Si le combat avait été une pure partie de plaisir, il en fut de même pour l’accueil que les deux hommes lui réservèrent alors qu’elle quittait l’arène. Quoi de mieux après des effusions de violence et de violence que deux baisers fiévreux ? « Tu es une vraie bête » : Shin répondit au compliment d’Aleksei avec un clin d’œil. Le « On est faits du même bois, toi et moi… » de Vaas lui arracha un sourire ému. Ces quelques mots en disaient long sur la structure même de leur relation. Si Shin considérait Vaas comme une version masculine d’elle-même, elle voyait plutôt Aleksei comme une forme d’altérité – ou, du moins, comme un
autre. Cette distinction les rendait incomparables et permettait d’équilibrer leur trio : il fallait bien une tête froide pour guider deux têtes brûlées – du moins, tant qu’elles acceptaient d’être guidées.
En sortant de la douche, Shin garda sa tenue de combat. Tant pis pour la robe. Elle n’avait d’ailleurs plus grand intérêt aux yeux de la petite blonde : elle se vêtait pour surprendre et éblouir, et jamais une tenue habituelle n’avait eu cet effet. Néanmoins, elle récupéra ses chaussures, bien consciente que se battre pieds nus n’avait plus grand intérêt une fois en dehors de l’arène. En rejoignant les deux hommes, elle vérifia si son cher et tendre poing américain était toujours dans sa poche – et soupira de joie en sentant le métal frais sous ses doigts.
Oui, elle s’était bien échauffée – et surtout
elle en redemandait. Shin avait une soif de violence à épancher. Le meurtre l’appelait comme une mère appelle son enfant ; par amour pour lui, elle était bien incapable de l’ignorer. Dans ce genre de circonstances, elle savait être une
bonne petite fille. Aussi suivit-elle les deux hommes d’un air tranquille, s’allumant une cigarette après s’était soigneusement remaquillée les lèvres. Si un des yakuzas avait cherché à lire dans ses yeux quelque chose qui ressemblerait à de la peur, il n’aurait rien trouvé. Shin savait très bien comment se comporter devant ses adversaires.
Aussi bailla-t-elle – par pure provocation – en écoutant parler le
Dragon de Kansai, avant d’inspecter ses ongles. Être une emmerdeuse, c’était sa marque de fabrique. Durant tout son discours, elle ne lui donna à voir que des petites grimaces, le genre que vous font les adolescents quand vous les engueulez : sourcils froncés, roulement d’yeux, mine agacée, air qui voulait dire « cause toujours ». Elle sentait bien que son attitude commençait à tendre sérieusement les yakuzas. À voir la manière dont ils la dévisageaient, elle comprit vite qu’ils devaient la prendre pour une petite peste qu’ils rêvaient de claquer. « Tant mieux », pensa-t-elle. L’orgueil et la colère pouvaient être de très mauvais conseillers quand ils dépassaient les limites du raisonnable et elle comptait bien là-dessus pour les tendre au maximum.
Elle envoya un petit baiser de la main à Aleksei quand elle l’entendit affirmer qu’elle sera la seule personne qui le tuerait, puis jeta un regard désintéressé aux billets que leur adversaire venait de jeter sur le sol, l’air de dire « rien à foutre ».
À côté d’elle, un yakuza commençait à serrer les poings ; un de ses comparses lui fit signe de la main de se calmer. Elle leva les yeux vers lui, son regard agrippant le sien tandis qu’un sourire amusé se dessinait sur ses lèvres. « Allez-y, mes chéris : montez en pression », songea-t-elle tout en insérant ses doigts dans son poing américain.
Et Ryuji Goda disparut, les laissant face à une jolie petite armée de yakuzas. Toujours souriante, Shin les regarda un à un.
Dans ce genre de moments, elle avait toujours le même son en tête : un son qu’elle jugeait adapté pour les tueries de masse ou les affrontements périlleux. Son cœur battait au rythme de cette
musique aussi joyeuse que frénétique. Plus elle se la remémorait, plus elle réchauffait son goût pour le meurtre. Elle faisait peu à peu bouillir le sang dans ses veines et vibrer ses nerfs, accélérait son rythme cardiaque, agitait ses muscles, et la rendait tout simplement jubilatoire. Shin se mit à la chantonner doucement, remuant les épaules et les mains. À cette occasion, leurs adversaires purent constater qu’elle avait autour de sa main droite son poing américain doré ; elle le remuait doucement au rythme de ce son qu’elle seule entendait. Elle prit un moment pour se remémorer la mélodie et invoquer cette petite voix électronique et joyeuse, se concentrant sur la montée qui suspendait le rythme effréné de la musique pour l’accélérer.
C’est alors qu’elle s’éloigna d’Aleksei et Vaas de quelques pas, ouvrant ses bras en direction des yakuzas.
- Alors, mes beaux ? Vous attendez qu’on vous invite ?
Et un signe de la main dans leur direction ; le même qu’elle avait fait dans l’arène, quelques minutes plus tôt.
Celui qu’elle avait particulièrement énervé se dirigea vers elle :
- Toi, petite insolente, tu vas crever.
Shin lui répondit d’un rire amusé.
- Essaie, pour voir, mon cœur.
Il se jeta sur elle, l’arme à la main – et elle le cueillit avec une certaine maîtrise en se baissant au bon moment pour se ruer sur ses jambes et le faire basculer en arrière tandis que le reste des yakuzas fondaient sur eux. Elle ne se préoccupa pas de ses deux alliés, n’ayant aucun doute sur leur capacités à éclater la gueule de ces mafieux et sauta sur on adversaire, levant le poing pour le frapper au visage. Il eut la présence d’esprit de tirer violemment sur son manteau en fourrure pour la déséquilibrer – ce qu’il parvint à faire. Shin roula sur le côté, l’homme levant son sabre au-dessus d’elle. Se débarrassant de cet encombrant manteau, elle roula à nouveau sur le sol, juste à temps pour éviter de se faire planter. D’un geste vif, elle se redressa, s’emparant de son manteau pour – pour lui jeter dessus, oui. Son but était au mieux de le faire tomber (car c’est lourd, un manteau de fourrure), au pire de le déséquilibrer un peu. Elle profita du moment où il cessa de la regarder pour éviter l’obstacle qu’elle lui lançait pour se jeter sur lui et lui attraper les cuisses pour le projeter au sol.
Shin se battait vraiment comme un petit animal. Et là, toute blanche, la peau et les vêtements couverts de terre, elle ressemblait vraiment à une de ces furies tribales.
L’homme tomba au sol, et elle lui tomba dessus, attrapant au passage le manteau pour lui enfoncer sur le visage. Soit il étouffait suffisamment pour mourir, soit elle le gênait tellement qu’il finissait par lâcher son arme. Le yakuza choisit la deuxième option. Vive, Shin s’en empara pour lui planter dans le ventre dans un geste pas très distingué et plutôt violent.
Puis elle se releva, son propre ventre éclaboussé par le sang, pour se jeter sur un autre yakuza. À voir ses mouvements, on pouvait aisément déduire qu’elle ne maîtrisait pas vraiment l’art délicat du sabre ; ses gestes étaient chaotiques et désordonnés. Néanmoins, la
rage qui pulsait sous sa peau et qui inondait ses pupilles en disait beaucoup sur sa véhémence. Les coups qu’elle adressa à son adversaire suivant furent si bordéliques et si violents qu’il ne sut pas tout de suite par où la prendre, tant il était incapable de prévoir comment cette petite sauvage allait le frapper. Elle finit par le blesser au bras, et il manqua de lui rendre la pareille ; néanmoins, elle eut le réflexe de reculer, et ne récolta qu’une entaille le long de sa cuisse.
Shin regarda sa blessure, puis releva les yeux vers lui d’un air outré :
- Tu
oses abîmer
mon corps, connard ?
… Quel sens des priorités, Shin. Tous les jours, tu me surprends.
Sur ces mots, elle se jeta sur lui, les deux mains fermement serrées autour du pommeau du sabre, bien décidée à lui planter dans le ventre. Il n’eut aucune peine à esquiver son geste et la gratifia d’une nouvelle entaille, cette fois dans le dos. Il n’en fallait pas plus pour qu’elle vrille. Dans un cri de rage, Shin se retourna vers son adversaire et lui envoya un très joli coup dans les parties. Le pauvre fut déstabilisé, et elle en profita pour lui enfoncer sa lame dans le cœur – non sans oublier de lui adresser ces dernières et charmantes paroles :
- Petite merde, va.