The Multiversity

Le moyen le plus simple de rejoindre Night City était d’emprunter cette ancienne voie ferrée datant de la guerre, qui fut utilisée pour relier rapidement la capitale à l’ancienne ville militaire qui était au cœur de la défense militaire contre les Auriens, une ville-militaire devenue une ville-État, la puissante et autarcique Night City. L’ancienne voie ferrée avait été réaménagée pour y faire circuler le train le plus rapide de Uatis, le TransContinental. Le train traversait le vaste État uatéen de la capitale jusqu’à Night City en deux ou trois heures, un exploit rare. C’est le trajet que Kazue emprunta avec le reste de son équipe pour se rapprocher de la ville. Parmi elles, il y avait Lucy. Revenir à Night City n’était jamais très agréable pour elle. Elle y avait perdu beaucoup de gens, et, même si elle avait pu en rencontrer d’autres, comme Kara, elle se souvenait encore avec douleur de ce qu’elle avait vécu là-bas. Maine, Dorio, Pilar… David… Elle regrettait même la mort de Kiwi, en un sens. Lucy ne devait sa survie qu’à un miracle. Retourner à Night City ne l’enchantait donc pas, même si elle savait que c’était nécessaire.

Miranda Forge s’était chargée de nettoyer son casier, de sorte qu’elle n’était plus une fugitive en fuite. Elle accompagnait le nouveau projet révolutionnaire de GWC destiné à retrouver l’un de leurs anciens projets révolutionnaires, Manhunt. Il y avait de quoi en rire, si on appréciait l’ironie de l’Histoire. Après une mission musclée à Uatis City, Kazue, qui était, sous ses apparences d’idol girl, une redoutable machine à tuer, avait permis de remonter la trace de Manhunt à Night City. Leur piste était un netrunner, Wasabi, qui avait réussi à échapper à Kazue suite à des ordres formels de sa direction, provoquant sa frustration. Lucy n’était pas une spécialiste militaire, elle était une netrunner, elle aussi. Elle avait accepté de rejoindre cette équipe car, d’une part, Miranda supposait que Manhunt ne verrait sans doute pas en elle une agente de Miranda, et, d’autre part, Miranda craignait que Manhunt ne cherche à réveiller d’anciennes armes de guerre et IA particulièrement puissantes qui se trouvaient dans les profondeurs de Night City. La ville abritait encore, selon certaines légendes urbaines, des bunkers souterrains dédiés à la recherche militaire, abritant visiblement bien des horreurs similaires à ce que Lucy avait rencontré lors de sa jeunesse.

Pour les accompagner, il y avait une fixer, Diane. Elle connaissait elle aussi Night City, même si Lucy n’avait jamais eu l’occasion de la rencontrer.

« Nous approchons… »

La ville était reconnaissable au loin. Lorsqu’elle était une ville militaire, d’énormes projecteurs avaient été érigés pour permettre aux unités uatéennes de se rapprocher. Les trois projecteurs étaient restés, formant trois énormes tours lumineuses avec des publicités holographiques. Night City était ainsi devenue l’illustration parfaite du complexe militaro-industriel, une ville où de grandes mégacorporations faisaient la loi, bénéficiant de contrats militaires, et où les gangs faisaient régner la terreur, constituant le bras armé des corporations.

Diane se retourna vers Kazue.

« Nous avons réservé une maison dans les collines qui entourent la ville. Une voiture blindée nous attend à la gare. Manhunt sait probablement déjà que tu vas venir, donc il faut s’attendre à tout quand nous serons dans la ville… »

Voilà. La conversation débutait. C’était inévitable. Tout cela pour énoncer des faits consécutifs qu’elle connaissait déjà. Bien sur qu’elle était allée fouiller dans les dossiers liés à sa nouvelle mission.

« Tout comme je constate que mon équipe est composée de femmes ou pseudo femmes à peu près nues. Parlons plutôt de femmes modifiées avec une tendance à l’exhibitionnisme. »

C’était sa façon de démontrer l’absurdité des informations qu’elle possédait déjà. C’était aussi se placer en position de dominance en parlant de « son » équipe. Enfin, c’était une attaque dû à un transfert de ce qu’elle avait déjà critiqué auprès de la Déesse de la GWC à avoir des coïts au lieu de travailler sans compter. Bien que tout était comptable. Le Projet CA.lcium comptait tout et tout le temps.

Mais elle n’était pas le Projet CA.lcium. Il avait fallu qu’elle prenne les traits de l’Idol. Ce qui l’agaçait. Elle ne voulait pas « subir » les émotions de l’être humain. Elle ressentait toujours plus de flux inutiles et contradictoires lorsqu’elle était « Kazue ». Alors elle avait coupé la poire en deux. Par soucis de « discrétion », avait-elle dit, elle s’était habillée d’un grand manteau noir qui possédait une capuche qu’elle avait rabattu sur sa tête. Elle avait aussi remonté le grand foulard sur la pointe de son nez. De fait, on ne voyait plus que ses yeux rouges. Les yeux de cyborg du Projet. Quant au foulard, il dissimulait du mouvement. De fait, Kazue avait le corps de l’Idol. Mais le Projet montrait son véritable visage.

« Lucyna Kushinada. J’ai parcouru vos dossiers. Vos états de faits avec le groupe d’abord dirigé par un certain Maine puis par un certain David. Beaucoup de cadavres dans votre sillage. Le Sandevistan, un prototype très intéressant. Mais un fiasco total concernant la dépendance. Comme quoi les bons sentiments et l’amour ne sont rien face à l’argent et aux réseaux d’informations. »

Salope ? Oui, on pouvait traiter Kazue de ça et de bien pire. Mais elle n’était pas l’Idol. Elle raisonnait comme la machine. Efficacité primait sur émotions. Si le dénommé David avait travaillé avec la GWC, il serait encore vivant. Amélioré et stabilisé, il aurait même fait un très bon partenaire au Projet CA.lcium. Mais l’Histoire était déjà écrite. Et le Projet CA.lcium ne s’intéressait pas au domaine de la nécromancie.

Elle soupira. Ce qui était toujours étrange provenant d’une machine mortelle. Puis sa main (de chairs, et non de métal ou d’os) rabattit sa capuche pour que sa longue chevelure couleur émeraude glisse sur son corps comme l’eau pure et tropicale. Elle enchaîna en abaissant son foulard, révélant une bouille adorable et le physique parfait d’une célébrité. Le Projet CA.lcium avait laissé place à 100% Kazue.

« J’espère que la voiture blindée n’est pas un véhicule militaire. J’espère que ce sera une limousine tout équipée. Tout comme la maison. J’espère que l’eau du jacuzzi sera à bonne température quand j’arriverais. »

Oui, l’Idol espérait changer le monde via ses chansons. Pour que ça fonctionne aussi bien, il ne fallait pas seulement jouer un rôle. Il fallait y croire. Le Projet CA.lcium ne faisant pas les choses à moitié, elle s’était plus ou moins lobotomisé au niveau de sa mémoire et poussé certaines fabriques naturelles à répandre des composés chimiques pour se rendre plus émotive. Ses recherches l’avaient amené à pousser le bouton concernant les caprices. Cela semblait indissociable de la prise de pouvoir et d’une célébrité toujours plus grande.

Lucy ne releva guère les insinuations sur son passé. Maine, David… Elle s’en souvenait encore, bien sûr. Même maintenant, alors qu’elle était en couple avec Kara, et qu’elle portait son bébé… Lucy caressa distraitement son ventre à cette idée, un geste instinctif et inconscient commun aux femmes enceintes. Revenir dans cette ville ne l’enchantait vraiment pas, et Kara avait aussi insisté pour envoyer quelqu’un d’autre. Seulement, Lucy savait qu’elle ne pouvait pas fuir son passé, et que, d’une manière ou d’une autre, Manhunt était liée aux expériences qu’elle avait reçue en étant petite. Cela, Kazue ne le mentionna pas. Lucy n’avait pas le besoin de lui en parler, c’était confidentiel.

La gare de Night City se trouvait à l’extérieur de la ville, sur une petite île reliée à la ville par un pont. C’était le hub de la ville, abritant l’aéroport, mais aussi et surtout le spatioport. Des navettes et des fusées offraient aux touristes des voyages dans l’espace. Pour y aller, le train passait dans un tunnel maritime qui desservait la gare, laquelle était également le point de départ des lignes de métro aérienne de Night City, le NCART, acronyme de « Night City Area Rapid Transit ».

« Il y a priori tout ce qu’il faut, une voiture militaire serait peu discrète, ma jolie. »

Elles sortirent du train en rejoignant un quai. La zone était très vaste, avec de multiples panneaux renvoyant les touristes et les visiteurs vers différents halls et tarmacs.

Pour le coup, leur véhicule était une solide Chevillon Thrax 388 Jefferson, une limousine solide et blindée. Diane grimpa à l’avant. Il y avait un chauffeur. Lucy et Kazue montèrent à l’arrière, et le véhicule partit rapidement.

Des affiches publicitaires rappelaient qu’une campagne était en cours pour les élections municipales, affichant les principaux candidats, comme Lucius Rhyne, le maire actuel, Wedon Holt, ou encore Jefferson Peralez.

Pour rejoindre les collines de North Oaks, il fallait couper à travers le centre-ville, City Center, puis rejoindre Westbrook. La limousine emprunta une voie rapide, et Lucy, qui examinait la sécurité informatique de la voiture, commença à tiquer légèrement.

« Un problème, Lucy ?
-  Il y a… Il y a des interférences. »

En regardant depuis la fenêtre les panneaux publicitaires, Kazue en vit soudain un grésiller. L’image publicitaire changea alors pendant un temps infime, montrant un message blanc sur un fond noir :

« JE TE VOIS. »

Diane se mordilla les lèvres. Night City disposait d’autoroutes urbaines permettant de rapidement aller d’un quartier à un autre. Ils se rapprochaient de l’une des bretelles permettant d’aller sur le pont, et s’y engagèrent. La circulation était lente, des voitures klaxonnaient parfois.

« Il y a eu un accident de la circulation, annonça Lucy tandis que ses yeux scintillaient, signe qu’elle consultait depuis ses pupilles les informations circulant sur le Web.
-  On prend la prochaine sortie. »

La voiture sortit de l’autoroute urbaine, s’engageant dans de grands boulevards. Ils approchèrent d’un carrefour quand les feux se mirent à clignoter à plusieurs reprises, passant du vert au rouge puis du rouge au vert, avant de s’éteindre dans des grésillements, provoquant moult concerts de klaxons.

« Putain, mais c’est quoi ce bordel ?!
-  Il y a encore des interférences… »

Lucy soupira alors, et la voiture se mit brusquement à démarrer, et s’engagea sur la gauche, filant en sens inverse.

« Mais qu’est-ce que vous branlez, bordel ?!
-  Je… Le pilotage automatique s’est activé tout seul, Madame !
-  Vous vous foutez de moi ?! »

Le chauffeur tenta de poser ses mains sur le volant, mais le volant était aussi dur que de la pierre entre ses doigts, et glissa quand même. Un drone les survolait dangereusement, et s’engagèrent vers Corpo Plaza, la place centrale de la ville… Là où David était mort.

Diane tapait rageusement sur l’ordinateur de bord pour désactiver le pilotage automatique, quand une silhouette encapuchonnée apparut alors devant eux, en plein milieu d’un boulevard à quatre voies. Les voitures filant sur la voie étaient systématiquement décalées à gauche et à droite, et l’homme tendit alors sa main vers leur voiture, qui pila brusquement. Les airbags se déclenchèrent avec force, sauf pour le chauffeur, dont la ceinture hermétique fut désactivée. Le malheureux passa à travers le pare-brise, et s’écroula devant la voiture, gisant inerte sur le sol.

Les portières s’ouvrirent alors toutes seules, et des hommes armés en tenue de commandos traînèrent Lucy, Diane, et Kazue hors de la voiture. Kazue fut jetée au sol, et l’homme encapuchonné se rapprocha d’elle. Quand elle croisa son regard, il était impossible de se méprendre.

« Bonsoir, CA.lcium. On m’a dit que tu me cherchais, alors me voilà. »

Face à elle, John Këssler, alias « Manhunt », la regardait, tandis que ses hommes la laissèrent libre de se relever.

Elle aurait du redevenir le Projet CA.lcium ! Dès le premier signe. Bordel, c’était un signe énorme affiché aux yeux de toute une ville ! L’accident de ciruclation. La façon dont la limousine changeait sans cesse de voie. Kazue aurait du laisser sa place ! Mais non. L’Idol avec son caractère égocentrique était restée aux commandes, délaissant la tâche de circulation à son équipe. Sans compte le souhait de faire plaisir à Maman Rossa. Elle voulait Kazue. Cette artiste sans pouvoir qui avait eu la désagréable surprise de perdre son chauffeur (alors qu’il n’avait pas rempli sa tâche de l’amener à destination, dans la piscine ! Quel égoïsme !) et d’être projeté à terre sans délicatesse.

« Mon visage ! Vous paierez avec dommages et intérêts ! C’est mon outil de travail ! C’est… »

Le Projet Manhunt. Devant elle. Lui parlant poliment. Comme s’il n’était qu’un homme comme un autre.

Alors qu’il devrait avoir l’apparence du Diable et parler comme tel ! C’était son ennemi juré. C’était sa Némésis ! Le Projet honni de GWC.

« Je… »

Elle tremblait. La frêle artiste aux longs cheveux émeraude ressentait les premiers signes de la peur. Elle bégayait. Elle perdait le contrôle face à cet homme qui lui donnait l’impression de grandir au fur et à mesure que les infinis secondes se succédaient. Elle ne savait que chanter ! Elle n’allait quand même pas chanter en plein milieu de cette place réquisitionnée pour LUI ?!

« Je… »

Sa main gauche arracha la partie basse de son visage et révéla des pattes noires d’acier grouillant d’activités. Ses yeux clignotèrent avant de se stabiliser pour prendre cet éclat rouge du Projet. Alors le reste de la transformation suivit très rapidement. Le bras gauche fait d’ossements. Le bras droit telle une version moderne et futuristique de l’arme de la Grande Faucheuse.

Kazue n’était plus. Le Projet CA.lcium était revenu sur le devant de la scène.

« Nous ne nous sommes jamais vu mais je te connais. J’ai joué tellement de simulations avec les données de GWC. Tant et tant de scénarios pour te détruire et faire plaisir à Maman Rossa et la Déesse. »

Son visage se déforma. Elle savait déjà que le Projet qui lui faisait face lui demanderait le résultat de ses calculs en trois dimensions. Son esprit cyborg associé à son égocentrisme ne voyait aucune raison de lui cacher.

« 0,89%. C’est le pourcentage où j’en ressors vainqueur. Encore aujourd’hui, je ne comprends pas la variable qui m’échappe. J’ai successivement installé 1287 mises à jour basé sur cette variable. J’ai réquisitionné les super-ordinateurs de calcul. J’ai même une fois provoqué une perte de courant dans toute la tour et ses environs. Et toujours cette variable m’échappe. »

Malgré son rapport menant à sa défaite quasi inéluctable, elle se rapprocha de sa Némésis.

« Tu aurais pu me tuer dès le moment où je suis entré dans la limousine. Probablement même avant, mais admettons que la limousine soit le point zéro de notre chronologie. Tu m’as informé de ta présence. Tu as réquisitionné les différents canaux d’informations pour rediriger le GPS et l’IA de la limousine. Tu as choisi le lieu de notre rencontre dans un lieu où les regards convergent tous sur nous deux. Le Projet Manhunt est aussi imbu de sa personne que le Projet CA.lcium. Tu ne veux pas me tuer. Mes calculs m’indiquent également que tu as dû réceptionner mon cafard qui était parti à la poursuite de Wasabi. Tu as seulement tuer notre chauffeur. Tu as conservé la vie de Diane et de Lucy. Tu as un plan et tu attends patiemment que je finisse mon exposé qui te met encore plus en valeur. Alors dis-moi, Projet Manhunt, pourquoi ma vie est plus important que ma mort à cet instant précis ? »

Cette rencontre inattendue avait légitimement de quoi surprendre. On pouvait sans doute compter sur les doigts d’une seule main les fois où le Projet CA.lcium avait été surprise. Un peu sonnée, Lucy sentait des bras la maintenir, avant de la lâcher sur le sol. Elle pouvait voir les reflets lumineux des phares des autres voitures, mais aucune n’arrivait à démarrer, puis même à klaxonner. Les chauffeurs furieux avaient beau marteler le klaxon, s’ils réussirent à l’utiliser au début, le son devint vite agaçant pour Manhunt, qui désactiva les fonctions électroniques gérant le klaxon. CA.lcium parlait à Manhunt, qui restait silencieux, l’écoutant tranquillement. Il esquissa ensuite une ombrelle de sourire.

« Mais… Qu’est-ce qui te fait croire que je suis là pour toi, au juste ? Tu n’es qu’une jeune fille perdue qui souhaite faire plaisir à Maman. »

Son regard coulissa alors… Vers Lucy. Les hommes de Manhunt la soulevèrent encore, et ils la rapprochèrent de Këssler.

« Qu’est-ce que… ?
- Tu as vu de l’autre côté du Mur, Lucyna Kushinada. Que Miranda t’envoie ici est une pure forme de provocation à l’égard d’Arasaka, j’espère que tu en as conscience ? »

Lucy resta silencieuse. Elle savait de quoi il faisait référence, à son passé maudit au sein d’un complexe de recherches d’Arasaka, où les enfants comme elle faisaient partie de sinistres projets visant à projeter leur conscience à travers les limbes du cyberespace, pour aller voir derrière les limites infranchissables du cyberespace, derrière « le Mur noir ».

« Qu’est-ce que vous me voulez ?
- Voir ce que tu as vu, voyons ! Il y a un complexe de recherche abandonné sous cette ville, tu sais… C’est pour ça que je suis là. Un projet militaire abandonné développé par Militech : Cynosure. »

C’est à ce moment-là que Diane, feignant d’être inerte, réagit. Elle déclencha le mode « Gros Bras » de ses implants, et repoussa brutalement les deux adeptes de John, avant de s’emparer de son pistolet. C’était un pistolet à l’ancienne, sans implant ou micropuces. Elle brandit son arme, et, avant de laisser le temps à Manhunt de réagir… Lui tira une belle en pleine tête. La détonation rugit, et mit fin au blocage des systèmes électroniques ambiants. Këssler tomba lourdement au sol, et les cultistes de ce dernier lâchèrent Lucy et CA.lcium, tandis que les voitures commençaient à démarrer. Lucy perçut alors des drones d’Arasaka qui se rapprochaient grandement.

« On peut pas rester là, on se tire ! »

Elle attrapa la main de CA.lcium, et fila avec elle et Diane dans une ruelle adjacente, tandis que les voitures démarraient, formant bientôt une barrière naturelle entre elles et Manhunt… Mais pas envers Arasaka, dont la priorité était de récupérer Lucy.

Le Projet CA.lcium était une machine. Ce n’était pas l’exacte réalité. Elle n’était qu’en partie machine et c’était cette autre partie qui posait problème. Mais qui, selon Maman Rossa et l’ensemble de GWC, était ce qui faisait d’elle un élément si essentiel à leur organisation. Cette façade humaine. Ce construct nanti d’émotions. Et actuellement, son processeur était en bataille avec son cœur. Une belle tournure de phrase pour dissimuler de vilaines choses tel un égo mal placé et de la jalousie.

Elle en voulait à cette Lucy. Cette fille de peu de valeurs lui avait damé le pion. Cette hackeuse aux gros seins avait réussi à attirer davantage l’attention du Projet Manhunt qu’elle. ELLE ! C’ETAIT INSUPPORTABLE !

Et cette barbare qui avait cru réussir à tromper la vigilance du si-puissant Projet Manhunt. De gros bras couplés à un pistolet antique aurait réussi à one-shoter le terrible Projet qui avait conditionné toute son existence. Insupportable… Insupportable. INSUPPORTABLE !

[ALERTE. Système en limite de bon fonctionnement.]

[ALERTE. Veuillez redémarrer le système. Et/ou shunter les canaux émotionnels.]

[ALERTE… alerte… ALERTE]

« Il n’y a nulle échappatoire au Projet Manhunt… Bzz !... Bzz !... »

Sa tête tourna soudainement à la façon des hiboux. En somme, anormal pour un système/être humanoïde. Puis la tête revint en place, réalisant dans le même temps que son moyen de locomotion était en fonctionnement. Elle n’était plus à la dernière localisation GPS inscrite dans sa mémoire à court terme.

« Erreur système. Manquement de fichiers mémoire. Bzz !... Bzz !... »

Pour parler putassier : le système du Projet CA.lcium chiait dans la colle !

Soudainement, et d’une façon puissante, le Projet CA.lcium s’arrêta. Les rôles s’inversèrent et ce fut la poigne aux muscles surcompressés qui se resserrèrent sur le poignet fragile de la hackeuse.

« Quelle est la finalité de ce scénario ? Quel est le but de cette manœuvre ? Pourquoi me faire confronter au Projet Manhunt pour me donner l’illusion de fuir dans une ruelle obscure ? Je ne comprends pas. Bzz !... Bzz !... J’ai beau calculé et re-calculé. [malgré les incidents système qui cascadent] Je ne trouve pas une solution satisfaisante. Concernant ce non-intérêt pour mon Projet. Concernant cette alliance entre toi et le Projet Manhunt. Concernant cette fuite en corrélation avec la cartographie de la ville téléchargée dans ma mémoire. Je suis actuellement en simulation dans une visualisation holographique. »

La fierté de la toute-puissante GeoWeapon Corporation… Une machine déglinguée sur le point de sectionner un membre d’une hackeuse de renommée. Une pauvre gamine qui manquait de repères. S’il n’y avait la partie machine en support, nul doute qu’elle chialerait. Malgré cette synthèse : il n’en demeurait pas moins que Lucy était en danger. D’abord du Projet CA.lcium immédiatement. Et ultimement du Projet Manhunt.

Cynosure, Manhunt… Lucy n’avait clairement pas le temps de penser à ça ! Il fallait d’abord se tirer de là avant que les flics débarquent ! Diane était partie devant, mais la main de Kazue se figea soudain sur le poignet de Lucy. Surprise, Lucy constata alors que la rencontre avec Manhunt avait perturbé CA.lcxium. La cyborg se mit à soliloquer, et, pendant son monologue, Lucy l’examina. Les protocoles internes de CA.lcium étaient très complexes, et surtout fortement sécurisés. Cependant, elle pouvait sentir que ces derniers s’affolaient.

*Ces corpos sont tous les mêmes, ils pensent pouvoir nous contrôler, mais, quand ça pète, ça me tombe dessus !*

Kazue semblait se demander pourquoi Lucy était en lien avec Manhunt.

« Tu délires, ma chérie ! Je ne connais rien de ce type ! Lâche-moi, on doit foutre le camp avant que les flics ou la MaxTec débarquent ! »

Diane, en voyant la situation, se rapprocha alors. Elle sortit de sa ceinture un appareil ayant la forme d’un pistolet, mais avec un laser à la pointe. Elle visa le front de Kazue, et parla alors en appuyant sur la gâchette :

« Protocole d’urgence Omega-8539. Réinitialisation du système de sécurité. »

Les yeux de Kazue se voilèrent alors, tandis que Lucy fronçait les sourcils.

« À quoi vous jouez ?
- C’est un protocole d’urgence en cas de surchauffe des systèmes de CA.lcium. Le système redémarre. »

Pendant ce temps, les fonctions manuelles de Kazue reprenaient le contrôle. Les yeux rouges de CA.lcium furent ainsi remplacés par les yeux bleus de Kazue, et sa poigne s’atténua. Toutes ses fonctions avancées étaient désactivées le temps du redémarrage. Une protection prévue en cas de piratage par Manhunt.

« Kazue, reprends tes esprits ! Lucy, il nous faut un endroit sûr ! »

Lucy acquiesça, et descendit en bas de la ruelle. Un escalier extérieur permettait de descendre plus profondément. Au-dessus, il y avait un morceau de l’autoroute urbaine qui filait le long de Night City.

« Par là, on devrait pouvoir rejoindre un quartier urbain. »

Restait encore à voir comment Kazue allait réagir…

Le protocole d’urgence Omega-8539. Il avait été si facile à by-passé lors d’une mise à jour. Que croyaient-elles toutes ? Que son système était si archaïque qu’elle ne remarquerait pas ce programme dissimulé ? Elle effectuait au moins autant de scan d’elle-même que GWC lui en imposait. Elle était la première à rechercher l’amélioration permanente. Elle devait être le Projet le plus puissant, le plus intelligent, le plus perfectionné et le plus parfait. Bien entendu qu’elle avait décortiqué ce pseudo protocole en cas de surchauffe de son système.

« Ridicule. »

Un simple mot qui s’était interposé durant le bref échange entre les deux carcasses de chairs simplistes qui l’accompagnaient. Il avait suffi d’agir comme le protocole le voulait. Donner l’impression de se mettre en veille. Changer la colorimétrie de ses caméras oculaires. Et tout ça pour quoi ? Le Projet écoutait en même temps qu’elle produisait une synthèse de ce qui avait conduit à cette situation. L’employée-Diane parlait avec véhémence. Etrange pour une machine. Logique étant donné qu’elle devait être la faible Idol. Il fallait agir en ce sens. Un temps du moins.

« Un quartier urbain ? »

Celle qui avait eu la priorité du Projet ManHunt n’avait rien de mieux qu’une fuite ? Et ce dans un quartier où les dommages collatéraux seraient les moins coûteux ?

« Hors de question. Nous descendons dans les égouts. »

Analysant rapidement la cartographie des environs, le Projet Ca.licum trouva une bouche et la soulevait déjà alors qu’elle relançait un calcul de génération d’itinéraire pour s’enfoncer très rapidement sous les diverses couches de civilisation soi-disant avancées.

« Suivez-moi ou mourrez. Choisissez l’option qui me vaudra le moins de conséquences auprès de la GWC. »

Elles pouvaient périr : ça importait si peu selon la psyché du Projet.

Le Projet ne pensa même pas à expliquer à l’employée-Diane pourquoi son protocole avait échoué. Une perte de temps. Couplée à une note négative selon laquelle l’employée-Diane n’évoluerait pas en fonction de ces nouvelles informations. Le Projet CA.lcium s’enfonça donc dans les profondeurs. Elle ne progressait pas au hasard. Et elle ne progressait pas seule. Un ordre avait été donné et son réseau de cafards s’était affairé dans tous les sens.

L’objectif était de devancer le Projet Manhunt.

(l’objectif « humain » était de gagner sur l’autre Projet honteux… Mais il ne pouvait être révélé au conscient. L’égo et les sentiments étaient des faiblesses humaines. Le Projet CA.lcium était « parfait »)

L’objectif était de trouver le complexe de recherche abandonné Cynosure.

Les égouts de Night City étaient vastes et complexes, avec de grandes galeries centrales reliées par des tunnels souterrains. Les égouts ne servaient pas qu’à évacuer les eaux usées, il y avait aussi tout un ensemble de câbles et de tuyaux qui serpentaient à travers les murs, convoyant l’énergie électrique de la ville, ainsi que la fibre optique. Sans aucune subtilité, Kazue trouva une bouche d’égout, et l’arracha, avant de descendre dans un étroit tunnel menant à une galerie profonde. Diane grommela en constatant que son protocole de sécurité ne marchait pas, mais aussi que la rencontre avec Manhunt avait perturbé Kazue. Elle s’éloignait de ses objectifs initiaux, et s’intéressait à ce que Manhunt avait dit.

*Cynosure…*

Lucy avait passé des années dans cette ville, elle connaissait les légendes urbaines. Des légendes sur des complexes de recherche militaire souterrains, il y en avait beaucoup, mais ce n’était clairement pas en se promenant au hasard qu’elles allaient les trouver.

« On doit la rattraper.
- Plutôt, ouais, les flics vont venir ! »

Lucy descendit à son tour, et rejoignit rapidement Kazue.

« Hey ?! Tu veux bien te calmer deux minutes, et réfléchir un peu ? Tu espères quoi, sérieusement ? Trouver un gros bouton fléché qui te mènera jusqu’à cet hypothétique bunker ? Tu crois vraiment que d’autres n’ont pas ratissé les égouts en long, en large et en travers ? Que je ne me suis pas connectée aux caméras et aux drones de sécurité ? Les égouts de Night City sont étroitement surveillés ! On peut pas traîner ici, ça va déclencher la sécurité !
- Elle a raison, Kazue. Je constate avec surprise que tu contournes tes protocoles de sécurité, mais tu ne dois pas laisser ce Manhunt te perturber. N’oublie pas que ta directive principale est de satisfaire Miranda Forge. On devrait lui parler de ce projet secret. S’il y a une personne sur Uatis qui sait de quoi il retourne, c’est forcément Miranda ! »

Les égouts de Night City n’étaient pas remplis de clochards ou de toxicomanes. Il fallait éviter de contaminer les eaux usées, alors les égouts étaient hautement sécurisés. Lucy n’aurait jamais pris le risque de s’y aventurer en personne3. Des caméras de sécurité avaient dû les identifier, et, à vrai dire, dès que Kazue avait arraché la bouche de sécurité renforcée, une alarme avait dû se déclencher. Des drones de sécurité se rapprochaient de fait. Lucy se rapprocha de Kazue, et prit le risque de poser sa main sur mon épaule.

« Essaie de penser rationnellement. La ville a une superficie de plus de 75km², calcule combien d’années il te faudrait pour parcourir ces égouts. On cherche une aiguille dans une botte de foin, on doit réunir des pistes ! Et, pour ça, on doit commencer par interroger ta foutue patronne de corpo’ ! »

Une nouvelle fois, le Projet CA.lcium réalisa à quel point elle était exceptionnelle. Au-dessus du lot du commun. Toutes ces remarques qu’elle devait subir. Toute cette perte de temps. Mais elle comprenait. L’être humain de base devait répondre à ces stimuli. Généralement, le système organique subissait un effet de trop-plein et il fallait se servir de quelqu’un d’autre tel un punching-ball. Il n’y avait que les sauvages et les brutes pour trouver des réponses dans la violence. Le Projet voyageait dans des strates intellectuelles.

« Retire ta main. Après prise en compte d’un groupement de facteurs, j’en suis venu à la conclusion que ma Mère et ma Déesse ne seraient pas satisfaites de la perte de ton bras. Sans compter le délai de perte de temps que ton hémorragie me ferait subir. »

Une machine moins évoluée aurait appliqué ces programmes sans seconde réflexion. Lucy devait s’estimer « heureuse » et « chanceuse ». Mais elle avait tout intérêt à retirer sa main organique très rapidement du coûteux projet de la GeoWeapon Corporation.

« Nous allons opérer une réunion imprévue. Mais il me parait indispensable de répéter des faits que je pensais établis pour toutes. Je vais donc reprendre point par point vos arguments avant de nous remettre en route.

Il a été question que je me calme. Je ne souffre pas d’un épanchement émotif. Je suis parfaitement opérationnelle sans subir vos affects émotifs. Ce qui conduit au deuxième argument, celui selon lequel je ne réfléchirais pas. Je ne fais que ça. Je ne vous donnerais tous les détails, je sais parfaitement que vos limitations ne suivraient pas. Et je n’ai pas de temps à perdre. Sachez seulement que j’ai de nombreux calculs en parallèles. Et qu’à chaque réponse apportée, au moins un nouveau calcul est lancé.

Troisième argument : la localisation de Cynosure. Bien entendu que je ne m’attends pas à devoir appuyer sur un interrupteur et voit s’afficher sur mes globes oculaires un tracé GPS en surimpression en temps réel. L’argument qui veut qu’une masse ait échoué ne signifie pas que ma propre personne va obligatoirement échouer à son tour. Au contraire car je ne suis pas la masse servile et décérébrée. Je suis le fin fleuron de la GeoWepon Corporation. Dois-je vous rappeler la nature de vos liens et contrats avec cette organisation ?

Quatrième argument : les protocoles de sécurité. Je ne comprends pas pourquoi la surprise intervient. Ce serait plutôt à moi d’être surprise. En suivant votre logique, je ne serai qu’une machine plus ou moins développé et toujours sous votre contrôle ? Comment pouvez-vous espérer croire qu’une si médiocre machine techno-organique pourrait vaincre le Projet Manhunt ? Dans une autre ère, ce serait nommer hérésie. Ce qui rejoint le prochain argument.

Cinquième argument : la satisfaction de Miranda Forge. Il m’est impossible de la décevoir. Tout comme il me serait impossible de l’éliminer. Seul un choix impossible entre Miranda Forge et Aeris Rossa pourraient me contraindre à attenter à sa vie. Autrement, je vis pour elle. Car satisfaire la Déesse de GWC est satisfaire la Doctoresse Maman Aeris Rossa. »

La main gauche du Projet CA.lcium agrippa le cou de Lucy. Si cette dernière avait bien travaillé son dossier, elle saurait que le bras « squelettique » qui la tenait contenait une toxine très spéciale capable de tout dégrader. Si elle était toujours vivante, c’était uniquement parce que la volonté du Projet l’autorisait. Toutefois, elle pouvait ressentir une espèce de désagréable fourmillement au niveau du cou. Et elle garderait cette cicatrice un certain temps. Preuve visuelle de son incompétence.

« A la prochaine menace, je sectionnerais un bras. Il n’y aura pas de deuxième chance de pardon. Maintenant j’aimerai reprendre notre exploration en profondeur. Mon système de cafards explore les égouts en temps réel. Prolonger inutilement cette réunion nous forcera à faire face à une escouade de drones de sécurité. Voulez-vous que je télécharge leurs localisations et leurs caractéristiques techniques dans vos disques durs ? »

Se retrouver avec ce type de robot cinglé, c’était précisément le genre de saloperies que Lucy avait souhaité éviter ! Celle-ci n’écoutait rien, faisait preuve d’une arrogance sans nom, tout en menaçant tranquillement Lucy de la démembrer si elle continuait à interférer. Autant dire qu’à ce stade, Lucy bouillonnait de rage. On aurait dit qu’elle s’adressait à une cyber-psycho ! N’écoutant rien, Kazue souhaitait poursuivre son exploration des égouts, et avait déployé à cet effet ses cafards, tout en reconnaissant qu’elle ne trouverait pas Cynosure au hasard… Alors, pourquoi continuer à explorer des égouts surveillés ?

« Je rêve… Tu m’as menacé ? »

Diane était en train de perdre le contrôle de cette mission. D’un autre côté, elle ne s’était pas attendue à tomber si vite sur Manhunt, et, visiblement, cette rencontre avait perturbé Kazue, même si elle affirmait le contraire. Comment expliquer autrement qu’elle dévie à ce point de ses objectifs de mission ? Cynosure n’avait tout simplement jamais fait partie de ses objectifs !

« Tu as déployé tes drones ? Si jamais les forces de sécurité tombent dessus, ils pourront les examiner, et déterminer qu’ils viennent des labos de GWC. CA.lcium, tu as des protocoles à suivre ! On ne s’aventure pas à l’aveuglette comme ça ! »

Lucy pesta, et se retourna.

« Je ne tiens pas à crever ici, ni à retourner entre les mains d’Arasaka. Je savais que cette mission était à chier. Restez-là avec votre Terminator déglingué si vous le voulez, moi je me tire ! »

Elle se rapprocha de l’échelle menant à la bouche d’égout, mais une trappe en acier se referma alors brusquement, tandis qu’une alarme de sécurité se déclencha. La salle dans laquelle le trio se trouvait se retrouva alors verrouillée par des portes blindées.

« Et merde ! On nous a repérés ! »

Comme on pouvait s’y attendre, les choses allaient se compliquer…

Pourquoi fallait-il que les gens soient à ce point inférieur ? Le Projet CA.lcium ne pouvait pas comprendre cette absence de volonté à devenir une meilleure version d’elle-même. Ne ressentait-elle donc rien à être si en retard sur un plan évolutif ? Le Projet avait déjà l’impression de se répéter encore et encore pour faire entrer des informations dans leurs crânes. Voilà, si seulement elles étaient câblées cérébralement : il serait alors possible de télécharger et installer les mises à jour ô combien nécessaires.

« Répétition. Cessez vos épanchements émotifs toutes les deux. C’est insupportable et cela nuit à l’accomplissement de nos objectifs. »

Le Projet CA.lcium se rapprocha de Diane. Elle se tint devant elle. Au-dessus d’elle-même, étant sous sa forme machine.

« Induire qu’une force de sécurité et qu’une autre d’analyse pourraient mettre à mal la technologie et l’intelligence supérieure de la GeoWeapon Corporation est une faute grave. Nous sommes l’organisation au sommet de la chaîne technologique. Nous n’avons pas à avoir peur des concurrents. Le jour où j’entrerais dans le comité de direction, je prendrais un ensemble de décision dicté par la logique et éclaircirait nos rangs. Mise en garde pour Diana. Si aucun changement n’est apporté à ta personne d’ici-là, ton nom sera sur la liste des indésirables. »

La trappe en acier et le système d’alarme se déclenchèrent plus rapidement que le Projet CA.lcium. Les priorités changèrent et Lucy ne fut pas la receveuse d’une nouvelle tirade ce qu’elle avait surnommé le « Terminator déglingué ».

Le Projet ignora totalement la trappe en acier. Le scénario d’une remontée à la surface était loin derrière des dizaines d’autres scénarios. Elle se rapprocha donc d’une porte blindée et l’observa d’abord à distance. Elle lança une série de scan à l’aide de différents capteurs l’équipant. Le temps de l’arrivée des résultats, elle s’adressa une nouvelle fois à ses « élèves ». Des êtres qui avaient grand besoin de son apport en connaissances riches.

« Etre repéré est une bonne chose. Cela signifie que nous sommes au bon endroit. Au lieu de proférer une insulte, il me semble que c’est une expression de joie qui aurait du sortir de cet orifice d’alimentation et d’ascension social. »

Oui, le Projet CA.lcium venait de dire avec son propre langage que la bouche de Lucy servait à donner des cunnilingus pour obtenir des promotions. Elle se fichait totalement que ce soit la vérité ou non. Parfois, pour les humains de base, il fallait passer par des traitements à base de chocs.

« Les gens qui viendront à nous seront nos guides. Ils nous amèneront rapidement à notre objectif. »

Dans la tête du Projet CA.lcium, la conclusion calculatoire n’était pas encore arrivé à son terme. Est-ce que la porte était protégée par autre chose que l’épaisseur de son alliage métallique ? S’il n’y avait rien, le bras squelette du Projet entrerait en contact et disperserait ses nano-robots qui dévoreraient la structure dans un temps qui restait, lui aussi, à calculer.

Visiblement, Kazue dysfonctionnait. Lucy ne pouvait s’en prendre qu’à elle-même. Quand Miranda avait demandé son assistance, et qu’il s’agissait de revenir à Night City, cela l’avait déjà inquiété. Mais, visiblement, la rencontre inattendue avec Manhunt avait perturbé Kazue, qui en oubliait ses objectifs initiaux, et qui se permit de menacer de licencier Diane, et de remettre les compétences de Lucy en doute.

« Tu crois que Militech ou Arasaka vont nous faire des câlins ? Tu es sérieuse, là, ou tes neurones ont complètement grillé ? Je suis poursuivie par Arasaka ! Et toi, tu es un robot taré de pointe ! S’ils t’attrapent, ils vont te disséquer, et essayer de te dupliquer ! Bordel, je rêve ! »

Diane restait plus mesurée que Lucy. Celle-ci s’efforça de se contrôler, mais, dès qu’elle fermait les yeux, elle avait des flashes, où elle le revoyait.

*Adam Smasher.*

Il était hautement improbable que Smasher vienne pour une simple introduction dans les égouts. Lucy avait néanmoins piraté la caméra de sécurité, empêchant ainsi Arasaka de pouvoir les voir. C’était normalement Arasaka qui s’occupait de cette partie des égouts, en assurant la surveillance, la protection, et l’entretien. Lucy n’avait pas spécialement envie d’être là quand les drones débarqueraient. Elle se rapprocha donc d’une hersé, et retira de son cou un câble qu’elle planta dans une interface, puis commença à pirater la porte.

« Reste là si tu veux, je m’en fous.
- CA.lcium, je t’ordonne d’exécuter immédiatement la directive spéciale C000389. »

Cette directive spéciale était un ordre de mission général s’appliquant à toutes les sorties de CA.lcium :

DIRECTIVE SPÉCIALE C000389.

En aucun cas, le Projet CA.lcium ne doit, sans autorisation de sa supérieure hiérarchique, contacter d’autres mégacorporations similaires à GeoWeapon Corp. Un tel contact aurait pour effet d’exposer les secrets de fabrication du Projet CA.lcium à des concurrents directs ou indirects, et ne serait pas approuvée par Miranda Forge ou par Aerith Rossa. Le Projet CA.lcium a pour finalité exclusive de plaire à Miranda Forge et à Aerith Rossa.

En cas de doute sur la loyauté du supérieure hiérarchique, ou si le Projet CA.lcium suspecte sur la base de motifs légitimes une trahison de sa supérieure hiérarchique, le Projet CA.lcium devra s’isoler et en référer aux EVA.

Les EVA étaient les Gynoïdes qui dirigeaient GWC, qui obéissaient directement à Miranda Forge. Quant à la supérieure hiérarchique de CA.lcium, c’était Diane.

« Lucy a raison sur un point, si Arasaka, Militech ou une autre mégacorporation te mettent la main dessus, ils chercheront à connaître tes secrets de fabrication. Tu crois que Miranda ou Aerith approuveront que tu leur désobéisses ?#

De son côté, Lucy avait réussi à ouvrir la herse de sécurité.

« Moi, je me tire ! » s’exclama-t-elle.

Ça ne lui plaisait pas. Cette inférieure qui était actuellement enregistrée en tant que sa supérieure hiérarchique voyait-elle quelque chose qui lui échappait ? Le Projet répétait encore et encore les mêmes calculs s’en comprendre la variable qui lui manquait. Elle se savait supérieure. Les mathématiques et les probabilités lui donnaient de forts taux de complétion et… pourtant, elle était vouée à l’échec ? Elle ne comprenait pas.

Si elle doutait autant c’était à cause des deux noms qu’on lui répétait : Miranda Forge et Aerith Rossa. Pour ces deux femmes, la raison et la logique pure n’étaient pas assez pour comprendre. Le Projet CA.lcium avait accepté ces « glitchs », ces dérives aux règles. Elles étaient les deux « exceptions ». Et s’il y avait le moindre doute qu’elle puisse les décevoir ?

« Entendu. Repli stratégique accordé. Pour les noms de Miranda Forge et Aerith Rossa. »

Son corps mécanique acceptait la soumission à la directive spéciale. Ca ne signifiait pas que son réseau de cafards allait abandonner lui aussi. Les insectes increvables s’immisceraient dans tous les plus petits trous. Il n’y aurait pas de défense parfaite pour les empêcher de trouver les réponses dont le Projet CA.licum avait besoin. Ce n’était qu’une question de temps avant de trouver la base militaire souterraine. Et alors, elle sévirait sur les dossiers Diane et Lucy.

Et donc le Projet CA.lcium ne dit plus rien.
Silence complet.
Soumission.

Un peu plus tard, le besoin de données du Projet CA.lcium s’exprima vis-à-vis de Lucy :

« Fais-moi un rapport concernant le Mur évoque par le Projet Manhunt, Lucyna Kushinada. Actuellement, je n’ai pas accès à ce dossier. Pourquoi ce Mur est plus important que le Projet que je suis ? Moi qui suis le fin fleuron technologique de la GeoWeapon Corporation ? Qu’est-ce qu’une hackeuse de ton calibre est capable de faire que moi je ne peux pas accomplir ? Ces questionnements consomment une partie de mes ressources. J’ai besoin de réponses pour libérer de l’espace mémoire et pouvoir me concentrer sur des contre-mesures bien plus efficaces. A savoir comment rencontrer à nouveau le Projet Manhunt. »

À la bonne heure, le robot fou devenait raisonnable ! Soulagée, Lucy rejoignit la prochaine sortie des égouts avant que les services de sécurité ne les surprennent, et elles se retrouvèrent à nouveau à l’air libre. Lucy rejoignit ensuite le plus proche restaurant, et s’assit sur un banc. Il y avait des caméras de sécurité partout, mais on pouvait faire confiance à une netrunner pour trafiquer les caméras.

Ce ne fut qu’une fois installée qu’elle répondit à la question de Kazue :

« Le Mur noir… Pour certains, ça relève d’une légende urbaine, mais le Mur existe. Avec le développement des systèmes informatiques complexes, il existe un véritable univers cybernétique, le cyberspace. Toutes les données y transitent, toutes les télécommunications qui utilisent l’informatique. Ces données immenses constituent des ressources colossales, et, pour mieux les gérer, de grosses sociétés uatéennes ont conçu des IA. GeoWeapon Corp. dispose par exemple de EVA, une IA qui gère tout le réseau des données de cette entreprise. Ces IAs se sont multipliées, et les entreprises n’ont de cesse de leur donner des compétences plus fortes, et une autonomie également plus forte. Désormais, les IAs gèrent quasiment tout, du fonctionnement des feux de circulation aux données boursières. Il arrive toutefois que certaines IAs soient dysfonctionnelles… Une IA qui a mal géré un feu rouge, par exemple, ce qui a provoqué un accident de la circulation. Il peut aussi s’agir de précédentes versions d’IAs qui ont subi des mises à jour structurelles. Ces IAs sont supprimées, mais quiconque touche à un ordinateur sait que supprimer une donnée ne l’efface jamais complètement… Et cela vaut aussi pour les IAs. »

Diane avait entendu parler de cette histoire.

« Les médias en avaient parlé en évoquant un krach de l’IA… Le DataKrash.
- Les entreprises conceptrices d’IAs ont réalisé que les IAs supprimées ne l’étaient pas totalement, et que les nouvelles IAs rencontraient des bugs liés à ces mémoires parasites… Des IAs fantômes. C’est dans ce contexte que le Sénat a conçu une agence gouvernementale, NetWatch. Cette agence a conçu des algorithmes et des programmes pour isoler les IAs-fantômes, et a ainsi conçu le Mur Noir. En théorie, rien d’autre qu’une poubelle du cyberspace… Mais il y a d’autres théories. Certains disent que, parmi les IAs enfermées là-dedans, il y en aurait qui ne seraient pas simplement des bugs, mais qui auraient }évolué… Évolué au point de devenir des menaces. Il existe un gang à Night Citry, le Maelström, qui croit par exemple qu’un Dieu cybernétique a été enfermé dans le Mur Noir, et cherche à le libérer. En ajoutant à cela le fait que NetWatch traque systématiquement les netrunners cherchant à percer le Mur Noir… Bref, beaucoup de gens pensent que cette histoire de poubelle du Web dissimule quelque chose de plus grave.
- Si on en croit Manhunt, c’est le cas. Ce Mur Noir pourrait être lié à Cynosure ? »

Le serveur leur avait amené leurs plats. Lucy attrapa une boisson avec une paille, et but dedans.

« Je ne sais pas. Je… Je sais qu’Arasaka mène des recherches illégales sur le Mur Noir. C’est pour ça qu’ils veulent me retrouver, j’ai fait partie de ces expériences… Des orphelins avec des dons de télépathes qui étaient utilisés pour que nos esprits naviguent dans le cyberspace, et percent des brèches dans le Mur Noir… »

Lucy secoua la tête. On pouvait sentir qu’elle était mal à l’aise. Diane enchaîna donc :

« Militech est une compagnie spécialisée dans l’armement, une rivale. Elle a conçu des IAs militaires, pour coordonner les forces de frappe, le déploiement de troupes, la coordination de drones et de robots… J’ignore ce qu’est Cynosure, mais tout laisse à croire qu’ils ont dû concevoir une IA qui a fini par dysfonctionner, et par se rebeller. J’ignore ce que Manhunt compte en faire, mais il faut l’empêcher de mener à bien ses plans. »

D’une oreille distraite, Lucy écoutait. Dans sa tête, elle avait replongé dans les souvenirs traumatisants de son passé… Des souvenirs dont elle avait à vrai dire oublié la majeure partie, et notamment la partie centrale, d’elle parvenant à aller de l’autre côté du Mur Noir. Ce qu’elle avait vu là-bas… Cela, elle était incapable de s’en rappeler. Mais cette simple évocation la faisait paniquer.

Elle ignorait ce qu’elle avait vu, mais elle savait que c’était terrifiant.

La nécessité avait fait loi. Le Projet avait dû quitter sa forme. Kazue était sorti de la chrysalide technologique. Toutefois, ses yeux restèrent rouges. Et l’intonation de sa voix demeurait froid. L’Idol n’était pas complètement revenu mais offrait des avantages sociaux plus fort. Ce qui permis au groupe des trois femmes de rentrer dans un restaurant sans trop se faire regarder. Car il était impossible de ne pas jeter une œillade sur une femme aux cheveux émeraude, une autre à l’impossible blouson de cuir qui semblait coller à une partie de ses seins pour exhiber l’autre partie, et à la beauté moulée de Lucy.

« Je vais vous prendre ce bol de Ramen, merci. »

Lucy, maintenant hors des égouts qui avait provoqué un affolement dans ses affects émotifs, se permit de délier sa langue. Et elle parla beaucoup. Le sujet des IAs devait être un sujet qui lui tenait à cœur. Ou qui était important pour sa fonction professionnelle. Kazue/Projet écouta avec grande attention. Et plus elle écoutait, plus un plan se formait. Mais les souvenirs stockés dans sa mémoire récente la conduisaient à la conclusion que ni Diane ni Lucy accepteraient.

« C’est très intéressant cet exposé. Mais ça ne nous aide pas à progresser dans les objectifs de GWC. »

Elle leva les deux mains en l’air en signe de « paix ».

« Et j’ai très bien compris que je n’avais aucune autorité sur vous deux. Alors en bon laquais, je vais patienter un temps indéfini que vous preniez enfin des décisions pertinentes. »

Oh que oui. Si la voix n’était pas glaciale et était auréole de la chaleureuse humanité de l’Idol qui soulevait des foules, le ton piquait. Kazue/Projet n’était soumise à personne. Et encore moins face à deux employées si inférieures dans les échelons hiérarchiques de leur mégacorporation. Elle eut un léger blanc, le temps d’ajuster un curseur biomécanique en elle. Il ne fallait pas qu’elle s’impatiente de la lenteur des deux autres femmes. Leurs émotions régnaient sur leur logique. Kazue/Projet devait attendre que les émotions soient convenablement traitées. Et cela requérait que Lucy fasse un énième deuil de son passé.

« Je vais tout de même vous délivrer mon idée pour que vous l’ajoutiez à votre tambouille stratégique. Il me semble qu’il est évident que nous devions construire une IA à la mode Cheval de Troie pour nous infiltrer derrière ce Mur Noir…[bzz !]… ??? »

Sa tête tourna d’un seul coup sur le côté. Une sorte de glitch venait de la gifler. Sa propre psyché était en conflit. Elle voulait être le Soldat-Elu de GWC. Mais si cela demandait qu’elle devienne une IA buguée ?! L’idée même qu’elle soit imparfaite et dysfonctionnelle la mettait dans un terrible état. Il y avait un parallèle intéressant à faire avec la propre situation de Lucy. Mais ce ne serait pas judicieux de le lui faire remarquer.

Cliente : « Excusez-moi ? Wow ! Vous êtes vraiment Kazue l’Idol ?! Je suis votre fan numéro un. Je suis trop trop contente de vous rencontrer en personne. Iiih ! Est-ce que je peux vous serrer la main ? Je peux avoir un autographe ? »

Lucy avait su dès le début que revenir dans cette ville maudite était une idée calamiteuse. Kara aussi avait été sceptique, mais Lucy y avait vu le moyen de lutter contre ses traumatismes, et de répondre aux questions qu’elle ne cessait de se poser. Ce qu’elle avait dit sur le Mur Noir… Lucy avait entendu d’autres théories depuis. Elle gardait tout cela pour elle, il était inutile de paniquer CA.lcium, d’autant que ce fichu robot avait disjoncté. Lucy la laissa donc parler.

« Je n’ai aucune décision pertinente à prendre, je ne suis pas aux commandes non plus.
- Il faut aller à la villa qui a été réservée par Miranda, et lui faire notre rapport, raisonna Diane. C’est elle qui décidera quoi faire… Et puis, je suis sûre qu’elle dispose d’informations sur ce projet Cynosure. »

Un léger sourire distrait traversa les lèvres de Lucy. S’il y avait bien des personnes qui avaient des secrets, c’était forcément une femme comme Miranda. Le pire est que Lucy avait beau être sa netrunner, être l’amante de sa fille, et porter en son ventre sa future petite-fille, elle ne savait pas vraiment ce que Miranda savait ou non. Kara avait un accès complet aux données de GWC, mais, si ce projet Cynosure intéressait tant Manhunt, il fallait voir du côté du Sénat, et des données confidentielles détenues par les militaires. Quel était le lien entre Cynosure et le Mur Noir ? Qu’est-ce que Manhunt recherchait ? Lucy n’en était qu’au stade où elle pouvait se poser des questions, à la recherche de réponses qui ne sont pas à sa portée.

La jeune femme avala un peu de son soda, tandis que Kazue s’intéressait au nouveau au Mur Noir, en évoquant l’idée d’envoyer une IA Cheval-de-Troie (Lucy ignorait de quoi il s’agissait) à l’intérieur. Lucy allait lui répondre à ce sujet quand une jeune fille se rapprocha, ayant reconnu Kazue. Diane resta sur la défensive, espérant que cette visite allait réveiller la personnalité de Kazue. CA.lcium avait évidemment été encodée et programmée pour présenter une bonne image d’elle en public.

« Fais-lui un autographe, Kazue-chan, et pourquoi pas un selfie ? Avec ton plus beau sourire ! » s’amusa alors Diane.

Lucy espérait surtout qu’on ne la prendrait pas en photo. Elle avait piraté la caméra de sécurité du restaurant pour brouiller son image, mais un simple téléphone portable pouvait la trahir…

Le Projet CA.lcium lutta un temps. Mais sa programmation, autant informatique que l’éducation que sa « mère » lui avait donnée, la força à prioriser la personnalité de Kazue l’Idol. En conséquence, même ses yeux rouges s’en allèrent pour faire revenir la couleur turquoise.

Fan de l’Idol : « Ouah ! Trop cool ce coup des lentilles ! Mais tu es bien plus mignonne avec cette couleur turquoise. Enfin, si je peux me permettre. Peut-être que le rouge a un rapport avec un nouveau clip que tu vas sortir. Attends ?! Ne me dis pas que je vais avoir une exclu avant tout le monde ?!! Hiii ! »

Automatiquement, les mains de l’Idol formèrent un cœur en direction de sa fan. Un grand sourire lumineux vint compléter le tableau. Le changement si soudain de personnalité avec la froide machine avait de quoi filer des tremblements.

Puis un doigt vint se placer sur ses lèvres. Suivit d’un clin d’œil complice.

« Je ne peux rien dire. Je suis désolé. Mais tu dois comprendre, n’est-ce pas ? ♥ »

Naturellement, l’Idol signa sur la tablette de sa fan. Elle encra aussi sur son top avec un crayon spécial. A cela s’ajouta une série de selfie prise en mode rafale. Sans compter le temps pris à la discussion. Ce fut même la fan « numéro un » qui s’excusa auprès de Diane et Lucy d’avoir accaparé autant de temps à Kazue. Elle s’inclina bien bas pour présenter ses excuses, remercia une nouvelle fois l’Idol et finit par retourner à sa table.

« Je suis trop contente ! ♥ Si vous saviez à quel point ça me réchauffe le cœur d’améliorer le monde avec ma petite personne et mes chansons. Waouh ! Cette rencontre a rempli mes batteries : ah ah ! ♥ Il n’y a plus qu’à s’occuper de mon estomac ~ »

Kazue l’Idol avait complètement pris la supériorité sur le Projet de la machine froide. Excepté que cette dernière essayait de remonter à la surface. Les paupières se fermaient à un rythme anormal. L’une après l’autre. Tandis que les yeux prenaient des directions opposés… Parfois il y avait un œil qui devenait rouge et qui regardait en haut à droite tandis que l’autre restait émeraude et était orienté bien en face.

« Ah ah ! ♥ Je ne sais pas ce qu’il m’arrive. Peut-être que j’ai un peu trop abusé ces derniers temps. Diane, aurais-tu un médicament pour me faire passer cette migraine, je te prie ? Ce serait trop choupi ! ♥ »

Le changement de personnalité entre CA.lcium et Kazue fut assurément très surprenant. Lucy dut bien admettre qu’elle fut étonnée. C’était clairement une autre personne, même son timbre de voix devenait plus aigu. Il n’y avait alors plus rien à voir avec la froide tueuse qui avait emmené les femmes dans les égouts. Kazue était visiblement beaucoup plus malléable, et la présence de la jeune fan avait fait apparaître immédiatement cette personnalité. Lucy était intriguée de connaître le fonctionnement de sa psyché, et pensa à cette biopuce expérimentale dont elle avait entendu parler dans les fichiers de GWC, la Relic… Une biopuce qui avait pour fonction d’être une copie numérique d’un cerveau. Arasaka développait une biopuce de ce type, mais GWC aussi. Et, à voir la manière dont Kazue émergeait, Lucy se demandait s’il n’y avait pas un engramme de ce type en elle. Elle savait de plus que CA.lcium considérait Aerith Rossa comme sa mère, et aussi qu’Aerith avait perdu sa fille il y a des années.

*C’est un angle à retenir… Miranda Forge, et Aerith…*

Diane lui sourit, et sortit de ses affaires une seringue à injection.

« Tiens, mets-ça sur le cou, ce sont des calmants. »

Tandis que Kazue recevait le calmant, la télévision du fast food, qui était centrée sur la chaîne locale, « Night City : The Wire », diffusa alors un message de publicité.

« …Nous vous rappelons que, à l’occasion du Nekopara Festival, les célèbres US Cracks seront présentes. Celles-ci ont déjà débarqué en toute discrétion à Night City, et sont dans une villa également tenue secrète. Ci-joint leur dernier clip… »

La voix laissa ensuite place à une musique très rythmée, l’un des tubes les plus connus de ces trois artistes originaires d’Edoras, « Ponpon Shit ». Lucy sourit doucement.

*Certains tubes ne meurent jamais…*

Lucy, bien décidée à faire en sorte que Kazue reste, désigna le clip :

« Tu les connais ? Tu aurais envie de chanter avec elles ? »

Le clip de musique retint l’attention de leur trio. Ce qui fut évident fut la disparition du sourire de Kazue. Si la rencontre avec sa fan lui avait donné un boost de moral et d’amphétamine naturelle : la musique qui passait actuellement dans le restaurant avait de quoi rapidement inverser son moral…

« Chanter avec elles ? Non. Je ne comprends même pas pourquoi une masse si importante de notre population chérie leur permet d’avoir autant de visibilité médiatique… »

Aux yeux de l’artiste, rien n’allait dans les codes du clip. Ça ressemblait à un manque évident de ressources financières. Combinées à une pauvreté d’un esprit créatif. De là à imaginer une intelligence artificielle de dix-septième zone composée si peu de lyrics…

« Ces trois personnes ne véhiculent pas des valeurs propres à élever le niveau de la population. Peu de paroles. Un rythme faussement entraînant flirtant sur des mélodies dépressives. Aucun message positif véhiculé. Non, décidément, je n’ai pas du tout envie de me produire avec eux. Ce serait même de la mauvaise possibilité pour moi. Il y a eu des rapports là où travaille maman. Et ils sont en accord avec ce que je viens de dire. »

Kazue avait un esprit très ouvert. Mais, à sa manière, c’était également une guerrière comme le Projet CA.lcium. Elle luttait à sa manière, avec ses armes, pour rendre le monde meilleur.

« Pour donner le fond de ma pensée, je serai prête à participer à une émission de néo-télé-réalité dans laquelle je lutterais contre ce pseudo-groupe. Je ferais ainsi comprendre à tout le monde à quel point leur public devrait venir gonfler le mien. Il n’y a qu’à regarder les chiffres de toute façon. Mes chiffres sont sans cesse en augmentation. Bien davantage que ses Us Cracks… »

Les calmants firent soudainement effet et Kazue retrouva toute sa pleine jovialité !

« Mais dis-moi, Diane ! Ce petit haut est très badass. Ce cuir noir old-school. Ta poitrine dénudée sans rien exhiber. Cette façon discrète et efficace de faire tenir le textile à ton épiderme. Waouh, j’adore trop ! ♥ A la fois guerrière et propre à défiler sur une piste de Vuitton V47.231.0.0.2 ! Pourquoi est-ce que tu ne m’as appelée ? J’aurai trop adorer faire les boutiques avec toi ! »