The Multiversity

Heart Positronics. Siège central de Central Positronics, cette immense cité métallique et cybernétique était en un sens le cœur de Megapolis, son cortex colossal. Une superstructure s’étirant sur des kilomètres à la surface et sous la surface. Personne ne connaissait vraiment l’étendue de ce réseau, de ces tonnes et ces tonnes de câbles métalliques, d’énormes conduits cybernétiques abritant des milliers de câbles et de fibres optiques. Au centre de toute cette toile, la partie émergée de Hearts Positronics se présentait sous la forme d’une grosse structure qui était au cœur d’un immense puits métallique s’enfonçant dans les tréfonds de la planète. Samus s’y était rarement rendue, mais, aujourd’hui, la situation était grave. Elle savait que ce cœur immense abritait quantité de laboratoires et de complexes de recherche souterrains ultrasecrets.

« Le Complexe Zeta-04 été verrouillé d’urgence, et est coupé du réseau. Nous ignorons ce qui s’y passe.[/i] »

Le briefing de mission venait de la Colonelle Ashley Lindson. Samus recevait souvent des missions de sa part, et celle-ci était prioritaire.

« Qu’abrite Zeta-04 ?
- C’est un complexe de recherches élaboré par South Central Positronics. Les recherches qui y ont lieu sont classifiées, mais impliquent le croisement entre les humains et les robots, le développement de cyborgs améliorés.
- Je suppose que SCP utilisait des prisonniers comme cobayes. »

Samus avait des doutes sur la légalité des opérations menée dans ce complexe, ce qui expliquait sans doute pourquoi le complexe était si proche de Heart Positronics. Elle savait depuis longtemps que la firme s’arrangeait avec la légalité. Le Consortium était sous les ordres de Central Positronics, mais, même malgré ça, la mégafirme ne pouvait aller faire totalement ce qu’elle voulait sans risquer une coalition adverse des autres firmes. Rejoignant le puits central, le vaisseau commençait à descendre, s’enfonçant dans les méandres du puits, longeant l’énorme structure centrale. D’énormes câbles conduisaient à cette structure, qui abritait les superordinateurs de Positron, l’IA suprême de Megapolis.

« Il y a eu un dysfonctionnement informatique. L’IA qui administre Zeta-04 a elle-même déclenché le confinement d’urgence et le verrouillage. »

Cette IA avait été conçue par Positron, comme beaucoup d’autres IAs. Elle s’appelait Singularity, et peu de choses pouvaient l’amener à déclencher le protocole de confinement. La firme soupçonnait un piratage informatique. Samus devait se rendre sur place en compagnie d’une cyborg, Lexa Price, pour explorer les tréfonds de Zeta-04, et comprendre ce qui se passait. Le vaisseau se posa sur une plateforme à l’entrée de Zeta-04, dont le nom avait été gravé au-dessus d’une énorme porte. Plusieurs gardes en armure se tenaient là, ainsi que quelques scientifiques.

« Des équipes de sécurité ont déjà été envoyées avant que je vous appelle, Samus… Elles ne sont pas revenues, et leurs puces neuronales ne répondent plus. »

Parmi les personnes qui étaient là, il y avait aussi l’ingénieur Ylan Parker, qui se rapprocha de Lexa Price, pour vérifier une dernière fois que son Omnishield était au point. Samus, de son côté, disparaissait dans son armure épaisse de combat, et constata effectivement qu’elle ne recevait aucun signal de Zeta-04… Ce qui était à vrai dire très anormal, et très inquiétant.

Une ambiance relaxante. Les ténèbres d'une salle de bain constamment plongée dans le noir par désir de faire des économies, une baignoire remplie d'eau chaude parfumée par une unique boule caoutchouteuse jetée dedans il y a peu, un corps lâche et nu dont les bras dépassaient des rebords de la céramique, le faible crépitement d'une cigarette qui se consumait et remplissait la pièce d'une fumée ne faisant rien de plus que se mêler à la vapeur ambiante. C'était l'heure rituelle de Lexa, celle qu'il ne fallait perturber sous aucun prétexte mais dont le caractère sacré fut ultimement brisé par le son d'une notification système, directement injectée dans le code de son MindCore. C'était un message audio paramétré pour se répéter toutes les deux minutes en cas d'infraction, l'une des nombreuses douilles du contrat qu'elle n'avait pas pris la peine de lire dans son intégralité. « Cent seize page de pure torture. Trois devraient suffire. »

— Mademoiselle Price, veuillez ne pas vous déconnecter du réseau.
— Ta gueule.

Si Lexa avait été en mesure de balayer la première notification de son esprit, la seconde vînt à la charge deux minutes plus tard, comme prévu.

— Je vais te tuer, vociféra-t-elle comme si son interlocuteur était consciente.

Elle ferma les yeux et profita du nouveau calme pendant deux maigres minutes, après quoi la voix robotique porta un nouvel assaut contre l'esprit de la cyborg.

— Ça va, ça va, la ferme.

À contrecœur, elle mit fin à son heure rituelle en se reconnectant au réseau qui lui était dédié et fut immédiatement accueillie par un appel d'Ylan. L'ingénieur l'informa d'une mise à jour nécessaire de certaines de ses augmentations en vue d'une mission au forfait «  très intéressant. »

— Des chiffres, Ylan, je veux des chiffres.
— Cinq.
— Cinq mille ? Tu te fous de ma gueule. C'est pas comme ça que je vais rembourser ma de--
— Cinq zéros.
— J'arrive.

Sans se demander un instant quel genre de mission pouvait pousser ses patrons à rémunérer aussi cher, Lexa sortit de son bain en trombe, se rhabilla et prit la direction du local d'Ylan, là où elle était effectivement attendue. Elle tenta naturellement d'obtenir plus d'informations sur la mission, mais son doc' semblait bien moins loquace que d'habitude, ce qu'elle sut immédiatement connecter à ces maudites clauses de confidentialité qui liaient sa langue et tant d'autres.

— Je ne peux que te dire que tu ne seras pas seule pour cette mission, et qu'elle a lieu à Zeta-04, précisa-t-il par camaraderie, à présent habitué à la compagnie de la cyborg. Allonge-toi.
— Ça va, j'ai compris, lui répondit-elle en obéissant. Fais ton travail.

Ils s'échangèrent un rictus complice avant de passer aux formalités techniques. Une fois connectée à l'interface de l'ingénieur, Lexa reçut les mises à jour nécessaires pour sa mission, de simple plans des lieux jusqu'aux clés d'accès du complexe pour sa Ghost Hand. Une fois les préparatifs terminés, ils prirent une navette qui les emmena sur place, là où quelques effectifs armés montaient déjà la garde. En l'attente du reste de l'équipe, Ylan s'occupa de tout revérifier trois fois et de compléter l'ajout de menaces connues à l'Omnishield de Lexa depuis le datapad intégré au bras gauche de sa veste.

L'escouade, ou plutôt le duo, chargée de la mission fut enfin rassemblée, une fois la dernière participante arrivée. Lexa, au cours d'une conversation qu'elle avait perçue du bout de l'oreille, crut entendre le nom de Samus, sans doute celui de son associée. Ça lui évoquait vaguement quelque chose, cependant sans qu'elle ne puisse mettre le doigt dessus. Comme souvent, son désintérêt pour le monde extérieur lui causait du tort. Par conséquent, elle ne s'attarda pas bien longtemps sur ce ressenti et réclama une arme à Ylan, requête qu'il accepta en lui confiant un pistolet laser ainsi qu'une copie carbone de ce pistolet mais analogique, cette dernière s'accompagnant de quelques chargeurs que Lexa accrocha à sa ceinture.

— Je pourrais pas avoir une armure comme elle ? lança la cyborg en levant le menton vers Samus.
— Tu sais très bien que les patrons ont décidé de tester un archétype plus volatile et tactique, répondit l'ingénieur.
— Je me suis arrêtée à la troisième page, je te rappelle.

Lexa n'eut droit qu'à un silence de la part de son collègue, puis à une tape sur l'épaule lui indiquant que tout était en règle. Elle lui adressa un simple pouce en l'air et s'avança à la hauteur de Samus, profitant de l'occasion pour reluquer l'armure de haut en bas.

— Stylé. J'aurais peut-être dû lire mon contrat en entier.

Oubliant jusqu'à la plus basique des politesses, Lexa s'avança ensuite les immenses portes du complexe, profitant de ce court déplacement pour estimer à quel point la semelle de ses talons adhérait au sol. Satisfaite, elle fit signe aux gardes qui se postèrent aussitôt sur les côtés et s'apprêtèrent à faire feu en cas d'assaut ennemi immédiat, puis posa une main sur l'interface de sécurité.

— Donne-moi un petit moment, adressa-t-elle à Samus, cette « Singularity » est vachement capricieuse.

Se heurtant au refus de l'IA, Lexa fut obligée d'avoir recours à Ghost Hand afin d'outrepasser les permissions de l'entité numérique. Même si Ylan avait tout fait pour lui donner les accès nécessaires, il fallut tout de même un bon moment pour que la cyborg puisse totalement pirater le système de sécurité de l'entrée, ce qui la laissa supposer qu'une autre force était à l’œuvre et avait tenté de bloquer son intrusion. Un assourdissant vacarme métallique suivi de la mélodie reconnaissable d'un sas que l'on aère firent cependant savoir à tous que les portes s'ouvraient.

— Couloir droit devant, trente mètres de long jusqu'à l'élévateur. Les niveaux inférieurs se développent en hexagone. Tant qu'on n'y est pas, tu devrais passer devant. Je suis plus à l'aise dans les endroits moins, euh, ouverts on va dire.

L’armure de Samus disposait de son propre IA, un système qui communiquait avec Samus, et s’occupait de l’entretien de l’armure, de ses différentes fonctionnalités, ou de son intégrité structurelle. Le tout fonctionnait de manière télépathique, grâce à la Zero Suit et à une neuropuce implantée dans son cerveau. Elle examina la femme qui allait l’accompagner, et, sur son interface visuel, le dossier de Lexa Price apparut. Elle fronça les sourcils en constatant néanmoins que les données complètes du fichier étaient classifiées. Samus disposait déjà d’importantes autorisations administratives, ce qui laissait entendre que, comme elle, Lexa Price était quelqu’un de particulier.

« Deux pointures pour une mission à haut risque…
- Ever Nice te dirait que cela peut venir du fait que vous êtes proches du centre de Megapolis. GWC doit chercher la discrétion, s’il y a des failles de sécurité si proches du Noyau Positron… »

Le module vocal de l’IA était calqué sur la voix de sa partenaire, Ever Nice, ainsi que son modèle physique. Elle se retourna vers Lexa quand celle-ci la salua sommairement. Lexa évoqua sommairement un « contrat », et Samus demanda à son IA d’essayer d’obtenir des informations sur ce contrat.

« Je ne pense pas que votre contrat impliquait ce prototype, Lexa Price. »

Elle suivit ensuite lentement Lexa, qui se rendit près du terminal d’entrée, et tenta de la déverrouiller. Elle se heurta rapidement aux défenses de Singularity, mais parvint à les shunter. L’épaisse porte s’ouvrit. Samus se retourna vers Lindson.

« Soyez prudentes. Les portes se refermeront derrière vous. »

Samus avait déjà voyagé dans des carcasses de vaisseaux perdus dans l’espace, dans des planètes mortes. Elle ne savait pas trop à quoi s’en tenir ici. Certes, elle était sur Terre, mais quelque chose lui disait que la situation allait se compliquer. Lexa lui demanda d’aller en avant. Samus hocha la tête. L’éclairage automatique ne fonctionnait pas, il n’y avait que des diodes rouges ici et là. Samus déclencha les lampes torches de son armure. Depuis sa visière, un épais halo lumineux jaillit, ainsi que depuis son torse. Derrière elles, la porte s’était refermée. Samus s’avança donc la première.

« Aucun signe de combat sur les murs… D’après mes données, ce complexe est fortement automatisé, mais comprend aussi du personnel humain, essentiellement pour la maintenance. Il y a aussi une équipe scientifique. »

La guerrière marcha donc la première, longeant le grand couloir. Toutes les portes étaient verrouillées. Elles rejoignirent au fond du couloir un double escalier métallique partant sur la gauche et sur la droite. Samus descendit, et elles rejoignirent le hall d’accueil. Comme Lexa l’avait observé, la structure globale de Zeta-04 était hexagonale, cinq niveaux souterrains s’articulant autour de l’ascenseur central, lequel était aussi verrouillé. Samus tenta de l’activer, mais sans succès.

« Je vous laisse le pirater. »

Lexa se rapprocha de l’ascenseur. Samus déploya d’autres lampes sur ses épaules, tout en regardant autour d’elle. Le hall était assez grand, avec des plantes vertes dans les angles, et une mezzanine en hauteur qui faisait le tour du hall.

*C’est beaucoup trop calme…*

Un signal sonore les avertit de l’ouverture de l’ascenseur, qui s’éclaira alors. La voix préenregistrée de Singularity résonna alors :

« Bonjour, à quel étage souhaitez-vous vous rendre ?
- D’après le plan, le noyau de Singularity est au niveau -5. »

Elles rentrèrent donc dans l’ascenseur, et descendirent. La porte du niveau -5 s’ouvrit sur un hall d’accueil avec des scanners de sécurité. Samus restait sceptique. Que s’était-il passé ici ? Il n’y avait toujours aucun signal, aucun corps… Les deux femmes passèrent à travers les portiques de sécurité, menant jusqu’à une énorme porte circulaire et blindée. Samus laissa encore une fois Lexa s’amuser avec cette porte. Derrière la porte, il y avait une énorme pièce concentrique. Un liquide de refroidissement baignait en bas, et, au centre de la grosse pièce, une sphère abritant Singularity. Samus et Lexa se rapprochèrent à nouveau. Une petite porte coulissait vers le haut pour permettre de rejoindre le noyau de Singularity.

« Mes capteurs détectent de l’énergie. Singularity est là, mais est en repos total. »

La voix de l’IA Ever Nice raisonna, Lexa pouvant l’entendre :

« Suggestion : si Singularity a désactivé toutes ses données, je déconseille de la réactiver.
- Essaie d’accéder à son registre d’activités, Lexa. Je préconise de suivre la recommandation de mon IA personnelle : si Singularity s’est verrouillée totalement, la réactiver peut être dangereux… »