Plus que le désir dans ta voix, c'est ton corps qui te trahit.

Sa poigne se fit plus féroce, pour ne pas dire brutale ; si Traven ne déchira pas le manteau de la fille du baron, il l'en soulagea sans ménagement aucun, jetant le vêtement au sol. Korë vacilla sur ses appuis. L'homme-taureau la rattrapa par la hanche. Sa main était si large qu'elle aurait presque pu faire le tour de sa taille de guêpe ! La bardesse couina ; son tortionnaire s'était de nouveau emparé d'elle, faisant autant pression sur sa poitrine que sur son entrejambe en proie à une désespérante humidité.
Le regard braqué sur Otho qui attendait, Traven lui rappela à l'oreille :

- J'espère que ton petit copain dispose d'une bonne résistance à la douleur parce que s'il ne se bouge pas la langue très vite...

Il lui pinça plus fort le sein. Elle se tortilla contre lui, étouffant un petit cri.

- A-Ashka... é-écoute-moi.

En plus de calmer sa chaude respiration, la bardesse dut ravaler sa salive aussi bien que sa honte. Elle se sentait affreuse de devoir lui demander ça. Quand bien même était-ce pour leur bien, et celui de cette folle mission. La Wyvérienne Crépusculaire ferma un instant les yeux, en appelant à sa magie - la seule qu'elle avait les moyens d'utiliser dans un cotexte aussi tendu que celui-ci.
A l'oreille, le timbre de sa voix, délicieusement envoûtante, se fit autrement plus langoureux :

- Mon bon paladin... ne boude pas le gourdin du lapin...

Au mieux de ce qui ressemblait de plus en plus à un chant de sirène, la tendre bardesse parvint à ourler un doux petit sourire.

- Sois un brave chérubin et... ôte-toi ce frein qui te... aaah~

A force d'agiter son doigt en elle, Traven lui rendait la tâche encore plus compliquée. Sous sa jupe froissée, son doigt massif produisait des petits sons humides. Elle était prête à ce qu'il la prenne malgré l'incompatibilité plus que manifeste de son gabarit, mais force était de constater que le musculeux bovin avait décidé de prolonger son divin supplice.

- Qu'y a-t-il ? Termine donc ta phrase, ma mignonne !

Korë serra les dents, prit le temps de se recomposer et, tout doucement, presque dans un murmure, demanda à son compagnon de galère :

- Pour ton amoureuse... accepte cette voluptueuse requête qui t'est offerte~

Les oreilles du minotaure se dressèrent sur sa tête. Il avait lui-même été traversé par cette onde singulière. Une force irréelle, magique, qui le motiva à renifler la chevelure de Korë pour étendre son analyse olfactive dans le creux de son cou délicat. Ses naseaux s'imprégnèrent de son parfum.
La tête inclinée, la Wyvérienne acceptait son sort sans mot dire.

- Tu oses me mettre en appétit, soupira-t-il, plus chaud que jamais. Moi qui pensais que les elfes étaient toutes des frigides... ça m'en bouche un coin !

- Gghnn !!

A elle aussi ! La bardesse ne l'avait pas cru suffisamment rustre et audacieux pour lui ficher un pouce entre les fesses. Elle s'était crispée entre ses griffes, le convaincant par ce biais de sa multiple réceptivité.