The Multiversity

Nikita aurait volontiers poussée une gueulante au vu des choix que prenait le bourlingueur dans ce labyrinthe impossible. Mais la contre-attaque aurait été pire encore : parce qu’elle n’aurait pas pu mieux choisir que lui. Il n’y avait aucune façon de faire un bon choix. Pas d’indices gravés dans la pierre. Encore moins de cartographie plastifié avec un point de rassemblement en cas d’incendie. Donc Nikita avait suivi. Et elle avait encore suivi quand le bourlingueur avait décidé que grimper était une possibilité intéressante.

« Pourquoi pas… »

L’obstacle physique ne serait pas une gêne pour celle qui n’avait pas compté ses heures à se muscler lorsque le Chalet du Père Noël était encore dissimulé sur Terre et non errant dans les étoiles. La seule raison qui expliqua qu’Ulrik fut le premier à rencontrer le chat doué de paroles fut qu’il commença l’escalade le premier. Malgré son gabarit, Nikita grimpa. En addition des soulevées de fonte, elle n’avait jamais exclu des exercices type yoga pour développer sa souplesse.

En outrepassant le fait « impossible » d’un félin capable de tenir une conversation, Nikita enregistra diverses informations. Apprendre qu’elle avait évité une probable noyade était une chose. C’en était une autre d’imaginer des chats-ouvriers actionnant quelques leviers pour inonder le canal en vue de… de générer de l’énergie ? Elle décida que ce n’était peut-être pas plus étrange que toute une bande de lutins s’affairant toute une année pour la fabrication de cadeaux.

*Il me voit comme la mère d’Ulrik ? Je parais si vieille que ça à côté de lui ? Et… pourquoi n’a-t-il pas rétabli la vérité ? *

Beaucoup de choses ensuite auraient du la faire réagir. Le nom à rallonge qui semblait avoir pour contrainte de contenir une musicalité. Que les chats vivent dans un village et puissent conduire des camions de lait. Est-ce qu’il y avait des chats qui siphonnaient les pis des vaches ? La notion onirique. La relation entre Nikita et Ulrik qui semblaient importantes rapport à ce lieu. Mais ce fut la suite qui éveilla quelque chose en Mrs Claus.

« Attends ! Félix IV, attends, s’il te plaît. »

*Comment le formuler ? Est-ce que je dois m’adresser à lui comme je m’adresserais à Ulrik ? Quelles sont les conventions… sociales ? *

« Ulrik n’est pas mon… enfin, il a passé l’âge d’être un enfant. A moins que seul importe le fait d’avoir des parents pour être un enfant ? Non, ce n’est pas ça l’important. »

Mrs Claus s’agenouilla à côté du chat. Même comme ça, elle restait toujours une géante face au petit animal.

« Je devrais avoir une relation privilégiée avec les enfants, les merveilles et l’innocence. Mais… mais la vie m’a emmené sur des chemins bien obscurs et bien tristes. Mais si je suis là ! C’est que je n’ai pas tout perdu, n’est-ce pas ? C’est grâce à lui ? C’est quelque chose que j’ai en moi ? Félix IV, j’aimerai beaucoup visiter ce village. Peut-être que la réponse que je cherche depuis des éons s’y trouve. Si je suis mal à l’aise à l’idée de dormir alors que tu as évoqué le fait que nous soyons en train de rêver, je suis motivé à l’idée de converser pour philosopher. »

Mrs Claus se releva et de sa main, caressa la tête d’Ulrik. Elle aurait montré au félin le lien mère/fils entre eux deux. Mais tout ça était définitivement trop étrange pour elle. D’abord le fait qu’il était un adulte. Egalement le fait qu’il ne soit pas relié par le sang. Mais aussi, et surtout, parce qu’elle n’avait jamais été mère. Elle doutait même de posséder un instinct maternel.

Quand Mrs Claus caressa son visage, Ulrik eut un léger mouvement de recul, et rajouta ensuite :

« Une minute… Ce n’est pas ma mère ! »

Felix IV les observa tous les deux, en penchant sa tête sur le côté.

« Ah bon ? Mais comment deux adultes ont pu venir ici ? »

Mrs. Claus lui parla ensuite. En un sens, Ulrik se demandait comment ils avaient fait pour se retrouver à discuter de philosophie et du but de la vie avec un chat. Étaient-ils devenus tous fous ?

« Vous employez des mots trop compliqués ! Moi, je demande aux Humains de jouer avec moi, de me câliner, de me gratter, comme quand je me couche sur le dos, ou qu’on me grattouille le cou ! Je vais vous envoyer voir Balthazar, c’est notre maire ! »

Felix IV se retourna ensuite, et avança avec ses petites pattes vers le village. Ulthar se présentait comme un petit village médiéval avec des rues pavées. On avait mis des banderoles festives le long des murs, entre les immeubles. Les magasins étaient tous destinés à un public juvénile : chocolaterie, épicerie, sucrerie… Ulrik constata vite une absence d’adultes. Les enfants les regardaient en étant surpris, tous comme les chats, qui se disaient que ces enfants-là étaient bien grands ! Il régnait une ambiance festive, bercée par des chants enfantins. Au cœur du village, on trouvait une place centrale, circulaire, abritant des aires de jeux autour d’une fontaine. Toboggans, tourniquets… Ulrik et Mrs Claus purent également voir que les enfants dansaient avec des tanukis, la musique jaillissant de haut-parleurs (ce qui était anachronique avec l’ensemble). Ils chantaient une chanson japonaise en chœur, en se tenant la main, et en tournant entre eux :

Itsudemo omae ga kitto soba ni iru
Omoi dashite okure suteki na sono na wo

(I'm sure you're always by someone's side
Please try and remember their wonderful name)

La queue de Felix IV remuait en harmonie en observant cela. À l’entrée de la place, Ulrik constata également la présence d’un écriteau :

PLACE DE MATURIN

LA COMPTINE DE LA TORTUE :

VOIS LA TORTUE COMME ELLE EST RONDE !
SUR SON DOS REPOSE LE MONDE.
TU VEUX DES RIRES ET DES CHANSONS ?
SUIS DONC LE SENTIER DU RAYON

Ulrik, qui ne savait plus vraiment où donner de la tête, se retourna vers Felix IV.

« Mais qu’est-ce que c’est que ce délire ?!
- Écoutez, les Adultes, je ne sais pas comment vous avez fait pour venir ici, mais ne venez pas perturber les enfants ! Vous croyez que vous ne les ennuyez pas assez comme ça ? Que croyez-vous que font les esprits quand ils dorment ? Vous connaissez Peter Pan, non ? Les esprits rêvent la nuit, ils s’évadent, et les esprits des enfants viennent à Ulthar, la première étape du Sentier du Rayon. Les Adultes n’ont pas leur place ici, alors soyez déjà heureux qu’on ne vous repousse pas ! »

Ulrik cligna des yeux à plusieurs reprises.

*Un rêve ?*

Le sieur Balthazar observait la ville depuis son bureau, situé au sommet de la mairie. C’était un chat qui, contrairement aux autres, marchait sur ses pattes arrière. Il portait un monocle, une redingote, et une pipe par laquelle il fumait de l’herbe à chats. C’était le maire, respectable élu, qui observait les deux curieux en titillant sa moustache depuis sa fenêtre avec l’une de ses pattes avant. Il y avait bien longtemps que les adultes ne rêvaient plus d’Ulthar, et qu’ils n’entendaient plus la voix de Maturin qui les guidait à travers leurs rêves dans son domaine.

Que faisaient-ils ici ?

Cet endroit était peut-être impossible. Mais Mrs Claus ne redoutait plus Blue Moon ou les monstres qui avaient essayé de la tuer (ou pire). Elle se trouvait dans un endroit interdit d’adultes. Elle découvrait des enfants innocents qui jouaient dans un lieu qui lui faisait penser au Chalet qu’elle avait perdu. C’était un peu comme retrouver son foyer.

Et donc, au lieu de pousser la conversation avec Ulrik, ou de s’en aller chercher des explications avec le maire : elle préféra explorer dans un premier temps la place. Les enfants étaient si petits. Si faibles. Elle le réalisait en découvrant l’étroitesse du toboggan comparé à sa taille. Des enfants coururent soudainement près d’elle ! Ils jouaient à un jeu de course-poursuite. Ils ralentirent à peine en passant à côté de la « géante musclée ». Mrs Claus, elle, sourit.

« Bonjour. Ou bonsoir, je ne sais pas trop : ah ah ! »

Malgré son physique de body-buildeuse, Mrs Claus était très douce et très maternelle lorsqu’elle interagissait avec des enfants. Seuls des éclats de rire enfantins lui répondirent. Elle n’en prit pas ombrage et quitta sa position accroupie. Il le fallait bien pour se mettre à leur niveau à eux.

Elle poursuivit sa ronde dans la place, tournant autour de la fontaine comme s’il s’agissait d’un rond-point. Elle s’arrêta quand elle sentit le regard du maire. Qui n’était autre qu’un chat se tenant et adoptant des comportements tout à fait humain. Elle lui fit un signe de la main pour le saluer. Lui sourit à lui aussi. Puis s’en désintéressa pour retourner aux enfants.

Mrs Claus finit à côté d’un tourniquet. En s’approchant, deux enfants s’étaient enfuis. Maintenant, les deux regardaient l’adulte tourner si efficacement le jeu. Ils se regardèrent. L’hésitation était évidente. L’envie de braver la peur aussi ! S’ils y allaient et que la grande dame tournait pour eux ?! Ca allait aller super vite : ah ah ! Alors les deux enfants faire fi de leur appréhension et montèrent dans le tourniquet. Mrs Claus le fit tourner. Encore et encore. D’autres enfants demandèrent à entrer dans le tourniquet. Avec un grand sourire, elle arrêta le mouvement de rotation pour les laisser entrer. Avant de bander ses muscles et de les faire tourner encore et encore !

*Leurs rires sont comme un chant qui s’élève ! Si pur. Si innocent. C’est dommage que je n’ai aucune sucrerie à leur offrir. *

Quand l’ennui rattrapa la vitesse, les enfants se dispersèrent pour jouer à autre chose. Une petite fille était restée. Mrs Claus s’accroupit une nouvelle fois et tenta de lui parler :

« J’ai lu qu’il y avait des vers à apprendre sur une pancarte. Je ne connais pas cette tortue. Tu voudrais m’aider à apprendre la comptine ? »

« Pardonnez-moi, mais comment pouvez-vous dire que ce sont des adultes, Balthazar ?
- Eh bien… À leur taille, pardi ! »

Le Conseil municipal d’Ulthar s’était rendu de manière extraordinaire pour étudier soigneusement le cas des intrus. Quand Mrs Claus s’était rapprochée de la fillette en évoquant la tortue, celle-ci avait expliqué qu’elle ne comprenait pas comment des adultes étaient arrivées là.

« Quand on dort, et qu’on rêve, on entend la chanson, et on suit le chemin qui nous amène ici… Puis, quand on se réveille, on oublie tout. Les adultes sont interdits ici ! Interdits ! Interdits !! »

Des chats s’étaient ensuite déployés en invitant le duo à les suivre. Ils étaient accompagnés de tanukis, et les avaient guidé vers la mairie, où Balthazar avait réuni le Conseil municipal. De tous les chats, il était le seul habillé. Il portait un monocle, marchait sur ses pattes arrière, ainsi qu’une redingote rouge vive aux motifs dorés avec un chapeau haut-de-forme. Fait encore plus notable, et qui surprit les autres chats, il arrivait à distinguer les humains adultes des humains enfants. Il portait enfin une élégante canne.

« Tout de même… Les humains sont si grands, je ne vois aucune différence, moi ! » s’exclama un chat après s’être rapproché de la jambe de Mrs Claus.

Balthazar grommela alors.

« Et vous vous étonnez qu’on vous dresse si facilement ! Ah, de fiers prédateurs, ce qu’il ne faut pas entendre, parfois !
- Je suis un fier prédateur ! Les humains sont mes esclaves, haha ! Ils me nourrissent, me grattouillent quand je le souhaite, et je dors dans leur lit ! Ce sont de fidèles sujets !
- Oui, des sujets, des sujets ! »

Ulrik, qui commençait à ressentir les effets d’une migraine lancinante, essayait vainement de comprendre ce qui se passait.

« Voudriez-vous bien nous expliquer ce qui se passe ici ? »

Balthazar fronça les sourcils, tandis que le silence se fit au sein de l’assemblée des chats. Grimpant sur la table, Balthazar se rapprocha du duo.

« Soit, soit, vos questions sont légitimes, humains. Voyez-vous, vous êtes dans ce qu’on appelle communément la Dimension Onirique. Vous avez déjà rêvé, non ? Parfois, quand on rêve, on s’égare loin de sa pensée… Tous les gens qui rêvent, tous les êtres vivants qui rêvent, plutôt… Ces rêves collectifs forment une dimension spéciale, le Monde des Rêves… Ulthar est un village commun aux humains et aux chats qui rêvent, et, pendant longtemps, tous les humains y étaient autorisés. Les règles ont toutefois changé quand des sales types se sont mis à tuer les chats en rêves. Nous les avons chassés, et, suite à cela, la Tortue a décidé qu’Ulthar était la première étape du Sentier du Rayon, réservé aux enfants.
- La Tortue ? Le Sentier du Rayon ? »

Ce Portail qu’ils avaient emprunté les avaient donc emmenés dans le Monde des Rêves… Tout en étant éveillés. Cela semblait délirant, mais Ulrik pouvait l’accepter. En revanche, il partageait les interrogations de Mrs Claus.

« La Tortue… Maturin… Vous êtes des adultes, vous êtes supposés être cultivés ! La Tortue qui veille sur nous, sur chacun d’entre nous, même les adultes ! Vous avez tous entendu sa voix dans vos rêves quand vous étiez des enfants, mais vous avez grandi ! Vous avez renoncé au merveilleux au raison, au rêve pour le cynisme ! Alors, vous avez cessé d’entendre sa voix ! Comment pourriez-vous entendre la voix du merveilleux quand vous cessez de croire au Père Noël ? »

Ulrik restait silencieux. Encore le Père Noël… Il jeta brièvement un regard vers Mrs Claus, en commençant à se demander si ce Portail n’avait pas été ouvert spécifiquement pour elle…

Le chat qui s’était approché de Mrs Claus au début du discours de Balthazar avait reçu les caresses demandées. Ordonnées, si on suivait son doux délire d’espèce dominatrice. Toutefois, du point de vue de la géante, il n’était que « un chat » car tous les chats se ressemblaient. Cette problématique allait donc dans les deux sens. Si ce n’était le cas exceptionnel de Balthazar.

*C’est bizarre qu’il soit habillé et sur ses deux pattes arrières. Certes, il y a des comptes vidéos sur Terre qui ont filmé des chats habillés de petites tenues de dinosaures ou qui se tiennent sur leurs deux pattes comme s’ils observaient. Mais ce Balthazar… aurait-il adopté des mœurs humaines pour se faire chaînon manquant entre nos deux races ? *

La conversation bifurqua sur la Tortue. Ce fut le début d’un tour en montagne russe dans le cœur de Mrs Claus. Il y avait autant d’espoir ! que de désespoir… Oui, NECESSAIREMENT qu’il fallait mettre de côté vivre au présent, jouer sans penser à après pour administrer le Chalet. Administrer… le terme lui-même CRIAIT à l’adulte ! Mais on était obligé de penser un minimum à l’après. Sinon, par exemple, qui s’occuperait de préparer à manger ? Et pour manger, il fallait avoir des ingrédients. Et pour avoir des ingrédients, il fallait aussi planifier d’aller faire des courses. Donc de nécessiter de l’argent… donc de faire attention à avoir toujours de l’argent… donc… Et donc la liste était sans fin.

Mais ce n’était pas ça le pire. Le pire étant de se souvenir des dernières années du Père Noël. Ce vieillard impossible… ce pervers aux tendances fétichistes… cet incapable qui avait un jour été si glorieux. Aussi musclé et charismatique qu’un Superman. Mais il y avait eu des cadavres à cacher. Et éventuellement, il avait fallu cacher à son tour le cadavre du Père Noël à la légion de lutins qui devait travailler d’arrache-pied pour le bonheur de tous les enfants du monde entier.

« Parce que le Père Noël est mort. »

La phrase était tombée avec la même subtilité que la lame de la guillotine.

« Il n’est plus question de croyance quand l’homme devient une personne tangible. Quand la légende pour tous devient l’homme du quotidien. »

Que croyait-il ? Que Mrs Claus avait abandonné le merveilleux avec plaisir ? Que sa longévité impossible était un cadeau de Noël ? Non. Elle avait une foultitude de raisons de penser le contraire. Mais elle n’était pas une femme à baisser les bras rapidement. Elle avait lutté contre le poids des responsabilités des dizaines d’années. Autant par sa force mentale que par les centaines d’heures de musculation.

« Vous devriez faire attention, Balthazar. Un chat qui se comporte comme un homme ? Un chat qui s’habille, parle et se tient sur seulement deux de ses pattes ? Vous allez vite réaliser qu’à force de réfléchir et veiller sur votre communauté, votre merveilleux s’en ira également. Et alors quoi ? Vous disparaitrez de votre propre cité ? Pour qu’un autre de ses chats prennent votre place ? Et ce dans une boucle infinie ? Pour le seul plaisir des enfants ? Enfants qui finissent tous par grandir, inévitablement, pour devenir ces adultes à qui vous interdisez maintenant l’accès ? »

Si le ton était acerbe, en réalité le cœur de Mrs Claus espérait beaucoup. Elle se tenait sur la première étape du Sentier du Rayon réservé aux enfants. Ce devait bien vouloir dire quelque chose, oui !

La révélation de Mrs Claus surprit les chats. Balthazar ne répondit pas immédiatement, jusqu’à ce que Mrs Claus l’apostrophe directement, en lui faisant observer que, en voulant ressembler à un humain, il risquait lui aussi de disparaître du merveilleux. Balthazar la laissa parler, puis, au lieu de s’énerver… S’esclaffa bruyamment. Entendre un chat rire était bien quelque chose qu’Ulrik n’aurait jamais cru capable.

« Cela, ma chère, c’est parce que, voyez-vous, je ne suis pas comme tous ces chats idiots qui se roulent au sol. Je viens du Royaume des Chats, moi ! »

Ulrik soupira lentement.

*C’est quoi, cette histoire de fous ?*

Balthazar allait ajouter encore quelque chose quand la porte de la salle s’ouvrit sur un autre protagoniste.

« Allons, Balthazar, ne soyez pas si désobligeants. »

C’était une voix posée et charismatique. Un chat de gouttière en costume blanc avec une canne bondit alors sur la table. Lui aussi se tenait debout. Très élégant, Baron suscitait naturellement le respect auprès de ses congénères.

« Ma chère Mrs Claus, je me permets de vous reprendre… Le Père Noël n’est pas un humain standard. Ne vous est-il jamais venu à l’esprit qu’il existait parce que les gens croyaient en lui ?
- Baron, c’est une réunion exceptionnelle du conseil municipal, tu n’es pas autorisé à…
- Voyons, mon cher Balthazar, nous ne faisons que singer les humains, tu sais. Ce conseil municipal n’est rien de plus qu’une farce. Mrs Claus a peut-être raison, tu te comportes un peu trop comme un humain.
- Et moi, je dis que tu les fréquentes trop ! Depuis que tu as sauvé cette petite fille… »

Baron ne répondit pas, et se rapprocha des deux humains. Sa démarche était posée, empreinte d’une certaine forme d’élégance.

« Ne vous est-il jamais venu à l’esprit qu’une idée peut être plus qu’une simple idée ? Qu’une idée peut, si elle est partagée par suffisamment de personnes, influencer le réel ? Le Père Noël existerait-il si Coca-Cola n’avait pas popularisé une version possible de Saint Nicolas, qui a fini par regrouper les différents mythes et légendes tournant autour de votre époux ?
- Tout cette théorie métaphysique, ça me dépasse… On veut juste sortir d’ici, et…
- Et quoi, Monsieur Ulrik ? Revenir auprès de ces deux monstres, et mourir ? Cette porte que vous avez emprunté… C’est Maturin qui l’a généré. Vous ne vous êtes pas égarés en venant ici, vous êtes précisément à l’endroit qu’il faut… Là où vous pourrez peut-être réussir à sauver un monde, et sauver l’esprit du Père Noël. »

Le silence s’imposa chez Mrs Claus.

Cette conception qu’une idée pouvait donner naissance ne lui paraissait pas aberrante. En fait, cela lui fit penser à un film d’animation dans lequel se trouvait une représentation du Père Noël. Son titre était « Les Cinq Légendes ». Mais c’était bien l’idée d’une idée donnant naissance qui s’imposait à son esprit. Inconsciemment, elle porta sa main à son ventre.

Mrs Claus observa le nouveau chat très élégant. S’il n’avait pas une longue barbe, il semblait que son costume immaculé était son signe de sagesse. Quant à Ulrik ? Ce dernier semblait complètement paumé. Elle pouvait comprendre. Mais elle se devait d’être égoïste. Peut-être le baroudeur n’avait-il été qu’un vecteur pour l’amener d’un ilot perdu dans les étoiles à ce lieu très spécial ?...

« Je commence à me demander s’il ne faudrait pas que je retourne au Chalet Magique. Il y a là-bas suffisamment de lutins pour qu’une idée influence le réel. Et… »

Quelque chose venait de traverser son esprit. Mais cette chose était restée dans son inconscient.

« C’est également là-bas qu’il reste le plus d’énergie magique de Noël. Et… »

La chose dans son inconscient était revenue à sa conscience. En même temps que sa main se posait à nouveau sur ce ventre qui était un siège de muscles abdominaux. Comment aurait-elle pu voir ce ventre autrement ? A savoir une matrice de fertilité.

« Peut-être que je me suis trompé depuis le tout début. Peut-être que la future incarnation n’a jamais été quelque part dans l’univers. Mais toujours en moi. La légende veut que Marie ait donné naissance à Jésus dans une immaculée conception. Peut-être est-ce ainsi qu’on met au monde les légendes… »

Et il aurait fallu tomber entre les mains d’une scientifique folle ? Se faire poursuivre par des aberrations à tentacules ? Et terminer ce voyage initiatique dans un monde d’enfants et de chats ? Rien n’avait de sens. Et en même temps, n’était-ce pas cela Noël ? Oublier toutes les merdes passées pour se concentrer sur cette seule nuit fantastique qui en appelait au merveilleux ? Ce futur Père Noël n’était-il pas le cadeau que la Vie allait offrir à Mrs Claus ?

« Monsieur Baron, serait-il possible que les âmes des enfants aient le choix de plusieurs chemins à partir d’ici ? Je me demande si l’une de ces âmes ne me serait pas destiné. »

Elle eut alors un flash. Une image qui s’imposa un temps derrière ses rétines. Cette petite bouille au chapeau de vieil aviateur accompagné d’un nounours avec son haut-de-forme, était-ce lui le prochain Père Noël ? Si c’était le cas, elle saurait l’élever. Il passerait son temps dans l’atelier, avec les lutins, à comprendre tous les rouages mécaniques combinées à toute la magie de Noël. Oui, Mrs Claus commençait à sérieusement y croire.

Baron semblait très cultivé. Ce qu’il disait donnait matière à réflexion à Mrs Claus, qui commençait à se demander si elle n’avait pas fait fausse route.

« Hum… Pour influencer le réel, il faut être plus que quelques-uns, Mrs Claus. Ceci étant dit, vos questions dépassent mes humbles compétences, et c’est pour cela que je suis venu, d’ailleurs. Maturin souhaite vous rencontrer. »

Il y eut un concert de miaulements surpris de la part des conseillers municipaux. Maturin en personne ! La légendaire Tortue ! Si on se fiait à certaines théories, Maturin était la Voix qui avait guidé Moïse au Buisson ardent, la Voix qui avait délivré aux hommes les Dix Commandements. Il était la Tortue, le protecteur des mondes.

« Mais enfin, Baron, vous n’y pensez pas ! Ce sont… Enfin, la Tortue a interdit que des adultes l’approchent ! s’exclama Balthazar.
- Attendez, attendez, intervint un autre conseiller, je croyais que nous devions d’abord statuer sur le fait de savoir si nous avions affaire à des humains adultes ou enfants.
- Non, non, non, on dit majeurs et mineurs, soyons professionnels ! Peut-être pourrions-nous pratiquer des tests dentaires, je sais que cela se fait parfois chez les Deux-Pattes…
- Ce n’est pas du tout la même chose !
- Voulez-vous donc vraiment que nous dissertions sur les appellations à mener ? Car cela nous conduirait à reporter la question de savoir si… »

Balthazar feula, son poil se hérissant.

« Ah, assez, allez donc vous faire gratter contre un arbre !
- M’accuseriez-vous de mentir, Maire Balthazar ? »

Le maire resta silencieux pendant quelques instants, puis soupira, et proposa d’ajourner la réunion. Les chats bondirent alors pour rejoindre les enfants dehors, estimant qu’ils avaient beaucoup trop travaillé, et qu’ils méritaient bien de dormir… Ce qui signifiait aussi que, même dans leurs rêves, les chats rêvaient de dormir.

Baron invita Ulrik et Mrs Claus à le suivre. Ils rejoignirent une calèche qui les attendait dehors. Le duo grimpa à bord, en compagnie de Baron.

« Tout ce que je peux vous dire sur l’âme des enfants, c’est qu’elles suivent un chemin différent des adultes. Les âmes des adultes sont jugées en fonction des panthéons auxquels les mortels se rattachent. Mais on ne peut pas vraiment juger un enfant, n’est-ce pas ? Les âmes des enfants morts suivent la voie de la Tortue, et se réincarnent ensuite.
- Que nous veut ce Maturin ?
- Je pense que tout est lié à cet esprit de Noël… Mais je n’en sais guère plus. »

Alors qu’Ulrik s’attendait à un long déplacement, le chariot s’arrêta. Les portes s’ouvrirent toutes seules. Ulrik sortit, et constata qu’ils n’étaient plus à Ulthar, mais dans une campagne, avec un simple chalet en bois.

Ulrik se dirigea vers le chalet. Il y avait un perron à l’entrée. Ils entrèrent dans un salon, et Ulrik perçut une odeur de café.

Maturin était là, en train d’attraper une cafetière.

« Ah, vous voilà enfin !
- Balthazar a fait des siennes, comme d’habitude.
- Oui, il est réputé pour ça… Mais il n’est pas bien méchant. Je vous en prie, installez-vous. »

Ulrik le sentait au plus profond de son être. Une puissance incroyable se dégageait de cet homme, s’il était bien un homme…

« J’ai un peu profité de vos mésaventures pour vous inviter chez moi, mais je vous promets que vous ne regretterez pas ce détour. Vous voulez du café ? »

Ulrik s’assit lentement.

« Mrs Claus, je suppose que vous avez dû commencer à comprendre ce que vous faites là. Le Père Noël est mort, mais on ne peut pas vraiment tuer une idée… Les calendriers de l’Avent continuent à sortir dans le monde, et, même si on ne peut nier le mercantilisme lié à cette fête, le fait est que cette fête existe toujours. Votre vision était correcte, l’enfant que vous mettrez au monde est destiné à devenir le Père Noël. »

Le Père Noël ?!

Mrs Claus venait de broyer le poignet d'Ulrik. Sous la surprise, elle s'était laissée aller à une réaction. Elle qui était plutôt du genre à avoir du sang froid. Après tout, il fallait en avoir quand on supportait le poids des responsabilités, de la paperasse et des centaines de vies des lutins du Chalet.

"Excuse -moi, Ulrik."

Ce n'était pas le Père Noël malgré son grand âge, ses cheveux longs et sa barbe blanche. Il inspirait beaucoup de choses. En fait, Mrs Claus lui trouva un air denchanteur. Et donc le nom de Merlin lui vint. Mais elle se reprit. Bien que son esprit avait des difficultés à comprendre comment une Tortue...déesse ? Se retrouvait sous les traits d'un vieil homme en train de lui proposer une activité si banale telle que...prendre une tasse de café chaud ?...

Ulrik s'était assis. Mrs Claus était restée debout à écouter le vieil homme. Mathurin. Elle devait s'y faire. Mais cet homme avait une aura incroyable. Et il semblait que c'était un manque de respect de lappeller Mathurin. Comme si c'était trop familier pour une telle figure.

Sa main se posa sur son ventre. Sur ses abdominaux bien dessinés.

"Je..."

Ses yeux se poserent sur la cafetière.

"Oui, oui je veux bien une tasse de café. Je..."

Il y eut un déclic. Elle réalisa qu'elle était toujours debout. Sa main tira la chaise pour qu'elle pose ses fesses. Ce serait plus facile d'accuser les coups, pensa -t-elle.

"Vous dites que je vais donner naissance au prochain Père Noël ? Je..."

Elle n'était pas pudique. Ses premières années dans le Chalet, quand elle était encore femme normale qui avait a peine été touché par la magie de Noël (et par le Père Noel), ses premières années-là avaient permis à un grand nombre de lutins de la, et bien, de la lutin. Mais dans cette situation, parler de sexualité n'était pas un sujet anodin.

"C'est impossible qu'il y ait une vie dans mon ventre. Je n'ai pas eu de relations sexuelles depuis quelques temps."

Pauvre Ulrik qui s'était retrouvé dans une aventure abracadabrantesque. Mrs Claus n'osa pas le regarder pour faire preuve d'empathie et voir comment il réagissait à tout ça. De toute manière, Mathurin avait l'effet d'être des flammes et elle un papillon attiré sans possibilité de se détourner.

De toute façon, elle était en quête de réponses. Et ce vieil homme-tortue en avait !

« Oh… Alors, vous et Ulrik, vous n’avez pas encore commencé à… ? »

Ulrik sursauta légèrement.

« Je… Pardonnez-moi ? J’ai dû mal comprendre !
- C’est moi qui ai fait en sorte de vous rapprocher. Les probabilités disaient que vous étiez un excellent amant, un tombeur. »

Ulrik cligna des yeux à plusieurs reprises, se sentant soudainement aussi mal à l’aise que Mrs Claus.

« Qu’est-ce que c’est que ce délire ? Mais vous êtes qui, putain ?!
- Du calme, du calme. On vous l’a dit, non ? Je suis la Tortue… Je suis le Gardien.
- On ne nous a rien dit ! »

Maturin resta silencieux pendant quelques instants.

« Vous ne trouvez pas cette femme attirante ? »

Surpris, Ulrik regarda Mrs Claus pendant quelques instants, puis Maturin.

« Mais qu’est-ce que vous racontez, bordel ? »

Maturin soupira brièvement.

« Si je vous expliquais tout, vous ne comprendriez pas. Retenez simplement que je suis votre ami, et que j’ai des dons proches de l’omniscience. Ce que je veux vous dire aussi, Mrs Claus, c’est qu’une idée ne meure jamais vraiment. Laissez-moi reformuler. La vie, ou la réalité, est plus que ce que vos cinq sens vous montrent. Disons que vous ne voyez qu’une partie de la réalité, une partie très matérielle, car vous voyez la réalité avec vos cinq sens seulement. N’importe quel animal voit la réalité différemment de vous. Il voit moins de choses que vous, et il en voit davantage. Penseze aux vols migrateurs des oiseaux, à la manière dont les chats peuvent voir la nuit, à ces animaux qui disposent de sixième sens… Bref, ce que je veux vous dire, c’est que la réalité n’est pas qu’une chose purement matérielle, et que les pensées collectives influencent cette réalité. Des bandes dessinées dans un monde sont une réalité dans un autre… Il existe un monde où vous et Mrs Claus n’êtes que des personnages fictionnels, des inventions d’esprits imaginatifs. Il existe un monde où le Père Noël n’existe pas, n’est qu’une fable pour les enfants… »

Ulrik fronça les sourcils.

*C’est qui, ce vieux ? Il est complètement sénile !*

Maturin sourit légèrement.

« Je ne suis pas sénile, Ulrik, et, si vous ne me croyez pas, c’est parce que vous avez fermé la porte du merveilleux en grandissant. Voilà pourquoi seuls les enfants peuvent me voir dans leurs rêves… Vous êtes comme dans cette chanson de Supertramp… Un enfant qui croit à tout, et qui, en vieillissant, devient logique, responsable, et cesse finalement de croire. »

Comme pour appuyer ses propos, Maturin claqua des doigts, et la chanson de Supertramp se diffusa dans la pièce.

« Écoutez la première strophe, s’il-vous-plaît… »

When I was young, it seemed that life was so wonderful
A miracle, oh, it was beautiful, magical
And all the birds in the trees, well they'd be singing so happily
Oh, joyfully, oh, playfully watching me
But then they sent me away to teach me how to be sensible
Logical, oh, responsible, practical
And then they showed me a world where I could be so dependable
Oh, clinical, oh, intellectual, cynical

« I know it sounds absurd / Please tell me who I am… C’est une question que vous devez aussi vous poser, Mrs Claus. Vous voulez savoir pourquoi vous avez perdu ? Pourquoi votre Père Noël a perdu la raison ? Vous disposez tous du libre arbitre, de la possibilité de faire ce que vous voulez. Et vous, Mrs Claus, vous avez au fond cessé de croire à Noël. C’est pour ça que vous êtes partie. Vous êtes désormais arrivée à un carrefour, celui où vous devez choisir entre croire à nouveau à Noël, ou y renoncer, afin que cette fonction soit confiée à une autre personne. Enfin, ne soyez pas surpris de m’avoir confondu avec le Père Noël… Au fond, c’est sans doute l’une des composantes de ce que je suis, moi aussi. »

Abasourdie. Mrs Claus allait de surprise en surprise. Même le baroudeur en avait perdu l’usage de ces mots. Et tous les deux écoutèrent le vieillard. Et tous les deux écoutèrent la musique qui sortit d’elle ne sait où. Elle n’avait pas même la force de lever son cou de taureau pour chercher si cela venait d’un mégaphone ou d’une voie magique.

Révoltée aussi. Cet homme qui ressemblait à son Père Noël. Cet homme qui s’exprimait si familièrement pour une entité qui se voulait cosmogonique. C’était compliquée pour Mrs Claus d’y voir une forme d’être supérieur. Par contre, poser son poing serré dans son visage et le faire taire paraissait bien plus abordable…

« Je ne vous permets pas ! Même si mon défunt mari n’a pas été un homme facile. Surtout lorsqu’il s’est retrouvée aux portes de la mort et que la maladie l’a…transformé. Je ne vous permets définitivement pas. »

Pourquoi était-ce si compliqué de tourner la tête et de faire face à Ulrik ? Voilà, ses yeux. Ce visage qui avait le potentiel d’en faire un « méchant ». Ah ! Etait-ce une légère coloration rouge qui venait de poindre à ses joues ? Elle n’était pourtant pas une vierge effarouchée par le serpent cracheur. Cet homme…

« Ulrik. Je ne pense pas qu’il faut faire confiance à cet homme. Nous sommes…nous sommes peut-être dans une cuve de Blue Moon ? En train de vivre une sorte d’expérience onirique ? »

*Mais dans mes tripes. Dans mon…ventre à bébé ? J’y crois. Ces propos absurdes. Une partie de moi y croit. C’est insensé ! *

« Il n’y a aucune raison pour que vous fassiez l’amour à une vieille femme comme moi. Absolument aucune. »

*Et donc quoi ? Partir ? Pour retourner où ? Au pays des chats doués de paroles ?… Ou de ces égouts flirtant avec une dimension de ténèbres ?… Ou encore en pleine ville subissant une sorte de soulèvement ?... *

Ses yeux se baissèrent sur son poing fermé. Elle repensa au parole du vieux Maturin. Elle avait cessé de croire ? En la magie de Noël ? Mais qu’était-ce au fond ? Certes, elle avait acquis une longévité exceptionnelle. Mais elle ne disposait de rien d’autre. Ni capacité à voler. Ni laser sortant de ses yeux. Ou quoi que ce soit qui dépassait un corps humain normal. Elle s’était entraînée dure pour avoir un corps très musclé et capable de se défendre face aux assauts de Krampus. Elle s’était disciplinée et avait pris sur elle pour prendre en main les rênes du Chalet. Gérer les lutins. Gérer les usines. Gérer les deadlines. Gérer la paperasserie. Mais il n’y avait rien de magique là-dedans et…

« Oh !... Ce serait donc ça ? »

Elle observa le vieux Maturin. Puis Ulrik.

« Avant que je ne devienne sa femme, le Père Noël vivait et travaillait si…librement. Il n’y avait pas une organisation si optimisée. Il n’y avait pas d’équipes, d’horaires et d’objectifs mensuelles. Pas d’entretien individuel ou d’employée du mois. Et… ça fonctionnait. »

Mrs Claus se retrouva face à Mrs Claus. Elle était sa plus farouche opposante. Après tout, elle était en train de se dire qu’elle avait grandement améliorée le Chalet. Que le monde avait vu sa population explosée exponentiellement. Et elle continuait ! Donc…

« J’aurai cessé d’y croire en adoptant une vision… industrielle ? Ce serait donc ça la réponse que j’ai si longtemps cherché ?... »

Ulrik était un peu secoué par tout ce qu’il apprenait. L’esprit de Noël… Il avait cru à une absurdité venant de Mrs Claus, un genre de folklore local, mais ce type, ce Maturin… Il savait décidément trop de choses. Mrs Claus en était aussi retournée, se demandant même s’ils n’étaient pas en train d’halluciner en compagnie de Blue Sky. Elle interrogea encore Maturin, sur le fait qu’elle était peut-être responsable de ce qui était en train de se passer.

« Les choses seraient tellement plus simples s’il y avait un seul coupable. Il m’est difficile de vous expliquer ce genre de choses, car cela nécessite d’appréhender la réalité différemment de votre perception. Votre… Votre approche industrielle de Noël n’est pas le problème. Ce sont… Ce sont les gens. Moins les gens croient à Noël, et plus il est difficile de se maintenir. Votre approche a été indéniablement, bénéfique pour que le Père Noël assume ses fonctions, mais le Père Noël est avant tout né d’une idée. Un ensemble de contes et de mythes qui ont été structurés pour façonner ce mythe. Si le Père Noël s’est affaibli, c’est parce que les enfants s’intéressent davantage à l’aspect commercial de cette fête qu’à la fête en elle-même. Ils préfèrent davantage les cadeaux qu’à la fête familiale. Le consumérisme, l’individualisation de la société… Bref, tout cela vous affaiblit, et a aussi permis à Krampus de gagner en puissance.
- J’ai vraiment du mal à vous suivre.
- Ce n’est pas surprenant, Ulrik, vous venez d’une civilisation qui a refusé de croire au surnaturel, qui a abandonné l’idée du merveilleux. C’est cela qui condamne Gordan à l’effondrement, et qui vous empêche d’évoluer, de vous améliorer. Vous comprenez ? Les rêves que nous avons, nos espoirs que nous avons quand nous sommes enfants… On les enterre sous une couche de scepticisme et de cynisme, parce qu’on a pas réussi à les atteindre, et on se dit que tout cela ne sert à rien… Mais, si vous cessez d’espérer, si vous cessez de croire en votre amélioration, alors vivre ne présente plus aucun intérêt. »

Après avoir traversé un village rempli de chats qui parlent et d’enfants, Ulrik ne s’attendait pas à tomber sur un cours de philosophie, et à ce qu’on lui parle du sens de la vie. Cependant, il devait bien admettre que la description que Maturin faisait de Gordan résonnait en lui. La foi religieuse était un concept absurde à Gordan, un Empire galactique très matérialiste.

« Je peux vous ramener en arrière… Avant que Blue Sky n’ouvre un Portail en utilisant l’artefact. Vous amener directement dans son antre.
- C’est impossible, nous étions à l’arène.
- Vous serez téléportés. Cela vous laissera l’occasion de sauver ce monde. Sauvez cette planète, voilà le conseil que je peux vous donner. La suite vous appartient. Vous disposez du libre arbitre. Sachez que je ne peux pas interférer outre mesure. Il vous appartiendra ensuite de choisir, Mrs Claus, mais je crois que vous avez déjà fait votre choix. »

Un Portail se matérialisa alors au milieu du salon.

« Alors, êtes-vous prêts à sauver le monde ? »