The Multiversity

Sorties de leur bain, Emmeline proposa à Ruby d’emprunter une de ses tenues, évidemment très légèrement trop petites, mais pas assez pour que la princesse, tenant plus de son père en ce qui concernait la mode et les vêtements, ne considère cela rédhibitoire. Justement, ceux que lui offrit sa mère étaient un uniforme militaire, la Reine étant par nature une officier de haut rang de son armée, ce qui allait de même pour sa fille, un titre avec lequel elle était presque plus à l’aise que celui d’héritière royale.

C’est donc ainsi que se présenta Ruby, pas tout à fait sans une certaine fierté, à son père pour qu’il explique leur avenir proche, tandis qu’Emmeline portait une simple - relativement - robe.

“Je suis prête, père ! L’enthousiasme était admirable, surtout alors même que Scott était encore en peignoir, mais la Reine le tempéra d’une main sur l’épaule de leur fille.

- Es-tu certaine ? Nous devons à tout moment sembler complètement détachés de nos véritables émotions, et souvent face aux sens aiguisés d’autres vampires, et sachant ce que cet Essex t’a fait…

- Je...comprends, mère, mais je pense que je peux le faire - et ce Brudenell n’est ni Essex, ni un vampire.”

La réponse, bien que très assurée, était juste, et Emmeline y répondit avec un subtil sourire, reconnaissant la foi du Roi en son héritière. Il fut donc décidé qu’elle accompagnerait ses deux parents mutants, ce qui aiderait aussi à asseoir son autorité vis-à-vis des autres vampires et leurs vassaux, pour lesquels elle n’était pour l’instant qu’une création de laboratoire.

Ruby et sa mère utilisèrent leurs télépathies dans une union pour l’instant balbutiante, même si leur lien génétique rendait la tâche plus facile, pour directement trouver Brudenell sans perdre de temps, et sans lui laisser une chance d’être prévenu. Le trio le trouva donc encore en train de recouvrir de sa soirée précédente.

James Thomas Brudenell était une vénérable institution. Il avait plus d’un siècle d’existence, et conservait pourtant une forme impressionnante pour un centenaire. On estimait qu’il avait rencontré Dracula pour la première fois en 1818, alors qu’il venait d’être élu député, mais que, privilégiant la grande aventure à l’ennui d’une vie politique, il avait fait le « Grand Tour », un long voyage amenant à traverser toute l’Europe de l’Angleterre vers l’Italie, en passant volontiers par la Russie. Brudenell avait de toute évidence été en Transylvanie, et il était devenu un être particulier. Il n’était pas totalement vampire, mais, comme Scott l’expliqua à Ruby lors de leur trajet du Palais royal vers le Palais de Westminster, siège du Parlement anglais.

« Il est ce qu’on pourrait appeler une goule… Un serviteur humain qui, grâce à de courtes injections sanguines de Dracula, peut rajeunir ses cellules.
-  C’est ce qui explique sa longévité ?
-  Précisément.
-  Alors… Il sert Dracula ?
-  Nous servons tous Dracula, ma chérie… Mais les vampires ne sont pas aussi dociles que les humains. Disons que nous servons tous Dracula, mais aussi nos propres intérêts.
-  C’est une mentalité qu’il m’est difficile de percevoir…
-  C’est normal. Emmeline et moi sommes également de très jeunes vampires. Bradenell aspire de toute évidence à devenir un vampire, alors il faut le considérer comme un allié… Et un ennemi en même temps. »

Le Palais de Westminster était le véritable siège du pouvoir en Angleterre. Depuis l’Habeas Corpus et le Bill of Rights, le pouvoir monarchique était réduit par le pouvoir parlementaire. Et, en ce moment, avec la guerre civile, les relations entre les deux pouvoirs étaient tendues. Scott et Emmeline ne pouvaient pas, pour l’heure, se débarrasser tout simplement des parlementaires. L’idée était plutôt de les influencer, et Brudenell, qui était une sommité historique au sein du Parlement, était en ce sens un allié de poids. Scott le savait très bien, ainsi que Crawford Starrick. Il était l’un des piliers ayant permis le développement de la race vampirique en Angleterre. Du temps où Scott était un mutant, Brudenell faisait partie de ces individus que Xavier avait souhaité arrêter.

Construit au bord de la Tamise, le palais était très connu, notamment pour l’une de ses plus célèbres tours, Big Ben. Surmontant la Tamise, le Palais de Westminster était proche du Palais Blanc, et il fallait juste remonter Birdcage Walk pour y aller. Le calèche royal pénétra à l’intérieur de l’enceinte, et des gardes ne tardèrent pas à les accueillir. Le trio fut conduit vers le bureau de Brudenell, qui se trouvait dans les hauteurs du Palais, avec vue sur la Tamise. Ils rentrèrent à l’intérieur, et eurent quelques minutes à attendre avant que Brudenell ne rentre par une porte dérobée.

« Majestés, c’est un honneur de vous voir… »

Brudenell s’assit derrière son bureau, et observa alors Ruby.

« La voilà donc… Vous l’avez transformé en vampire, je suppose ? Je regrette de ne pas avoir été à la soirée pour voir ça, je suis sûr que vous ne vous y attendiez pas… »

Tandis que la famille royale marchait dans les couloirs de Westminster, une chose pas exactement habituelle mais pas non plus exceptionnelle pour le Roi et la Reine, Ruby ne pouvait s’empêcher de regarder le riche décor. Télépathiquement, sentant ses parents remarquer, elle s’expliqua.

“Je ne l’ai vu qu’en ruine…

- Avec un peu de chance et beaucoup de travail, personne n’aura à le voir ravagé par la guerre.”

Les trois mutants furent rapidement menés au bureau de Brudenell où on les fit entrer malgré son absence, privilège de la royauté qu’on ne pouvait simplement faire attendre devant une porte fermée. Lorsque celui-ci arriva, son attention alla instantanément à Ruby, à la fois parce qu’elle la méritait effectivement de par son arrivée récente, mais aussi parce que son accession pour ainsi dire immédiate au statut de vampire, si convoité par le député, ne lui avait pas échappé.

“Évidemment, elle est de notre sang, et donc de droit l’héritière du trône. Emmeline ne s’attarda pas sur la mention que tout ceci était une surprise, ne l’ayant pas beaucoup apprécié, et surtout pas la manière dont elle avait forcé la main à Scott et à elle, quand bien même Ruby semblait plus ou moins se faire à sa nouvelle nature. Cependant, l’idée que ce docteur ne puisse plus expérimenter avec celui-ci n’est pas tout à fait…convenable: Notre lignée n’est pas un rat de laboratoire.”

Bien sûr, Ruby, liée de manière subtile mais permanence à ses parents comprit immédiatement que cela n’était qu’une façade, et qu’elle n’entachait en rien la famille royale; Elle ne fit d’ailleurs montre d’aucune réaction, même feinte, supposée être par nature subalterne aux vampires qui l’ont transformée.

“Oui, je comprends…mais Starrick ne pensait pas à mal, il vous a simplement offert, et vous l’avez vous-même dit, Majestée, une héritière, un cadeau sans égal. Mais je vais tâcher de relayer ce message…

- Nous aimerions le passer nous-mêmes, Brudenell, en partie parce que c’est une affaire trop grave pour de simple courriers, et aussi parce que ce docteur semble plus que prometteur…”

Scott renchérit sur ce que disait sa femme, tandis que Ruby observait les lieux, partagée entre la méfiance et l’émerveillement :

« Vous en savez beaucoup sur ce docteur, n’est-ce pas ?
-  Que voulez-vous insinuer, Majesté ? »

Scott se déplaça lentement, serrant et desserrant ses mains.

« Je n’ai jamais aimé la politique, vous savez… Les flagorneries, les mensonges, les faux-semblants… En politique, il faut mentir en permanence, et toujours louvoyer. Mais je n’ai pas envie de jouer, Brudenell. Comment diable un docteur inconnu a pu récupérer mon sang, celui de la Reine, et concevoir à partir de ce sang la jeune Princesse que vous voyez ici ? »

Une petite moue barra les lèvres de Brudenell. S’il avait peur, il parvenait à la perfection à le masquer, y compris au niveau de sa circulation sanguine.

« Ce docteur… Nathaniel Essex… Il était un proche de plusieurs mutants. Mais ça, vous le saviez, n’est-ce pas ? Lui et Charles Xavier, ils ont travaillé avec Erik Lensherr à Londres. Ils menaient des recherches sur la théorie de l’évolution. Ce qui est le plus intéressant, et ce sur quoi vous avez peut-être des lacunes, c’est sur le voyage qu’ils ont mené en Égypte. »

Scott savait que Charles avait beaucoup voyagé. Il s’était rendu un peu partout sur Terre, y compris en Égypte, à la recherche de l’origine des mutants et des vampires. Brudenell se releva alors, et ouvrit un placard, en sortant une bouteille de gin, et proposa à Scott un verre.

« Ce voyage avait pour but d’examiner une piste que les trois étudiants menaient. Ils recherchaient un ancêtre commun aux vampires et aux mutants.
-  Quoi ?!
-  Xavier ne vous en a jamais parlé, hein ? Voyez-vous, certains considèrent que le gène-X est très proche du gène-V. Les recherches d’Essex en ce sens étaient assez prometteuses. Ils ont cherché les traces d’un vieux mutant qui aurait survécu au temps, et qui serait à l’origine de la création des pyramides… En Sabah Nur. »

Brudenell s’était rassis sur son fauteuil, et avala le contenu de son verre.

« En Sabah Nur… C’est à Erik que l’on doit les découvertes sur son nom. Lensherr avait découvert l’existence de ce personnage mythique, une sorte de rebelle, de dissident politique qui aurait levé une armée contre le Pharaon Rama-Tut, suite aux évènements du Culte d’Aton. Les sources de l’époque ne sont pas très nombreuses, mais ils pensaient que En Sabah Nur était le premier mutant historique… Et également un vampiri. »

Scott ne disait rien, et laissa Brudenell poursuivre :

« Le culte d’Aton est un culte solaire égyptien dont l’origine est encore très inexpliquée. Pour faire simple, un Pharaon a décidé de renier tout le panthéon égyptien au profit d’un Dieu unique, Aton, le Dieu du soleil… Ce monothéisme n’a pas duré, et a donné lieu par la suite à une sévère répression. Ce que votre ancien mentor pensait, c’est que ce culte a été créé en hommage à En Sabah Nur… Un nom qui signifie ‘‘Étoile du matin’’. Le Pharaon Akhenaton, qui a instauré le culte d’Aton, servait cet En Sabah Nur, avant que la guerre n’éclate, et que Rama-Tut ne les renverse, et ne condamne cet En Sabah Nur. Charles, Essex et Lensherr se sont déplacés en Égypte. Ils y sont revenus avec une momie.
-  Une… Une momie ?
-  Tout porte à croire qu’ils ont trouvé En Sabah Nur. Pour le reste, je ne sais malheureusement pas grand-chose. Vous savez, depuis Champollion, tous les savants se rendent en Égypte. J’ai entendu parler de cette histoire parce que les trois avaient trouvé une momie, et parce que je connais bien celle qui a financé leur expédition.
-  Qui donc ?
-  Une Autrichienne qui est venue à Londres… Ses parents voulaient la soigner de ses problèmes de vision… Elle est malvoyante. Elle a inspiré ce romancier célèbre, Sire Arthur Conan Doyle… Irène Adler. Je vous conseille d’aller la voir si vous voulez en savoir plus sur cette momie. »

Irène Adler… Scott avait entendu parler de ce nom, mais c’était à travers les romans de Conan Doyle : Sherlock Holmes.

« Evacuons cette momie, vous n’avez pas répondu à ma question…
-  Je suis un simple député, Majesté. C’est Starrick qui a obtenu des échantillons de votre sang. J’ignore à vrai dire comment Essex a fait pour… Pour la concevoir. J’ignore aussi où se trouve son laboratoire, mais je sais qu’il a besoin de cobayes… »

Scott grommela. Brudenell n’avait pas besoin d’en dire plus.

« Elliotson… C’est par l’intermédiaire de son sanatorium qu’Essex a pu obtenir nos sangs. »

Le docteur John Elliotson était un autre membre de l’organisation, et dirigeait le sanatorium d’où des recherches sur le vampirisme étaient menées.

« Je vous laisse choisir qui vous souhaitez interroger… Irène Adler enseigne à l’université Queen Mary.
-  Et où on peut-on trouver Starrick ?
-  Crawford est prudent, il dispose d’une adresse, mais il n’y habite pas. Ce sont ses laquais qui s’y trouvent. Je suis sûr que vous pourriez les faire parler. De ce que je sais, il est surtout domicilié dans un train, ou dans un bateau… En tout cas, quelque chose qui se déplace régulièrement partout à Londres, et qui lui permet d’éviter de se faire retrouver. »

Comme Scott s’y attendait, Brudenell avait beaucoup de pistes à offrir, et Scott ne savait plus trop où donner de la tête… Quelle personne aller voir en premier, maintenant ?

Emmeline écouta patiemment les révélations de Brudenell, venant à comprendre qu’elle et le Roi étaient bien mal informés de ce qu’il se passait dans leur propre royaume, et que Starrick en particulier avait jusqu’ici gardé beaucoup de cartes en main. Cependant, c’étaient autant de raisons de se méfier de lui, de peur qu’il n’ait d’autres surprises en réserve.

« Allons voir cette Irène Adler avant de nous risquer dans quelque chose que nous comprenons encore mal...

- Bien sûr, Majesté, laissez moi trouver son adresse... »

Brudenell gardait dans son bureau, dans un tiroir verrouillé à clef, une liste des informations dont il se servait pour avancer sa carrière ; Visiblement, l’adresse de ce personnage de Sherlock Holmes comptait parmi celles-ci, et il est vrai qu’entrant dans le paranormale, c’était une personne notable.

Avant de se rendre à son appartement, dans la banlieue de Londres, le trio royal se changea pour apparaître plus...commun, que personne, surtout Starrick, ne se doute de la piste qu’ils suivaient, après que quelqu’un ne remarque la ballade très particulière de la famille mutante. Bien entendu, Emmeline ne se laissa pas non plus convaincre de ne pas bien s’habiller, mais pas aussi ostensiblement que d’ordinaire.

Arrivé à l’adresse, le trio trouva un manoir entouré d’une grille de fer que Ruby ouvrit d’un discret coup de rayon optique sur la serrure.

« Il vaut mieux ne pas patienter ici et se faire remarquer – ou pire, faire une scène quand ils viennent nous ouvrir. »

Acquiesçant, sa mère suivit et toqua directement à la porte du bâtiment qu’après un bref instant, une femme aux cheveux noirs ouvrit, un air méfiant au visage, et parla avant que quiconque ne puisse s’expliquer.

« Comment est-ce que vous êtes arrivés ici ? Sa voix était directe et acerbe, et ses yeux filèrent aux flancs des mutants, comme pour chercher des acolytes cachés. La grille est fermée pour une raison.

- Allons, Raven, nos invités sont de marque, une grille fermée n’allait pas les arrêter...surtout pas dans leur quête. »

De l’étage, une seconde voix féminine venait de réprimander la première femme.

Paradoxalement, Irène Adler était un personnage très connu dans l’univers de Sherlock Holmes, alors qu’elle n’était apparue que dans un seul livre du détective de Sir Arthur Conan Doyle. Une aventurière européenne spéciale, une contralto, c’est-à-dire une chanteuse à la voix grave. Avec ce personnage, l’auteur avait pris bien des risques, notamment en la déguisant en homme, et en faisant d’elle l’une des rares personnes mettant en échec Sherlock Holmes. Irène Adler n’habitait pas Baker Street, mais dans un élégant manoir londonien à Regent’s Park. Quelques grands manoirs se trouvaient là, et abritaient, ou avaient abrité, des personnalités célèbres. Charles Dickens avait notamment séjourné à Hanover Terrace, l’un des manoirs en question, et Irène Adler séjournait dans un autre. Ici, la discrétion était de mise. Le portail en fer forgé était verrouillé, sans domestique à l’entrée, et une plaque modeste en or sur un pilier annonçait l’adresse et le nom du manoir :

• MANOIR DARKHOLME

Impossible de savoir qu’Irène Adler vivait ici. Ruby força l’entrée, et Scott soupira doucement.

« Nous pouvions aussi sonner à la porte, Ruby », signala-t-il.

Sa justification ne le convainquit guère, mais, comme elle avait l’assentiment de sa mère, le trio s’aventura dans le jardin, rejoignant un élégant manoir. Il y avait une verrière à l’entrée, et un élégant lierre sur le mur. Toujours aucun domestique, ce qui était très surprenant. Des corbeaux s’envolèrent à leur approche. Ils contournèrent la terrasse, et toquèrent à la porte. Une femme leur ouvrit, une vieille mégère qui les fixa avec des yeux acariâtres. La situation pourrait s’envenimer quand une voix plus posée résonna à l’étage. Une moue contrariée barra les lèvres de la femme.

« Et alors ? Ce pourrait être le Roi ou la Reine d’Angleterre, je…
-  Justement, ce sont eux ! »

Sceptique, la gouvernante les observa encore.

« Le Roi et la Reine d’Angleterre en voleurs dans notre jardin ?!
-  Ne sois pas si procédurière, fais-les monter. Tu comprends pourquoi je t’ai demandé ce matin de nous préparer beaucoup de thé. »

La gouvernante soupira, puis s’écarta. Le trio grimpa à l’étage, dans un agréable salon baigné par la lumière du soleil. Une magnifique femme aux longs cheveux bruns et avec une tenue assez excentrique leur faisait face. Sur une table, Scott nota un curieux casque intégral doré. La femme portait un long corset bleu électrique avec de longues bottes, des gants, et une longue cape bleue qui flottait derrière elle. Ses yeux, enfin, étaient dissimulés derrière un bandeau.

« Je suis surprise, vous ne deviez être que deux jusqu’à ce matin… »

Scott haussa un sourcil.

« Irène Adler ?
-  Beaucoup de gens sont venus me voir, Majesté. Votre ancien mentor était venu, tout comme le vôtre, ma Reine. Sebastian Shaw et Charles Xavier sont tous les deux venus demander mes visions, car, voyez-vous, je suis capable de lire l’avenir.
-  Elle est sérieuse ?
-  Nous souhaiterions surtout savoir…
-  Commencez par vous asseoir, je vous prie. »

Scott s’installa face à la femme, Emmeline à côté d’elle, et Ruby s’installa sur un fauteuil faisant l’angle. La gouvernante revint ensuite, déposant un plateau avec des tasses de thé et une théière.

« Merci, ma chérie. »

Le Roi ne tiqua pas sur cette étonnante assertion. Il y avait quelque chose d’anormal chez cette gouvernante, qui se releva, et s’écarta.

« Comment trouvez-vous ce thé ? Sied-il à des lèvres royales ? Que puis-je pour vous, exactement ? »

« Vous la réprimandez, mais elle tient ça de vous. »

La Reine sourit discrètement à son Roi lorsqu’il fit sa remarque à leur fille qui avait simplement voulu éviter que quiconque remarque le couple – maintenant la famille – royal pendant ses affaires discrètes. Sans doute un reliquat de son futur ravagé par la guerre, mais qui semblait bien plus en ligne avec un homme qui s’était offert au vampirisme que son épouse.

La gouvernante, cependant, donna rapidement raison à Scott, accusant le trio d’être de vulgaires voleurs jusqu’à ce qu’une voix à l’étage corrige leurs identités – moins celle de Ruby qui, visiblement, n’était pas dans ses cartes, son marc de café, ou quelque soit sa méthode pour diviner le future, une révélation qu’elle fit tout à fait nonchalamment.

Intriguée, Emmeline s’installa malgré tout comme demandé, en bonne invitée, et avant de toucher au thé offert, trancha jusqu’au vif du sujet.

« Nous voulons la même chose que nos « mentors », j’imagine. Dans le cas de la Reine, le mot était légèrement amer, même si pas totalement incorrect. Cette momie qu’ils ont ramené apparemment grâce à vos visions, elle nous...intéresse.

- Buvez votre thé avant qu’il ne refroidisse, Majesté, je ne voudrais pas qu’il fasse mauvaise impression. Pendant qu’après un moment d’hésitation, trouvant l’insistance suspecte et signe de poison, mais au final innocente après un bref scan télépathique de surface de cette Irène, Emmeline amena sa tasse à ses lèvres, sa gouvernante pouffa, visiblement bien moins intéressée par les impressions. Mais oui, évidemment qu’elle vous intéresse – ce cadavre est le premier de votre étrange race bâtarde, après tout. Les deux femmes de la famille royale régirent plus ou moins subtilement à l’insulte – les yeux bleus de la mère filèrent immédiatement vers le bandeau d’Irène, tandis que la fille réajusta sa position, comme tentée d’agir. Allons – je partage la moitié de cet héritage, ne soyez pas-

- douillettes. Acheva immédiatement la gouvernante, une pique qui ne sembla pas déranger ou même surprendre la voyante, visiblement habituée, et qui reprit donc presque sans pause.

- J’admets que vos mentors respectifs vous ont caché bien des choses, mais nous approchons d’un nexus – un point dans le temps où quelques décisions changeront l’avenir de notre monde tout entier. Le monde de notre nouvelle princesse en est un parfait exemple – non, ces souvenirs ne sont pas fictifs, même si leur arrivée à notre époque est plus...compliquée. »

Quelque chose sonnait faux dans ce décor, Scott en avait l’intime conviction. Cette mystérieuse femme dissimulait la vérité. Scott n’avait jamais eu une vision comme les autres, ce qui l’avait amené à réfléchir différemment que les autres. Il ne se fondait donc pas principalement sur sa vision, et trouva rapidement curieux que la gouvernante assiste à leur conversation. Irène Adler vint toutefois à les surprendre quand elle affirma que les souvenirs de Ruby n’étaient pas fictionnels. Scott rebondit là-dessus en premier :

« Qu’est-ce que vous voulez dire par là ?
-  Le futur n’est jamais écrit, Majesté, il n’est qu’un ensemble de potentialités liées aux décisions qui sont prises. Cette jeune femme vient d’un futur qui est toujours une possibilité. Le temps, voyez-vous, se présente à moi comme une succession de branches, de filaments qui s’entremêlent. Ceux qui brillent sont les plus susceptibles de se produire, et ceux qui s’étiolent et fadent s’éloignent. »

Tout cela semblait délirant, mais Scott l’acceptait. Irène Adler était de toute évidence une mutante.

« Alors, Ruby… N’est pas un clone ?
-  Je ne sais pas. Ce que je sais, c’est que ses souvenirs coïncident à mes visions. Car j’ai vu une Ruby Summers dans un futur possible… Une guerrière, une révolutionnaire aguerrie.
-  Il faudra vraiment que j’interroge cet Essex… Et quel est le rapport avec cette momie ?
-  Que savez-vous de En Sabah Nur, Majesté ? »

Scott lui rapporta les informations qu’il avait pu obtenir sur cet être de la part du député Brudenell. Adler hocha lentement la tête, avant de poursuivre :

« Le passé et le futur se regroupent… Cela n’est pas un hasard. En Sabah Nur…  Il est Apocalypse. C’est le point commun entre les vampires et les mutants, votre… Notre ancêtre commun. Le Pharaon Akhenaton lui a consacré un culte. Pour lui, En Sabah Nur était un Dieu, la preuve que les autres Dieux égyptiens n’existaient pas, qu’il n’y avait qu’Aton. Il a été enfermé dans un sarcophage magique, retenu par des rituels réalisés par les mages de Rama-Tut. En Sabah Nur était puissant, mais il était jeune, et imprudent. Il a fait confiance aux mauvaises personnes. Invincible sur le champ de bataille, il avait la puissance d’une armée, suscitant bien des convoitises et des rivalités de la part des anciens prêtres. Il a été empoisonné par la seule personne dont il ne se méfiait pas… Sa femme.
-  Il serait toujours en vie ?
-  L’expédition que j’ai financé visait à retrouver cette momie, et, à partir de cet ancêtre commun, à parfaire nos connaissances sur les mutants et sur les vampires. En Sabah Nur était le premier mutant, mais aussi le père de tous les vampires, ce qui explique sans aucun doute qu’il ait pu survivre. Un vampire parfait, qui ne souffre pas des tares de sa descendance, et de leur besoin en sang.
-  Xavier ne m’en a jamais parlé…
-  Ils ont retrouvé cette momie, Majesté. Personne ne s’attendait vraiment à ce qu’elle soit encore vivante… La momie s’est réveillée peu de temps après avoir été extraite de sa chambre funéraire, et a commencé à extraire les formes de vie autour d’elle… Enfin, pour être exact, quand je dis que personne ne s’attendait à ce qu’elle revienne à la vie, je vous mens un peu. Nathaniel Essex, de toute évidence, le savait. Il a trahi Xavier et Lanksherr. La momie voulait retrouver sa femme, et se venger d’elle…
-  Sa femme, datant de l’Égypte antique ? »

Scott était assez surpris.

« En Sabah Nur est né mutant… Il est devenu vampire quand sa femme l’a vampirisé. Je pense que c’est son génome mutant qui a dû altérer le génome du vampire en lui.
-  Mais… Sa femme serait donc… En vie ?
-  Elle a été mentionnée pour la première fois sur l’une des tablettes de Gilgamesh. Il est dit dans ces tablettes que Gilgamesh chassa d’un arbre sacré du jardin de la Déesse Inanna un démon dissimulé dans un arbre. Les Akkadiens l’évoquaient comme étant Lamashtu, une démone infernale responsable des fausses couches, volant les enfants pour se nourrir de leur énergie. Les Juifs, enfin, voyaient en elle un démon de la nuit. »

Scott faisait appel à ses souvenirs, et releva la tête.

« Lilith ?! »

Irène renversa sa tête en arrière, et se mit alors à réciter un vieux poème, une prière akkadienne :

• « Grande est la fille du très-haut qui torture les bébés
  Sa main est un filet, son étreinte est la mort
  Elle est cruelle, furieuse, colérique, prédatrice
  Une coureuse, une voleuse est la fille du très-haut
  Elle touche le ventre des femmes qui accouchent
  Elle arrache leur bébé aux femmes enceintes
  La fille du très-haut fait partie des dieux, ses frères
  Sans enfant à elle
  Sa tête est la tête d'un lion
  Son corps est le corps d'un âne
  Elle rugit comme un lion
  Elle hurle sans cesse comme une chienne démoniaque. »

Irène les observa ensuite lentement.

« J’espérais étudier cette momie pour mieux la comprendre. Voyez-vous, le mythe akkadien affirme que l’ennemi naturel de Lamashtu était Pazuzu, le roi des démons… Lilith, oui, la femme bannie selon la Bible… Cette femme existe toujours. Dracula lui-même ne fait que la servir, même si je pense qu’il l’ignore. Cette femme a porté bien des noms, et j’espérais obtenir avec cette momie des renseignements permettant de la retrouver, et de la vaincre. Tout ce que j’ai pu faire avec mon influence et ma fortune, c’est obtenir le dernier patronyme connu de cette femme… »

Sa majordome compléta alors :

« Séléné Gallio. »

La nouvelle que les souvenirs de Ruby n’étaient pas factices – même si son statut à elle restait incertain – distrait Emmeline un instant de la conversation, lui faisant jeter un regard vers le coin de la pièce où sa fille se trouvait. Évidemment, elle n’alla pas jusqu’à interrompre les révélations d’Irène, mais télépathiquement, elle la sonda en surface, sans cacher son « intrusion », simplement pour savoir comment la nouvelle vampire encaissait cette série récente de révélations sur son passé, ou futur, ou quoi que c’était réellement.

« Si ce futur est vrai, alors il pourrait être sauvé...Je comprends qu’il est bien plus facile de sauver celui-ci, et qu’il prend la priorité, mais, un jour...peut-être pourrai-je nous y mener, puisque cette femme est capable de voir le lien entre moi et celui-ci. »

La Reine acquiesça discrètement, voilant le geste dans un simple trépignement, et partagea la pensée avec Scott tandis qu’il interrogeait presque Adler, même si en réalité, elle semblait plus que prête à livrer ses explications. Celles-ci finirent vite par aboutir à un certain ésotérisme, même s’il était difficile d’en douter après tout ce que les mutants avaient vu, et la seule réticence était à ajouter encore plus de complexité à leur situation.

« Et que compte-t-elle faire du dominion qu’essaie d’instaurer Dracula ? Car si c’est seulement le prendre après avoir poignardé Vlad Thepes dans le dos, je crains qu’on n’ait déjà beaucoup à faire simplement à le vaincre lui pour ne pas encore s’inquiéter de la marionnettiste.

- Il y a...plusieurs possibilités. La pire étant que son emprise sur Dracula et les vampires, alliée à sa puissance magie, lui permettent de pratiquer un rituel afin de purement et simplement dévorer tant d’énergie vitale qu’elle accède au rang de déesse. Le simple fait que Dracula, et via lui, ses hordes de vampires, soient symboliquement ses pions, a une grande importance quand on parle de magie... »

Emmeline inspira longuement avant d’expirer pour presque aussi longtemps, peu excitée à l’idée. Au moins, les mutants semblaient pouvoir gagner un allié dans cette croisade, ce fameux En Sabah Nur, si seulement ils pouvaient le retrouver...

« Et cette momie vivante, donc, où serait-elle, puisque nous semblons avoir un ennemi commun ?

- Je ne sais pas, ou plutôt...il est trop rapide, trop changeant. C’est déjà ce qui lui avait permis d’échapper aux pouvoirs combinés de Xavier et Lensherr, même s’il lui avait fallu l’aide d’Essex, à l’époque, mais seulement parce qu’il avait été affaibli par sa torpeur...Une alliance est effectivement possible, cependant, si vous arrivez à le retrouver, mais méfiez-vous malgré tout de lui, il n'est plus aussi jeune et inexpérimenté qu'autrefois.

- Et Essex, s’il sert Apocalypse, pourquoi aussi servir Dracula qui sert son ennemie ? Un double jeu ?

- Exactement : Essex ne sert véritablement que lui-même, mais parfois, il vaut mieux servir les puissants, au moins un temps, pour s’avancer...À l’issue de cette guerre pour le sort de l’Humanité, je le vois toujours se ranger avec le vainqueur avant de tenter de le remplacer...Parfois, même, il arrive à émerger lui-même grand gagnant de ce conflit, éliminant à la fois En Sabah Nur et Selene – ne le sous-estimez pas. »

Emmeline, qui se croyait dans un des deux grands camps de cette guerre, se retrouvait soudain face à 3 autres – et c’était si l’on la considérait, avec Scott, du côté de l’Humanité, qui ne retournait que rarement la faveur.

« J’imagine que nous avons donc beaucoup à faire, et peu de temps à continuer à consacrer à votre thé...est-ce qu’il y a autre chose que vous devriez nous dire, avant que nous partions ?

Scott avait le sentiment de louper quelque chose. Cette Séléné… Il n’en avait jamais entendu parler, pas plus que de ce En Sabah Nur. Xavier ne lui en avait jamais parlé. Scott lui avait souvent demandé ce qui avait pu le motiver à faire cette école, à former les mutants au combat. S’il n’avait jamais eu de réponse précise, il se demandait désormais si cette expédition en Égypte n’avait pas, d’une certaine manière, été décisive dans son choix de prendre un rôle actif. Irène Adler continua à les renseigner, autant que possible, leur indiquant que, si Essex était proche d’Apocalypse, il servait avant tout ses propres intérêts. Scott était désormais convaincu de devoir retrouver ce docteur, et de le pousser à un interrogatoire plus intense.

Ils en avaient fini. Emmeline redonna la parole à Scott, qui regarda Irène, puis la mystérieuse majordome.

« Votre majordome… C’est une mutante, elle aussi, n’est-ce pas ?
-  D’où tirez-vous une telle conclusion ?
-  Du fait qu’elle ne vous regarde pas comme une employée de maison regarderait son employeur. Cela m’amène à penser qu’elle est plus que ce qu’elle laisse faire paraître.
-  Tu vois, ma chérie, je t’avais dit qu’ils étaient perspicaces. »

La domestique soupira doucement, et se déplaça alors. Elle changea alors de forme, révélant une femme à la peau bleuâtre, aux longs cheveux roux, et au regard acéré. Des deux, il n’était pas compliqué de comprendre qu’elle était la plus méfiante.

« Notre amour est assez mal vu, je compte sur votre discrétion, Majestés…
-  Vous l’avez. Ceci étant dit, vous pourriez nous aider à empêcher cette guerre d’arriver…
-  Je peux voir le futur, Majesté… Enfin, disons que je peux avoir, à un moment donné, une vision particulière du futur. Cette vision peut changer dès le lendemain. Mais, peu importe mes visions, Majesté, la guerre arrive. Même en se débarrassant des vampires et des mutants, une guerre terrible surviendra quand même au cours du siècle suivant… Voire plusieurs. Les visions sont toujours les mêmes… Des villes réduites en cendres, des millions de cadavres qui s’étalent d’un bout à l’autre du continent… Des représailles terribles, des guerres telles que l’humanité n’en a jamais connu jusqu’à présent. »

Scott déglutit lentement. Il savait que cette femme ne mentait pas, mais Scott sentait malgré tout en lui le besoin de changer ce sinistre destin.

« Vous ne pourrez rien y faire, Majesté. Le futur d’où vient Ruby n’est que l’une des multiples itérations de la grande guerre qui doit avoir lieu.
-  Je n’ai jamais cru en la destinée ou dans le fait que le futur était écrit à l’avance.
-  C’est plus compliqué que cela, Majesté. J’ai vu cette guerre arriver, Majesté. J’ai vu deux conflits mondiaux, j’ai vu l’élaboration de camps de la mort, d’industries immenses conçues uniquement pour tuer. J’ai entendu les cris d’agonie de millions d’âmes massacrées sur quelques années, j’ai vu la montée de systèmes dictatoriaux abominables. Si j’ai financé cette expédition, c’était pour changer ce destin. Ce destin, je l’ai changé, mais c’est une autre guerre que j’aperçois désormais. C’est inéluctable.
-  Moi et ma femme, nous comptons profiter des moments qu’ils nous restent ensemble. Vous pouvez tenter de changer l’inéluctable, Majesté. »

Scott comprit que rien ne les ferait changer d’avis, même s’il pouvait espérer un changement progressif. Raven semblait moins résolue que sa femme à faire face à l’insurmontable. Scott les remercia donc, et il repartit donc avec Ruby et Emmeline.

« Bon… J’ignore où se trouve Essex, mais je pense qu’il doit agir du côté du sanatorium. »

Leur sanatorium était dirigé par le professeur John Elliotson, un homme que Scott n’appréciait peu. Il se livrait à des expériences assez sordides sur le vampirisme, afin de mieux comprendre le fonctionnement du vampirisme, et pouvoir le reproduire. Scott regarda sa femme, puis Ruby.

« Je ne sais pas si le sanatorium est un endroit approprié pour elle. Je pense qu’il faudrait plutôt te ramener au palais, Ruby. Tu pourrais t’y renseigner sur la société actuelle ? »

Le sanatorium se situait de plus dans les quartiers sensibles de Londres, et Scott ne voulait pas que Ruby se retrouve au milieu d’une escarmouche…

Cette visite posait presque plus de questions qu’elle n’avait donné de réponses, mais il était indéniable que du progrès avait été fait, entre le nom de leur véritable ennemie, et peut-être un nouveau, ou un allié ? Mais pour l’instant, une chose à la fois, les trois vampires étaient certes une famille royale, mais ils n’étaient toujours que trois.

“Me renseigner sur la société actuelle ? Pendant que vous essayez de sauver le monde à deux ? S’indigna la jeune femme, peu heureuse d’être écartée ainsi alors qu’on venait de lui révéler un terrible futur qui devait être évité à tout prix, quand bien même une voyante croyait en son inéluctabilité.

- Ma chérie – c’est sans doute de ce sanatorium qu’il t’a amenée à nous, et surtout, c’est lui, envers lequel nous devrons être au moins...cordiaux. Emmeline mit l’accent sur Essex, le ravisseur, ou peut-être même créateur de Ruby, un acte qui liait les deux d’une manière terrible. Ne t’inflige pas ça, et laisse nous le voir en tant que ce que nous sommes, le Roi et la Reine – nous ne risquons rien.”

Ça n’était pas tout à fait vrai, le couple royal jouait à un jeu dangereux, ces temps-ci, mais il n’était pas non plus sans défense, et puis leur fille pouvait peut-être justement permettre à leur combat de leur survivre, le pire dut-il arriver. La Reine prit la main de la Princesse dans la sienne pour appuyer sa demande, la faisant soupirer et tourner la tête comme une enfant forcée.

“D’accord, d’accord...Mais au moindre problème, pense à m’envoyer un signal télépathique, je serai toujours à l’écoute. Plus qu’à l’écoute, leurs télépathies étaient si proches, en vérité, les mêmes, issues du même gêne X, qu’elles pouvaient communiquer mieux encore que deux télépathes lambdas. Similairement, les rayons de son père ne lui faisaient rien, et inversement, comme entre lui et son frère. Et ne me sous-estimez pas, je vous rappelle que je combine vos pouvoirs.”

Ruby ajouta cela avec un sourire entre l’arrogance et l’amusement sarcastique, sans doute plus hérité de son côté Frost que Summers. Le trio alla alors à son carrosse, traversant la grille de fer à nouveau, et celui-ci déposa Scott et Emmeline non loin du sanatorium, mais pas tout à fait celui-ci, voulant éviter toute allure de royauté dans ce quartier mal-fâmé et où ils ne voulaient pas être remarqués, avant que Ruby ne retourne au palais – un signal télépathique lui permettrait d’envoyer le carrosse pour le retour, comme quoi, il était pratique de maintenant être trois.

Ces quartiers “sensibles” étaient depuis un moment en proie aux vampires les plus dégénérés, et en général peu alignés avec un quelconque grand vampire de Londres, encore moins Dracula lui-même, si seulement ils connaissaient réellement son existence. C’était un calvaire à la fois pour sa population humaine, qui tentait de survivre une soif de sang qui rappelait celle de Jack l’Éventreur, et vampire, qui pour la plupart, comprenait qu’elle n’avait aucun intérêt à être aussi visible.

Scott méditait sur ce qu’il avait appris lors de leur entretien avec Irène Adler. Destinée… Une « grande guerre », avait-elle prophétisé. Un conflit tel que le monde n’en avait encore jamais connu de pareil. Cela avait de quoi donner le tournis. Des guerres violentes, le monde en avait pourtant déjà connu. Et l’Europe était loin d’être un continent apaisé. Depuis la Révolution Française, les vieilles monarchies européennes avaient vacillé, et c’était dans le sang et la douleur que les régimes démocratiques fleurissaient. L’Angleterre avait aussi connu son lot de carnages ces dernières années. Et tout cela ne serait donc qu’un prélude ? Scott se sentait étrangement impuissant. Lui qui était pourtant Roi d’Angleterre, il ne semblait donc rien pouvoir faire pour empêcher ce sinistre futur ?

*Même si je parviens à vaincre Dracula ou Apocalypse, le conflit aura quand même lieu… Peut-être suis-je trop timoré ? Dois-je me contenter de l’Angleterre ?*

Il existait d’autres grandes nations dans le monde. Les tsars de la Russie, ainsi que toutes ces nouvelles nations émergentes. Les États-Unis, l’Empire japonais… Cette guerre, Scott en avait la conviction, serait un choc des civilisations. Comment l’empêcher ? Quand arriverait-elle ?

*Des villes réduites en cendres, des millions de morts…*

C’était assurément une perspective peu réjouissante. C’est sur ces sombres pensées que Scott rejoignit la Reine. Emmeline et lui empruntèrent un discret carrosse, sortant à la tombée de la nuit vers le sanatorium. Il était sous la direction du docteur John Elliotson, un scientifique qui s’était fait connaître par ses théories sur la phrénologie, une discipline scientifique qui étudie les bosses d’un crâne pour déterminer le comportement d’une personne. Du peu que Scott en savait sur lui, Starrick avait recruté Elliotson alors qu’il avait perdu sa fortune et sa réputation. La phrénologie était une pseudoscience décriée depuis des années, mais les recherches anatomiques d’Elliotson avaient intéressé Starrick.

En étudiant le crâne et le cerveau, Elliotson cherchait à identifier le gène vampirique, et à comprendre les mutations cérébrales qui expliquaient les altérations de comportement propres au vampirisme. Son sanatorium était au cœur de la situation actuelle de Londres, car il avait mis au point un tonique vampirique qui fabriquait des êtres mi-vampires, mi-humains, des goules que les vampires recrutaient. Que les vampires aient des serviteurs, la cause était entendue, mais, que ces serviteurs soient générés à l’aide de simples élixirs, c’était une nouveauté. Malheureusement, les goules étaient souvent sauvages, et avaient rendu les bas-quartiers de Londres assez dangereux. Outre les goules, il y avait aussi d’autres vampires, qui étaient sûrement envoyés ici par Starrick, afin de déstabiliser l’autorité d’Emmeline et de Scott. Et il fallait également compter avec les X-Men encore restants et les autres résistants.

Le sanatorium se trouvait à l’entrée de Brixton, un quartier populaire. Le trajet se déroula sans anicroche. Il y avait beaucoup de gardes royaux sur les grands axes, et le duo rejoignit ainsi l’entrée du sanatorium.

« Le docteur Elliotson n’a jamais été très doué. Il a forcément été aidé pour réaliser son élixir. »

Il n’était pas difficile de deviner qui avait pu l’aider : Essex. Scott était convaincu que Elliotson n’était qu’un pion, manipulé par Nathaniel Essex. Le sanatorium était particulièrement lugubre, avec une arrière-cour où les cadavres s’entassaient sur des chariots, tant les services funéraires avaient du mal à fonctionner.

« Soyons prudents, j’ai l’intime conviction que cette nuit va être animée… »

“Reprenez vous, mon Roi, maintenant n’est surtout pas le moment d’avoir l’esprit qui vacille.”

Sur le chemin, dans le carosse, Emmeline avait senti les inquiétudes de Scott qui, évidemment, étaient justifiées, mais n’éviteraient pas le danger, et posa sa main gantée sur la sienne, la serrant légèrement. Seul combattre Dracula et leurs autres ennemis le ferait, même s’il était difficile désormais de savoir si c’était bien le seigneur des vampires qui était le plus grand des dangers.

Sans parler de cette Séléné, cela faisait peu de temps que ce nom d’Essex leur était parvenu, mais déjà l’ampleur de son travail effrayait. Il avait réussi à reproduire les mutations du couple royal, les fusionnant dans un seul corps, une perspective déjà dangereuse – il suffisait d’imaginer un soldat invincible, infatiguable, et tirant à volonté des rayons vengeurs, dans les guerres futures, pour s’en rendre compte – mais qui ne semblait surtout qu’un commencement. Ruby n’avait été transformée que par la morsure de Scott et Emmeline, mais déjà cet adoubement sanguin semblait échapper des mains des vampires seuls.

Les goules étaient un problème, mais au moins elles n’étaient que de pâles immitations, par nature inférieures et soumises aux véritables vampires, mais cet élixir serait perfectionné, il n’y avait aucun doute.

“Adler l’a dit, Essex ne sert que ses propres intérêts, et créer des créatures serviles aux ordres de ce qu’il n’est pas n’est pas dans ceux-ci. Peut-être compte-t-il devenir lui-même un vampire, et commander une armée de goules mutantes ? Ca semblerait au moins très dangereux, pour lui comme pour nous, mais il semble avoir de l’ambition...”

Heureusement, Londres tenait encore, mais qui savait pour combien de temps. En ce qui concernait Emmeline, elle commença à se refermer télépathiquement à l’approche de sanatorium, n’appréciant guère l’énergie psychique qui en émanait – et à n’en pas douter, les sévisses d’Elliotson n’avaient rien arrangé à l’asile moyen.

Malgré l’arrivée relativement discrète du couple royal, ils restèrent sur leurs gardes, et entrèrent rapidement dans le bâtiment sinistre, sous couverture du brouillard qui se levait. Un garde était présent, mais s’il sut réellement à qui il avait affaire, il ne le montra pas; La simple allure de la richesse était sans doute assez pour ne pas poser de questions. En vérité, sachant ce qui se tramait par ici, poser des questions était sans doute un risque difficile à prendre.

Des cris raisonnaient parfois dans les couloirs, souvent courts, mais rien ne semblait sortir de l'ordinaire d'un sanatorium, en tout cas, à première vue. Les patients, quant à eux, semblaient plutôt livrés à eux-mêmes, gardés dans un croisement entre un hôpital et une prison.

Lorsqu’ils rejoignirent le sanatorium, un infirmier entreprit de les guider jusqu’au bureau du docteur Elliotson. Il y avait de nombreux patients dans le sanatorium, mais aussi des corps empilés dans des chariots à l’entrée. L’infirmier portait de fait un masque de protection.

« Il faut se montrer prudent, il y a tellement de blessés et de malades… Nous n’avons malheureusement plus les moyens de les traiter tous en même temps. »

L’ambiance avait tout de malsaine, digne de ces romans gothiques sinistres. Des couloirs froids et gris qui s’étiraient avec des patients qui dodelinaient, assis contre le mur. Dans le hall central, il y avait du monde, avec des lits de fortune installés dans le hall. Ils grimpèrent l’escalier intérieur, menant vers le premier étage. On entendait parfois des hurlements, ou des coups sourds. Des patients portaient des camisoles de force. Si le sanatorium servait initialement à lutter contre la tuberculose, on lui avait trouvé en pratique de nombreuses autres fonctionnalités. Le Roi et la Reine aperçurent des gardes patibulaires, qui étaient tous des vampires de second ordre, des laquais espérant un jour évoluer. Le sanatorium servait en réalité de recherches sur le mutagène vampirique. L’infirmier s’arrêta devant une double porte, et le duo entra dans le laboratoire d’Elliotson.

Des traînées de sang ornaient le sol, et de nombreux corps reposaient sur des tables chirurgicales. Le duo rejoignit le cœur du laboratoire. Un homme était attaché à une table, et se tortillait nerveusement, les yeux injectés de sang, ses veines jaillissant de sa peau, suintant en rouge. Une musique défilait depuis un gramophone, destiné à couvrir les soupirs et hurlements des « patients », réduits au rôle déshumanisé de cobayes vivants.

« Oh, vous êtes là ? Bienvenue, Majestés. »

Le docteur Elliotson venait d’apparaître depuis un angle.

« Cet endroit est des plus sinistres, commenta Cyclope.
-  La science est rarement propre, mon Roi, il faut savoir faire des sacrifices. »

Elliotson se rapprocha de ses instruments ensanglantés, et commença à les nettoyer au-dessus d’un lavabo.

« Que me vaut l’honneur de votre visite ?
-  Je souhaite savoir si le nom de Nathaniel Essex vous dit quelque chose. »

Si Elliotson était surpris, il n’en manifesta pas le moindre signe, y compris au niveau de ses battements cardiaques.

« Et savoir ce que vous fabriquez ici, exactement… »

Elliotson nettoyait une scie.

« Oh, le docteur Essex… Ce nom ne m’est pas inconnu, en effet. Quant à ce que je fais ici… C’est l’avenir, le progrès ! »

Il sourit doucement en se retournant. Scott commençait à sentir la tête lui tourner.

« Vous ne l’avez pas remarqué, n’est-ce pas ? Ce léger parfum dans l’air… Un parfum à base d’éthanal, calqué sur votre sang. Il ralentit votre rythme cardiaque, et vous plonge dans le coma. Il perturbe votre concentration sanguine. Vous êtes à ce stade aussi inoffensif qu’un bébé. »

Tout comme Emma, Scott commençait à sentir la tête lui tourner. Il s’appuya sur la table, et la sentit basculer, ses jambes se dérobant sous ses pieds.

« Elliotson…
-  Nathaniel Essex est mon véritable superviseur… Et vous, vous ferez de parfaits cobayes, j’ai hâte de pouvoir examiner votre groupe sanguin… »

Scott avait beau essayé de lutter, il commença à sombrer… Et, plus tard, il se réveillerait nu comme Emmeline, dans le laboratoire d’Elliotson, attaché à des pinces métalliques. Depuis le gramophone,  Arabesque de Debussy se diffusait dans la pièce. Des gardes avaient repoussé le cadavre de la table, et Elliotson fredonnait en préparant la prochaine opération morbide…