The Past
Le vent soufflait dans un hurlement glaçant à travers l’immensité silencieuse et déserte qui entourait le hangar abandonné. Les superstitieux croiraient que c’était le cri de détresse d’une banshee, un spectre parmi les multitudes qui devaient hanter ce territoire abandonné par la civilisation, laissé pour mort, à crouler doucement dans l’oubli ... une métaphore qui devait peut-être ne pas échapper à l’ex-policière tandis qu’elle accompagnait son discutable sauveur.
Voilà bien quelques jours qu’elle avait commencé à recevoir les visites de celui qui se nommait Valac, un démon qui s’était déclaré comme “exilé”. Un ennemi du Paradis tout comme des Enfers, haï par tous et traqué sans relâches. Le diable enveloppé de mystères avait traîné sa nouvelle servante dans un appartement très banale, la récupérant de l’enceinte de l’hôpital futuriste dans lequel il l’avait déposé. Les souvenirs devaient être bien flous, vu son état déplorable, aux portes de la mort. Des chirurgiens douteux, une pièce d’opération qui manquait de cette ascétique propreté qu’on reconnaissait aux salles d’urgences, et ces nombreux symboles étranges et indescriptibles qui semblaient avoir contaminé son esprit durant ses brefs moments de lucidité.
Que lui-ont-ils fait ? “Chaque réponse viendra en temps opportun” avait répondu l’hérétique à la peau écarlate, lui offrant un sourire à la fois réconfortant et empreint de malice, tel un vin exquis et empoisonné.
Au sein de cet appartement, elle avait eu droit à deux choses avant qu’il ne la pousse à prendre la route jusqu’au hangar : un uniforme et une valise où une panoplie d’armes avait été soigneusement disposée pour elle. Dagues, couteaux de combat, armes à feu ... Valac semblait être pressé de la mettre dans le bain.
Arrivés devant le hangar, ils s’arrêtèrent sur la route effacée pour faire face aux portes métalliques rouillées. L’édifice, autrefois d’un gris éclatant, n’était plus qu’une carcasse rouillée et accablée de trous béants. Se retournant lentement, Valac dressa un doigt en direction des portes, fixant Zarah avec une expression nonchalante. Sa voix, mielleuse, résonna en contraste avec le souffler givrant des éléments, parvenant aisément à être audible pour la belle brune comme si sa voix ignorait tout obstacle pour atteindre ses oreilles.
“Première leçon : ne jamais ouvrir une porte sans avoir vérifié l’existence de protections arcaniques ou de pièges occultes.”
Comme si cette simple explication allait donner du sens à l’humaine, le démon se retourna et fit un pas de plus. Désormais face-à-face avec l’entrée, il laissa ses yeux bicolores explorer la surface rongée par le temps, tandis qu’un petit rire dédaigneux résonna au coin de ses lèvres vermeilles. Valac était un démon qui aurait été considéré comme faible et pathétique par ses congénères, et un simple diablotin insignifiant pour les anges. Sans pouvoirs, sans capacités surnaturelles, il ne valait pas plus qu’un humain teinté de rouge aux yeux moqueurs des siens. Et pourtant, il était devenu un des êtres plus redoutés des deux plans, un ennemi de premier ordre dont on cherchait l’éradication complète, celui qui menaçait l’équilibre précaire de la trêve conclue entre anges et démons.
Faisant preuve d’un de ses atouts, à savoir une connaissance très poussée de l’occulte et de la sorcellerie, le balafré avait deviné d’un oeil expert les très subtiles traces de glyphes protecteurs qui avaient été dressés pour barrer l’entrée, camouflés au milieu de la rouille et de la peinture écaillée. Un jeu d’amateur, si vous demandiez l’avis du beau diable tandis qu’il apportait sa propre touche en venant corrompre le sceau avec un des bouts de bois moisis qui jonchaient le sol, brisant la complexe arabesque et rendant le glyphe complètement inoffensif.
Aussitôt, la porte grinça et s’entrouvrit, libérer de l’emprise de la magie qui l’avait scellé. À l’intérieur, l'air était lourd, saturé de moisissure et de l’odeur métallique de l'humidité. Toiles d’araignée et poussière inondaient chaque recoin de l’intérieur décrépi, mais c’était surtout la sensation que quelque de malsain et impie était tapi dans les ombres qui devait frapper celle qu’on avait essayé de taire. Un frisson instinctif, primitif, celui du cerveau reptilien réagissant à une alarme ancienne comme le monde, la présence de danger dans l’obscurité.
“Voici ton arène, là où tu abandonneras l’ancienne femme que tu étais pour renaître, ou périr dans l’oubli. “
Le génie du mal avait glissé ses mains dans les poches de son long manteau noir, reniflant l’air nauséabond avec toute la nonchalance du monde. Une lumière froide et ténue pénétrait le toit éventré du hangar, éclairant le disciple de Lilith. Il était plaisant à l’oeil, un délicieux personnage, mais son oeil gauche, couronnée d’une balafre qu’une terrible archange lui avait infligé, avait une lueur de prédateur malveillant. Il était, pour ainsi dire, semblable à une lame aiguisée exposée derrière une vitre : agréable à regarder, mais à distance. Le démon trouvait d’ailleurs que cette description pouvait coller à merveille à Zarah. Elle était le genre de femme dangereuse et forte de caractère qu’il appréciait particulièrement ...
“Ici se cache un rat. Un amateur qui a trempé les doigts dans un art qu’il maîtrise maladroitement. Ses créations grossières doivent surement patrouiller son antre. Ce misérable cloporte détient néanmoins quelque chose qui m’est précieux. Trouve-le, si tant est que tu survis à cette infiltration, et apportes-moi sa tête. Tu auras l’opportunité de te défouler avec tes nouveaux gadgets.”
Faisant mine de ne pas bouger de sa place, c’était l’indicateur clé que la balle était entre les mains de Zarah et qu’elle ne sera pas accompagnée par la présence de son maître. Ce dernier lui offrit un nouveau sourire, mesquin à volonté.
“Je ne serais pas très loin. Ma voix saura te trouver. Et pour te motiver, voici un petit secret : ta cible, ce petit rat, fait partie de ceux qui avaient comploté pour te tuer.”
The Present
La chambre luxurieuse n’était éclairée que par la lumière apaisante de la cheminée dont les flammes crépitaient paresseusement dans leur coin, projetant leur lueur sur la vaste pièce, sur ses meubles faits de matériaux couteux, de pièces d’art à la valeur difficilement anodine et sur la table de massage installée au cœur de la chambre. Là, au coeur d’une pièce réservée pour l’élite d’une société de bourgeois dans un des quartiers chics d’une métropole qui ne dormait jamais, les deux serpents s’entrelaçaient dans leur tanière du soir, profitant d’un répit bien mérité après avoir fauché les plans d’un scientifique dont l’objectif avait été de concevoir les hôtes parfaits pour une cabale d’anges vengeurs. La mélodie de ses hurlements tandis que ses cobayes libérés le démembraient résonnait encore dans la tête de Valac, qui en souriait.
Black Manba, ou plutôt Zarah, avait fait de l’excellent travail, et son boss était de belle humeur. Une récompense adéquate avait été de mise. Tout d’abord un dîner qui aurait fait pâlir l’ancienne policière par le passé, presque extravagant dans ses prix, mais infiniment exquis. Puis le massage ... ah, oui, la table de massage, nous disions.
L’hérétique avait débarrassé avec une lenteur sensuelle sa partenaire de ses vêtements, dévoilant son corps aux muscles taillés dans l’ébène, une sculpture de sexualité amazonienne parfaite, une bestialité à peine contenue. Ses tatouages, un don de Valac pour la protéger de certains maléfices, complétait le canevas absolument divin de son corps de déesse guerrière. Grande de taille, à la voir en face du démon on pouvait facilement l’imaginer le briser entre ses bras ou ses cuisses imposantes. Une mort alléchante.
Avec une douceur calculée, il l’avait installé sur l’épaisse couverture blanche, admirant sans retenue l’éclat de la sueur par le feu de cheminée sur sa peau basanée. S’en pourlécher les babines était une réaction tout à fait naturelle, en anticipation pour la suite.
Une bouteille d’huile de massage avait été débouchée, le contenu transparent et luisant venant recouvrir les mains chaudes et cramoisis du fils de Lilith. La radio qui trônait au coin de la pièce avait switché vers la voix mélancolique de Frank Sinatra, sur sa chanson iconique “Fly me to the Moon”. L’ambiance agréable et lascive était en parfaite opposition avec la nature violente et dangereuse des deux serpents.
Il ne fallut pas longtemps pour que le corps de Zarah commence à être enrobé de cette huile parfumée et stimulante, le toucher de son maître infernal semblant connaître chaque point clé de son corps, arrivant toujours à caresser là où la fatigue persistait, là où sa peau réagissait le plus intensément, là où des piques ce plaisir mordaient sa chair, promesses d’une nuit d’obscénités euphoriques.
“Tu attendais ce moment avec impatience, on dirait, ma belle vipère.” murmura agréablement l’infernal au creux du cou de la combattante augmentée, sa main droite approchant dangereusement de cette partie de son corps où le plaisir s’exprimait le plus, où le désir se trahissait par un simple toucher, par une humidité qui n’avait rien à voir avec l’huile ou la sueur.
“Toutes ces semaines à infiltrer le laboratoire de ce pauvre crétin, à attendre ton heure, à patienter, prête à bondir. Toute cette attente, cette frustration accumulée ... ça t’a manqué, hm ? Ou devrais-je dire, je t’ai manqué ?”