The Multiversity

« Entendu, je serai la seule passagère à votre bord. »

C’était peut-être même mieux ainsi. Se retrouver totalement seule et coupée d’absolument tous les liens en rapport avec Noël. Oui, c’était surement la meilleure stratégie. Tout comme le fait de changer d’identité et de nom.

« Nikita ? Nikita. Oui, pourquoi pas. Va pour Nikita. »

Elle avait eu le réflexe de serrer le poing et de le menacer. De quel droit lui donnait-il le sobriquet de « Princesse » ? Est-ce qu’elle ressemblait vraiment à ses anorexiques aux cheveux longs et blonds ? Est-ce qu’elle avait besoin d’une espèce de machiste en armure pour la délivrer du haut de sa tour ? Et puis, Mrs Claus, non, Nikita, décida que c’était peut-être aussi important. Aussi important que le changement de prénom et la pensée de bientôt être vêtue d’un Perfecto.

*Tout reprendre à zéro. Se faire sauver par mon espèce de prince des étoiles. Puis je dégommerais le dragon moi-même et à mains nus. Et m’emparerais ultimement de tout le royaume. Ouais. A partir de maintenant, je crois que je vais embrasser l’image de la guerrière viking. C’est le parfait opposé à la bureaucrate que j’ai toujours été. *

Chacun suivit son chemin. Ulrik et la préparation à repartir. Nikita et l’annonce qu’elle devait faire pour tous les prévenir qu’elle partait. Autant dire que cela provoqua un sacré raffut dans le Chalet. Et qu’allait-il fait sans Mrs Claus ? Et comment retournerait-il sur Terre ? Et est-ce qu’il fallait chercher à repartir sur Terre ? Et peut-être qu’il pourrait bricoler le Chalet pour l’équiper d’une sorte de système pour naviguer ? Et ci ? Et ça ? Et ce truc ? Et machin ?

Petit à petit, Nikita réussit à faire accepter à la majorité son départ. Et son probable retour à une date indéfinie. Elle désigna une sorte de petit groupe de lutins qui lui paraissait assez fiable à ne pas détruire le peu qui restait. Des lutins qui individuellement étaient de véritables fouteurs de merde. Mais collectivement, elle savait qu’il en serait autrement. Donc la grande scène du départ avait été joué. Et Nikita retourna voir Ulrik dans son vaisseau. Elle avait quelques questions pour lui.

« Ok, Capitaine, il faut qu’on parle un peu. Je suppose que même si nous allons partager les ressources du vaisseau, nous aurons chacun notre vie privée, oui ? Où est-ce que je vais dormir ? Où se trouve la douche et les toilettes ? Et est-ce que je peux compter sur vous ou est-ce que je dois me méfier d’un système de surveillance qui vous permettra de lorgner votre nouvelle Princesse, baroudeur ? »

Nikita se laissa tomber dans le siège du copilote et grimpa ses pieds qu’elle croise sur le tableau de bord. Tout ce bordel de cockpit, de boutons, de cadrans et de données lui était complètement inconnu. S’il devait y avoir un problème, une avarie ou une catastrophe : ils seraient sacrément dans la merde. Est-ce que ça signifiait qu’elle devait apprendre à voler dans un vaisseau spatial ? Peut-être.

Tandis que «Mrs. Claus « Nikita » annonçait aux lutins qu’elle allait partir, Ulrik retourna au vaisseau pour le préparer. Celui-ci avait été remis sur pied. Il rangea un peu la soute, puis planifia ensuite les coordonnées, et fit chauffer les moteurs. Les diagnostics donnèrent une conclusion positive. Ulrik sortit ensuite, et tira une cigarette, la fumant en attendant que la géante en muscles revienne. Quand ce fut fait, ils se retrouvèrent dans le cockpit. Le bourlingueur pouvait sentir l’émotion de la femme, le fait de changer de vie, de tourner la page. Elle finirait sûrement par retrouver ses lutins et sa maison, mais qui sait quand ? Et où ? Le Chalet serait-il toujours là quand elle reviendrait ? Ou les lutins parviendront à le ramener sur Terre ? Quand elle lui posa ses questions, il répondit rapidement.

« La vie dans un vaisseau est assez exigu. Il y a un salon au fond, au-dessus de la soute. J’ai une machine à café automatique, un compartiment froid, et de la bouffe. Pour le reste, le vaisseau comprend deux chambres. Les toilettes et la salle de bains sont dans la même pièce. »

Ce n’était clairement pas un palace, Ulrik disposait d’un vaisseau assez petit. Il y avait également des conduits de maintenance. Ulrik ne les utilisait pas, il était trop gros pour y aller. Il disposait pour cela de drones et de robots télécommandés quand une intervention manuelle était nécessaire. Ulrik fit signe à Nikita de venir au cockpit, et démarra les moteurs.

« Okay… On décolle. La cargaison que j’ai eu doit toujours être livrée… Vous voyez cet écran central ? Il permet de contrôler l’état du vaisseau, mais aussi de planifier des voyages. Tout est automatique une fois que les moteurs atteignent la vitesse supraluminique. »

Le vaisseau se déplaça, et quitta rapidement le Chalet. Aucun problème, il n’y avait pas beaucoup de gravité. Ils filèrent rapidement dans l’espace. Ulrik se laissa porter, et planifia la vitesse. Le vaisseau fusa ensuite, et, comme dans un film, l’espace tout entier devint blanc, les étoiles au loin s’étirant pour ne former qu’un écran blanc.

« Bon… Un peu de physique, si vous le voulez bien. Le temps et l’espace sont des notions liées. Vous connaissez le test des deux horloges ? Si vous déplacez deux horloges tout autour d’une planète, avec une horloge au sol, et une horloge qui prend un avion, quand les deux horloges se retrouvent au même point, elles seront décalées. »

Le paradoxe des horloges, une manière simple de démontrer les liens entre le temps, l’espace, et la gravité.

« Si on applique ce raisonnement, si on se contente juste de voyager au-delà de la vitesse de la lumière, nous arriverions des siècles plus tard dans le temps. Pour compenser ça, l’ordinateur de bord du vaisseau effectue une série de sauts quantiques à travers la réalité. C’est le concept des trous-de-ver. »

Un trou-de-ver était un tunnel dans l’Univers, un trou noir qui absorbait la matière et la faisait ressortir à un autre bout de l’Univers. Avec une technologie avancée, il était possible d’identifier ces trous-de-ver, mais aussi d’en générer soi-même en allant au-delà de la vitesse de la lumière.

« Bref, tout ça pour dire qu’on va voyager pendant quelques heures. »

Ulrik s’extirpa du cockpit, et rejoignit le salon. Il y avait une table et un comptoir, ainsi qu’une télévision. Ulrik alluma toutefois la sono intégrée au vaisseau.

Plusieurs heures après, son vaisseau sortit de l’hyper-espace, se rapprochant de la planète où Ulrik avait rendez-vous.

La planète de destination d’Ulrik avait deux visages intriqués l’un dans l’autre. En somme, la réunion de forêts primaires et de lieux hautement technologiques.

Ulrik aurait le choix entre deux destinations. Soit un des quatre anneaux technologiques qui ceinturaient la planète. Soit la planète elle-même derrière sa protection ressemblant à un damier hexagonale holographique. Attention, si cette sorte de damier ressemble à une belle protection géométrique laissant passer la lumière : cela ne veut pas dire que tout peut rentrer ou sortir sans demander l’autorisation des anneaux super technologiques.


Légende : phénomène dit « d’aurore boréale » lorsqu’un vaisseau approche du damier hexagonal

Hypothétiquement, admettons qu’Ulrik traverse le damier hexagonal. Que verrait-il ? Un monde luxuriant et vert. Des montagnes recouvertes de manteaux de verdure. Puis des chutes d’eau naturel venant remplir des bassins cylindriques. Lieu de ralliement (sans concertation) des espèces autant humaines qu’animales. Et si on poursuit l’exploration, dissimulé des regards aériens et technologiques, dans des forêts de bambous se trouve des chemins faits de planches de bois.





Certains chemins conduisent aux Arènes. Des colisées de pierre dans lesquels êtres humains affrontent des monstres naturels pour obtenir reconnaissance auprès des Yeux-d’en-Haut. Car certains veulent s’extraire de leur vie rudimentaire pour s’élever. Autant du voyage de l’âme que de celui du corps pour vivre dans le confort qu’apporter une technologie absente de leur monde. C’est actuellement le cas de Rafaterra qu’on pourrait qualifier (pour simplifier) d’elfe. Ses yeux bleuissent tandis que du bout de son index, elle grave des symboles pour fixer la magie où elle se trouve. La bataille qui l’attend sera extrêmement difficile. La créature qu’elle va affronter d’ici peu étant une sorte de croisement entre un alligator terrien et un dragon imaginaire.




Observant depuis un anneau super technologique, loin au-dessus des nuages et de Rafaterra, une femme observe une dizaine d’écrans géants qui retransmettent la bataille à venir de l’Arène. Tout l’environnement autour de cette femme est d’un bleu-noir et d’acier. Une technologie qui a préféré les lignes courbes modernes aux cubes pratiques de l’industrie. Des entrelacs qui pourraient ressembler aux antiques pentagrammes courent dans le sol, les murs et le plafond. Mais ce sont des lignes de transmission d’informations qui clignotent de temps à autre d’une lumière bleutée informatique.

Attention tout de fois, si la description fait office d’une femme, elle fait effectivement référence à cette personne qui ressemblerait davantage à une ado voire à une enfant devenant une ado. Mais faites attention à sa posture. Regardez-la dans ses yeux. Ses tatouages technologiques qui lui donnent l’impression de porter des lunettes mettent en évidence une intelligence mature. D’ailleurs, ces tatouages technologiques sont en effet un ajout lui permettant d’accéder à différents spectres de vision. Comme l’infrarouge par exemple.


Légende : celle qui n’est pas un enfant. Son nom est Blue Fly

Il arrive tout de même que certains idiots pensent pouvoir exploiter Blue Fly. C’est pour cette raison que l’Assassin demeure toujours non loin. Avec un A majuscule. Sans identité et sans prénom apparent.

« Officiellement, c’est la planète XB-09. C’est l’une des premières planètes artificielles. Avant, il n’y avait rien. Ces anneaux que vous voyez autour de la planète ont servi d’usines pour terraformer cette planète=. Depuis lors, la planète a pris le nom des anneaux : Harmonie. »

Chaque anneau faisait partie de la Station Harmonie, et se différenciait par leurs numéros, du bas vers le haut : de Harmonie-01 à Harmonie-05. Harmonie-03 était au centre de la planète, formant une immense ceinture qui entourait cette planète luxuriante et verdoyante. La planète avait été créée ex nihilo, en générant un immense champ magnétique entre les anneaux dans lequel on avait installé les éléments centraux d’une planète, à savoir le noyau et les différentes particules du disque d’accrétion. Le temps avait été accéléré à l’intérieur des anneaux,  jusqu’à former une très belle planète.. Du moins, sur un côté. Une espèce d’énorme arbre stellaire recouvrait en partie Harmonie-03, et, à la base de cette grosse racine noueuse, la surface de la planète était grisâtre, sinistre, comme si un cataclysme avait eu lieu.

Ulrik expliqua à « Nikita » qu’il s’agissait d’une zone spéciale : les Terres Désolées, ou Interdites. Un endroit sous quarantaine.

« Les objets que j’ai ramassés doivent être livrés ici, à Harmonie-03. Je pensais initialement simplement à des épices,  mais je pense que les épices ne sont qu’un subterfuge, et que le vrai butin est le collier chthonien. »

Ulrik transmit ses codes d’authentification à la station, et reçut un ordre d’atterrissage sur un quai de Harmonie-03. Il se rapprocha donc, et se posa. À leur sortie, ils furent accueillis par l’un des Conseillers de Harmonie, Dopal.

« Bienvenue, Capitaine Ulrik. Vous… Nous n’avions pas été annoncés que vous seriez accompagné ?
-  Ne vous inquiétez pas, Nikita est… Ma stagiaire. »

Dopal n’appartenait pas à une race connue pour leur sens de l’humour. Il cligna donc à plusieurs reprises, se demandant si Ulrik était sérieux ou non.

« J’ai été chargé de vous escorter jusqu’aux appartements de Madame Blue Fly, si vous voulez bien me suivre… »

Blue Fly… La scientifique à la tête de tout ce bazar. Cette fois, c’était sûr : la commande devait venir directement de Blue Fly, et portait nécessairement sur le collier. Mais qu’est-ce que tout cela cachait ?

*Comment ça sa stagiaire ?! *

Garde du corps. Associée. Il y avait tant d’autres fonctions que Nikita aurait pu être. Et il avait fallu qu’il la diminue en l’abaissant à un grade ingrat de stagiaire… Avec ses muscles ? Avec sa taille de géante ? Avec sa poitrine généreuse ? Comment ce Dopal pouvait-il croire à un pareil stratagème ?

*Et si ?... Si Ulrik n’est pas un homme qui a un soucis d’imagination. S’il fait ce métier depuis longtemps, alors ça voudrait dire qu’il a improvisé et que… oui, ça pourrait être ça. Qu’en me diminuant de la sorte, on me sous-estime. Qu’on me prête moins d’attention. Oui, ça peut être ça. *

Les sourcils froncés, elle lui lança tout de même le genre de regard qui signifiait « il faudra que tu t’expliques là-dessus, tôt ou tard. ». Mais elle n’ajouta rien. D’abord parce qu’Ulrik travaillait et qu’elle était en somme rien de plus qu’une touriste. Mais aussi parce qu’il pouvait y avoir un réel danger. Si le collier était au centre de la conversation, Nikita en avait fait les frais avec son pauvre lutin…

Dopal s’arrêta devant une double porte puis se retourna vers Ulrik et Nikita.

« Je dois vous prévenir que Madame Blue Fly est actuellement en plein visionnage d’un match d’Arène. Soyez respectueux et silencieux. »

Puis Dopal finit par ouvrir les doubles portes, révélant tout d’abord les écrans géants qui retransmettaient un combat entre ce qui ressemblait à une elfe peu vêtue et portant bizarrement des morceaux d’armure. Un gamer Terrien aurait pu trouver ça normal. Quoi que quand même sacrément étrange, voire fou furieux pour se défendre face à un pseudo-dragon. Ce dernier étant particulièrement véloce malgré ses petites pattes.

« Ulrik, tu es en retard. »

Blue Fly n’avait pas tourné les yeux. Cette petite silhouette sombre, éclairée par tant d’écrans géants. Naturellement, et elle s’en voulut rapidement, Nikita se sentit une géante face à cette « naine ». Pouvoir attraper cet enfant par la peau du cou si tout partait en mauvais délire. Ca l’avait rassuré aux premiers instants. Puis elle avait entendu cette voix d’adulte sortie du corps de l’enfant. Et ses yeux avaient capté dans sa vision périphérique les longs cheveux roses. Presque fluo tant la couleur était vive dans cette pièce sombre.

« C’est déjà une première faute dans notre contrat. Ce sera donc un premier prélèvement sur la somme de ta récompense. J’ose espérer que ce sera la seule. Mais je ne vois que ce je crois. Je suis une scientifique, c’est tout à fait normal. Et il y aura double vérification au minimum de ta cargaison. S’il y a la moindre anomalie, ça fera le fruit d’un nouveau prélèvement. Alors explique-moi succinctement pourquoi ce retard. Et rassure-moi sur le fait que ma cargaison est toujours en parfait état, immaculée, prête à être livrée. »

Elle se retourna et ses yeux étaient définitivement ceux d’une adulte. Du genre intelligente. Et aussi impitoyable. Oui, plus Nikita la regardait, et plus elle pouvait sentir cette froide science qui l’entourait telle une aura. Après lui avoir jeté son regard, elle montra à nouveau son dos pour continuer à suivre la bataille. De nombreuses runes dans le sable de l’arène s’illuminait d’une lumière bleutée. Le déploiement d’un piège magique ?

Qualifier Mrs. Claus de « stagiaire » fit évidemment bondir celle-ci. Ulrik ne pouvait toutefois pas non plus raconter qu’elle était la femme de Père Noël, et qu’il l’avait récupéré sur un chalet flottant dans l’espace à la dérive ! Même lui avait encore du mal à croire à l’aventure qu’il venait de vivre. Il avait juste inventé la première excuse venue. Qu’elle le prenne mal, c’était à vrai dire le cadet de ses soucis ! Dopal lui avait bien dit qu’il allait rencontrer l’un des pontes de cette planète : Blue Fly.

Ulrik était assez surpris, ce qu’il ne manqua pas de faire savoir à Dopal tout en suivant ce dernier :

« Dites-moi, mon brave, est-ce coutumier de nous envoyer directement chez la patronne pour de simples épices ? »

Dopal ne releva pas la provocation évidente, se contentant de dire au duo de se presser. Ils rejoignirent ensuite la porte du bureau de Blue Fly… Ou, plutôt, de son studio de cinéma personnalisé. Assise sur un fauteuil, la naine fixait des écrans géants où avait lieu une retransmission d’un combat au sein de l’Arène.

Restant stoïque, Ulrik fit face aux accusations de Blue Fly.

*Tenace, pour une chieuse…*

Ulrik en avait toutefois vu d’autres, et la laissa parler. Quand elle eut terminé, il répondit donc :

« Eh bien, Votre Excellentissime, je ne suis pas un juriste ou une grosse tête bien pensante comme vous, mais je suis à peu près sûr que le contrat ne contenait pas de petites clauses évoquant un artefact eldrichtien dissimulé dans la cargaison que je suis allé chercher. »

Il poursuivit :

« Nous avons été attaqués par un putain d’Équarrisseur Cosmique, Votre Scientifissime. Cette saloperie a failli bousiller mon vaisseau, et elle traquait ce collier de merde. Alors, non seulement j’ai dû me poser en urgence sur un gros astéroïde pour réparer mon vaisseau, mais je me suis aussi foutu la honte de ma vie devant Nikita ! »

Ulrik se déplaça.

« En quoi des épices pourraient vous intéresser ? C’est ce collier que vous vouliez, hein ? Vous voulez en faire quoi, de ce machin ? Vous savez que les autorités galactiques rigolent pas avec ces saloperies cosmiques, hein ?! »

« Ulrik, attention ! »

Le baroudeur était occupé à défendre son commerce. Sa concentration centrée sur Blue Fly, l’Assassin en profita pour se mettre en mouvement. Ses mouvements étaient amples et silencieux. Avant que Nikita ait terminé de mettre en garde son « maître de stage », la lame noire dentelée communiquait le froid de sa matière en venant lécher la peau du cou d’Ulrik.

« Un pas de plus et ta tête tombe… »

« Merci, Assassin. Je pense qu’Ulrik ne fera rien de stupide. Il a compris la leçon. N’est-ce pas que tu as compris la leçon ? »

La « petite fille » se savait être en position de force. Tout dans son attitude et son sourire l’attestait. Mais il aurait fallu être fou pour persister dans cette voie. Ulrik ne l’était pas. Pas à ce point, en tout cas. Sinon, il n’aurait pas utilisé des pseudo-marques de politesse dans ses discours. Oui, ce devait être une forme d’ironie. Mais il n’allait pas parler à celle qui devait le payer comme s’ils avaient élevés des cochons ensemble. Il y avait évidemment une forme d’hypocrisie à respecter.

« Tu n’es pas si bête que tu en as l’air. Si j’étais uniquement une scientifique doublée d’une femme d’affaires, je devrais simplement demander à l’Assassin de séparer la tête de ton corps. Mais tu sais déjà que ce scénario a très peu de chance de survenir. Il y en a toujours. Le risque zéro n’existe pas. »

Blue Fly observa plus attentivement Nikita. Puis son attention fut attiré par ses écrans géants. L’elfe légèrement vêtue venait de remporter sa bataille face au pseudo-dragon. Elle était à bout de forces. Ensanglantée. La magie de son sort explosif couvrait la moitié de l’écran d’un nuage de poussière de sable. En retombant, tout comme la guerrière aux longues arrières, la perte d’un bras commença à colorer le sable de rouge.

« Il va falloir clore rapidement cette entrevue. Une nouvelle citoyenne va venir nous rejoindre. Enfin, si elle survit à l’opération chirurgicale qui lui permettra d’hériter d’un nouveau bras à la pointe de la technologie. Mais cela ne vous intéresse que très peu tous les deux n’est-ce pas ? »

Elle passa à côté d’Ulrik puis de Nikita, avec la volonté de sortir de cette pièce.

« Soyons concis. Est-ce que vous comptez me dénoncer aux autorités ? Je suppose que non et que l’appât du gain sera plus fort ? Ensuite, si vous êtes au courant pour ce collier, c’est qu’il a pris l’air libre. Faites-moi un rapport de ce qui est survenu. Vous comprendrez que la scientifique que je suis a besoin de collectionner un maximum d’informations pour mener ses expériences à bien. »

La situation semblait se compliquer. Ulrik ne savait pas grand-chose de cette Blue Fly, mais le coup fourré, il le sentait venir. Les artefacts eldrichtiens étaient redoutables, et faisaient l’objet de règlementations bien précises, du fait de leur dangerosité. Le garde du corps personnel de Blue Fly entreprit de menacer Ulrik, qui se figea sur place. Il sentait le froid de la lame contre sa peau, et des éclairs crépitèrent entre ses doigts.

« Vos expériences à la con, j’en ai rien à foutre… Tout comme ce collier de merde. Filez-moi mon fric, et je veux une augmentation. J’ai dû convoyer cette saloperie, et ce n’était pas de tout repos. »

Il sentit la lame de l’Assassin se serrer encore sur sa peau.

« Mais vous ne pouvez pas prendre ce risque, n’est-ce pas ? J’ignore quelles expériences vous comptez mener avec ce collier, mais vous risquez de le regretter. »

Un sourire espiègle traversa les lèvres de Blue Fly.

« Contrairement à vous, bourlingueur, j’ai un cerveau. Toute connaissance est maîtrisable. Avoir peur de ce collier, c’est être comme l’animal qui craint le feu parce qu’il ignore comment cela fonctionne. Mais vous avez tort sur un point. Je ne compte pas vous tuer. Vous et votre… ‘’Stagiaire’’… Vous ferez d’excellents cobayes.
-  Dans tes rêves, Princesse ! »

Ulrik posa sa main sur la cheville de l’Assassin, et diffusa alors des éclairs. Il sentit l’ennemi perdre l’équilibre, et Ulrik réagit immédiatement en sentant la lame s’éloigner. Sa tête partit en arrière, et frappa le visage de l’homme. Ulrik sortit alors de sa ceinture son pistolet, et visa le torse du garde du corps. Il allait appuyer sur la détente quand une onde de choc le projeta sur la gauche. Il glissa sur le sol, et se releva ensuite. Blue Fly avait tendu la main, utilisant sa technologie pour projeter une onde de choc. Ulrik vit son arme, près de lui, et bondit pour tenter de l’attraper… Mais son pistolet fila en arrière, attiré par un aimant. Ulrik se releva alors, et concentra des éclairs violets le long de ses doigts, qu’il tenta de projeter vers Blue Fly… Mais se reçut une fléchette dans le creux du cou.

Surpris, Ulrik sentit ses sourcils devenir lourds, les sensations s’estompèrent, et il tomba au sol, sentant tout son corps devenir lourd et inerte…

Nikita avait affronté des créatures puissantes. Et il n’y avait pas à remonter loin dans sa longue vie (dont l’espérance avait été augmenté grâce à la magie de Noël ; d’ailleurs, son visage ne portait-elle pas de nouvelles rides depuis le drame ?...). Elle avait affronté des adversaires puissants depuis l’apparition de la Baleine et de Bayonetta. Comment allait la sorcière ? Nikita se posait la question de temps en temps.

Mais aujourd’hui, alors qu’Ulrik lançait une série d’actions face à l’Assassin : Nikita sut que c’était une bataille perdue d’avance. Elle aurait pu ruer sur l’Assassin pour dominer l’homme de son corps bien plus musclé. A eux deux, ils auraient surement pu l’avoir. Même s’il était le meilleur de sa planète. Mais il y avait Blue Fly. Avec des inventions technologiques qui lui donneraient toujours l’effet de surprise. Sans compter qu’elle était sur son territoire. Et sur sa planète. Beaucoup trop d’obstacles au goût de Nikita qui finit par lever les mains en l’air quand Ulrik, lui, tomba au sol.

« Je me rends. »

« Une sage décision, madame la stagiaire. »

« Je ne suis pas sa stagiaire. »

« Bien entendu que vous ne l’êtes pas. Vous avez vraiment cru que j’avais pu gober ce stupide mensonge ? Je ne sais pas qui vous êtes. Mais vous n’étiez pas prévu. Sans compter que votre apparence a de quoi interpeller. Et puis… »

Blue Fly fit la moue avec son visage. Elle jugea avidement le physique de Nikita.

« Grande et puissante… Tss ! Oui, ça devrait pour servir pour combattre dans l’Arène. Assassin ! »

Nikita se retourna en ressentant les ondes hostiles de l’Assassin. Mais c’était une diversion. Blue Fly lui colla la même fléchette qui la fit s’écrouler au sol.
« Bon retour parmi nous. J’espère que tes rêves étaient agréables. Parce que la suite ne le sera pas. »

Nikita se trouvait debout, les mains serrées autour de barreaux. Ils se trouvaient tout deux dans une petite cellule de pierre. Le sol était de sable. Et au-delà des barreaux, il faisait beau et chaud. Il y avait une foule qui criait et qui huait. Il y avait aussi les cris d’une bête qui dévorait un humanoïde vivant…

Un soupir s’échappa des lèvres d’Ulrik. Il grogna en reprenant ses esprits, et constata qu’il était torse nu. On avait pris son pistolet, ainsi que son équipement. Devant lui, il y avait des barreaux, une cellule médiévale, et « Nikita », qui serrait les barreaux. Elle lui indiqua juste que la suite n’allait pas être agréable.

« Hmmm… »

Le bourlingueur massa l’arrière de sa nuque.

« Tu n’as pas idée… Cette folle joue avec des forces qui la dépassent. Même les Gordaniens n’ont pas voulu s’emparer de la technologie eldrichtienne. »

Ulrik se releva lentement, et s’étira. Il avait des courbatures ici et là, signe que leurs geôliers avaient dû le jeter là-dedans sans trop de ménagement. Il entendit ensuite les cris, les bruits, les vibrations d’une foule en furie. Une arène se trouvait là. Un bâton surmonté d’une charge électrique heurta les barreaux. Un garde en armure ricana en les faisant reculer.

« Le dragator est affamé, vous allez être un magnifique repas ! Essayez de tenir plus de deux minutes, que je remplisse mon pari… »

Le bourlingueur de l’espace soupira lentement. Un dragator… C’était le pire qu’on puisse imaginer ! Mélange monstrueux de dragon et d’alligator, les dragators étaient des aberrations génétiques, des mutations artificielles visant à créer des prédateurs super-apex. Celui-là était des plus redoutables, une bête sauvage et surpuissante. Ulrik avait l’impression de vivre un vrai cauchemar.

Une diode rouge s’alluma brusquement ainsi qu’une alarme qui se mit à résonner. La cage s’ouvrit ensuite, et plusieurs gardes se rapprochèrent, allumant leurs bâtons électriques.

« Allez, remuez-vous, les bibelots !
-  Elle est bien costaude, celle-là ! Le dragator va se régaler, hahaha ! »

Ils n’avaient pas le choix que d’avancer dans le tunnel. Ulrik resta à côté de Mrs Claus, et entreprit de lui dire le peu qu’il savait en la matière :

« Le dragator… Ses écailles sont très résistantes. Je peux l’électrifier en visant sa gueule, mais il va falloir bien viser, et que vous fassiez diversion… »

« Diversion ? Si on n’était pas tous les deux enfermés, je dirais que dragator ressemble à un nom de jouet pour petit garçon. Mais nous sommes enfermés. »

Avançant dans le tunnel, Nikita cherchait déjà une solution. Il y en avait plusieurs autour d’elle. Toutes ces armes électrifiées. Elles paraissaient à portée de ses bras musclés. Mais elle serra les mâchoires et ne tenta aucune manœuvre. C’était trop facile. Il devait y avoir un piège. Une sorte de bouclier invisible qui réagissait à la proximité d’une attaque ? Ou peut-être un système de surveillance dans les hauteurs du tunnel couplé à un piège dans le sol ? Elle n’en savait rien et ne tenta pas Krampus (bien que l’expression usuellement utilisée soit de « tenter le Diable »).

« Nom d’un lutin hyperactif ! C’est que je ne le voyais pas aussi gros. »

Nikita s’était attendue à une créature rampant au sol. A cause de son côté alligator. Mais la bestiole avait la taille d’un cheval. Un très bon, et du genre percheron. Sans compter l’affiliation dragon. Et il fallait qu’elle fasse diversion avec pareil monstre ? Sans la magie de Noël !

C’était probablement loufoque, un futur repas roulant des épaules pour les échauffer. Mais Nikita avait passé des heures et des heures à s’entraîner pour obtenir ce corps. Elle avait sué des litres dans la salle de musculation du Chalet. Un corps très performant. Mais un corps vieillissant également. Il ne démarrait plus au quart de tour comme avant.

Du sable. Uniquement du sable dans l’arène. Des murs qui les encerclaient. Un public protégé en hauteur. Et probablement par des moyens plus technologiques. Ou peut-être pas ? Ils n’étaient plus là-haut dans la Couronne. Ils étaient sur la planète. Une planète bien plus sauvage et « retardé » en terme d’évolution. Oui mais non. Il y avait la diode rouge dans la cellule. Et les lances électrifiées. Impossible de savoir à quel point la technologie les entouraient.

La mâchoire du dragator claque avidement ! Nikita n’avait plus le temps de réfléchir à une stratégie. Le viva de la foule accompagna la ruade du prédateur.

« Barre-toi ! »

La géante poussa le bourlingueur en appuyant sur son épaule à lui. C’était rustre. Mais c’était aussi une façon de lui dire qu’elle acceptait sa stratégie. Et il avait intérêt à se magner !

« Viens par là, toi ! »

Abaissant son centre gravité, Nikita donna l’impression d’être une lutteuse. Elle sentis distinctement l’haleine de carnivore. Très près. Trop près de sa tête qui esquiva le coup. Pour justement atteindre le cou. Celui du dragator en le ceinturant de ses deux bras muscles très musclés. Utilisant la vitesse et la force de son agresseur, Nikita donna une impulsion pour faire vriller. Et les deux tombèrent au sol.

« Ca ne va pas le retenir longtemps ! »

Le pire ? C’est que la foule se leva d’un seul homme pour donner une sorte de standing ovation à la sacrificiée. La beauté du sport, tout ça. C’était une belle prise qui les avaient tous surpris. Une femme ne luttait pas en un contre un, habituellement. La dernière, celle vu chez Blue Fly, avait incanté la magie par exemple.

Tout ça ne lui disait rien qui vaille, et il ne pensait pas juste au dragator. Non, si Blue Fly menait ses expériences sur la magie eldrichtienne, le dragator serait même le cadet de leurs soucis. Ils rejoignirent l’arène, marchant sur du sable fin et de la terre. Le dragator retourna sa gueule ensanglantée vers les deux visiteurs. Derrière eux, une herse métallique s’abattit dans un terrible grincement, comme pour sonner leur mort. Cette planète avait beau être très évoluée, certains divertissements étaient éternels. Nikita repoussa brusquement Ulrik, qui tomba au sol, provoquant l’hilarité du public, puis elle se rapprocha du dragator, qui souffla en se penchant vers elle. Il bondit ensuite avec férocité, et Nikita esquiva l’attaque. Se transformant en luchadore mexicaine, elle entreprit de ceinturer la gueule du monstre à hauteur du cou. Surpris, le dragator se mit à remuer, soulevant Nikita, qui retomba toutefois sur ses pieds.

Ulrik ne fit pas durer le suspens. Il s’était relevé, et des éclairs violets jaillissaient de sa paume. Il la rapprocha de la gueule du dragator, et lui balança une pleine décharge en bondissant vers lui, ce qui le renvoya au sol.

« Bouffe ça, saloperie ! »

Le tir bioélectrique laissa ses doigts tremblotants. Le dragator rugit, et bondit en arrière en battant des ailes, renversant Nikita, qui atterrit près du cadavre massacré et à moitié dévoré de l’elfe. Le dragator secoua sa gueule, puis cracha une gerbe de flammes vers Ulrik, qui bondit en avant. Les flammes léchèrent ses jambes, et il attrapa de la terre pour étouffer les flammes. Ulrik se releva ensuite, et le dragator bondit brusquement en avant, s’aidant de ses pattes et de ses ailes. Ulrik sauta alors en avant, et finit sous le corps du monstre. Il fila entre ses pattes pour sortir, et la queue du dragator fusa comme un horrible fouet. Le fouet le frappa au ventre, et propulsa Ulrik contre un mur. Il gémit en sentant le goût du sang dans sa bouche.

Il avait blessé le dragator, mais ce dernier n’était pas encore vaincu. De son côté, Nikita pouvait voir, à côté du cadavre de l’elfe, deux épées qui avaient été enduites. Elles luisaient, comme si l’elfe avait envisagé de renforcer ses lames, mais sans avoir le temps de les utiliser. Ulrik avait concentré l’attention du dragator sur ses éclairs, c’était donc à Nikita d’agir…

L’attaque électrique d’Ulrik devait tout de même avoir occasionné des dégâts cérébraux. Le monstre devait être secoué. Ce devait être la raison de son comportement. Du tir de flammes. Parce que Nikita croyait que ce pseudo dragon avait une capacité limitée de tir. Enfin, elle l’espérait. Il ne fallait pas que ce soit un coup du TGCM (« Ta Gueule C’est Magique »). Nikita voulait croire que c’était lié à la physiologie du dragator et qu’il devait contenir une espèce de poche de carburant non loin de son estomac.

*De toute façon, ce n’est pas ça qui me fera survivre. Ces deux lames, bien plus ! *

Bien sûr qu’elle s’en empara. Mais elle n’était pas à l’aise. Ses doigts n’arrivaient pas à trouver la bonne prise. L’elfe était un être longiligne dont sa stratégie reposait sur la souplesse. Nikita avec de grosses mains de culturiste et un style rendre-dedans. Elle grogna donc toute seule et serra encore plus fort sa prise. Après tout, elle avait l’habitude des épreuves difficiles et des maniements d’outils de musculation.

Elle attaqua ! En ligne droite pour faire un roulé-boulé au dernier moment et entendre un funeste claquement de mâchoires si proche d’elle. En se relevant, Nikita abattit les épées elfiques avec la grâce d’un bûcheron. Le style était sauvage. Mais l’efficacité bien au rendez-vous. La lame trancha de moitié une aile. Le dragator hurla sa douleur et tenta de faire un bond à l’aide de ses puissantes ailes. Mais le coup avait déplacé l’équilibre du monstre. Surpris, il s’écrasa par terre et donna une nouvelle opportunité à Nikita de trancher.

Mais le flanc du dragator était couvert d’écailles qui ne fit jaillir que quelques étincelles avant de renvoyer l’arme dans les mains de la « stagiaire ».

« Quoi ?! »

Un nouveau jet de flammes ! Nikita n’en revenait pas qu’il puisse encore tirer. Elle commençait même à croire que le dragator était une sorte de magicien et pourrait en lancer bien plus que prévu. Tout en esquivant, elle eut le réflexe de donner un coup avec son épée. Le choc de l’attaque passée, Nikita eut une nouvelle surprise. L’enduit sur la lame avait pris feu. Elle possédait une épée enflammée !

« Ulrik ! Tu veux une épée ? Je ne suis pas une foutue ambidextre de toute façon. »

S’il voulait l’épée, elle trouverait une façon de s’approcher de lui et de lui confier. Avec ou sans le feu en réaction sur l’enduit. Sinon, elle repartirait à l’assaut. Pour le moment, elle voulait seulement trancher la deuxième aile. Mettre à mort la bête viendrait dans un second temps.

*Foutu sable pas pratique pour se déplacer ! GRR ! *

Nikita s’empara des deux lames élégantes de l’elfe à moitié dévorée, et attaqua le dragator. Elle fit mouche, sectionnant l’une de ses ailes, arrachant à l’immonde bestiole un rugissement de douleur. Le dragator s’écarta, et Nikita tenta de doubler sa chance, mais heurta les écailles résistantes du dragator. Les lames de l’elfe ricochèrent dessus, et le dragator souffla sur Nikita, qui se protégea avec les lames en esquivant. Les lames de l’elfe s’enflammèrent alors, et elle demanda à Ulrik s’il en voulait une. Si elle n’était pas ambidextre, Ulrik n’était pas non plus un fin bretteur, mais il n’avait pas vraiment le choix. Faute de grives, on mange des merles !

« Allez-y ! »

Ulrik se rapprocha d’elle, tandis que le dragator s’était replié, du sang coulant de son aile. Il se concentrait toutefois, et projeta alors une plus grosse gerbe de flammes, entre lui et Nikita. Ulrik en fut surpris, mais, quand les flammes se retirèrent, il put récupérer l’épée. Juste après, le dragator bondit en avant, ciblant cette fois Ulrik. Il ouvrit sa gueule, et manqua la refermer sur Ulrik, qui se protégea avec l’épée. Il la plaça devant, et le museau du monstrueux monstre se fracassa dessus, renversant le bourlingueur. Il se retrouva couché au sol, et le dragator ouvrit encore la gueule. Ulrik crut voir sa dernière heure arriver en voyant cette bouche abyssale hérissée de dents triangulaires et pointues. Ulrik roula sur le côté, et évita les crocs de la bête qui claquèrent en se refermant dans le vide. L’homme se redressa ensuite, à côté de Nikita.

Le dragator se retournait déjà vers eux, et Ulrik frappa avec sa lame, heurtant la gueule du monstre. Surpris, le dragator recula, et la lame d’Ulrik se teinta du sang du monstre,  qui eut une estafilade sur son visage. Ulrik saisit alors l’occasion, et balança une nouvelle décharge bioélectrique de sa main. Le tir frappa la gueule du monstre, heurtant ses muscles, et il ouvrit la gueule. Ulrik vit là une occasion, et s’empressa de planter son épée contre la langue du dragator. La créature hideuse rugit encore, et referma ses crocs, coupant l’épée en deux, et recracha le morceau qui avait entaillé sa langue.

Cette fois, le dragator vomissait du sang, mais Ulrik s’était avancé. En plantant son épée dans la langue du monstre, il était proche de lui, ce qui permit au dragator de le frapper avec l’une de ses pattes avant. Les griffes lacérèrent son torse, et ce fut le sang d’Ulrik qui jaillit sur le sol. Il tomba encore au sol en se reculant. Plusieurs zébrures traversaient son ventre. Les plaies n’étaient pas trop profondes, mais la douleur avait éclaté en lui. Un fait notable était que, avec la langue coupée, le dragator ne parvenait plus à cracher de feu, car sa langue n’était plus protégée.

« Allez, tue-moi cette saloperie ! »

Une aile suffisamment entaillée pour compromettre son équilibre. Une langue ensanglantée l’empêchant définitivement de cracher son feu. S’il y avait une opportunité à saisir, c’était bel et bien maintenant. Cela n’empêchait pas Nikita d’avoir les mains poisseuses de transpiration. Encore une fois, elle s’essuyait rapidement les paumes et se la recouvrait de sable pour améliorer son adhérence à l’arme en feu.

« Je fais ce que je peux, je te signale ! Je ne suis pas une gladiatrice ! »

Si c’était une forme de discours d’encouragement, ça fonctionnait moyen. Lui annoncer des évidences était tout sauf productif. Ce qui n’empêchait pas le fait que Nikita devait se bouger le cul pour mettre à mort cette chose. Elle voulait arrêter de patauger dans ce sable qui la ralentissait et l’épuisait. Sans compter les grains de sable dans les yeux et s’invitant dans certains de ses vêtements à des endroits très peu propices.

Alors elle rua. Elle courut pour contourner la créature et se retrouver à l’exact opposé de l’homme blessé. Premier objectif : lui donner du temps pour se relever et s’éloigner du danger. Deuxième objectif : lui donner une opportunité d’achever le pseudo-dragon. Bien que l’idée de jouer l’appât ne lui plaisait vraiment pas.

« Il n’y a plus que moi qui peut utiliser tes flammes. Tu ne dois pas aimer ça, hein ! »

Nikita donnait des coups d’épées. La distance était bien trop longue pour espérer le toucher. Mais ça calmait ses ardeurs. S’il pouvait cracher le feu, il n’y était pas insensible. Preuve en était de sa langue coupée.

*Et alors ? Je le finis comment, moi ? *

Là ! Une opportunité. Dans le public, quelqu’un venait de lancer son… quoi ?! Un verre aurait été tout à fait approprié. Mais un gamin ?! Le dragator avait été distrait. Mais à quel prix ?... Sa mâchoire avait claqué dans l’air et attrapé l’enfant en plein vol. Le seul réconfort ? Il n’avait pas eu le temps de souffrir tellement sa mort avait été rapide. La gueule pleine de sang, la tête relevée, Nikita attaqua et planta son épée là où la peau était moins protégée. Par-dessous. Traversant une nouvelle fois la langue. Pour aller se planter définitivement dans son petit cerveau de saurien.

Le dragator s’écroula.

Il y eut un moment de flottement…

Puis la foule se leva d’une seule entité en gueulant !

Nikita se rapprocha d’un pas effrayant vers Ulrik. Elle lui tendit sa grosse pogne pour l’aider à se relever. La mort de l’enfant l’avait mis dans tous ses états. La rage bouillait en elle.

« Tu vas crever ou pas ? »

Froide. Insultante. Oui, Nikita pouvait l’être. On ne manageait pas le Chalet et ses innombrables lutins à coups de mots gentils et de rendez-vous coquins. Dans sa toute jeunesse, elle en avait profité, certes. Mais c’était le Père Noël qui commandait.

« Parce que je vais crever les enfoirés qui ont sacrifié cet enfant, qui piègent des innocents dans une fosse à mort et qui font ce qu’ils veulent de nous comme si nous étions des jouets. »

Ne lui laissant que peu de temps pour répondre, elle se rapprocha du dragator pour commencer une sorte d’autopsie. Elle voulait trouver sa poche à combustible et s’en servir comme bombe en la couplant avec son épée dont le feu brasait toujours.

La situation contre le dragator allait bientôt devenir le cadet de leurs soucis. Quand un enfant fut jeté en pâture au dragator, Mrs Claus vit rouge, et s’empressa de tuer le monstre, retrouvant alors un surplus d’agressivité, qui lui permit de tuer le dragator. Blessé, Ulrik se tenait le torse. Les lacérations restaient superficielles, mais il mit un peu de temps à se relever, tout en constatant la fureur de Mrs Claus.

« Je crois que tu n’auras pas grand-chose à faire pour ça… »

La foule était de fait surexcitée, et complètement déchaînée. Ulrik put voir un homme frapper violemment un autre, puis attraper ses cheveux, et fracasser sa figure à plusieurs reprises contre le siège en pierre. Un autre le frappa du pied. Même l’agressivité de Mrs Claus disait quelque chose.

« Blue Fly… Elle a utilisé le pendentif… Il était déjà bien chargé en ayant corrompu votre ami lutin… Les arènes comme celles-ci canalisent les émotions négatives, la colère et la rage. Nous sommes dans l’une des expériences détraquées de Blue Fly. »

Une expérience liée à ce pendentif et à l’énergie eldrichtienne infernale qu’il recelait. Des corps commençaient à tomber sur le sol. Ulrik se déplaça encore, se dirigeant vers l’une des portes. Les gardes n’étaient plus occupés avec eux. L’émeute dégénérait, devenant violente, sanglante. Un garde pointa son fusil-laser vers des citoyens, et leur tira dessus quand ils s’élancèrent vers lui, complètement enragé. Ulrik sentait une vive migraine dans sa tête, et la remua.

« Nous avons été exposés à ce pendentif, on résiste mieux qu’eux… Pour le moment. »

Avec le désordre général qui régnait, Ulrik se rapprocha d’un garde, et projeta sur lui des éclairs. Le garde s’écroula au sol, et Ulrik récupéra le fusil.

« Il faut qu’on se tire de là, j’ignore ce que prépare Blue Fly, mais je n’ai pas envie de crever ici ! »

Ce n’était pas sa rage ? C’était incompréhensible. Bien sur qu’elle lui appartenait. Elle était même tout à fait légitime après un pareil drame. Les enfants étaient les êtres plus précieux. Ils étaient porteurs de l’innocence. Sans eux, les adultes ne s’intéressaient plus à rien. Voyez comme tous se remettent à rire avec les enfants. Un adulte ne rit plus ou peu en vieillissant. Regardez comme l’adulte s’intéresse de nouveau à la vie en écoutant les questions philosophiques et intéressantes qui sort de la bouche de la vérité des enfants. Alors non, Nikita refusait de croire que cette rage était induite par la breloque de la mini scientifique.

« Je l’ignore aussi et je m’en fous. Tirons-nous d’ici, Ulrik ! »

Nikita abandonna son épée enflammée et… réalisa qu’elle avait tout voulu faire sauter. Oui, peut-être que le pendentif de la cargaison du baroudeur agissait sur son esprit. Ce n’était pas une bonne nouvelle. Elle ne voulait pas perdre le contrôle d’elle. Surtout après avoir passé tant de temps à la dérive. A la fois dans le Chalet, à la fois dans son propre univers interne. Alors Nikita troqua l’épée elfique contre un fusil laser.

« Je ne compte pas garder cette arme très longtemps. »

Rafale de tir de la part de Nikita pour mettre au tapis un énième garde.

« De ce qu’on a vu de tout là-haut, ce n’est pas la technologie de ce monde. Pas envie de passer le reste de ma vie à fuir. Pas plus qu’à tout dézinguer tous les jours ! »

Rien que pour l’emmerder, la vie lui fourra sur son chemin un petit groupe de spectateurs aux regards haineux. L’un d’eux avait la main complètement trempée de sang et… tenait un morceau d’intestin dans sa main. Nikita tira instinctivement. La peur de mourir d’un fou pareil. Puis ce n’est qu’en laissant un corps effondré par terre dans son sillage qu’elle commença à regretter.

« C’est quoi le meilleur plan selon toi ? On s’enfonce sous terre ? On rejoint ton vaisseau ? Peut-être simplement courir le plus loin possible pour s’éloigner de l’influence de cette merde démoniaque ? »

Mais… Nikita réalisait qu’elle ne pourrait peut-être pas faire ça. Fuir n’était pas le problème majeur. Laisser des adultes s’entretuer était un drame mais elle avait déjà vécu longtemps. Plus longtemps qu’un être humain normal. Nikita était en quelque sorte un être magique à avoir vécu sous le Magie de Noël depuis si longtemps. Mais laisser des enfants mourir sans qu’elle ne fasse rien pour essayer de les aider ? Ça, ça allait être impossible.

Le duo sortit de l’arène. Et la vision avait un quelque chose qui rappela les images de la Rome antique de la Terre. Très vite, une jungle luxuriante entourait le petit parterre de civilisation. Nikita réalisait seulement maintenant que ce n’était pas une forêt comme elle avait l’habitude d’en côtoyer. Celle-là était constitué de fleurs géantes. Ironiquement, ça lui faisait penser à une fleur du désert. A une plante grasse. Mais elle ne retrouvait pas le nom.

« Je te préviens Ulrik, peu importe ce que tu penses être la meilleure stratégie. Je compte bien récupérer la breloque que tu as transporté à ton insu, la réduire en poussière et probablement coller ma main dans la gueule de cette Blue Fly. Je ne laisserai pas des enfants mourir sans rien faire. »

Que faire ? Telle était la question ! Le duo était sorti de l’arène, pour débarquer devant une jungle qui semblait très profonde. D’énormes fleurs se dressaient ici et là. Ulrik vit également de nombreuses caravanes et échoppes marchandes qui avaient été installées tout autour de l’arène. La météo commençait à fortement se dégrader,  Mrs Claus annonça à Ulrik qu’elle comptait récupérer ce médaillon et mettre fin à l’expérience malsaine de Blue Fly. Ulrik ne répondit pas immédiatement. Il regardait le ciel. Le temps était recouvert d’épais nuages qui commençaient à se regrouper, formant une espèce de maelström concentrique. C’était une tempête particulière, et, à chaque éclair qui illuminait le ciel, d’énormes tentacules noirâtres apparaissaient en surbrillance :


Ulrik sortit alors de son mutisme :

« Il faut aller au lieu du rituel… Si on veut stopper ça. »

Comment trouver ce lieu ? Ulrik estimait qu’il ne devait pas être très éloigné, cela semblait logique. Tout ce chaos était parti de l’arène, il était donc logique que Blue Fly ait tout calculé. À ce stade, retrouver le vaisseau d’Ulrik était même tout à fait secondaire, car son vaisseau ne risquait pas d’aller très loin avec une telle tempête, et il n’avait aucune envie de le faire passer à travers ce maelström aérien.  Ulrik estima rapidement qu’il leur faudrait un point de vue en hauteur, et se dirigea vers le parking de l’arène. Même si Blue Fly semblait aimer l’exotisme et les jeux antiques, la technologie de la planète impliquait quand même l’existence de ressources technologiques modernes, comme des routes, et donc des voitures.

Le parking offrait une véritable débandade. Les spectateurs de l’arène qui n’étaient pas encore marqués par l’influence des Grands Anciens fuyaient rapidement, se précipitant vers leurs voitures, puis sortaient à toute allure. Ils étaient poursuivis par d’autres personnes transformées en espèce de zombies furieux. Ulrik en vit un courir vers une voiture, tenant dans chaque main des essuie-glaces. Plusieurs hélicoptères de sécurité ne tardèrent pas à survoler la zone, ainsi que d’autres véhicules de sécurité, qui se mirent rapidement à tenter d’encercler l’arène. Des éclairs supplémentaires zébrèrent le ciel, fauchant les hélicoptères. Un éclair frappa ainsi l’un d’entre eux, enflammant le rotor. L’hélicoptère se mit à tournoyer comme une folle toupie, et se fracassa contre l’arène, provoquant une vive explosion.

« Tant pis pour la voiture, sortons d’ici à pied ! »

Les soldats qui descendaient des voitures étaient des robots, moins corruptibles que les humains.

« Cette zone est sous quarantaine ! Vous n’êtes pas autorisés à sortir ! » rugissait la voix mécanique d’un robot à travers un haut-parleur.

Ulrik et Mrs Claus filèrent vers un sentier qui montait à travers la jungle, cherchant à éviter les robots de défense… Qui étaient visiblement surtout là pour contenir les spectateurs transformés en monstres. Ulrik n’avait pour l’heure aucun plan, il se contentait déjà d’analyser la situation… Et de réussir à survivre., le temps d’en savoir plus.

Découvrir les énormes tentacules noirs dans le ciel avait été comme un coup de massue pour Nikita. Ça la ramenait au Chalet et à l’épisode de la baleine cosmique. Elle avait beau essayer de se convaincre que c’était dans une autre vie. Qu’aujourd’hui elle était Nikita avec Ulrik, et non Mrs Claus avec Bayonetta. Le choc était bel et bien présent.

Alors Nikita avait fui en sortant de la ville, suivant le pas d’Ulrik. La pente devint vite dure. C’était parfait. Ca permettait à Nikita de se concentrer sur l’effort physique. Quand enfin ils s’arrêtèrent, ils avaient une nouvelle vue sur les événements en ville. Et s’il y avait un capital beauté, elle s’en fichait. Elle n’avait pas la tête à se faire avoir par un piège à touristes.

« J’en ai marre ! A quoi ça me sert de changer de prénom et de partir en exploration sur une autre planète si c’est pour manquer mourir et ne pas pouvoir sauver des enfants ! »

Nikita était en colère.

« A quoi ça me sert d’avoir autant de muscles si c’est pour les utiliser à fuir, hein ! »

Non, ce n’était pas de la colère. C’était davantage. Elle était furieuse.

Elle se rapprocha d’un pas semblable à celui d’un taureau chargeant. Mais, si elle se rapprocha ainsi d’Ulrik, elle ne lui fit pas de mal.

« Je pourrais continuer longtemps sur l’absurdité de ma vie ! Bordel, mes gros seins sont aussi inutiles que mes gros biceps. Je suis dépossédé de mes responsabilités envers le Chalet de la vie de tous les lutins de Noël. Alors pourquoi est-ce que je ne m’amuse pas ? Pourquoi je me sens toujours autant reliée par des chaînes, hein ! »

L’index tendu, elle le planta en plein milieu de la poitrine du baroudeur. Elle avait hésité un instant à poser son poing mais avait changé d’avis. Elle ne voulait pas coucher l’homme à terre au risque de lui briser quelques cotes.

C’était injuste. Mais elle utilisait Ulrik comme d’un punching-ball. Elle était bien consciente qu’il ne pourrait pas répondre à ses questions existentielles. Tout ce voyage était une connerie. Au lieu d’affronter une situation, elle avait fui. Ce n’était pas son genre. Et peut-être que… est-ce qu’elle était manipulée par l’artefact ? Ou est-ce que c’était tout ce qui était accumulée en elle depuis des décennies qui ressortaient ? On disait que c’est plus facile de déballer sa vie à un inconnu. Ça semblait marcher d’une façon identique en se trouvant dans un lieu inconnu.

« Tu vas me laisser gueuler toute seule comme ça longtemps ? Le pire, c’est que ça n’arrive même pas à me défouler ! »

Elle était sous le choc. C’était compréhensible. Devant eux, le monde était en train de se disloquer. Ils avaient rejoint un point en hauteur, un promontoire servant visiblement d’aire de pique-nique. Une étonnante ville se dressait devant eux. Une cité gargantuesque s’étalait au sol d’un cratère massif sur lequel on avait installé des structures, et où une partie de la ville venait de s’élever, sous un dôme protecteur. Ulrik n’avait guère le temps d’y songer, car « Nikita » était sous le choc, et déversa sa frustration sur la seule personne qui était capable de l’endurer : lui-même. Il resta donc silencieux au début, la laissant parler, exprimer sa légitime frustration.

« Je suis pas un putain de psy, grommela-t-il. Blue Sky est impitoyable, elle se prend pour une Déesse. Les gens qui sont ici ne sont que du bétail pour elle, des putains d’expériences pour ses projets de tarée. »

Si elle cherchait un confident, elle était plutôt mal tombée avec quelqu’un comme Ulrik. Il se déplaça lentement, observant la ville au loin.

« Tu t’attendais à quoi au juste, en me suivant ? À sauver la Galaxie et toutes ces conneries ? Je ne suis pas un héros, et toi non plus, ma jolie. On n’est pas venus ici pour sauver ces gens, ce n’est pas notre rôle, et nous n’en avons pas le pouvoir. Blue Sky est une dictatrice, mais ils acceptent aussi cette situation. Si ce n’était pas le cas, ils auraient fui… »

Ulrik était bien placé pour le savoir, lui qui avait déserté les forces de Gordan.

« La vraie question que tu dois te poser, ma grande, c’est savoir d’où te vient ce complexe de la sauveuse. Qu’est-ce qui te complexe au point que tu doives te dire que ton rôle est de défendre la veuve et l’orphelin ? Je ne connais rien à votre tradition de Noël, ni à ce que toi et tes petits copains vous faites dans l’espace, mais… Je pense que ta place n’est pas ici, ainsi que celle de tes lutins. Ces enfants… Ils étaient condamnés, de toute manière. Ce n’est pas la première fois que Blue Sky fait ça… Terraformer ce monde, construire et défaire des civilisations, c’est ce qu’elle fait ici. Ce monde était déjà foutu dès le début. »