The Multiversity

Ellänia sourit doucement, et, surprenant sans doute Shad, elle alla… Lui caresser les cheveux. Elle tapota même celle-ci, avant de lui sourire.

« Crois-en mon expérience, si des goules sont là, c’est qu’il y a un accès à l’Outreterre… Comment crois-tu que les cryptes se remplissent de goules ? Elles creusent depuis les profondeurs, et remontent ainsi en perçant des trous. Pour les gens de la surface, ces ouvertures sont très difficiles à repérer, mais plus pour moi. Et puis, il est fort possible que le passage que j’ai emprunté ne soit plus accessible. »

L’elfe se déplaça rapidement, et trouva un autre angle, longeant la zone dangereuse. Les goules continuaient à dévorer les cadavres, se disputant parfois entre elles. Cherchant un angle d’attaque, Ellänia se dissimula derrière une souche d’arbre, et avisa deux goules éloignées. Elle sourit alors.

« Tu vois, les Drows ont examiné les goules. Il y a eu des autopsies, des examens cliniques, magiques, pour essayer de comprendre leur fonctionnement… Ce sont des créatures décérébrées, qui se déplacent en meutes, n’ont aucune race alliée, ni leader apparenté. Prépare-toi, ma petite Louve, à enflammer mes flèches. »

Elle avait un arc elfique très précis, avec un double support en bois, et visa donc, armant deux flèches. Grâce aux cordes et au double support, elle pouvait faire ça. Elle retint ensuite son souffle, et, quand elle relâcha la pression, les pointes s’enflammèrent. Les flèches filèrent à toute allure, et firent toutes les deux mouche, transperçant les crânes des deux goules, avant que le feu magique ne les enflamme.

L’odeur de la chair calcinée ne tarda pas à attirer les goules, et Ellänia se déplaça encore, sortant de sa ceinture une bombe, un explosif incendiaire, une Ruche. Elle fit signe à Shad de rester prudemment derrière elle, et le duo s’abrita derrière un arbre renversé. Les flammes attirèrent plusieurs goules, qui grognèrent lentement, formant une troupe compacte. Ellänia les observa à nouveau, brièvement, puis enflamma la Ruche. Elle la lança ensuite, et la bombe explosa au milieu des goules, en tuant plusieurs.

Réalisant qu’elles étaient attaquées, les goules hurlèrent alors, et Ellänia se redressa alors, puis décocha une flèche supplémentaire, touchant une autre goule.

« Allez, Shad ! Couvre-moi ! »

Sous sa forme lycane, elle était largement à même de lutter contre quelques goules, a fortiori avec le soutien d’Ellänia !

Les goules étaient furieuses, sentant qu’elles étaient menacées, elles s’étaient comme un seul homme vers les deux femmes, hurlantes, de la bave s’éjectant de leurs gueules putrides.  Elles n’étaient pas assez intelligentes pour attaquer de concerts et surtout de manière organisée mais il ne fallait pas négliger leur nombre et surtout le fait qu’il était impossible de prévoir toutes leurs attaques. N’ayant aucun plan défini, l’aléatoire était donc de mise, même si pour la plupart du temps, les goules se contentaient de courir droit vers leurs cibles. Les flèches fusaient vers les créatures et la Louve les enflammait à chaque fois, dirigeant également certaines de ses attaques vers des goules qui seraient passées au travers des flèches. L’Okami bondissait vers les monstruosités, les saisissant dans sa gueule et les secouaient vivement, éjectant ici et là des morceaux décharnés.

Les goules n’étaient réellement pas une menace quand on était préparé à les affronter et les quelques survivantes finirent rapidement soit à l’état de cendre, soit en charpie, éparpillées ici et là au sein des ruines. Les flèches de l’elfe qui pouvaient être récupérées le furent et remises de nouveau dans le carquois. La Louve porta son regard vers la fameuse crypte. Nul doute que certaines goules y seront également présentes mais cela ne serait pas une surprise, non la surprise, ce serait elles, elles qui les surprendraient. S’avançant vers l’endroit du dit bâtiment, l’hybride nota rapidement qu’elle aurait de la difficulté à passer, petit souci de taille. Qu’à cela ne tienne ! Shad reprit simplement sa forme usuelle et s’engouffra dans le bâtiment en compagnie d’Ellanïa. Comme elles avaient pu s’en douter, des goules y étaient également présentes mais entres les flèches de l’elfe et les flammes de l’hybrides, elles ne furent qu’une simple formalité.

« Par ici ? »

Questionna avec surprise la Louve qui, elle devait bien l’avouer, ne voyait aucune trace d’un quelconque passage ! Mais Ellanïa l’avait pourtant bien prévenu : les gens de la surface avaient du mal à voir ces « chemins » ; il n’était guère étonnant que peu parvenait à se diriger dans ses royaumes souterrains, même elle serait passée à côté sans savoir qu’une route y était présente ! Il ne restait à présent plus qu’à le traverser et également se préparer aux créatures vivantes ici-bas. Ellanïa l’avait prévenu : les goules n’étaient que du menu fretin face à certaines bêtes rôdant dans les profondeurs de l’Outreterre. Et puis après, il allait falloir atteindre le palais royal sans attirer l’attention, par chance, l’elfe devait bien avoir quelques passages pour éviter la population !

Et pendant ce temps les troupes Olympiennes et de la Reine Banshee continuaient leurs assauts, mettant à rudes épreuves les différentes défenses et les derniers survivants…

Le combat contre les goules fut aussi intense que bref. Ellänia constata ce qu’elle avait déjà eu l’occasion de remarquer, à savoir que la Louve était forte, tant sur un plan physique que purement magique. Elle se défit sans la moindre difficulté des goules, enflammant les redoutables flèches runiques d’Ellänia. Sous l’effet du feu, les flèches devinrent de dangereuses flèches explosives, qui vaporisèrent les goules. Après quelques instants, la bataille se termina donc, et Shad inspecta l’entrée du bâtiment. Ellânia ignorait encore précisément de quoi il s’agissait, mais comprit vite qu’il devait s’agir d’une ancienne chapelle, vu la présence d’une crypte. Les ruines étaient de plus trop petites pour soupçonner un manoir.

À l’intérieur de la crypte, elles repoussèrent quelques goules supplémentaires. Ellänia remplaça son arc par une dague, et trancha les goules, cet espace clos se prêtant davantage au combat au corps-à-corps. Shad se battit également, et le duo continua à s’avancer dans la crypte. Celle-ci était assez petite, et l’elfe sourit doucement, amusée, quand la Louve avoua ne voir aucun passage.

« Je dois t’admettre qu’il m’a fallu du temps pour les repérer. En fait, la difficulté est surtout que les grottes sont plutôt labyrinthiques. »

Fort heureusement, Ellänia disposait d’artefacts drow pour l’aider, et sortit de sa besace une sorte de coquillage qu’elle colla contre son oreille. Comme un enfant mettant un entonnoir contre son oreille pour entendre la mer, Ellänia, elle, percevait d’indicibles sifflements, et s’en servait pour se diriger. Le duo se rendit ainsi dans un couloir, face à un mur un peu plus faible que les autres. L’elfe posa sa main sur des fissures, et appuya un peu, jusqu’à forcer le passage. La fissure s’élargit alors, et elle donna un solide coup de pied, révélant une pente qui descendait.

Nyctalope, l’elfe s’avança, tout en recommandant à Shad d’être prudente. La pente était importante, et le plafond dangereux, avec des stalactites qui pendouillaient ici et là.

« Dépêchons-nous, les Mijakiens ne tiendront pas éternellement ! »

Elles continuèrent à descendre, et Ellânia continuait à se repérer. Comme elle l’avait annoncé, en-dessous, c’était une structure labyrinthique, sombre, poussiéreuse, avec de multiples galeries. Si le silence était de mise, on entendait régulièrement des grognements, des grondements. À plusieurs reprises, elles affrontèrent des créatures nécrophages, comme des putréfacteurs, qui avaient la fâcheuse tendance d’exploser en des gerbes d’acide quand on les tuait.

Le duo se rapprocha finalement d’une nappe phréatique.

« Les rivières souterraines forment les veines de l’Outreterre, Shad. En les suivant, on rejoint l’Outreterre. »

Elles continuèrent leur route, rejoignant parfois d’immenses grottes. Face à une cascade, Ellänia trouva un promontoire rocheux, et y enroula une corde elfique, segmentée de runes, et descendit en rappel, avant d’inviter Shad à la suivre. Une fois en contrebas, Ellänia siffla ensuite une brève mélodie elfique, et la corde se défit d’elle-même. Nul doute que, sans ce guide, la Louve se serait perdue, et aurait erré à l’infini dans ces endroits sinistres et lugubres.

L’elfe continua donc, sans inquiétude. L’air se faisait plus lourd, plus épais, tandis qu’elles continuaient à descendre. Elles arrivèrent finalement à une sorte de trou, un puits qui semblait sans fin. Grâce à son coquillage, Ellänia identifia l’une des « portes » menant à l’Outreterre.

« C’est par là. Il faut descendre dans ce trou. »

Elle s’attacha avec la corde elfique, et invita Shad à se cramponner à elle, puis descendit ensuite, prudemment. Le trou semblait particulièrement lugubre, mais il n’y avait aucun monstre… Et, tandis qu’elles descendaient, d’étranges lueurs phosphorescentes résonnèrent progressivement en contrebas.

En contrebas, les miracles de la Nature et de cristaux phosphorescents avaient permis l’émergence d’une forêt de champignons géants ! Ellänia se posa sur l’un d’eux, et siffla encore. La corde elfique tomba ensuite, et elle prit plusieurs minutes à l’enrouler à nouveau. L’elfe fronça ensuite les sourcils, et agrippa son arc, puis décocha alors une flèche, qui transperça une énorme araignée rouge sur une paroi. Une araignée-caméléon, car la couleur de sa peau avait imité celle du décor, prenant une teinte rouge vive quand l’elfe l’avait transpercé.

« Méfiance, Shad, les monstres qui se trouvent ici sont redoutables… Mais je te souhaite la bienvenue à l’Outreterre ! »

Maintenant, il fallait aller jusqu’à Streeaka…

« Charmant… »

Fut la réaction de la Louve face à l’araignée caméléon. Durant toute sa progression pour arrivée jusqu’à cette étrange forêt de champignons géants, Shad avait bien entendu pu noter qu’il lui serait très difficile de retrouver son chemin à travers un tel dédale. De plus, rien ne lui garantissait que ces derniers demeuraient fixes. Certes elle pouvait encore retrouver son chemin en remontant leurs odeurs mais là encore aucun moyen de savoir combien de temps elles demeureraient dans l’air ambiant. Autant dire qu’elle devait parfaitement avoir confiance en Ellanïa et espérer que leur mission ne rencontra pas un échec. Marchant sur le champignon, elle en vint à son bord et observa en contre bas, pouvant apercevoir une étrange végétation.

« Je n’ai pas la moindre idée sur ce qui est dangereux ou non ici Ellanïa… »

Un bel aveu à demi-mot qui confirmait que la Louve serait nul doute en très mauvaise posture si elle avait essayé de pénétrer au sein de ce royaume étrange sans un guide venant de ce même lieu obscure et étrange. Mais les deux femmes ne pouvaient rester où elles se trouvaient éternellement, le temps leur été compté : Elles se remirent donc en route, l’Okami suivant et écoutant les conseils de l’Elfe. Et petit à petit au fur et à mesures qu’elles progressaient, elle put également noter que l’Outreterre possédait sa propre beauté. Oh bien sûr, les monstres qu’elles rencontrèrent était, comme Ellanïa l’avait prédit, bien plus dangereux que ceux qui remontaient à la surface. Mais grâce aux conseils de l’Elfe, la Louve apprenait également comment y faire face, apprenant tout aussi bien leurs forces que leurs faiblesses. Un cours de survie qui pourrait toujours servir un jour ou l’autre !

Elles continuèrent leurs progressions, tout autant labyrinthique que la précédente, parvenant enfin à une sortie, représentée par l’entrée d’une grotte et la Louve put poser son regard sur un autre aspect de l’Outreterre.  Le « ciel » n’était que le plafond d’une grotte, de nombreux cristaux perçaient ici et là la roche et plus que tout, on pouvait deviner la présence de terribles créatures rôdant dans les ombres…Au loin, une structure s’élevait, imposante, majestueuse et à moins qu’elle se fourvoie, il s’agissait de leur destination. Cependant, ce dernier semblait encore loin et en observant les étendues qui se présentaient devant elles, la Louve fit une légère grimace. Tout cela ne lui disait rien qui aille. Elle supposa la présence de nouvelles créatures et encore une fois, elle dû s’en remettre à Ellanïa pour continuer leur progression…Jusqu'au palais !

Dans la mesure du possible, à l’Outreterre, il fallait se dissimuler. Les monstres qui existaient étaient très puissants, et aussi retors, sans compter qu’on pouvait toujours tomber sur des gobelins ou des Orcs, ceux-ci étant bien plus nombreux ici qu’au Dessus… Sans parler, bien évidemment, des Skavens ! Ellânia guida donc Shad, se dissimulant quand il le fallait. À force, Ellänia connaissait plutôt bien ce monde sauvage et torturé. Elles utilisèrent l’une des araignées-caméléons comme moyen de locomotion, car les Drows avaient appris à domestiquer et à apprivoiser certaines des créatures sauvages de l’Outreterre. En chemin, elles purent voir d’étranges créatures, comme un grand échalas avec d’intenses yeux rouges. Ellänia déconseilla vivement à Shad de trop s’approcher de cette créature, un Flagelleur capable de lancer des attaques psychiques, mais fort heureusement relativement neutre, n’attaquant que si on errait sur son territoire. Elles croisèrent également des bandes d’oiseaux-vautours, sinistres créatures se déplaçant sur le sol, les ailes recourbées, avant de bondir brusquement sur leurs proies. Face à elles, les deux femmes durent batailler un peu malgré tout, décochant des flèches, et finirent par leur échapper quand Ellänia sacrifia, sans trop de remords, son araignée.

La géographie de l’Outreterre n’était pas que le noir absolu. Des plantes phosphorescentes éclairaient parfois certains endroits, ou bien des cristaux… Et, de temps en temps, des trous dans la voûte amenaient, par des prodiges surnaturels, des cônes lumineux. Il y avait donc des semblants de forêts, mais, contrairement aux forêts du Dessus, elles n’étaient pas luxuriantes, mais sauvages, composées essentiellement de mousses, de lichens, de plantes souterraines. On y trouvait ainsi des plantes très étranges, comme la thismia neptunis, ressemblant à une créature xénos.

« Je te déconseille fortement de partir à la cueillette, Shad, ce sont des plantes mycohétérotropes. Contrairement aux plantes dont tu as l’habitude, elles ne se nourrissent pas de photosynthèse, mais absorbent les nutriments d’autres formes de vie, essentiellement des champignons, en établissant une relation symbiotique avec leurs nutriments… Et certaines de ses plantes se nourrissent de nos nutriments. »

C’était aussi pour ça que Streeaka avait, chez elle, des trésors sacrés que l’elfe lui rapportait régulièrement : des plantes naturelles, des trésors venus du Dessus. Ici, les forêts étaient meurtrières, refuges des Xylomids et de nombreuses plantes carnivores qui étiraient leurs racines sur plusieurs dizaines de mètres, un peu comme des toiles d’araignées. Le duo croisa d’ailleurs l’une de ses racines, qu’elles évitèrent soigneusement.

Le duo rejoignit ensuite une forteresse drow, et la garnison sur place leur confia des chevaux infernaux, terme adapté pour les chevaux de l’Outreterre, disposant d’une longue langue reptilienne et d’une queue caudale pouvant s’enflammer. Pour Ellänia, ces chevaux étaient le résultat de mutations drows sur des chevaux du Dessus en vue de les adapter à l’environnement de l’Outreterre. Ellänia prit un seul cheval, car ils étaient assez difficiles à manipuler, et invita Shad à grimper avec elle.

Ensemble, les deux femmes chevauchèrent. Le cheval était extrêmement rapide, pouvant parfois prendre de subites pointes d’accélération. Elles longèrent une nappe phréatique, un fleuve souterrain, et rejoignirent finalement une colline surplombant la capitale de l’Outreterre…

…Menzoberranzan !

« Bienvenue chez nous, petite Louve. »

Après quelques formalités de rigueur, le duo s’aventura dans les rues de la ville. Shad pourrait ainsi constater que Menzoberranzan ne comprenait pas que des Drows, mais que toutes les espèces non-elfiques avaient des colliers autour du cou. À Menzoberranzan, soit on était un Drow, soit on était un esclave. Beaucoup de Drows observaient ainsi, avec curiosité Ellänia et Shad, notant leurs cous dégarnis. Ellänia faisait littéralement figure d’exception, une excentricité qui était en soi défavorable à Streeaka… Mais les apports de l’elfe compensaient largement cette fantaisie.

Le duo arriva devant le rempart entourant la Maison Z’Ress, et rejoignirent un agréable palais. Il se composait, à l’image de l’architecture torturée de la ville, d’une série de cours, de murs intérieurs, de tours, et d’un bâtiment central. Dès qu’elles arrivèrent, Lo’Ria, l’une des courtisanes de la Matriarche, les accueillit.

« Tu es en retard, Ellänia, glissa, en guise d’accueil, Lo’Ria.
-  J’ai fait aussi vite que j’ai pu, se défendit Ellânia, mais la situation au Dessus est ingérable.
-  Notre Maîtresse souhaite vous recevoir sans délai. Suivez-moi. »

La politesse était toujours superficielle entre Drows, alors, entre une Drow et des non-Drows, Lo’Ria n’allait pas s’abaisser à les saluer proprement. La courtisane s’avança à travers les couloirs, et le duo finit par arriver à ses quartiers. Streeaka était dans sa salle de réunion, comprenant une grande table avec balcon donnant vue sur la capitale. Ellänia s’agenouilla respectueusement devant elle, et la Matriarche soupira lentement.

« J’ai failli m’inquiéter ! Est-ce que tu l’as ramené ?
-  Oui, Maîtresse, Shad est avec moi. »

Streeaka se déplaça rapidement. Ellänia l’avait rarement vu aussi nerveuse, ce qui l’amenait à se demander ce que cette okami pouvait avoir de si particulière. Certes, elle était puissante, mais, tout de même… Streeaka se pinça les lèvres en l’examinant, et sourit alors.

« Oui, c’est bien toi… »

Et, à la surprise d’Ellänia, Streeaka l’enlaça alors, écrasant la tête de Shad contre sa voluptueuse poitrine.

« L’Immortelle du Loup… » rajouta-elle alors.

L’Outreterre était réellement un monde emplit de danger. Face à toutes ces nouvelles découvertes, la Louve ne pouvait penser que quand l’un de ses habitants remontaient à la surface, un qui ne soit pas une créature abjecte et anthropophage, il devait bien rire des « dangers » du monde de dessus. A moins que cette confiance conduisît également à leurs pertes…Par chance, l’Okami n’était pas livrée à elle-même dans ce nouveau monde et Ellänia n’hésitait pas à lui donner de plus amples informations au cours de leurs progressions. Enfin, après une chevauchée sur une monture ressemblant fortement à un cheval mais modifiée pour survivre ici, les deux femmes arrivèrent à la capitale ! Et comment ne pas être impressionnée la première fois que l’on pose ses yeux dessus ? La Louve observait l’imposante cité, sans voix, se demandant d’un côté comment cette cité pouvait subvenir aux besoins de ses habitants. L’Outreterre cachait encore bien des mystères. La traversée de la capitale se fit sans encombre, bien sûr, Shad sentit sans le moindre souci les yeux qui se posèrent sur l’elfe et elle-même. En observant rapidement les habitants de Menzoberranzan, elle avait pu noter que seuls les Drows ne portaient pas de colliers autours de leur cou. Autant dire qu’ici, elle avait de forte chance de finir esclave. Par chance, personne ne vint les hâler à ce sujet, les laissant passer sans toutefois masquer leurs regards interrogateurs.

Leurs progressions les firent arriver enfin au palais et l’accueil qu’elles y reçurent furent pour ainsi dire glacial. N’ayant aucune réelle connaissance des coutumes des Drows, l’hybride garda le silence, tout en suivant par la suite la domestique qui était venue à leur rencontre, jusqu’à arriver à une grande salle de réunion où se trouvait Streeaka. Tout comme Ellänia, en guise de respect, la Louve s’agenouilla et s’inclina poliment pour la saluer mais fut subitement surprise en sentant la souveraine l’étreindre, son visage coincé entre ses deux imposants seins. Tout aussi surprise que pouvait l’être son guilde, l’hybride n’osa pas bouger d’un poil, avant de relever subitement ses oreilles sous la surprise des dernières paroles énoncées.

« C…Comment ? »

Non, la Louve avait parfaitement compris ce que la Reine lui avait dit, cependant, elle ne comprenait pas comment Streeaka pouvait être au courant de cette particularité. Même pour elle-même, tout cela était encore nouveau et elle restée complétement confuse à ce sujet, préférant même ne pas le mettre en avant ou l’aborder. Elle recula son visage de l’opulente poitrine et leva son regard vers la Drow, avant de regarder rapidement Ellänia puis de revenir sur Streeka avant d’abaisser ses oreilles en signe de confusion :

« Je…Veuillez m’excuser majesté mais…Nous avons bien plus important à la surface que ma petite personne… »

La guerre faisait toujours rage, et les troupes qu’elles avaient laissé derrière elles attendaient sans doute avec impatience une quelconque aide ! Pour la Louve, cela était bien plus urgent que de lui rappeler une nouvelle fois de ce statut d’Immortelle qui pour l’heure, la mettait plus mal à l’aise qu’autre chose ! Car, surtout, elle ne voyait pas en quoi elle pouvait être digne d’une telle appellation ! Mais sans doute se fourvoyait-elle !

« Oh j’oubliais ! Vous avez demandé que je vienne également pour cela non ? »

Enonça t’elle en prenant son médaillon entre son pouce et l’index, ce dernier émettant une légère lueur cramoisie.

Streeaka sourit doucement devant la surprise de Shad. Elle s’écarta ensuite, tout en remerciant Ellänia. Belle et puissante, Streeaka était absolument magnifique. Son corps parfait ondulait sur place, et elle récupéra une grappe de raisins. La Matriarche avait une grande passion pour les fruits du Dessus, notamment pour les raisins, ou même les pommes. Elle en tendit d’ailleurs une à Shad, qui préférait toutefois évoquer l’Olympomachie, plutôt que sa petite personne. Souriant doucement, Streeaka croqua dans une pomme en rejoignant un divan, et s’y allongea lentement, étirant ses magnifiques et interminables jambes.

« Mais c’est ce que je fais… Que tu le veuilles ou non, ton histoire est liée à celle de l’Olympomachie. »

Ce serait sans doute la première surprise pour Shad… Mais elle serait loin d’être la dernière. La Drow croqua dans sa pomme, avalant un morceau, et savoura ce goût délicieux, onctueux. Oh ! Elle adorait vraiment la nourriture du Dessus, tellement plus diversifiée, plus tendre, plus riche, que celle de l’Outreterre !

« Les Drow forment le peuple le plus renseigné de Terra, Shad. Je sais tout de tes péripéties, de Lumen à Brennenburg, en passant par ton séjour chez Sha, et ton bébé… J’ai même appris que ton fils était venu du futur… »

En une phrase, Streeaka avait planté le décor. Si l’information était une arme, alors la Matriarche détenait toutes les ficelles. Et elle croqua encore dans sa pomme, sentant bien la surprise dans les yeux de Shad.

« Beaucoup de mes congénères se moquent de moi pour mon attirance envers les peuples du Dessus. J’ai même accepté d’héberge dans mon manoir une petite famille d’elfes à la peau claire, ce qui me vaut régulièrement les acrimonies des autres maisons… »

Rien ne lui échappait. Aussi belle que redoutable, elle semblait dissimuler son jeu à la perfection, ne révélant que ce qu’elle savait. Shad lui avait présenté son médaillon, que Streeaka examina doucement. Elle l’enclencha alors, ce qui, normalement, aurait dû déclencher une morsure. Le médaillon vibra et s’illumina dangereusement, avant de s’apaiser, s’ouvrant pleinement à Streeaka. Une araignée spectrale en jaillit, et grimpa sur le bras de la Matriarche, avant de bondir sur le mur, et continua sa course.

Qui était donc cette Drow ? Elle prenait en tout cas tout son temps, et enchaîna :

« Depuis des éons, l’Ordre de Maturin et la Monarchie de la Rose s’affrontent. Cette guerre secrète tire ses fondements dans la guerre qui opposa jadis les Dieux aux Grands Anciens. J’ignore ce que ce cher Alexandre t’a dit… Le clan Dowell était un traditionnel allié de la Rose, mais leur Maître est assez indéchiffrable. En tout cas, la guerre a pris fin par la Chute de l’Eld. La Monarchie de la Rose a percé le cœur de l’Ordre de Maturin en détruisant l’Eld, en exterminant tous les Eldois, et en tuant le dernier héritier en ligne directe d’Arthur Eld, Roland Deschain. »

Streeaka avait fait ses devoirs, et poursuivit :

« Moi, je faisais partie des couches externes de l’Ordre de Maturin. C’est pour ça que ce médaillon ne peut me blesser. Si je m’intéresse autant aux activités du Dessus, c’est parce que je sais à quoi nous faisons affaire, jeune Shad. Tu as tort de ne pas croire en ton pouvoir, petite Louve. L’Esprit du Loup brûle en toi, je sais que tu l’as rencontré chez ce cher Alexandre. Mais quelle ironie… Pendant des siècles et des siècles, j’ai cherché le moindre indice susceptible de me ramener sur la trace des Immortels… Et, finalement, tu viens à moi presque par hasard ! Enfin… Pas totalement, bien sûr, car, quand on connaît tes exploits, on ne peut que s’interroger sur la force supérieure qui t’a confié tant de pouvoirs. »

La Matriarche termina sa pomme, et jeta le quignon restant dans une corbeille, avant de s’essuyer les doigts.

« En as-tu parlé avec la Reine de Lumen ? De ton héritage ? Ou est-ce qu’elle t’a repéré quand elle t’a vu ? Je suis sûre que non… Tu ne réalises sans doute pas ton importance, ni l’imminence de la situation. Ce ne sont pas que les Olympiens qui se battent… Si l’Olympomachie est menée à son terme, ce sont les Grands Anciens eux-mêmes qui vont revenir ! »

Face à tant d’informations, l’Okami resta sans voix, n’ayant rien pour contredire les faits qui lui étaient exposés. La souveraine des Drows venait d’étaler son large panel de connaissances et la queue de l’hybride qui s’agitait nerveusement démontrait parfaitement qu’elle avait fait mouche. Et surtout qu’elle était encore plus confuse. Shad avait l’impression d’être au pied du mur, pas dans le sens où un danger la menaçait mais plus dans celui où elle ne savait que trop penser de toute ces révélations. Elle avait certes déjà eu le temps d’y réfléchir un peu, mais elle avait besoin de temps pour digérer tout cela et le temps, elle n’en avait eu guère ces derniers jours. Elle regarda la Drow puis pris à son tour la parole :

« Non, je ne pense pas que la Reine de Lumen soit au courant, mais pourra t’elle seulement me croire ? Je me vois mal arrivée au palais et simplement dire : heeyyy je suis une immortelle ! Tout cela parait bien trop simple… »

De plus, la Louve avait parfaitement conscience que certains hommes étaient déjà sur ses traces et qu’une telle entrée ne manquerait pas d’attirée l’attention, non, si elle voulait rencontrer Elena Ivory, elle allait devoir user de prudence.

« Le retour des Grands Anciens ? Je pensais qu’ils auraient justement besoin des Machines pour revenir, comment cette guerre pourrait les aider à atteindre cet objectif ?  Et en quoi mon implication pourrait faire changer la donne ? – elle secoua la tête dans un air de négation – non, il y’a bien plus importants, des peuples se battent sur la surface, font front commun contre les troupes olympiennes et…- elle écarquilla les yeux, réalisant soudainement une vérité- sont entrain de perdre. Même s’ils arrivent à tenir, les Olympiens finiront par vaincre si rien n’est fait… Et les Grands Anciens pourraient profiter de cela pour revenir… »

Nerveuse, l’Okami se mis à tourner en rond face à Streeaka. Certes ce n’était pas une façon de se tenir face à une reine mais toutes ces informations rendaient nerveuses la concernée.

« Que faire dans ce cas ? Lumen est bien trop loin et doit également être en état de siège…Nous avons promis d’essayer de ramener des renforts mais si cela est vain d’avance…est-ce vraiment la peine de sacrifier des vies pour rien ? – Elle arrêta de tourner en rond comme un lion en cage et se tourna vers son interlocutrice – Que…me conseillez-vous de faire ? »

On pouvait aisément lire dans son regard la peur, l’incompréhension mais également une certaine détermination à mettre fin à tout cela, du moins, si une telle éventualité était possible ! Si Streeaka possédait d’énormes sources d’informations, c’était bien qu’elle devait encore en avoir dans sa manche !

Streeaka  avait l’air de savoir bien plus de choses que ce qu’on pouvait croire de prime abord. Elle confirmait ainsi cette légende voulant que les Drows soient les maîtres de l’information. Elle savait ainsi pour Shad, pour ce qu’elle était vraiment, et n’avait sans doute pas encore abattu toutes ses cartes. Shad avait plusieurs questions, et la Matriarche s’efforça d’y répondre :

« La Machine… Tu parles de cette chose que tu as affronté à Lumen ? La Machine est une construction inspirée par les Grands Anciens, comme tu as dû le comprendre… Mais ce serait trop simple s’il n’y avait que la Machine pour permettre aux Grands Anciens de venir, tu ne crois pas ? »

Elle croisa les jambes en s’asseyant sur un fauteuil, et fournit de plus amples explications :

« Les Grands Anciens existent depuis le début de cet univers, au moins. Ils ont été bannis, mais ne sont pas morts. N'est pas mort ce qui à jamais dort et au cours des siècles peut mourir même la mort. Voilà ce qu’on dit sur eux, Shad. Dans leur sommeil éternel, les Grands Anciens ne cessent de nous influencer. La Machine ne fait qu’amplifier le phénomène qui leur permet d’impacter cet univers encore… Les règles qui séparent chaque dimension d’une autre ne sont pas très connues, elles sont complexes, confuses… Même pour nous, les Drows. Ce que l’Ordre de Maturin a théorisé, c’est qu’il existe des influences réciproques entre chaque dimension parallèle. Pour le dire autrement, plus les flux magiques sont perturbés, plus il y a d’ondes négatives, et plus les frontières de notre réalité se distendent, et offrent aux Grands Anciens des opportunités de revenir. »

Il n’était pas très sûr que ses propos soient clairs, mais, en même temps, face aux Grands Anciens, les explications rationnelles finissaient par se fracturer et par se rompre.

« La Machine est fondée sur des ondes extrêmement négatives, comme tu as pu le voir. Cela peut sembler un peu caricatural, mais les Grands Anciens sont des êtres malfaisants, qui amplifient chez les humains, et même chez les Dieux, leurs mauvais penchants. Ils exacerbent notre folie, amplifient nos défauts pour nous faire perdre la raison. La Machine est une industrie de mort, qui utilise les ondes négatives qu’elle fabrique pour créer directement des Portails vers les prisons dimensionnelles où sont retenues les Grands Anciens. Mais des Dieux olympiens renégats peuvent faire également d’excellents vecteurs… Et c’est cela, la finalité de l’Olympomachie. Autrement dit, il y a un danger bien plus grand que Zeus qui nous guette… Le risque que l’Olympe serve de point d’entrée pour ceux qui, depuis des éons, cherchent furieusement à revenir sur Terra. »

La Drow se tut alors pendant quelques temps. Elle reprenait ses esprits, et attrapa un fruit. Ce qu’elle disait n’était pas forcément très rassurant, mais Streeaka était ainsi. Elle était une femme rationnelle, et, si on venait la voir, ce n’était pas pour rassurer les gens. Ceci étant dit, son discours semblait avoir fait mouche, car Shad lui demanda ce qu’elles pouvaient faire. Streeaka se releva ensuite, et se rapprocha de son plateau-repas, où elle découpa une mangue.

Shad avait raison d’être curieuse sur ce que Streeaka envisageait. Elle lui sourit alors doucement, avant de lui répondre :

« Tu crois que je compte me tourner les pouces, jeune Louve ? J’ai toujours défendu l’idée que les Drows ne devaient pas rester éternellement dans leurs grottes. Certains clans drows me détestent pour cela, mais c’est la vérité. Ce qui se passe au Dessus influence l’Outreterre… Et j’aime trop les fruits pour avoir envie de rester encore ici pendant des siècles. »

La Matriarche était vraiment une personnalité à part pour une Drow ! Elle en avait bien conscience, et semblait s’en amuser.

« Mon armée compte venir en aide aux Lambroisiens… Mais la priorité est de s’occuper d’Apollon. Si je t’ai fait venir jusqu’ici, Shad, c’est parce que tu as encore un rôle à jouer. Apollon a utilisé ses pouvoirs pour manipuler la Reine-Banshee, et même mon armée ne peut venir à bout des deux ensemble. Il va falloir libérer la Banshee de son influence, et c’est un rôle que tu peux jouer… Et qui nous permettra, ensuite, de venir à bout d’Apollon, et de récupérer son Éclat. »

Une Matriarche, c’était aussi ça : avoir toujours un plan, une stratégie à abattre, même dans un contexte qui apparaissait totalement désespéré.

« Combattre Sylvanas ?! »

Oui, elle venait de s’écrier à cette annonce. A la différence de la Reine Drow, Shad ne possédait nullement une armée pour lui venir en aide et elle savait pertinemment que la Reine Banshee ne se laisserait pas faire sans combattre et surtout sans protection. De plus, elle n’arrivait pas à voir comment diable elle parviendrait à la libérer de l’influence d’un Dieu Olympien tel qu’Appolon. Bien sûr, il y’avait toujours la solution de la frapper jusqu’à ce qu’elle reprenne ses esprits mais Sylvanas était une adversaire à ne surtout pas sous-estimer.  La queue de l’hybride s’agitait nerveusement dans son dos.

« C’est une grande stratège et archère de surcroît…Elle ne sera pas en première ligne et utilisera sans doute ses troupes pour se créer un bouclier humain ou plutôt de morts vivants…Et je doute que l’approcher avec précaution puisse servir à grand-chose, elle sera toujours sur ses gardes ; prête à toute éventualité… »

Comment donc l’atteindre ? La Louve eut un petit rictus amusé avant de se tourner vers la Matriarche.

« Et quoi ? Vous allez me dire qu’il me suffit simplement d’hurler afin de rameuter loups et lycans contre les troupes de la Reine Banshee et de profiter de la confusion pour me frayer un passage jusqu’à elle ? »

Sur le coup, l’hybride cligna des yeux, quelque peu surprise par ses paroles dîtes sur le coup de l’ironie mais qui pouvait refléter également une certaine vérité. Était-ce là, la solution ? Mais comment être sûre que cela ne ferait pas un véritable échec critique ? Elle croisa ses bras et poussa un long soupir avant de reprendre :

« Mes excuses pour mon comportement…Mais je dois dire que je suis quelque peu désemparée, je ne compte pas affronter la Reine Banshee dans une mission suicide, je sais d’avance qu’elle sera particulièrement bien gardée et qu’elle profitera de chaque mort pour en faire à la fois sa flèche et son bouclier… »

Le plaisir de combattre des êtres capables de nécromancie mais la Louve réalisa subitement un fait :

« Mais les Lycans ne peuvent pas être relevés en tant que morts-vivants **, peut-être est ce vraiment une piste à creuser… »

Tendant sa main, paume vers le haut, elle laissa l’araignée de son médaillon sautait au centre de cette dernière, l’observant un court instant avant de reprendre :

« Cependant, je pense que vous avez déjà un plan pour cela, j’en suis tout ouïe. Il va de soi que je ferais de mon possible pour empêcher le retour des Grands Anciens… »

Ce que chaque personne censée devrait faire ! Après arriverait-elle à véritablement battre Sylvanas ? Pas sans risquer sa propre vie en tout cas !

**Dans le Lore de WoW, les Worgens (sortent de loups-garous) ne peuvent être relevés en tant que morts vivants : p**

Shad n’avait pas sa langue dans sa poche, et Streeaka sourit lentement devant ses questions. Oui, tout cela semblait en effet être une mission-suicide.

« Je ne sous-estime nullement nos adversaires, Shad. Apollon seul est bien trop fort pour nous deux, mais, avec la Reine Banshee à ses côtés, nous n’avons tout simplement aucune chance. Il y a bien plus que Lambroisie en jeu. L’armée d’Apollon est destinée à marcher sur la capitale impériale. En ce moment, Arès assiège la capitale, mais son armée est insuffisante contre les Mijakiens et leurs Légions Impériales. L’armée d’Apollon va les prendre de revers. Il s’agit de sauver l’Empire. »

Certes, beaucoup auraient pu lui souhaiter bon débarras, mais Streeaka était suffisamment érudite pour savoir que l’ordre était préférable au désordre. Elle conduisit entre-temps Shad à sa bibliothèque. Son palais était assez grand, car il s’enfonçait dans les profondeurs. Elles arrivèrent ainsi à une mezzanine. La bibliothèque comprenait de grandes rangées de livres, le tout éclairés par un subtil jeu de cristaux et de vitraux réfléchissant ou amplifiant les rayons lumineux.

« Tu as entendu parler de Maturin, mais as-tu entendu parler de Maturin en personne, Shad ? De la Voie de la Tortue ? »

L’air perplexe de Shad était une réponse suffisante. Streeaka récupéra un ouvrage assez propre, avec une fine reliure, et le tendit à Shad. Le titre était évocateur : « Chansons populaires et Comptines de l’Eld ».

« Arrête-toi au chapitre concernant la Tortue. Il y a deux chansons. Des chansons pour enfants, qu’on se raconte à la cour de récréation. »

Le livre était assez petit, un court recueil avec des enluminures. Le fait qu’un livre eldois se trouve ici confirmait le fait que les Drows étaient de redoutables espions, et ramenaient chez eux des trésors du monde du Dessus. Streeaka continua par ailleurs sa marche, et laissa Shad lire les deux chansons.

La première, la plus courte, s’intitulait « Le Rayon de la Tortue » :


La deuxième chanson ressemblait à une version longue de la première, et s’appelait « La Bonne Tortue » :


Streeaka continua ensuite son petit monologue. Comme toute bonne Matriarche drow, elle adorait s’entendre parler, et dispensait son généreux savoir aux autres :

« La tortue représente beaucoup de choses dans la symbolique, tu sais. J’ai réuni de nombreux ouvrages traitant de la représentation de la tortue sur Terra, ainsi que sur Terre. Globalement, tous les mythes coïncident pour faire de la tortue un symbole de paix, de protection, la gardienne du monde, de longévité… Sur Terra, il existe des tribus antiques qui continuent à vénérer les tortues. L’idée globale, chez certains mythes, est celle selon laquelle la carapace de la tortue permet de soutenir le monde, d’être le bouclier qui nous protège contre toutes les menaces surnaturelles. Je pense que tu commences à voir où je veux en venir, non ? »

Peut-être que oui… En tout cas, le duo avait rejoint une porte solidement verrouillée, que Streeaka ouvrit à l’aide de l’une de ses clefs. Derrière, il n’y avait rien, rien d’autre qu’un miroir magique devant un orbe magique permettant de l’actionner.

« J’ai fait partie de l’Ordre de Maturin, Shad, et tu en fais désormais partie, toi aussi… Depuis le jour où tu as empêché Brähmin de récupérer la Reine-Araignée, tu es devenue l’ennemie de la Monarchie de la Rose, et, de ce fait, un membre de l’Ordre. Il est temps pour toi de rencontrer Maturin, car il est le seul capable de ramener Apollon à la raison. Il est temps pour toi de rencontrer la Tortue ! »

Et, d’un geste théâtral, la Matriarche drow appuya sur l’orbe magique, qui s’illumina alors. Le miroir se mit alors à luire, et le verre se mit à remuer, comme s’il était devenu liquide.

« La Tortue est une créature mystérieuse, Shad. Nous n’avons jamais vraiment su quelle était sa nature. La plupart des théories disent qu’elle est le premier des enfants de la Tour, la première créature d’essence divine créée par la Tour pour la protéger. D’autres affirment toutefois qu’elle est ça, mais également bien plus que ça, qu’elle est l’âme de la Tour. Quand les Grands Anciens furent vaincus, ce fut le fait de Maturin. C’est la Tortue qui a réuni tous les Dieux, Shad, c’est la Tortue qui a donné à Arthur Eld la mission de protéger la Tour… Et c’est encore la Tortue qui nous sauvera. »

Le miroir continuait à bouger, comme pour se stabiliser.

« La Tortue est une créature bénéfique, Shad. Les Eldois croyaient fermement en elle. Ce miroir va te permettre de te rendre dans le plan où ses plus fervents adeptes sommeillent… Les Enfants de Maturin. Car la Tortue préfère les enfants aux hommes. N’y vois là aucune allusion salace, c’est juste que les enfants ont un esprit rêveur, et que ce n’est que par le biais des rêves qu’on peut s’adresser à la Tortue… Du moins, quand on a pas un miroir comme celui-là, et une orbe comme celle-ci. Je dois néanmoins te prévenir que ton corps ne pourra pas y aller. Seul ton esprit peut rejoindre ce plan, et tu ne pourras pas y rester longtemps. »

Streeaka préféra garder pour elle-même qu’elle était incapable de traverser ce Miroir. Elle était trop adulte pour ça, mais, concernant Shad, le fait qu’elle vienne d'accoucher, qu'elle ait déjà croisé les Grands Anciens, et qu'elle soit, somme toute, moins âgée que Streeaka, l’amèneraient peut-être à y aller. Tandis que le Miroir se stabilisait, un sceau se forma sur le sol, entre l’orbe et le Miroir. La Matriarche tendit alors un flacon à Shad.

« C’est une potion qui va t’endormir. Allonge-toi sur le sceau. Pendant ce temps, je vais réunir mon armée pour soutenir les Mijakiens et combattre la Reine Banshee. Ce que tu dois faire, c’est trouver les Enfants de Maturin… Apollon est l’un des Olympiens les plus vertueux, il faut le ramener à la raison… Et, pour ça, la chanson va vous aider. Les Enfants sauront quoi faire. Trouve-les. »

Le Miroir était stabilisé, mais il ne durerait pas éternellement.

« Nous n’avons plus le temps, Shad ! Bois cette potion ! Vite ! »

Encore une fois, la Louve était quelque peur désorientée par ce qu’elle apprenait, et son regard interrogateur ne passait nullement inaperçu ! Par chance, la Matriarche avait soif d’abreuver la jeune hybride de ses connaissances et ne s’en privait nullement. Shad écoutait attentivement, devant cependant bien admettre que toutes ces informations étaient bien difficiles à assimiler. Elle avait encore tant à apprendre ! Malgré tout, elle comprit sans trop de peine la finalité des paroles de Streeaka et de toute manière il lui était impossible de faire marche arrière. Devant elle le fameux miroir et l’orbe, dans sa main, le flacon et au sol le sceau…Bien évidemment savoir que son corps serait posé là, à la merci du moindre danger n’enchantait que très peu l’Okami mais d’un autre, l’empressement dans la voix de la Matriarche lui fit rapidement prendre une décision : celle de boire le contenu du flacon. A peine le liquide fut-il avalé que l’hybride sentait déjà ses effets, sentant une profonde fatigue l’envahir, n’ayant même pas assez de forces pour parler. Elle jeta simplement un dernier regard à la Drow, un regard qui signifiait qu’elle ferait tout son possible pour accomplir sa tâche. Ses paupières se fermèrent à l’instant même où elle s’allongea au centre du sceau…

…Pour les ouvrir à nouveau la seconde suivante, dans un tout autre paysage. Au-dessus de sa tête, un ciel bleu, azuré, et en son sein un soleil de plomb, sous elle, ou plutôt jusqu’à mi-hauteur, des vagues vinrent percuter son corps, avant qu’une giclée d’eau ne lui soit envoyée, couplée à des rires d’enfants.

« Allez vient ! Vient jouer ! »

Etrangement, l’hybride se sentait également plus petite. Et en baissant son regard sur son propre corps, elle nota que ce dernier avait rajeuni de plusieurs années, la faisant repasser en enfance. Son véritable corps était toujours posé au centre du sceau, son esprit avait simplement de prendre une forme plus enfantine pour convenir au royaume de Maturin. Ouvrant la bouche pour répliquer, gardant toutefois sa mentalité d’adulte, l’hybride reçu une seconde vague avant qu’un autre enfant ne vienne tout simplement lui mettre la tête sous l’eau. Surprise et buvant la tasse, elle remonta à la surface et vit apparaître devant elle un ballon de plage. L’esprit enfantin qui régnait toujours en chaque être, aussi petit soit-il, pris rapidement le pas sur l’aspect « mature » de l’hybride. Et en peu de temps, son esprit onirique avait rejoint cette troupe d’enfants, dans des jeux où la question des dangers régnant sur les mondes n’étaient qu’un vague souvenir…

Ce fut cependant quand elle se retrouva sur la plage et qu’on lui passa un moule de tortue pour créer un château de sable à l’effigie de l’animal, que l’hybride se rappela soudainement pourquoi elle était là : trouver un moyen de sauver Appolon avec l’aide des enfants de Maturin ! Mais comment énoncer sa requête ? Comment trouver les mots pour expliquer l’aide dont elle avait besoin ? Il n’y avait qu’une seule solution : y aller franc jeu, sans détour ! Serrant le moule de la Tortue entre ses petites mains, l’Okami regarda les enfants autours d’elle et pris la parole :

« Apollon ! Vous…vous devez m’aider à le sauver ! La Tortue, la Tortue pourrait nous aider ? »

Bien évidemment, la Louve n’avait pas la moindre idée si cela allait fonctionner, ni combien de temps il lui restait..le temps était donc compté !

Le rêve, une réalité alternative si particulière, si spécifique… Si les scientifiques avaient réduit l’importance du rêve en en faisant un simple message entre le conscient et l’inconscient, il existait bien des interprétations sur les pouvoirs du rêve. Même en considérant que le rêve n’était qu’un pont permettant à la partie consciente de la psyché de s’entretenir avec sa partie inconsciente, ce pont avait des impacts magiques très particuliers. L’onirisme était de fait une spécialité magique qui, bien que sur le déclin, existait toujours. Et le rêve représentait à ce jour le meilleur moyen de rejoindre la Tortue, car, sous la forme d’un rêve, l’esprit se détachait du corps. On pouvait faire des choses incroyables dans le rêve, avec l’intime conviction que tout ce qu’on faisait était réel, alors que, en réalité, le corps ne bougeait pas. Le principe même du rêve était fascinant, une dissociation de l’esprit et du corps. Comment ne pas imaginer que, dans un monde rempli de fées, de fantômes, ceci n’ait aucune influence ?

L’esprit de Shad se détacha de son corps, et le Portail généré par Streeaka s’illumina encore. À ce stade, même Streeaka ne pouvait pas savoir ce qui se passait dans la tête de Shad…

…Qui émergea sur une plage, un jouet en forme de tortue dans la main. Les enfants riaient gaiement autour d’elle, et, quand elle demanda à rencontrer la Tortue, en évoquant Apollon, personne ne lui répondit sur le coup. Les enfants couraient, silhouettes indiscernables et floues, tandis que le soleil semblait de plus en plus éblouissant. Et, alors que Shad se relevait, le décor vira soudainement. Elle eut comme une vision. Le soleil disparut au profit d’un ciel grisâtre. Un vent terrible se leva et une vague la renversa. Les flots étaient déchaînés, et, plus on regardait vers le loin, plus le ciel devenait noirâtre. Mais ce n’était pas ça le pire.

Non… Le pire venait du milieu. Au milieu des vagues et des spirales aquatiques s’élevant dans le ciel, des tentacules immenses émergeaient au loin. D’énormes tentacules sombres qui se dressèrent comme des montagnes au milieu de l’eau. Et des murmures de plus en plus oppressifs se firent entendre. Une voix grave, profonde, qui s’insinua petit à petit dans la tête de Shad. Le ciel devint de plus en plus sombre, et les nuages semblèrent alors se déchirer en leur milieu. Une tâche d’encre se forma, s’épaississant progressivement, formant une sphère noirâtre… Un trou sombre d’où des tentacules émergèrent alors

« Elle porte la Marque…
-  Mais elle les a rencontrés…
-  Mais elle n’est pas atteinte…
-  Je n’ai pas confiance… Ce pourrait être un piège !
-  Ne sois pas ridicule, elle porte la Marque ! »

Des voix perçaient autour d’elle, tandis que le trou dans le ciel s’écartait. Des tentacules immenses en jaillirent, filant dans toutes les directions, se plantant dans le sol. Faute d’avoir des ventouses comme les tentacules des céphalopodes, les tentacules libérèrent une multitude de yeux rouges et sinistres, qui se fixèrent alors sur elle. Des regards cruels, intrusifs.

« Je te vois… »

Une terrible voix se mit à gronder, et une vague nouvelle engloutit Shad. Celle-ci réussit toutefois à en sortir… Pour atterrir sur une nouvelle plage, faite de roses rouges. Face à elle, il y avait l’objet de toutes les convoitises… La Tour. Éternelle, immense, elle se dressait jusqu’au firmament, perçant dans le ciel. Elle assurait la stabilité et l’équilibre des forces naturelles dans toute la Création… Quand, soudain… Ô, horreur ! La Tour se mit à se fissurer tandis que, depuis le ciel, les trous noirs se multipliaient, et que des tentacules venaient l’attaquer, la faisant trembler sur place.

« Nous la détruirons, nous la détruirons ! Et cette vie inutile disparaîtra ! La parenthèse sera enfin refermée ! »

La Tour tremblait encore, des fissures de plus en plus grandes se formant… Et celle-ci s’effondra ensuite, bloc après bloc. Un énorme morceau de pierre tomba vers Shad, mais il n’y eut aucun impact.

Quand celle-ci rouvrit les yeux, le décor avait enfin changé, et elle se trouvait à un endroit assez indescriptible.

Un lapin lui faisait face. Le lapin tourna la tête vers elle, gazouilla doucement, puis courut ensuite vers des marches. Un sentier venait d’apparaître.


La Voie de la Tortue ! Le Sentier du Rayon ! Une silhouette apparut alors devant elle, celle d’un enfant encapuchonné, son visage étant impossible à voir sous sa capuche. Il portait une longue toge, et ressemblait à une apparition spectrale.

« Nous t’avons entendu, Shad, et tu es la bienvenue. Suis le Sentier du Rayon pour rejoindre notre village, et ne fais pas comme Alice, ne t’égare pas en route. Car tu es dans le Pays des Merveilles, le Paradis des Enfants et de l’Imaginaire. Mais notre monde est assiégé par les Grands Anciens, comme tu as pu le voir en rejoignant nos frontières. Fie-toi aux chansons, et pas à ce que tu vois, car la musique est éternelle, Shad. Ici, la logique telle que tu la connais dans ton monde matériel cesse d’exister. Rien n’est ce qu’il semble être, sauf la musique. Et méfie-toi du Jabberwocky, tu n’es pas de taille contre lui. »

L’Enfant ne semblait pas pouvoir en dire plus, car il se volatilisa, ne laissant pas d’autres solutions à Shad que d’avancer.

Le rêve s’était transformé en cauchemar. Un cauchemar dont la Louve ne pouvait se réveiller et qui semblait si réel…si apocalyptique. Elle tenta bien d’ignorer les voix dans sa tête mais celles-ci se firent plus pressantes, plus présentes, l’empêchant même de penser convenablement. Son regard croisa les multiples yeux rougeâtres qui la fixaient, son corps refusait de bouger, paralysé par une peur primale tandis que sous ses yeux, les Grands Anciens détruisaient la création. Et même quand elle se retrouva devant la Tour et que cette dernière commença à s’effondrer, elle ne put bouger d’un poil, son corps refusant de faire le moindre mouvement. Sa fin allait sonner, elle allait finir écraser par cet énorme bloc se détachant de la Tour et tandis que par réflexe vain elle ferma les yeux à l’instant de l’impact, la Louve ne sentit pas ce dernier. En ouvrant de nouveau ses yeux, le paysage qui se présentait à elle était complétement différent et autant dire qu’elle ne savait pas où donner de la tête ! D’un côté, un petit lapin qui semblait attendre qu’elle le suive et d’un autre, un enfant qui venait de subitement apparaître pour lui donner quelques informations avant de repartir derechef.

« Att…end… »

Mais trop tard, elle était livrée à elle-même ! Posant son regard sur le lapin qui gazouillait au niveau des marches, l’Okami hésita. Était-ce vraiment le bon chemin ? Était-ce le sentier ? Et…est ce que les Grands Anciens étaient réellement si avancés que cela dans le royaume de Maturin ? Ou n’était-ce qu’une illusion pour lui retirer tout sentiments d’espoirs ? Elle ne bougea pas directement, inspirant et expirant doucement, tentant de reprendre son calme, de faire le point. Non, tout n’était pas encore perdu. Bien que cela se voulait réel au possible, il ne s’agissait ici que d’un avertissement, une menace qui planait sur le multivers et qui donnait une raison de plus à la Lycane de se battre contre, d’empêcher que cette heure sombre n’arrive réellement. Comme elle fut déjà arrivée dans une autre dimension.

Les chansons…Elle devait donc se fier aux chansons ? Voilà qui était étrange ! Pour l’heure, Shad n’avait pas la moindre idée de ce que cela impliquait mais elle gageait que la réponse viendra en temps et en heure. Son regard se posa sur cet environnement surréaliste, hésitant presque à ne pas prendre le chemin du sentier pour en découvrir chaque parcelle mais elle se reprit rapidement, montant les marches et suivant le lapin. Ne pas se laisser distraire…Bien que la Louve eût une folle envie de regarder autours d’elle, elle restait concentrée sur le chemin, après tout une autre menace semblait planer en ces lieux, et elle n’avait aucune envie de la rencontrer ! Pourtant petit à petit, elle voyait le décor changeait autours d’elle, des êtres indescriptibles prendre vie, venant tirer sur ses bras pour l’attirer en dehors du sentier, pointant de leurs index un lieu qui transpirait la tranquillité et la sérénité pour tout ceux désirant y aller.  Et au travers de tout cela, des voix enfantines s’élevaient, des chants lointains qui permirent à la Louve de ne pas s’égarer.

Elle chassa, les fées, ou qu’importe que cela pouvait être, d’un revers de la main avant de hâter son pas de course, finissant même par marmonner les quelques lignes de chansons qu’elle avait pu lire auprès de la Matriarche Drow, espérant que cela l’aiderait à ne pas s’écarter, de rester concentré sur la voie à suivre.  Finalement le sentier parvient à une grande place, au centre d’un petit village mais qui, ô grand malheur de l’Okami, ne semblait pas aussi paisible que le reste de cet endroit. Non, des tentacules recouvraient les habitations, le sol était de couleur encre et les quelques êtres vivants qu’elle put voir semblait plus être des créatures de cauchemars que de rêves.

« Non, non ce n’est pas possible ! »

S’écria t’elle, face à cette horreur sans nom. Mais…d’un côté, c’était réellement impossible ce qui arrivait, les Grands Anciens étaient aux frontières, ils ne pouvaient être ici ! Prenant son courage à deux mains, la Louve vint à s’assoir à même le sol, en tailleur, fermant les yeux et…se mettant à chanter. Si tout cela n’était qu’une illusion de son imagination, les chansons de la Tortue devrait l’aider à revenir vers le « réel ». Elle n’avait qu’à espérer que cela fonctionnerait ! Les oreilles dressées sur le sommet de son crâne, elle écoutait en même temps les bruits environnants, attentive au moindre changement, positif si possible, pendant que la chanson continuait sans relâche.

La Louve ne comprenait pas, elle venait de fermer ses yeux ; elle avait même essayé de faire fi des horreurs qu’elle venait de voir en chantant la voie de la Tortue et pourtant ; son ouïe ne pouvait la tromper, les tentacules continuaient de gesticuler autours d’elle ! Sans doute aurait-elle dû y faire fit, les ignorer mais la tentation fut trop forte et elle ouvrit à nouveau ses paupières.  Regardant ainsi les tentacules qui s’agglutinaient entres elles pour former une griffe acérée prête à la frapper. N’était-ce donc pas une illusion ?  Mais quand une voix lointaine lui hurla de fermer les yeux, l’hybride ne chercha pas à comprendre et s’exécuta, s’attendant cependant à finir transpercer par cette griffe géante. Mais, le coup ne vint pas, il ne vint jamais. A la place des bruits effroyables qu’elle avait pu entendre jusqu’à maintenant, une douce musique emplit l’air. Confuse, la Louve se releva et se mis à suivre la mélodie jusqu’à cette dernière devienne assez forte pour qu’elle puisse de nouveau quitter les ténèbres. Face à elle, un petit village ; bien loin du précédent qu’elle avait pu voir et un enfant qui ne tarda pas à la sermonner.  Elle eut un léger rictus mais ne s’offusqua pas pour autant, posant son regard sur les enfants de Maturin, baignant dans l’insouciance, avant de le reposer sur celui qui lui faisait face :

« Tu n’es pas comme les autres...Eux continue de jouer mais toi… »

Elle ne termina pas sa sentence, en avait-elle simplement besoin ? Le sous-entendu était déjà assez évocateur. Par deux fois, la Louve fut prise dans des illusions liés au Grand Ancien, dans ce domaine où ils ne devraient pas exister, cela ne pouvait pas être une coïncidence ! Certes, il y’avait la question d’Apollon qu’elle ne devait pas oublier, la raison même de sa présence ici, mais comment ignorer cette menace insidieuse ? Elle regarda l’enfant et reprit :

« La Voie de la Tortue est menacée par les Grands Anciens...Leur présence se fait plus palpables au fil du temps et ce malgré l’insouciance des autres enfants de Maturin. Je suis venue pour demander l’aide de la Tortue pour sauver le Dieu Apollon, mais je ne peux ignorer la menace qui plane ici… »

Malheureusement, avait-elle le temps de les aider face à cela ? Ou du moins essayer ? La Matriarche Drow lui avait bien fait comprendre que son temps était compté, elle ne pouvait donc pas se permettre de se disperser. Mais comment ignorer la menace qui régnait ici ? D’un autre côté, c’était l’enfant face à elle qui lui permettrait de savoir quelle sera sa prochaine action.

En toute honnêteté, la Louve commençait réellement à se demander si cet enfant n’était pas bien plus sage que la plupart des adultes qu’elle avait pu rencontrer. Certes, elle comprenait que les Enfants de Maturin gardaient une partie de leurs insouciances, de leurs âmes d’enfants mais comment ne pas être surpris par leur sagesse ? Et comment ne pas aussi comprendre leurs méfiances ? Maturin, la Tortue, fut trahie par le passé, par un adulte, un seul de tout un groupe…

« Le Magicien est si vieux que cela ? »

Se surpris à demander l’hybride. Elle savait depuis un temps qu’il était lié au Roi Cramoisi mais jamais elle n’aurait pu se douter qu’il faisait partie de ses plus loyaux serviteurs depuis si longtemps…Décidemment, la Louve allait de révélation en révélation. Dans tous les cas, elle pouvait parfaitement comprendre à présent la méfiance des autres Enfants et ne s’en offusqua pas. Après tout, pouvait-elle les blâmer ? De plus, ce n’était pas comme s’ils l’évitaient sans raisons ! Elle suivit donc son étrange guide jusqu’à une demeure, observa les différents arts présents avant de poser son regard sur le gramophone.

« Apollon est le dieu des Arts…L’attirer à nous en utilisant son domaine…Oui cela pourrait marcher mais après ? Comment devrions-nous le combattre ? Comment user des arts pour le libérer de la corruption des Grands Anciens ? »

Manière conventionnelle ou bien plus atypique ? L’Enfant avait bien précisé que les arts le réveilleront. Mais tout cela pouvait dire tant de choses ! Et sur le coup, la Louve se voyait mal livrer une bataille à renfort de danses et de chants ! Tout cela était quelque peu difficile à imaginer. Mais si c’était là le moyen de ramener Apollon à la raison, alors elle s’y plierait, elle ferait en sorte de mener cette mission à bien. Après tout, avait-elle le choix ? L’Enfant lui avait également bien fait comprendre qu’elle aurait un rôle à jouer, un rôle qu’elle ne pourrait refuser…et par instinct, la Louve se doutait parfaitement qu’elle était encore loin d’en avoir fini.  Elle ne put réprimer un soupir, regardant son guide :

« Tu sais ce qu’il a de mieux à faire pour libérer Apollon, je suivrais tes instructions… »

Tout cela promettait d’être une bataille des plus atypiques !

Plus la Louve obtenait des explications, et plus elle avait l’impression d’encore moins y comprendre. Comment un individu tel que le Magicien pouvait-être aussi énigmatique ? Comment à lui seul, il pouvait être la cause de biens des malheurs en ces mondes ? Celui qui ne semblait qu’être qu’un serviteur était en réalité bien plus, et la Louve commençait à redouter sa prochaine rencontre avec cet individu. Elle l’avait déjà rencontré par le passé, rien ne présumait que ce ne serait plus le cas dans le futur. Qui, ou qu’était-il à la fin ? Toute à ses interrogations, la Louve observait le changement de décor qui avait eu lieu, mieux valait en effet ne pas être surpris par une telle chose aux risques de finir fou. Elle continua à suivre l’Enfant, ne pouvant s’empêcher de se demander qui, lui aussi, était-il vraiment ? Bien qu’il ait parlé d’un « tour de garde », il semblait être bien plus conscient des dangers qui pesaient sur Terra que tous les autres. Est-ce qu’un autre Enfant aurait les mêmes connaissances que ce dernier ? L’hybride pouvait-elle seulement lui faire confiance ?

Avait-elle seulement d’autres choix ? Il était son guide et elle n’avait clairement pas le temps de douter de lui ; elle n’avait aucune idée de combien de temps elle resterait encore assoupie.  A présent, elle devait suivre l’arc en ciel qui était apparu afin de réveiller Maturin. Là encore aucune indication, devrait-elle simplement s’approcher de la statue qu’elle pouvait deviner au loin ? La toucher ? Lui parler ? Décidemment, l’hybride se posait bien trop de questions, après tout ce n’était pas comme si l’Enfant n’avait pas simplement mentionné le fait que sa présence devrait sortir Maturin de sa torpeur ! Réveiller Maturin était une étape importante pour la suite et la Louve s’engagea donc sur cet étrange sentier.

« Mais qui es-tu à la fin ?! »

Ne put s’empêcher de demander la Louve à haute voix quand elle vit l’Enfant faire apparaître une paire d’ailes dans son dos. Cette fameuse question qui lui trottait dans la tête depuis maintenant plusieurs minutes. L’avait-il entendu ? Lui fournirait-il une réponse nette et précise ? Bien évidemment, la Lycane ne pouvait rester là à les attendre, elle devait poursuivre sa route ! Sa queue claqua contre le sentier, signe que tout cela la dépassait, et elle reprit son ascension. Elle parvint au sommet de la fameuse montagne et eut le souffle coupé en apercevant, face à elle, la statue de Maturin. Certes on pouvait la voir de loin, mais jamais elle n’aurait pensé qu’elle serait si impressionnante. Face à la statue, la Louve se sentait petite, très, très petite.  Elle s’approcha de cette dernière et posa sa main sur le museau de la statue.

« Maturin ? »

Serait-ce simplement suffisant ?