Et puis, pourquoi ne fait-elle-même pas un commentaire sur sa tentative d’assassinat ? Même un rabaissement serait moins blessant que ce criant silence !
« Je ne comprends jamais tout ce que tu dis. Mais je peux réfléchir au sujet de l’imagination et des limites. »
Elle soupire. Si seulement elle savait pourquoi elle bloque, elle aurait déjà travaillé sur une solution. Mais elle a abandonné. Du moins pour un temps. Car Alma n’abandonne jamais vraiment. Elle a la rancune tenace, par exemple.
« Je ne suis pas comme Liliane. Je ne suis pas une artiste. Mon cerveau ne peut pas trouver comment assembler un ensemble de lignes, de formes et de couleurs pour créer une œuvre d’art. Même en disant que mon pouvoir sur le Vert est une œuvre d’art, je ne saurai pas ce que sont ces lignes, ces formes et ces couleurs. Je comprends bien que c’est une forme de langage. Mais si je continue dans cette analogie, j’ai toujours parlé le même. Peut-être même que ce n’est pas vraiment un langage, en fait. Plutôt deux monologues qui se répercutent l’un sur l’autre. Quelque chose dans ce genre ? Hum, oui, peut-être. »
Alma repense à la carte que Liliane a fait basé sur ses cicatrices. Elle a transformé des blessures en œuvre d’art. Son visage devient songeur. Une réflexion s’amorce. Et si… Et s’il était possible de faire la même chose avec le Vert et le Gris ? Elle ne voit pas du tout comment elle pourrait dessiner. Elle n’a jamais eu cet entraînement de toute sa (sur)vie. Demander à Liliane parait également impossible. Il faudrait qu’elle expérimente ses pouvoirs à sa place. Et, aux dernières nouvelles, c’est un pouvoir sur le parfum et non une capacité d’inverser de corps qu’elle possède.
« Je crois que, pour moi, imagination s’associe forcément avec l’art. Peut-être parce que Liliane est entrée dans ma vie. En tout cas, je n’arrive pas à penser à une autre liaison. »
Elle sourit et ajoute :
« Probablement un manque d’imagination. »
Et alors elle réalise ce qu’il vient de se passer. Elle n’est plus dans une noire colère. Elle a arrêté de s’inquiéter pour sa petite amie. Et… elle… vient de plaisanter. Ce qui veut dire que, même à distance, Liliane a un effet apaisant ?! C’est une sorte de choc pour Alma. Un choc positif.
« Oui. Je me dis qu’il faudrait représenter mes pouvoirs sur des toiles, par exemple. Peut-être que des artistes comme Liliane pourrait trouver d’autres façons de le représenter. Peut-être que pour des gens comme toi, ce serait comme voir des graphiques de données. Je ne sais pas. Tu m’as demandé de réfléchir à l’imagination et aux limites, et je tourne en rond là-dessus. »