The Multiversity

« Je n’ai pas de préférence particulière, non. Mais si tu veux me voir cracher le feu comme un dragon, tu peux toujours me faire risquer des plats épicés. On ne parle pas d’un lance-flamme, plus d’un effet cartoonesque. Les meilleures frites de la ville, tu dis? Je suis curieuse. Au nombre d’endroits qui prétendent à ce genre d’excellence et qui échouent à livrer la marchandise… C’est vendu pour moi. Euh je… Euh… Bien…

Je devrais peut-être me changer aussi, non? Je veux dire, ainsi habillée, je suis plutôt… Visible. Ce n’est pas un accoutrement très terrien. Ou coutumier pour les terriens. Je ne voudrais pas qu’on vienne nous embêter. Ça réduit les risques de causer accidentellement une catastrophe. Je veux dire… Tu ne voudrais pas devoir me capturer deux fois dans la même journée, n’est-ce pas? Ha ha ha! Hum… Trop loin? De mauvais goût? Je ne maitrise pas encore tous vos types d’humours, je ne voudrais pas que ça sonne déplacé. »

D’un claquement de doigts, je me change. Enfin. Je dis je me change. Pour moi, l’apparence est comme un vêtement donc si je me change, cela inclus ce dont j’ai l’air physiquement. Bon j’avoue que si vous avez un esprit très conservateur, vous pourriez dire que ça fait voyou à cause du capuchon mais avec la fermeture éclair correctement remontée, je trouve ça classe comme tenue. C’est quelque chose de plus sportif et décontracté je dirais. En se basant sur le nom du restaurant et la tenue de Carol, j’en déduis que ce n’est pas un restaurant cinq étoiles ultra huppé. Et troquer ma belle chevelure blanche et mon teint caucasien pour une chevelure noir de jais et des traits asiatiques est un contraste intéressant, je trouve. Je ne sais pas si cela plaira à Carol mais en même temps… Dans un premier temps, je change d’apparence pour mon plaisir personnel.

Ensuite, je ne suis pas ici pour séduire Carol, je suis ici pour aller manger de façon platonique au restaurant. Déjà, il n’y a rien entre nous et s’il y avait quelque chose, alors j’y suis complètement aveugle. Non, pour la je ne sais combien de fois, la vie n’est pas une vaste comédie romantique ou un dialogue de jeu vidéo où vous demandez à l’autre de coucher avec vous et magiquement et sans bonne raison, hop, c’est le baisodrome! Et de toute façon, les super héros qui décident de se mettre en couple ou pire, de fonder une famille sont à mes yeux irresponsables. Un, c’est mettre des innocents en danger. Deux, plus souvent qu’autrement, perdre leur époux ou épouse ou leur progéniture les fait basculer du côté obscur. Évidemment, je n’ai pas dit à PeeGee : tu es irresponsable de te marier, elle va se marier à une autre super héroïne donc ce n’est pas la même chose.

Tout ça pour dire que j’ai choisi une apparence qui me plaise. J’espère qu’elle plaira à d’autres mais ce n’est pas me première priorité. Ensuite… Comment on va au restaurant? Je nous téléporte? Je peux nous téléporter. Carol ne peut pas utiliser ses pouvoirs sinon ce sera trop voyant… En moto, je n’ai jamais été fan de m’accrocher à la taille de quelqu’un. En voiture, c’est toujours le problème du stationnement. Et les transports en commun? Je ne sais pas si c’est ma nature chaotique mais on dirait que j’attire tout le temps les gens bizarres alors… Moi je préfèrerais la téléportation… Enfin. Une altération de la réalité qui nous place à proximité du restaurant, s’il faut clarifier… Mais ce n’est pas quelque chose que tout le monde aime alors je pose la question à Carol. Elle devait bien avoir un plan, non? Si elle a proposé le restaurant, cela implique aussi la logistique autour…

Jeannie décida aussi de se changer, mais en profita pour changer aussi d’apparence. Sans doute était-ce plus prudent, car, après ce qui était arrivé au musée, le visage de Jeannie avait dû circuler sur les réseaux sociaux. Et une femme avec des cheveux argentés, cela se repérait vite. Carol sortit donc, et les deux femmes empruntèrent simplement un taxi. Le taxi s’aventura dans les rues de New York, et Carol restait assez silencieuse, après avoir fait remarquer à Jeannie, quand elle l’avait vu, que son nouveau look lui allait plutôt bien. La soirée commençait à venir, et le taxi était branché sur la radio.

« …L’attaque au musée Guggenheim s’est finalement avérée n’être qu’une blague de très mauvais goût. Les témoins confirment avoir vu la présence de Miss Marvel, ce qui relance les débats sur sa réintégration au sein des Vengeurs.
-  Ces fichus super-héros feraient mieux de s’occuper des vrais problèmes plutôt que de gérer des canulars de gamins attardés ! »

Ce chauffeur ne dérogeait pas à la tradition des chauffeurs de taxis habituels de New York. Il donnait volontiers son avis sur l’actualité, tout en étant content d’aller au Mike’s Diner. Il y avait un match de football américain au New York Stadium, de sorte que s’y rendre était un vrai merdier. Cela avait aussi pour conséquence que les avenues de l’autre partie de la ville étaient plutôt tranquilles. Ils purent ainsi rejoindre le Mike’s Diner sans problème.

« Vous avez bien choisi, le coin est typique, mais on y fait les meilleures frites de la ville. »

Carol et Jeannie sortirent. Le soleil continuait à se coucher, et une ambiance crépusculaire régnait sur la ville. Le diner comprenait une partie à l’intérieur, mais aussi un jardin à l’arrière-cour, un endroit champêtre avec des guirlandes et de la végétation. Les immeubles protégeaient du bruit, et Carol demanda une table à l’arrière, tout en saluant le serveur.

« Ça faisait longtemps, Miss Danvers ! Vous reprenez du service ? Vous nous manquez tous ! »

Carol le salua sans insister, et elle rejoignit une table à l’arrière. Il y avait d’autres personnes, essentiellement des coupes ou des gens venant en famille.

« Tu as l’habitude d’aller au restaurant, au fait ? Je t’avoue que j’ai toujours du mal à me faire à l’idée d’imaginer le quotidien d’une divinité… »

« Je ne peux pas parler pour toutes les divinités mais en ce qui me concerne, je me lève le matin, comme tout le monde. Bon, souvent je fais apparaitre mes vêtements directement sur moi mais…Souvent je fais comme vous. Brossage de dents, une douche, ensuite je vais préparer mon déjeuner avec beaucoup de Nutella, je vais lire des bonnes nouvelles sur le site de good news… Tu sais, comme… Toi. Ou les autres humains.

Il ne faut pas oublier que je ne suis pas née divinité. Je suis devenue une divinité par nécessité, pour échapper à mon esclavage. J’ai passé des millénaires à servir des mortels, à voir comment ils fonctionnent.Même si technologiquement, ils sont inférieurs à vous, magiquement, c’est une autre histoire, le principe demeure. Et ce n’est pas comme si on recevait un manuel pour être une divinité. Enfin. Moi je n’en ai pas eu... »

C’est vrai quoi! Ce n’est pas comme si magiquement, du jour au lendemain, j’avais su tout ce qu’il y a à savoir sur le fait d’être une divinité. Et puis du reste, je ne me considère pas comme une déesse en… Service actif. Je suis une aventurière, moi! Je vais de monde en monde, de ligne temporelle en ligne temporelle, de réalité en réalité, de dimension en dimension… Et la Terre est un endroit où j’aime passer du temps, c’est tout. Je ne suis pas du genre à exiger qu’on me vénère non plus. Même que ça me met mal à l’aise, je dirais. Enfin bon. Je souris à Carol. Je vous le dis, je suis globalement inoffensive. Donc, si Carol doit s’imaginer mon quotidien, qu’elle s’imagine grosso modo celui de monsieur et madame tout le monde. Vraiment, à part quand je décide de faire des blagues ou d’utiliser mes pouvoirs, j’essaie de me comporter normalement…

Je promène mon regard sur ce qui nous entoure et en même temps que Carol, je vois un serveur qui est sur le point de se prendre les pieds dans un sac à main qu’une cliente a imprudemment laissé trainer. Ou tout du moins, il se serait pris les pieds si, inexplicablement, le sac à main n’avait pas bougé en direction de la chaise de la dame et donc hors du chemin du serveur. Évidemment que c’est moi. Carol le sait mais je n’ai fait aucun geste qui pourrait trahir que c’est mon initiative. Je lui dis que, plus souvent qu’autrement, c’est comme ça que j’utilise mes pouvoirs. Pour empêcher les gens d’avoir une mauvaise journée. Naïf? Peut-être. Mais c’est ma façon de faire les choses. Il faut une mauvaise chose pour créer un effet domino. La proverbiale goutte qui fait déborder le vase, si vous préférez. Moi? J’essaie d’empêcher que le vase déborde. Pas activement.

Mais si je vois quelque chose, j’interviens quand je peux. C’est… Faire une bonne action. Les humains ordinaires font des bonnes actions, non? C’est un principe similaire. C’était une très bonne idée de choisir la portion extérieure du restaurant. C’est sans doute plus agréable et moins bruyant qu’à l’intérieur. Je continue de regarder autour de moi, curieuse quant au décor et je fais remarquer à Carol qu’elle a un admirateur. Il y a un jeune homme qui n’arrête pas de la regarder. Qui peut le blâmer? Carol est une belle femme! Bon, pas autant que Power Girl ou la statuesque Wonder Woman mais quand même, une belle femme. Elle doit donc effectivement avoir beaucoup d’admirateurs! Non, vraiment pas surprenant. Si elle veut prendre le temps d’aller le voir, qu’elle se fasse plaisir! Je peux attendre. Je ne suis pas exactement pressée… Je suis immortelle, vous avez oublié?

Une vie normale, donc… Hannah Arendt parlait de la banalité du Mal, Jeannie pouvait parler de la banalité d’une divinité. C’était pourtant l’une des grandes questions philosophiques que tout le monde se posait forcément un jour : quel pouvait être le quotidien d’un être démiurge ? D’une divinité ? Pour Jeannie, c’était quelque chose de très banal, ce qu’elle justifiait par ses origines humaines. Elle était devenue une divinité par nécessité, mais semblait avoir conservé ses goûts d’humain… C’était donc de manière curieuse que Carol se retrouvait finalement à passer une soirée ordinaire. Quand elle était avec l’une des deux Jessica (Jessica Jones et Jessica Drew), les conversations variaient rapidement sur les Kree, les Skrulls, les enquêtes paranormales d’Alias Investigations… Mais, avec Jeannie, Carol sentait qu’elles pouvaient parler de choses ordinaires. La dernière série vue sur Netflix, le dernier scandale politique en date… Originaire d’un milieu de militaires très conservateurs, Carol était plutôt orientée Républicains, même si le Grand Old Party était en miettes.

Jeannie usa encore de ses pouvoirs pour empêcher un serveur de tomber, et lui fit observer qu’elle avait un admirateur. Carol tourna naturellement la tête, sans toutefois trop voir de qui il s’agissait.

« Tu es sûre ? Peut-être qu’il aime juste les blondes… Je veux dire, je ne porte pas mon costume, je suis ici incognito, et avec toi. Cela seul compte. »

Les plats furent servis. Carol commanda une pizza avec quelques frites en accompagnement (il fallait bien goûter aux meilleures frites de la ville !). Elle s’y attaqua donc, avalant avec délice la pizza Reine, tout en regardant Jeannie.

« J’ai envie de me détendre ce soir. Il y a des discothèques, là d’où tu viens ? »

« Alors de un, quand je dis admirateur, je ne parle pas de toi en tant que super héroïne, je parle de toi en tant que jolie femme. Bon je confesse que je suis plus Power Girl que Miss Marvel mais c’est moi. Clairement que tu fais tourner les têtes quand tu vas quelque part. De deux… Non… Pas vraiment. Là d’où je viens, c’est un monde de magie et d’engrenages. Je veux dire techniquement, nous avons une industrialisation…

Mais rien de comparable à ce qui se fait ici. Si on s’attarde en technologie pure, vous avez des siècles d’avance sur nous. Côté magie et arcane… Ouh la la, vous avez sérieusement régressé si vous avez déjà eu un fort usage de la magie. Je dirais que mon monde est plus… Propre… Que le tien. Il n’y a pas vraiment de pollution et avec des dryades et nymphes pour protéger les cours d’eau, les forêts, etc., il faut être con pour saloper la nature.

J’avoue que la Terre me fascine. Il y a tellement de contradictions, de choses qui ne devraient pas exister côte à côte et pourtant… Prenons la pizza. Splendide invention. Et les ananas. Pas mon fruit préféré mais cette forme, cette texture, ce goût si caractéristique… Et certains commettent l’impardonnable hérésie de mettre des ananas sur une pizza. Ça. Ne. Devrait. Pas. Exister. Le multivers n’est pas d’accord avec moi, en revanche.

J’ai essayé de faire disparaitre cette hérésie de l’existence. Et pendant dix bonnes secondes, le multivers fut épargné par cette abomination… Et c’est réapparu. Avoir des pouvoirs divins ne veut pas dire pouvoir tout faire non plus. Il y a toujours plus puissant que soi. Bref… Oui, on peut aller dans une discothèque. Mais seulement si tu promets d’être ma garde du corps. Quand j’étais génie, j’ai subi de nombreux abus sexuels alors du coup…

Je n’aime pas qu’on me touche sans permission. Ou qu’on tente de me séduire après le non initial. Bon, je n’ai plus d’attaques de panique aussi intenses qu’avant mais… Ça peut arriver. Donc pas d’alcool pour moi. Enfin si. Alcool. Mais je vais m’assurer que mon immunité est bien en place, par contre. Une Jeannie pompette est une Jeannie irresponsable. Tu ne veux pas ça et je ne veux pas ça non plus et… Cette pizza est vachement bonne!

On me dira : Jeannie, c’est juste une pizza fromage bacon mais il y a un art à une bonne pizza et à du bon bacon. Le chef sait clairement ce qu’il fait. Et ces frites sont délicieuses. Je ne sais pas si ce sont les meilleures frites en ville mais elles défendent très bien leur réputation, ça c’est bien certain! On disait quoi? Ah oui. Discothèque. Enfin. Activité sociale ce soir. Ça se tente. C’est quoi ton genre de discothèque, au juste? »

Oui parce que bon, dit ainsi, on se dit : discothèque donc disco. Oui… Mais non. Ce n’est plus la même chose qu’à une certaine époque. Après, peut-être que Carol aime le disco. C’est son droit, je ne juge pas. Je veux dire… La première fois que j’ai entendu Epic Nyan Cat, j’ai dansé dessus sur le mix qui dure une heure. On me dira, avec raison, que je ne suis pas une référence en termes de goûts… Et je m’assume! Donc, ce serait plus logique que ce soit Carol qui prenne l’initiative. Cela fera en sorte qu’elle va s’amuser et moi… Je sais m’adapter. Tant que ce n’est pas un truc horriblement bruyant et violent comme musique, ça devrait aller. En même temps, je ne m’attends pas non plus à ce que ça joue de la musique classique et d’applaudir poliment comme on le ferait au golf ou au théâtre. Un entre deux me convient parfaitement, vous savez…

« Pour être honnête, si j’avais la capacité de modifier la réalité, peut-être que je supprimerai aussi les pizzas à l’ananas… »

À vrai dire, ce serait même la première chose à faire ! Il n’y avait que Spider-Man pour les défendre (ce qui devrait d’ailleurs amener Carol à douter de ses recommandations culinaires). Jeannie lui parla davantage de son monde, technologiquement moins avancé que la Terre, mais avec une empreinte magique plus prononcée. Des dryades… Carol imaginait un monde de fantasy, façon Tolkien. Elle espérait juste qu’il n’y aurait pas un Mordor dans cet univers. Carol était curieuse d’en savoir plus, ce qui fit que, quand Jeannie l’interrogea sur l’emplacement de leur lieu de chute pour le reste de la soirée, elle revint sur le monde de Jeannie.

« Le fait est que la magie a toujours été moins présente sur Terre que dans ton monde. Ce qui fait que j’ai toujours été curieuse. Comment un tel monde peut fonctionner, Est-ce qu’il y a des États, plusieurs civilisations, des religions différentes ? J’aime beaucoup l’univers de Tolkien, je l’adore, même, mais il a une vision très simpliste et manichéenne des choses. Ça fonctionne dans un conte, mais, globalement, ces mondes anarchiques où il n’existe que deux out rois royaumes éparpillés… Je me demande vraiment si ça peut fonctionner quelque part. Tu sais, le principe même de la civilisation, ou de l’humanité, c’est de vivre en commun. L’être humain n’est pas un animal pouvant vivre de manière indépendante, ou en petite meute. Nous sommes faits pour vivre en société, pour nous organiser collectivement. C’est par ce biais que l’Homme a quitté la Préhistoire. »

Carol enchaîna ensuite, après quelques secondes de silence :

« Toute l’histoire de l’humanité, même aujourd’hui, repose sur ça. Des sociétés conçues pour diriger les hommes et ainsi les aider à s’accomplir, à évoluer, à sortir de leur état de nature pour devenir meilleurs… Je suis assez curieuse de savoir s’il y a ce genre de choses aussi, dans ton monde, Jeannie… »

« Il n’y a pas vraiment de religion, en fait. Je veux dire… Il n’y a pas de religion au sens classique du terme. Il existe des prêtres qui comme dans la fantasy vont pouvoir faire des miracles et des choses du genre mais cela fonctionne davantage avec un système de valeurs. Donc au lieu de prier la déesse de l’agriculture, ils vont invoquer la compassion, le respect, la justice… Je ne voulais pas de religion sur mon monde.

Enfin, après l’avoir reconstruit. Et même, c’est parfois difficile à suivre. Je veux dire… Je suis ici, ils sont dans une autre dimension, le temps ne passe pas de la même façon… Les choses évoluent parfois plus vite que je peux les suivre. L’avant dernière fois que j’ai jeté un œil, c’était lors de ma première rencontre avec Power Girl. Ça nous ramène facilement un an en arrière. Et quand j’ai regardé, sept mois et demi plus tard, tout avait encore changé.

Enfin. Tout avait changé. Là c’est un empire méritocrate. Avant cela a été une république, une fédération de royaumes, deux grands blocs un peu comme pendant votre guerre froide… Je dois avouer que l’empire méritocrate, ça m’a surpris. Et il est étonnamment fonctionnel. Et ils ont un système d’esclavage qui permet aux gens qui ne peuvent payer une dette de la payer par leur labeur. Je hais l’esclavagisme. Je déteste avec passion.

Mais… J’ai juré de ne pas intervenir dans leur développement. Un peu comme la prime directive dans Star Trek. La plupart des grandes villes sont multiculturelles. Dans un système méritocrate, ce sont les compétences des uns et des autres qui sont activement désirées, recherchées. Le commandant de la légion impériale est un orc. L’alchimiste en chef est un gobelin. L’archimage est un elfe. La grande prêtresse est une humaine…

Il y a beaucoup d’institutions d’enseignement et de guildes, aussi. Le savoir est considéré comme ayant plus de valeur que l’or. C’est une société qui utilise encore un système de monnaie mais le statut est ce qui détermine la richesse de quelqu’un. Ses compétentes, son talent, son mérite, quoi. Après ce n’est pas parfait non plus. Il n’y a plus eu de grande guerre depuis une éternité mais le crime existe quand même, c’est inévitable. Ici ou ailleurs…

Comme les ressources humaines sont les plus convoitées, il y a peu de meurtres. Malheureusement, il y a beaucoup plus de kidnappings. Il existe un mouvement eugéniste qui est convaincu qu’en faisant se reproduire les gens les plus talentueux ou les plus gâtés par la nature, ils pourront créer une sorte de super race qui va prendre le contrôle de l’Empire… Je n’ai pas tout suivi, comme dit… Je suis principalement ici! »

Je ne pensais pas que Carol s’intéresserait à mon monde. Moi-même j’y pense peu, en fait. Bon je suis quand même au courant de certaines choses. Si jamais un cataclysme menace la destruction du monde, ça je le sais. Si une puissance étrangère venait à arriver dans le secteur, je le saurais aussi. Mais vraiment, pour le reste, je trouve présomptueux pour une divinité de penser savoir ce qui est mieux pour ses créations. Si on leur a donné le libre arbitre, c’est pour une bonne raison. Non mais. Évidemment, pour que ce soit plus visuel, je lui montre des images de mon monde sur mon « téléphone intelligent ». Évidemment, elle voit des choses en direct de ce qui se passe là-bas mais je ne veux pas qu’on me voit utiliser mes pouvoirs donc je camoufle le tout. Nous sommes ici en civiles, après tout, ce serait bien idiot de ma part de faire une erreur de débutante…

« Tu as d’autres questions? »

À l’écouter parler, Carol avait l’impression d’écouter le descriptif d’une partie sur Civilization, ces jeux de stratégie où le joueur pouvait faire prospérer une civilisation de ses balbutiements préhistoriques à son essor futuriste. Jeannie restait néanmoins une joueuse passive, celle qui avait fini sa partie, et qui laissait ensuite la partie se dérouler toute seule. Carol savait que certaines agences gouvernementales développaient des simulateurs politiques similaires, pour essayer de tracer le futur des civilisations. Avec l’aide d’algorithmes très complexes, de l’intelligence artificielle, ils essayaient ainsi de prédire l’avenir, de découvrir quels étaient les grands mouvements sociaux à venir. Carol y songeait tandis que Jeannie lui expliqua que le régime politique de sa planète était passé d’une fédération de démocraties à une sorte d’Empire méritocratique. Un concept qui semblait utopique en théorie, mais qui s’avérait souvent moins enchanteur en pratique.

*Peut-être faudrait-il que je visite son monde, un jour…*

Elle tiqua quand Jeannie mentionna Power Girl, laissant entendre qu’elle avait déjà croisé d’autres justicières. Ce nom ne lui disait rien. Carol savait qu’il existait d’autres équipes de super-héros à travers le monde. Elle n’était pas forcément à jour sur tout. Jeannie lui demanda finalement si elle avait d’autres questions.

« La façon dont tu décris ton monde donne envie d’aller le voir. Un monde sans religion… On dirait la chanson de John Lennon. Imagine, tu la connais ? »

Un monde utopique… Du moins, selon la vision de John Lennon. Carol suçota un peu de sa boisson, et continua à torturer sa pizza, avalant une nouvelle bouchée.

« Par contre, tu as mentionné une certaine Power Girl tout à l’heure… C’est qui, exactement ? Je n’en ai jamais entendu parler. »

Visiblement, Jeannie était pleine de surprise…

« Oh oui, je connais cette chanson! Même que lors d’un voyage dans le temps, je l’ai même vu chanter ça pour la toute première fois! Mais bon, une voyageuse dans mon genre explore toutes sortes de choses donc à force, ce n’est plus SI surprenant que cela… Euh… Tu demandais… Power Girl! PeeGee! Tu ne la connais pas? Je suis surprise. Elle est plutôt connue pourtant. Pas autant que Wonder Woman mais…

Déjà, c’est une kryptonienne et comme c’est souvent compliqué, elle vient d’une Terre alternative à la tienne. C’est Supergirl d’une autre Terre avec un autre nom, si tu préfères. Encore que physiquement par contre… Je vais finir par croire qu’une poitrine aussi énorme est forcément un super pouvoir. Clairement qu’il faut une super force et un bon dos pour se trimballer… Power Girl. Oui. Power Girl. Elle est super sympa, aussi. Blonde…

Bon les circonstances de notre première rencontre ne sont pas nécessairement épiques… En fait même sur certains aspects, c’est similaire à notre première rencontre, à toi et à moi. Un malentendu! En même temps… C’est un crime que d’insulter le Nutella. Il n’existe rien d’aussi délicieux ailleurs dans l’univers, je parle par expérience et… Ce serait probablement plus simple pour toi si je commençais du début… Non? »

Commence alors le récit de ma rencontre avec Power Girl et j’aurais bien voulu ponctuer le tout d’effets spéciaux, d’extraits de cette rencontre et tout mais… Je suis déguisée en civile. Donc je ne peux pas le faire. Carol va devoir se contenter de ma narration. Je suis une très bonne conteuse, si vous vous posez la question. J’adore raconter et entendre des histoires. Et il y en a qui disent qu’avec le net, les gens ne lisent plus. Ridicule. Ridicule, vous dis-je. Enfin bref! Le récit de ma rencontre avec Power Girl! Comme je ne sais pas mentir, je me contente d’omettre certains détails. Comme Carol n’était pas là et que le récit reste cohérent, elle ne risque pas de poser des questions potentiellement gênantes. J’ai une excellente mémoire donc je ne risque pas de déformer les faits. On me dira qu’il reste la question d’interprétation mais bon, là, quand même…

Et puis du reste, je n’ai jamais dit que j’étais parfaite non plus alors… Voilà. C’est un récit qui va lui laisser le temps de terminer sa pizza et sa boisson voire de demander qu’on lui serve à boire de nouveau. Je sais, je sais, l’esprit de concision, ce n’est pas exactement ma grande force. Je ne fais pas ça par méchanceté, je suis juste comme ça. Je suis une ex génie. Tourner les coins ronds n’est pas dans notre nature. Chaque mot, chaque inflexion, chaque virgule entre dans la formulation d’un vœu. Après c’est à nous d’interpréter selon notre humeur mais c’est de l’ordre de l’anecdotique. Tout ça pour dire que si j’en dis autant, c’est plus par habitude que pour faire mon intéressante, c’est évident. Et Carol n’aura pas à se plaindre d’un récit ennuyant car sans vouloir me vanter, il est plutôt passionnant, en fait. Satisfaite d’avoir raconté cette épopée, je m’autorise une grande gorgée d’eau.

« Maintenant à ton tour de me raconter des trucs sur les grands héros que tu connais. Tiens, Hulk. Il y a un truc, pas vrai? Aucun pantalon n’est aussi résistant que ça. Quand il se transforme, tout se déchire SAUF ses pantalons? Et dans le même ordre d’idée, tu connais sa cousine, She Hulk? Et Capitaine America… S’il a une promotion, ils vont l’appeler Colonel America? Général America? Comment ça fonctionne, exactement? »

Une Kryptonienne… Carol connaissait Superman, mais Power Girl… Cela ne lui disait rien ! Jeannie lui expliqua que Power Girl, ou « PeeGee », venait d’une autre dimension, et elle lui raconta que, un peu comme elles, les deux femmes s’étaient rencontrées lors d’un quiproquo. Karen avait combattu Jeannie, avant que les deux femmes ne se rapprochent. Jeannie parlait d’elle avec emphase, et semblait avoir été inspirée par le modèle héroïque de Power Girl… Ainsi que par sa grosse poitrine. Carol en vint à la conclusion que cette femme ne devait faire partie, ni des Avengers, ni de la Justice League. Il y avait maintenant des super-héros sur toute la planète. Elle avait aussi entendu parler d’une super-héroïne des Philippines qu’on comparait à Wonder Woman, Darna, qui avait émergé peu de temps après la Seconde Guerre Mondiale. Difficile d’avoir une liste exhaustive ! Cela avait d’ailleurs été l’une des raisons ayant abouti à la promulgation de la loi sur le recensement des métahumains, pouvoir avoir une liste permettant de mieux les regrouper et les identifier.

Carol l’écouta donc parler, tout en finissant sa pizza. Jeannie l’interrogea à son tour sur les super-héros. Carol réfléchit quelques instants, souriant doucement quand elle évoqua le caleçon de Hulk.

« Reed Richards a conçu des tenues très élastiques. Sa combinaison peut s’étendre à volonté, à l’image de son corps. Il a conçu ce sous-vêtement pour Hulk, il s’étire quand Bruce se transforme en Hulk. Il dispose aussi d’une combinaison. »

Le grand secret avait donc été révélé !

« Je connais She-Hulk, oui, c’est l’avocate des Avengers… Et, en ce qui concerne Steve, c’est son surnom, il n’est pas capitaine. »

Difficile d’y voir là une Déesse, tant les questions qu’elle posait semblaient venir de jeunes fans qui rencontreraient les Avengers pour la première fois.

« Je te confirme n’avoir jamais rencontré cette Power Girl, en tout cas… Il y a tellement de super-héros, maintenant, qu’il est de toute façon impossible de tous les connaître. En tout cas, je suis heureuse qu’elle t’ait inspiré. C’est ce qu’on attend des super-héros, après tout. »

QUOI!? Mais… S’il n’est pas capitaine… Est-ce que ça veut dire que… Je pose la question à Carol : et capitaine Marvel, il était vraiment capitaine ou… Non parce que si c’est juste un surnom comme elle dit, à quoi bon l’utiliser si ça ne veut, au final, rien dire? Ah mais vous devriez voir ma tête! Vous connaissez cette vidéo, dramatic gopher? C’est cette tête que je tire en ce moment! Je n’en reviens tout simplement pas. Même les super héros utilisent les tactiques mensongères de la pub! Scandaleux, tout simplement! Du calme, Jeannie, du calme ou tu vas déclencher quelque chose par accident. Ceci dit, pour l’explication pour Hulk, j’aurais dû me douter que l’explication serait étonnamment simple. Un matériel super résistant et élastique… Hum… Après tout, l’être humain ne peut pas inventer que des armes, ce serait bien trop triste si c’était le cas…

C’est sûr que bon, quand on me regarde, je fais excentrique, pas déesse. Comme dit, j’ai le titre de déesse uniquement parce que je suis la seule divinité de mon monde d’origine. Un rôle qu’à la base je n’aurais pas souhaité. De toute façon, qu’est-ce qu’une divinité? C’est juste quelqu’un de très puissant, c’est tout. Superman, à bien des égards est comme un dieu si on le compare aux humains ordinaires. Aucun d’entre eux ne peut faire ce qu’il fait. C’est indéniable. Et avec tout ça, je me rends compte de deux choses. Toute cette réflexion, toutes ces émotions fortes… Un, il n’y a plus de nourriture dans mon assiette. Deux, il n’y a plus rien à boire dans mon verre. Complètement à sec. Maintenant, mon réflexe, ce serait juste de remplir mon verre d’eau… Mais nous sommes ici incognito alors… Je ne peux pas. C’est plus dur qu’on ne le pense que de « vivre comme tout le monde »…

« Ce choc, quand même… De toi à moi, en toute confidence… Tu ne trouves pas ça difficile de vivre parmi les gens ordinaires, sans pouvoir utiliser tes pouvoirs? Je dois constamment me souvenir d’un tas de choses pour ne pas révéler que je ne suis pas humaine. La loi de la gravité, par exemple. Je suis tellement habituée à flotter, voler ou me téléporter que j’oublie que l’humain moyen marche. Il ne vole pas. Certainement pas!

C’est pareil avec l’usage général de mes pouvoirs. Là mon verre est vide. Si je veux de l’eau, je dois faire signe à un serveur ou attendre qu’un serveur vienne à notre table. Si j’utilisais mes pouvoirs, le verre serait plein en une seconde. Comment tu t’habitues à faire les choses de façon moins efficace? Car la normalité n’est certainement pas quelque chose de fondamentalement optimal VS tous les pouvoirs qu’on peut avoir… »

C’est un truc que je ne comprends pas. S’ils sont en costume, c’est correct d’utiliser leur pouvoir. S’ils ne sont pas en costume, ils doivent faire semblant d’être normaux. Mais en même temps, s’ils étaient tout le temps en train d’utiliser leurs pouvoirs, oui, c’est vrai, il y aurait toujours des gens pour les harceler, j’imagine… Mais cela leur permettrait de vivre sans avoir à prétendre être ce qu’ils ne sont pas. C’est comme… Porter des chaussures trop petites parce que c’est la mode. Pourquoi s’emmerder à être inconfortable, voire souffrir, pour une population majoritairement ingrate? Vous sauvez quelqu’un et il vous demande ce qui vous a pris tant de temps avant de venir à sa rescousse! C’est ridicule! Les gens n’ont pas de respect pour ceux qui passent leur temps à leur sauver la vie. Je trouve ça dommage. Et ça doit être profondément démotivant aussi…

Carol resta silencieuse pendant quelques secondes quand Jeannie lui demanda comment ils faisaient pour ne pas utiliser leurs pouvoirs au quotidien.

« Et bien… Tu vois, ça dépend déjà du pouvoir qu’on a. Mais ce serait mentir que de prétendre que nous n’utilisons pas nos pouvoirs. Quand je veux aller à une autre ville, le vol plané est quand même plus facile que de devoir faire la queue. Mais, pour te répondre, et pour que tu comprennes, je vais te parler d’une chose… »

Elle se tut pendant quelques instants, le temps de mettre de l’ordre dans ses pensées, puis reprit :

« Il y a quelques années, Superman… Tu sais, le super-héros en rouge et bleu… Bref, il vient de Krypton, une planète qui a malheureusement explosé quand il était bébé. Cependant, il n’en est pas le seul survivant. Avant la destruction de Krypton, Brainiac, un genre de super-vilain cosmique, avait anticipé la destruction de Krypton. Il… Il collectionne des échantillons de grandes civilisations cosmiques, et il a pris un échantillon de Krypton… Kandor, une ville entière, qui s’est retrouvée miniaturisée, et sous cloche, afin que Brainiac puisse les étudier. »

Carol poursuivit, en expliquant que Superman avait réussi à s’emparer de Kandor, mais avait mis des années à trouver un moyen de comprendre la technologie futuriste de Brainiac, et à inverser le processus. Il avait ainsi restauré la cité de Kandor au Pôle Nord, à proximité de la Forteresse de Solitude, formant ainsi ce qu’on avait appelé la « Nouvelle-Krypton ». La cité était dirigée par les parents de Supergirl, Zor-El et Alura.

« Un seul Kryptonien, passe encore, mais toute une population entière… Ils avaient tous les mêmes pouvoirs. Les autorités ont paniqué, on était sur le qui-vive, on craignait une invasion… Superman était pacifique, mais pouvait-on en dire autant de tous les Kryptoniens qui avaient émergé ? Il y avait environ 100 000 Kryptoniens… »

La situation avait empiré quand Zor-El avait été tué par Lex Luthor, travaillant de concert avec le général Sam Lane et Metallo. Alura avait alors ordonné de marcher sur les gouvernements terriens, et un conflit majeur avait bien failli éclater. Finalement, la Nouvelle-Krypton avait été déplacée sur une autre planète.

« Superman s’est ensuite consacré à une mission de paix avec cette nouvelle planète. Tu vois où je veux en venir ? Superman a toujours eu une identité civile sur Terre, qu’il était désormais prêt à abandonner, à oblitérer totalement, pour reconstruire Krypton. Mais, finalement… La nouvelle Krypton a explosé, détruite par une bombe nucléaire en kryptonite. »

Où voulait-elle en venir ? Elle y venait, justement :

« Superman est revenu sur Terre, perturbé, bouleversé… Il a alors entamé ce qu’on a appelé la Marche. Il y a même un article sur Wikipedia. Perdu et désemparé, Superman s’est mis à marcher, de ville en ville, pour rencontrer ses habitants, pour mieux les comprendre… Se mettre à leur niveau. »

Carol se tut pendant un certain temps, avant de reprendre :

« Notre identité civile, c’est ce qui nous rattache au monde, Jeannie… Je ne suis pas une Déesse. Et je suis loin d’être parfaite. La normalité, je ne sais pas trop ce que ça veut dire… J’ai beau avoir des pouvoirs cosmiques, ça ne me permet pas de lutter contre mon addictologie. Ce qui compte, c’est de ne pas oublier sa place. Miss Marvel est un symbole qui se doit d’être incorruptible et parfaite, mais Carol Danvers… Elle, elle peut se permettre d’avoir les défauts que Miss Marvel ne doit pas avoir. »

« Mais en même temps… Les super héros ne sont pas parfaits. Vous causez des dommages collatéraux. Parfois vous blessez des gens en intervenant. Stopper un train dont les freins ont lâché de façon brusque pour l’empêcher de dérailler… L’action est faite sur une bonne intention mais les gens qui se sont fait mal ne peuvent être ignorés par cause à effet. De plus, l’idéal d’un super héros est qu’il peut sauver tout le monde.

Des gens meurent parce que vous êtes arrivés trop tard ou parce que vous avez sauvé A avant B. Donc vous êtes déjà imparfaits par nature. Avoir des défauts ne vous rendrait-il pas plus humains? Un humain fait des erreurs. Un humain n’est pas tenu d’être parfait. Ce ne serait pas vous enlever de la pression sur les épaules? Miss Marvel et Carol Danvers ne sont pas mutuellement exclusives. Une ne remplace pas l’autre, c’est bien certain…

Ce que je veux dire c’est qu’en quelque part… C’est mentir, non? Et mentir, c’est mal. C’est tricher, aussi. Si je mets un masque et que je vole une banque, c’est que je veux garder mon identité secrète. Je peux être la plus généreuse mécène des arts sans mon masque, le masque cache qui je suis et je m’en sers pour faire quelque chose que je ne ferais pas à visage découvert. Dans ton cas, le masque est ton identité super héroïque, essentiellement.

Je… Ne sais plus trop où je voulais en venir. Juste que dans les mythes grecs et autres sont célèbres parce que les dieux ont des défauts humains. Personne ne veut d’un dieu si parfait qu’il est inaccessible, incompréhensible. Si super héros était vu comme… Un emploi… Et non pas comme c’est perçu actuellement… Ce serait mieux pour vous, non? On peut admirer un soldat mais on le laisse tranquille hors de son uniforme. »

Je ne sais pas si c’est logique et cohérent pour elle mais dans ma tête à moi, c’est clair. Peut-être qu’on gagne plus à connaitre Carol que Miss Marvel. Peut-être qu’en fait, même si Miss Marvel fait des choses héroïques, c’est Carol qui est capable de mieux connecter avec le commun des mortels… Car elle fait partie du commun des mortels dans son identité civile. Si les gens arrêtent de voir les super héros comme des êtres parfaits et infaillibles, peut-être qu’ils vont arrêter de demander l’impossible? Ce n’est pas juste pour eux d’être tenus à des standards impossibles. Il y aura toujours des gens qui ne pourront pas être sauvés. Et ce n’est pas par mauvaise volonté de la part des super héros, quoi que certains puissent en dire. Si vous voyez Batman aller à l’épicerie, si vous croisez Wonder Woman dans le métro, si vous voyez Superman dans son emploi de jour… Ultimement…

Je comprends le besoin de symboles. Mais les symboles ne devraient-ils pas plutôt être des idéaux? Quelque chose qu’on veut atteindre… Et non pas quelque chose d’impossible? Les chances statistiques que vous deveniez un super héros frôlent le zéro. Mais vous pouvez quand même être un héros. En étant une bonne personne. En étant responsable. En étant un modèle pour votre communauté… Il y a tellement d’exemples à prendre, c’est fou… Mais non. Il faut absolument que ce soit plus grand que nature et irréalisable. Pourquoi? C’est une question que je vais continuer de me poser pendant longtemps, j’ai l’impression. Si logique il y a, elle m’échappe entièrement. Ce n’est pas sain ou sensé de mettre tant de pression sur des gens au point qu’ils ont besoin de deux identités pour… Bien pour pouvoir exister, ni plus ni moins, je ne vois pas d’autres façon de le dire, en fait…

La conversation devenait finalement plus philosophique et politique que ce à quoi Carol pouvait s’attendre. Comme quoi, cette Déesse n’était pas totalement frivole. Elle indiqua à Carol que, selon elle, la quête de la perfection était un vain sujet, et que, pour se mettre moins de pression, les héros devraient plutôt songer à admettre leurs faiblesses. Carol sourit doucement en se pinçant les lèvres, baissant la tête, puis la releva vers Jeannie.

« Qui prétend être parfait ? La perfection, c’est l’apanage des Dieux, non ? L’idée, ce n’est pas d’être parfait, mais d’être un modèle, et une source d’inspiration. J’ai déjà pensé à ce que tu dis, Jeannie… Mettre fin aux super-héros, en faire des sortes de super-policiers. C’était tout le concept de la loi sur le recensement, et du Projet Initiative. Une belle idée, en théorie, à laquelle j’ai adhéré, parce qu’on ne peut pas négliger le risque que représentent des métahumains mal formés, inexpérimentés, qui se risquent à faire n’importe quoi. Mais j’ai compris que ça ne fonctionnait pas comme ça. Donner des gens comme nous aux gouvernements, c’est faire de nous des armes… Nous envoyer sur des terrains où on ne veut pas aller, ou nous refuser d’aller là où on ne veut pas aller. »

Carol reprit alors, en enchaînant sur autre chose, mais qui était pourtant le prolongement de cette discussion :

« Puisque tu parles de mythes grecs, connais-tu la controverse d’Antigone et du roi Créon ? C’est une pièce de Sophocle. Créon était le roi de Thèbes, et a refusé de donner des funérailles décentes à Polynice, qui avait attaqué Thèbes. Les lois de la cité interdisaient de donner des funérailles à un ennemi de la cité. Mais Antigone, la sœur de Polynice, ne l’entendait pas ainsi. Selon elle, les Dieux ordonnent qu’on doive enterrer les morts. Tu vois, c’est cette controverse qui définit l’antagonisme universel qui existe quand il s’agit d’appliquer la loi. Créon est l’incarnation de ce qu’on appelle le droit positif, c’est-à-dire le droit qui émane des hommes. Les textes, les conventions, les Codes… Antigone, elle, incarne le droit naturel… Ou jusnaturalisme, pour employer un terme savant. Un droit qui n’est pas écrit, qui repose sur des principes qui seraient supérieurs au droit positif, car le droit positif n’est finalement qu’une structure, une émanation temporelle appelée à évoluer. Mais le droit naturel, lui, serait éternel. C’est cette opposition qui a fondé pendant des siècles la légitimité de la religion sur le pouvoir étatique. Enfin… Je ne souhaite pas te faire un cours de droit. Ce que je veux que tu réalisés, c’est qu’un super-héros n’est pas là uniquement pour faire respecter la loi, mais aussi pour défendre des principes moraux, supérieurs à la loi. »

Il pouvait avérer que ces principes se heurtent aux règles de loi. C’est ce qui s’était produit lors de la « Guerre civile des super-héros ». À leur manière, Tony Stark et Steve Rogers avaient répété l’éternelle pièce de Sophocle, Iron Man incarnant un Créon moderne, et Captain America une nouvelle Antigone. Et, comme dans la pièce de Sophocle, où les décisions de Créon avaient conduit à un désastre (Antigone s’était suicidée, entraînant le suicide de son fils, Hémon, et de sa femme, ainsi qu’une révolte des habitants de Thèbes), les décisions de Stark avaient elles aussi été désastreuses, aboutissant à la fondation du HAMMER, et à la constitution des Dark Avengers.

« Donc, non, nous ne sommes pas destinés à être des soldats… Et je te dis ça en étant moi-même une soldate. J’ai servi en Afghanistan, j’étais une pilote au sein de l’US Air Force. J’ai adhéré à la vision d’Iron Man, de faire de nous des super-soldats, mais c’était une erreur, et on l’a douloureusement payé. »

« En quelque part, tu ne penses pas que c’est dangereux de dire : les super héros obéissent au droit naturel! Autant il peut y avoir des abus d’un côté, autant il peut y en avoir de l’autre. En se disant : nous obéissons à un droit supérieur aux constructions humaines en vigueur, vous pouvez, sous le prétexte de la moralité, justifier n’importe quoi. Il fallait éliminer cet individu parce qu’il représente un danger…

Dans la nature, en général, ce qui est mauvais est combattu. Le système immunitaire, par exemple. Si des globules blancs détruisent des cellules saines, est-ce qu’on blâme le… Zèle… De ces globules blancs? Non. Ils font ce que la nature attend d’eux : combattre la maladie, l’infection, le ce que tu veux. Et donc les cellules saines deviennent dommages collatéraux. Un sacrifice nécessaire pour que le corps survive. Appliqué à l’humanité…

J’ai déjà posé cette question et ce que tu avances vient amener un éclairage nouveau : si tu tues la Joker, multi récidiviste, cellule cancéreuse de la société, toi, globule blanc suivant le droit naturel, tu as fait ce qu’il fallait faire. Mais le droit positif ne l’entendra pas de cette façon. Le droit positif va dire que c’est un meurtre. Ce qui est vrai mais également une grossière simplification d’un problème bien plus complexe. Alors je me demande…

Qu’est-ce qui doit prévaloir? Le choix moral est de sauver le plus de vies possibles. En tuant le Joker, qui a prouvé à maintes reprises qu’il ne va pas se repentir, qu’il ne va pas changer, qu’il va continuer à changer, en l’éliminant lui, on peut sauver des dizaines, des centaines de personnes. Est-ce que c’est ce que tu es en train de dire? Que la bonne chose à faire, que la chose héroïque à faire, ce serait d’éliminer cette dangereuse menace?

En fait on peut regarder la chose d’un autre angle. Si Lex Luthor crée un robot et que ce robot est capable de penser par lui-même, chances sont que vous allez quand même le détruire car c’est une dangereuse arme de guerre. Si un criminel X crée une grosse bestiole méchante, vous risquez plus de l’éliminer parce qu’elle est dangereuse. Votre critère est donc : ce n’est pas humain ou humanoïde donc cela peut être éliminé sans problème moral.

Ceci étant dit, quand est-ce qu’un être humain arrête d’être un être humain? Quand est-ce qu’il devient un monstre? Quand est-ce qu’il devient acceptable de juste l’éliminer? Je sais, je sais, c’est philosopher… Mais les humains sont tellement pleins de contradictions que c’est extrêmement difficile de vous suivre. De comprendre votre raisonnement. Noir est noir sauf quand quelqu’un dit qu’il est blanc? C’est très vide de sens. »

Peut-être que Carol peut m’expliquer? Les explications de Power Girl sur un sujet similaire ne m’ont pas du tout satisfait donc… Peut-être que Carol, qui a connu cette guerre civile de super héros, saura combler les trous. Pas que PeeGee ne sait pas ce qu’elle fait, attention. Loin de là. Disons plus que je me demande qui va enfin se décider à tuer le Joker. Vouloir la mort de quelqu’un est techniquement mal, c’est vrai. Mais je ne suis pas certaine pour puisse parler de quelqu’un en mentionnant ce genre de monstre. Encore une fois : je peux me tromper. Je ne suis pas parfaite. Mais à mes yeux, il n’y a pas un million de possibilités. C’est très manichéen. Noir et blanc. Alors si c’est tellement simple, pourquoi personne ne fait rien? Si certains croient en ce droit naturel, pourquoi ils ne font rien? C’est encore plus confus pour moi. Il y a quoi là-dedans? Cinquante nuances de gris pour un même problème?

Carol n’aurait jamais cru devoir un jour ressortir ses vieux cours de droit. Pour devenir officier de l’Armée de l’air, elle avait dû aller à l’académie militaire, et le droit était l’un des apprentissages qu’elle avait dû faire, avec une introduction générale au droit. C’est à ce stade qu’elle avait entendu parler de cette controverse éternelle entre les « positivistes » et les « naturalistes ». Et, comme dans toute controverse historique, aucun des deux n’avait tort. Certes, le droit positif était le seul droit écrit, textuel, mais pouvait-on nier l’existence du droit naturel pour autant ? Ce concept resurgissait au sein de l’armée. Que faire quand un soldat reçoit un ordre immoral ? C’était plus ou moins ce que Jeannie évoquait quand elle expliqua que les deux pouvaient entrer en contradiction, et prit en exemple le cas typique du Joker. Carol la laissa parler, et introduisit une courte pause en demandant au serveur un autre mojito.

« Je dirais que, pour reprendre le cas spécifique du Joker, ce n’est pas à moi que tu dois poser la question. Je ne suis pas juge, Jeannie. Si Le Joker est envoyé dans un asile plutôt que dans une prison, c’est parce qu’un juge a décidé qu’il était pénalement irresponsable de ses actes, et l’a conduit dans un asile plutôt que dans une prison… Encore que, en ce qui concerne l’asile d’Arkham, la distinction ne soit pas si évidente. Je ne suis pas supposée rendre la justice, ni prendre la moindre décision politique. Alors, si tu veux connaître la réponse à cette question, tu n’as qu’à lire les minutes des procès concernant Le Joker, il y a d’excellents documentaires dessus. »

Est-ce que cela satisferait Jeannie ? Sans doute pas, mais c’était la principale réponse que Carol avait à fournir.

« Un super-héros, c’est juste un individu lambda qui a des super-pouvoirs, cela ne nous confère aucun statut particulier. Nous sommes des espèces de soldats jusnaturalistes, mais nous n’appliquons pas notre propre loi. Quant aux robots et aux monstres… Ce ne sont pas des êtres humains, mais, s’ils sont dotés de conscience, c’est différent. Enfin, tu manges bien de la viande, non ? Ou peut-être que tu es végane… Quoi qu’il en soit, notre rôle n’est pas de faire plus que ce qu’on doit faire. Je ne suis pas juge, ce n’est pas à moi de décider du sort des criminels. Sinon, il n’y aurait pas de juges, on laisserait les policiers administrer les sanctions… Et on voit ce que ça donne quand la police décide d’agir toute seule et d’appliquer sa propre loi. C’est plutôt à moi de te retourner la question, Jeannie… Pourquoi est-ce que ce serait à moi de décider du sort des super-vilains ? Au nom de quoi devrais-je me substituer à la volonté commune, à la décision des tribunaux ? »

« Oh la la, Carol, là… Je ne te suis pas. Tu présentes deux types de droits et ensuite tu parles de morale et ce code moral de super héros qui se substituerait à la loi qui n’est pas naturelle donc ce qui est la fondation de ce que la justice moderne utilise. Après, tu me dis que les super héros ne sont pas des juges, que ce n’est pas à vous de prendre la décision… Mais vous prenez constamment ce genre de décisions, en fait.

Si un super héros ne répond d’aucun gouvernement, car vous n’êtes pas des soldats ou des policiers et qu’il n’y a rien vraiment qui vous réglemente… Pourquoi dans ce cas est-ce que vous arrêtez des voleurs? Vous vous substituez illégalement aux forces de l’ordre dans ce cas? De la façon dont je le comprends… Vous semblez être au-dessus de toutes les lois, agissant où voulez… Quand bon vous semble… C’est un peu ce qui se passe, non?

Je n’ai jamais vu un super héros sortir un badge ou lire ses droits aux criminels qu’il neutralise. Ce qui renforce cette idée qu’un super héros est en fait un ensemble de contradiction où vous suivez la loi sans suivre la loi, où vous appliquez votre morale quand ça vous arrange et après vous ne voulez prendre aucune responsabilité. Si tu tues le Joker demain matin… C’est une médaille qu’on devrait te donner, pas une peine de prison.

Quelle est la différence? Le président des États-Unis déclare la guerre au terrorisme. Là c’est ok de buter n’importe quel terroriste présumé. Vous avez un concept de frappes préventives pour protéger ce pays. Si tu tues le Joker, tu adhères à cette logique. Le Joker comptait poser un acte terroriste en sol américain contre des américains. Pourquoi suivre la loi est juste bon quand ça vous arrange et quand ça ne vous arrange pas, tout d’un coup…

Votre morale devient supérieure au reste? Si le gouvernement dit : par la loi, tout super héros doit être recensé… C’est la loi. Mais il y en a un paquet qui ont refusé avec leur soi-disant morale. Alors pourquoi ces super héros devenus criminels n’ont pas été arrêtés? Pourquoi vous avez le droit à des exceptions et pas le commun des mortels? Et après tu viens me dire que vous respectez la loi, les décisions des juges et des jurys, tout ça?

Mais cela va plus loin que cela. Le constat qu’on peut faire est terrifiant. Au fond, être un super héros c’est envoyer des multirécidivistes dans des passoires pour qu’ils s’échappent, tuent encore et vous donnent du boulot. Vous vous rendez complice de leurs meurtres. Votre adhérence au respect des cours de justice quand, encore une fois, ça vous arrange, rentre en flagrant conflit avec la morale. La bonne chose à faire, c’est d’éliminer une telle menace.

Si quelqu’un a un cancer, est-ce qu’on laisse le cancer se développer parce que fondamentalement, le cancer n’a pas décidé d’être méchant, il est juste comme ça? Non! On le traite! On enlève les tissus cancéreux! Pourquoi vous ne faites pas de même pour protéger vos sociétés? Si quelque chose de corrompu, de pourri ne cesse de croitre… Enlevez le, il me semble que c’est simple! Je ne comprends rien à ton truc, en fait.

Je n’arrive pas à voir la nécessité de nuances. Le Joker tue. Peu importe qu’il soit fou, le fait demeure. Désolé madame, cet homme est fou, il n’a pas fait exprès de tuer deux cent personnes dans sa carrière. Vous y pensez, aux victimes? Où est leur justice à eux quand ils assistent, impuissants, à cette parodie de justice qui a lieu dans vos tribunaux? Parfois, noir et blanc suffisent amplement. Vous avez tendance à complexifier pour rien.

Ça ne prend pas un cours de droit pour voir quelque chose et dire : c’est mal! »

Je peux dire une chose avec la plus absolue des certitudes : je ne comprends RIEN à ce que Carol essaie de m’expliquer. Ça se contredit, c’est oui et non en même temps, on peut mais on ne peut pas, on doit obéir à une justice imparfaite mais on peut refuser de se recenser comme super héros quand la loi ne nous arrange pas… Ce n’est guère étonnant que cette planète soit un foutoir pareil s’il y a tellement de nuances que le système est abusé à fond… Après, j’ai une vision plus noire et blanche que la moyenne. Pour un génie c’est : tu exauces un vœu ou tu n’exauces pas un vœu. Il n’y a pas d’entre deux, pas d’ambiguïté. En tant que déesse, c’est pareil. Est-ce que je veux intervenir ou je ne veux pas intervenir. Il n’y a pas de oui si non ou de non si oui. Toute cette discussion me donne mal à la tête et va finir par jouer avec mon humeur… Et je n’aime pas ça.

Le repas se terminait, et Carol avait le sentiment de se répéter, ou que Jeannie, soit ne l’écoutait pas, soit ne comprenait pas ce qu’elle disait. Elle lui expliqua que les super-héros étaient hypocrites, qu’elle se contredisait… Encore une fois, Carol avait le sentiment curieux d’essayer d’expliquer à un enfant des choses nuancées. Face à elle, Jeannie raisonnait de manière binaire, très manichéenne, un raisonnement enfantin qui rendait effectivement assez difficile de comprendre les enjeux soulevés par Carol. La controverse d’Antigone et de Cléon n’avait aucune réponse précise, car, à leur manière, les deux avaient raison. Carol lui avait expliqué que les super-héros suivaient des règles supérieures à celles du droit positif, les règles fondamentales issues du droit naturel, mais cela ne leur permettait pas de faire tout ce qu’ils voulaient. Seulement, comment expliquer cela à Jeannie ? Elle revenait encore sur le fait de devoir tuer le Joker, et Carol fronça les sourcils :

« Alors, à titre personnel, je ne suis pas favorable à la peine de mort, donc ce n’est pas moi qu’il faut convaincre de la nécessité de tuer le Joker. »

C’était une première chose, et elle enchaîna ensuite :

« Ensuite, je te l’ai déjà dit, mais je ne suis pas juge, ce n’est pas à moi de décider du sort des criminels. Moi, je me contente d’aider la police à les capturer, et la justice fait ensuite son travail. De toute façon, l’État de New Yorek a aboli la peine de mort, donc le Joker ne pourra jamais être condamné à mort. »

C’était aussi simple que ça. Pour Carol, les choses étaient plutôt claires, son passé de soldate aidant à clarifier les choses, ainsi que son rôle. Elle était une super-héroïne, elle pouvait inspirer les gens, mais elle n’avait pas pour vocation de renverser la table, de changer le système, de dispenser la justice. Ce qu’elle avait essayé d’expliquer à Jeannie n’avait pas été compris par elle. Elle trouvait au contraire que la justice cherchait à complexifier des scénarii simples, et que le cas du Joker était évident. Ce n’était pas vraiment la position de Carol.

« Rien n’est simple dans le monde, Jeannie. De ton point de vue de Déesse capable de tout créer d’un claquement de doigts, tu trouves peut-être que tout peut se résoudre facilement, mais, dans les faits, c’est loin d’être le cas. Les choses sont complexes, et ce n’est pas à moi ou aux super-héros de résoudre les problèmes d’une société. Nous n’en avons, ni les moyens, ni la prétention, ni même le devoir. »

Carol avait fini son repas.

« Tu veux du dessert ? Moi, je prends un café. Après un repas comme ça, c’est indispensable ! »

Toyman eut au moins la décence d’attaquer à la fin du repas, mais il frappa alors que Carol buvait du café. Des soldats casse-noisette équipés de fusils jaillirent, et tirèrent sur les gens alentour. La première secousse amena le café de Carol à se renverser sur son chandail. Elle regarda Jeannie en fronçant les sourcils, mais celle-ci contesta alors toute implication dans cette attaque. Carol lui accorda le bénéfice du doute, mais il lui avait semblé qu’elle commençait à s’énerver. Avait-elle inconsciemment déclenché cette attaque ? Les citadins se mirent à partir en hurlant, tandis que Jeannie fila vers les toilettes. Carol, elle, choisit de s’élever dans les airs, et enfila son costume. Elle récupéra également son comlink des Vengeurs, et ne tarda pas à entendre un signal d’alarme :

« Alerte générale ! Le vaisseau-mère de la Légion Fatale a été repérée dans le ciel de New York ! Déploiement de tous les systèmes de sécurité, CECI N’EST PAS UN EXERCICE ! »

La Légion Fatale… Carol leva la tête, et fronça les sourcils en voyant effectivement, dans le ciel, une immense structure noire à partir de laquelle des tentacules métalliques monstrueux sortaient… Le Hall of Doom, quartier général de la Légion Fatale ! Carol eut à peine le temps de le réaliser cela qu’un éclair bleuâtre la percuta violemment au ventre. Le choc lui coupa la respiration, et la projeta en arrière. Elle heurta un toit, rebondit dessus, puis termina sa course en contrebas, en rebondissant sur une voiture. Des voitures de police hurlaient, sirènes dehors, les policiers canardant les soldats casse-noisettes de Toyman.

« Ms. Marvel ! Tu n’étais pas supposée couler une retraite heureuse avec ton vin, chérie ? »

Face à elle, Livewire venait d’arriver.

« Qu’est-ce que vous fabriquez ici ?
-  Désolée, chérie, mais t’es pas mon type pour faire la causette ! »

Livewire tendit sa main vers Carol, et tira une décharge électrique. Au même moment, Carol s’envola, et Livewire se déplaça alors, à la vitesse d’un éclair, pour frapper Carol au ventre, déclenchant une décharge électrique à bout portant. Carol s’envola de l’autre côté de la rue, et heurta un mur, provoquant la chute de plusieurs briques. Livewire l’attaqua encore, mais, cette fois, Carol tendit sa main, et absorba le tir électrique, puis le redistribua vers Livewire sous la forme d’un tir de photons. Son rayon lumineux frappa Livewire, l’envoyant sur le sol.

La situation était explosive, et Carol avait le sentiment que les choses ne faisaient que commencer…