Ibrahim resta silencieux, mais regarda lourdement Ward, comme s’il savait que ce dernier ne lui disait pas tout. La compartimentation des informations était au cœur de la doctrine du SHIELD. On ne donnait jamais à un agent toutes les informations d’un problème. Travailler pour le SHIELD, au sein d’une enquête du SHIELD, c’était comme vouloir résoudre une charade en ayant qu’une proposition sur quatre. Le SHIELD était pensé ainsi, et, même avec le limogeage de Nick Fury, Maria Hill, formée à bonne école, avait gardé ce système, filtrant et regroupant les informations entre les agents d’échelons supérieurs. On évitait ainsi la fuite des données, et le risque que toutes les informations soient diffusées aux ennemis du SHIELD. La dimension paranoïaque d’une telle organisation n’échappait toutefois à personne, mais il fallait faire avec.
Mana expliqua qu’Exodia était peut-être séparé en plusieurs artefacts, et qu’il était un ancien Pharaon, quelqu’un qui avait accumulé un nombre particulièrement élevé de connaissances magiques pour devenir un être quasi-divin. L’utopie devenant tyrannie, le rêve virant au cauchemar. L’Histoire du monde, tout simplement. Des mages avaient scellé Exodia, l’avaient banni. Mana expliqua qu’Exodia était une légende, une légende qui faisait suffisamment peur pour qu’on la croie réelle.
Ward resta de marbre, véritable sphinx, et Ibrahim se racla la gorge.
« Si je comprends bien, vous menez une enquête en suivant les conseils d’une magicienne en herbe qui vous raconte des légendes ? Vous voudriez que je crois à ça, Ward ?
- Je ne vois pas ce que vous insinuez, Moussoul. »
Ibrahim Moussoul ricana ironiquement en se déplaçant.
« Ne me prenez pas pour un jeune pousse fraîchement sorti de l’académie, Ward ! J’étais là à l’époque de Fury, mon garçon. Cette histoire, ce Pharaon découpé en plusieurs parties, cet Exodia, ça ne vous est pas totalement inconnu, n’est-ce pas ? »
Ward resta silencieux pendant quelques secondes.
« Ward… commença Daisy.
- Soit… »
Il se déplaça lentement.
« Vous savez comme moi que le responsable des activités de Daesh dans le Sinaï est le ‘‘Calife’’ Al-Masri. Al-Masri fait partie de ces fondamentalistes qui ont décidé d’avoir recours à la magie pour combattre les forces occidentales. Et la légende d’Exodia, Mana, est une légende qui existe aussi sur Terre. On ne la trouvera dans aucun livre d’Histoire ni sur Wikipedia, car les informations relatives à ce Pharaon ont été regroupées il y a des siècles de cela. Les gens qui ont enfermé notre Exodia étaient nos ancêtres… La Confrérie du Bouclier. »
Ibrahim resta silencieux, et Ward poursuivit, maintenant qu’il était sur sa lancée :
« Exodia était le proche d’un autre Pharaon, extrêmement dangereux… En Sabah Nur… Apocalypse. »
Ward croisa le regard circonspect de Mana, et contextualisa alors ses explications :
« En Sabah Nur était un mutant, un être doté de capacités exceptionnelles qui entreprit de régner sur l’Égypte il y a des millénaires. Il était un bébé difforme qui vit le jour dans un village près d’Akkaba, et où il fut récupéré par un individu cherchant à renverser l’actuel Pharaon, Ramsès II. Un individu qui prit le nom du Dieu Baal. Baal massacra les Akkabiens jusqu’au dernier pour récupérer En Sabah Nur, et, avec son aide, ils mirent sur pied une révolte pour renverser Ramsès II. »
Ramsès II fut l’un des plus célèbres Pharaons de l’Égypte antique, qui régna sur l’Égypte pendant plus de soixante ans. Ramsès II marqua son époque, et son règne fut considéré comme l’apogée de la civilisation égyptienne. Grand guerrier et conquérant, Ramsès II défia les Hittites et étendit les frontières de l’Égypte. Une légende tenace affirmait que Ramsès II était le Pharaon opposé à Moïse dans la Torah.
« Baal agit dans l’ancien royaume de Koush puis s’allia avec les Hittites. Certains disent qu’il était le frère de Ramsès II, Nebchasetnebet, et qu’il était furieux d’avoir perdu le pouvoir. Baal éduqua En Sabah Nur pour en faire son fils, une marionnette qu’il pourrait manipuler à sa guise. Baal et En Sabah Nur défièrent ensemble l’armée de Ramsès II, et furent vaincus. On pensa Baal mort, ensevelis sous des décombres, mais nos recherches ont démontré que Baal avait survécu. Quant à En Sabah Nur, il se heurta à un autre conquérant voulant se faire passer pour Ramsès II, Rama-Tut… Kang le Conquérant. Kang contraria les projets d’En Sabah Nur, qui, pour des raisons inconnues, renonça au pouvoir en Égypte, et voyagea auprès d’autres civilisations antiques, où il était considéré comme un Dieu par ces peuplades. Les circonstances ayant amené En Sabah Nur à ne pas pouvoir dominer la Terre à cette époque sont confuses, mais sont, je pense, liées à Baal. »
Ward se déplaça encore.
« La théorie du SHIELD est que Baal avait développé un artefact pour siphonner les pouvoirs d’En Sabah Nur, et pouvoir ainsi renverser Ramsès II. Ta légende rejoint donc les éléments de cette enquête, Mana. Pour le vaincre, Ramsès II dut séparer l’essence de Baal en cinq fragments qu’il enferma dans des pyramides construites dans le Sinaï, là où Ramsès II affronta les forces de Baal, ou Exodia sous son nouveau nom. Ma théorie est donc qu’Al-Masri cherche à reconstituer Exodia. »