The Multiversity

[Miranda Forge]

En compagnie de Hannah LaBelle, sa secrétaire et assistante, Miranda Forge se tenait à bord de la navette qui survolait Night City, et rejoignait l’héliport permettant d’accéder aux derniers étages de Tekhovisio. Ici, au beau milieu du centre-ville de Night City, Miranda avait un arrière-goût de Uatis City, avec ces immenses gratte-ciel qui se dressaient ici et là. La ville abritait les sièges sociaux des plus puissantes compagnies uatéennes, comme Arasaka, ou encore Militech. Ces firmes se trouvaient autour d’une immense place, Corpo Plaza, et d’autres sociétés avaient réussi à s’installer. C’était le cas de Tekhovisio, une société fondée par un collectif d’artistes souhaitant échapper à l’influence d’Arasaka. La tâche n’était pas simple. Arasaka avait la mainmise sur la culture, et les idols venaient presque tous d’Arasaka, qui détenait les droits d’exploitation audiovisuels de beaucoup d’idols, pouvant assurer leur promotion. Travailler pour Arasaka, c’était toutefois vendre son âme à une compagnie qui proposait des contrats de sponsoring d’une rigidité incroyable. La firme pouvait vous licencier sans préavis, sans indemnité, pour n’importe quel motif, allant même jusqu’à une différence d’une décimale par rapport au taux d’IMC que chaque idol devait respecter.

C’est face à ces conditions de travail exécrables que Sayako Muzukata avait fondé Tekhovisio.

« Nous approchons, Maîtresse. »

Depuis que Miranda avait annoncé que Kara Forge était son héritière, elle n’était officiellement plus la PDG de GWC… Même si, en apparence, elle continuait à gérer les affaires. Miranda avait toujours son bureau, elle était membre du conseil d’administration, et avait le statut officiel de Directrice Générale, ce qui, selon les statuts de la firme, lui donnait les mêmes pouvoirs que sa fille. Miranda s’était aussi lancée dans une carrière politique. Elle envisageait de devenir Sénatrice, et c’était pour lancer sa campagne à Night City qu’elle avait décidé de conclure un contrat très intéressant avec Tekhovisio. Le partenariat prévoyait de financer les idols, et Miranda comptait ainsi organiser un grand concert d’idols à Night City, tout en tenant un meeting politique. Pour cela, Miranda avait souhaité être proche d’une jeune idol, afin de passer avec elle à la télévision, et ainsi montrer que, malgré sa fortune débonnaire, elle était proche du peuple. Tout le monde savait que les Forge n’apprenaient leur véritable héritage que tard. Kara avait souhaité briser cette règle, refusant de faire les sacrifices commis par sa mère. Miranda ne pouvait pas lui en vouloir, elle avait beaucoup souffert de ne pas avoir continuellement sa fille près d’elle. Le fait est qu’elle avait une certaine expérience des couches populaires, et elle pensait que s’afficher avec une idol lui irait bien.

Miranda avait invité un célèbre trio d’idols pour son meeting, et pour les convaincre de rejoindre Tekhovisio, les US Cracks. Elles étaient sous sponsorisation par le biais de la société Kiroshi Opticals, qui appartenait à Arasaka. Mais le cœur de son programme à Night City était l’idol girl Himiko Aramiya. Miranda devait la rencontrer, et discuter avec elle du planning et des activités à faire.

Sa navette se posa sur l’héliport, et Miranda et Hannah sortirent vers leur comité d’accueil…

[Himiko Aramiya]

La tour du siège de Tekhovisio avait beau être plus petite que ses consœurs Arasaka, Militech, Biotechnica ou encore Netwatch, elle avait malgré tout pu obtenir sa place sur la corpo plaza. Y obtenir un terrain était ironiquement plus sécuritaire que de construire en extérieur de la ville. C’était aussi un avantage pour les Idoles de la corporation, qui pouvait bénéficier des commerces du centre des affaires, mais aussi de logements dans les étages supérieurs.
La corporation avait également rachetée Masala Studios à Watson, si bien que les autres Corpos devaient à présent payer pour pouvoir les utiliser. Excepté Arasaka, qui avait décidé de construire ses propres studios dans un endroit tenu secret, mais où ses propres Idoles tenues sous contrats devaient respirer encore moins la joie de vivre.

Ce jour là, Himiko était en discutions avec une journaliste dans son studio. Non pas pour une demande d’interview mais pour un entretien privé. Et une demande plus personnelle. En effet, suite à une enquête de plusieurs semaines, celle-ci avait finit par découvrir que les Idoles d’Arasaka qui se voyaient rompre leur contrat avec la corporation, n’étaient pas simplement exclus des locaux.
Arasaka considérait que les implants sur celles-ci leur appartenaient toujours, et les en dépossédaient donc, certes plus proprement que les Désoceurs, mais le résultat était le même. Les soi-disantes retraites loin de la vie active n’étaient autre que des meurtres maquillés.
Comment l’avait-elle appris ? En retrouvant un implant conçu spécifiquement pour une ancienne Idole dans une mallette, qui s’était retrouvé sur le marché noir après que le transporteur ait été intercepté par le Maelström.

Toutefois, les chaînes d’informations avaient toutes refusées de diffuser son reportage. Et le soir même, elle eu l’intuition de faire un détour avant de rentrer chez elle, pour voir des agents de la corpo en question retourner son appartement. C’était donc ainsi que la journaliste avait terminée dans le studio d’enregistrement d’Himiko, lui demandant de diffuser l’information sous la forme d’une chanson, qui sera plus écoutée qu’une infodoc clandestine.
La jeune Idole commençait déjà à avoir une idée pour l’écriture, une histoire de gloire transformée en rêve brisé et en regrets, avant de s’éteindre dans l’indifférence. Avec comme à son habitude des indices sur les faits réels disséminés ça et là dans les paroles, que ses fans ne tarderont pas à décrypter. Bien sur, il y avait des chances qu’Arasaka découvre rapidement de qui venaient les informations, mais en théorie, la journaliste sera déjà loin, probablement à Novac.

Tandis qu’elle remercia la journaliste, la musicienne travaillant en tandem avec Himiko la rejoignit rapidement.

– C’bon, t’as finit ton entretien ?

– Oui Enaya. Un soucis ?

– La patronne veux nous voir. Paraît qu’une représentante Uatienne en campagne veut t’rencontrer. Elle nous d’mandera p’t-être de faire une chanson elle aussi, pour son programme.

Himiko haussa les épaules. L’avantage d’être à Tekhovisio, c’était que les artistes y étaient libres d’accepter ou non une offre, la direction ne leur imposait rien. La jeune Idole était donc libre de refuser, si la demande ne correspondait pas à ses propre projets, ou a sa façon de faire. Elle emboîta donc le pas de sa partenaire et pris l’ascenseur, jusqu’au bureau de leur patronne.

[Miranda Forge]

On appelait ça l’organisation horizontale. Autrement dit, une organisation de l’entreprise où il n’y avait quasiment aucune différence entre la masse salariale et la direction. L’idée était ainsi d’impliquer les salariés dans le fonctionnement de l’entreprise, et dans le processus de direction, dans les choix stratégiques et dans les orientations économiques de l’entreprise. Un concept difficile à mettre en place, et qu’on retrouvait dans peu d’entreprises. Tekhovisio faisait partie des exceptions, comme l’expliqua Sayako dans son bureau.

« Nous avons mis en place plusieurs méthodes internes de fonctionnement, à travers les votes, les réunions ouvertes…
- Vos contrats sont également très souples. »

Tekhovisio ne mettait dans ses contrats aucune clause d’exclusivité, ni clause de non-concurrence, ou de clause de récupération des implants cybernétiques, comme le faisait Arasaka. Cette dernière clause était redoutable, et Miranda savait que plusieurs associations dénonçaient ces clauses. Retirer à un employé ses implants le plaçait souvent dans un état de manque grave, et pouvait entraîner sa mort.

Sayako hocha la tête.

« J’ai fondé cette compagnie comme étant un havre et un refuge pour toutes les femmes victimes des abus d’Arasaka.
- Je n’aime pas spécialement Arasaka, confirma Miranda. Outre qu’il s’agit d’une concurrente directe, le fait qu’elle soit dirigée par des hommes explique à mon sens les conditions de travail très durs. Je veux dire, il est bien connu que, dès qu’on laisse un mâle libre, il ressent le besoin de s’imposer sur les femmes. »

Night City était une cité très libre, bénéficiant d’un régime légal d’exception, ce qui expliquait pourquoi Arasaka pouvait être dirigé par un mâle. Saburo Arasaka, le PDG de la firme, était de fait un homme aussi puissant que cruel. Originaire d’Edoras, Saburo avait émigré à Night City pour fuir les accusations lui reprochant d’avoir été proche du Prince renégat Shin, qui avait tenté un coup d’État, et avait massacré sa propre famille. De fait, Saburo laissait le soin à Himiko, sa fille, d’assurer la représentation d’Arasaka, et restait un PDG discret, publiquement.

Sayako avait un agréable bureau avec des baies vitrées. Une porte coulissante s’ouvrit sur deux femmes, Enaya et Himiko, l’idol girl et sa musicienne.

« Je vous remercie d’être venue, les filles. Laissez-moi vous présenter Miranda Forge, je suppose que vous avez dû entendre parler d’elle ? »

Difficile de ne pas connaître Miranda, connue pour ses déclarations publiques, et pour ses frasques sexuelles. Elle était le genre de femmes à rouler dans sa voiture et à s’arrêter devant une belle femme qui marchait dans la rue pour la baiser. Elle avait déjà été poursuivie judiciairement pour exhibitionnisme, mais les poursuites avaient toujours donné lieu à des classements sans suite, avec des rumeurs affirmant que les policières la mettaient en garde-à-vue pour pouvoir coucher avec elle.

« Bonjour, Mesdemoiselles. Comme vous le savez peut-être, Tekhovisio et GeoWeapon Corp. ont entamé des discussions en vue de conclure un contrat de partenariat. Ce contrat prévoit des investissements et d’assurer la promotion des idols de Tekhovisio. Et, surtout, je souhaite vous adjoindre vos services dans le cadre de la campagne que je prépare à Night City, puisque je suis candidate aux élections sénatoriales. On m’a dit que tu n’aimais pas beaucoup Arasaka, Himiko, et je compte axer mon meeting sur la critique de cette compagnie. »

GWC n’était pas forcément une entreprise très vertueuse, mais les contrats proposés par GWC n’étaient pas aussi exorbitants que ceux d’Arasaka. Le fait est qu’il y avait tout de même une vague ressemblance entre Tekhovisio et GWC ; au sein de GWC, la sphère privée et la sphère professionnelle se confondaient fortement. Le bien-être au travail était donc très important.

« Sayako m’a clairement indiqué qu’elle ne te forcerait à prendre aucune décision, donc je souhaite savoir si toi et ton amie êtes intéressées par ce projet. »

La balle était dans son camp, tout simplement.

[Himiko Aramiya]

Les deux adolescentes filèrent à travers les étages dans l’ascenseur jusqu'au sommet de la tour, qui abritait le bureau et les appartements de la PDG. Les étages situés juste en dessous étaient quant à eux réservés aux autres hautes responsables de la corporation. Même si les femmes constituaient plus de 80% du personnel, il y avait aussi des homme talentueux qui pouvaient se produire grâce à la corporation. Cela pouvait aller à l'encontre de la politique habituelle d'Uatis, il ne fallait pas oublié que l'on était tout de même à Night City. Les hommes y étaient donc les égaux des femmes dans les votes décisionnaires, mais ils suivaient généralement le même avis. Preuve en était que si on les traitaient convenablement, ils pouvaient en être reconnaissant en retour.

Lorsque les deux jeunes filles entrèrent, Sayako les accueillit, et présenta son invité, et la raison de leur convocation.

- Je vous remercie d’être venue, les filles. Laissez-moi vous présenter Miranda Forge, je suppose que vous avez dû entendre parler d’elle ?

Elles hochèrent toutes deux la tête. Miranda Forge était encore la PDG de la GWC jusqu'à encore récemment. Une corporation qui, globalement, gérait tout les aspects sexuels Uatien, même si certaines de ses filières s'occupait d'autres domaines. Vu que c'était désormais sa fille qui occupait le poste, il était logique que la femme cherche à s'occuper d'une autre façon. Son entrée en politique n'était donc pas étonnante.

- Bonjour, Mesdemoiselles. Comme vous le savez peut-être, Tekhovisio et GeoWeapon Corp. ont entamé des discussions en vue de conclure un contrat de partenariat. Ce contrat prévoit des investissements et d’assurer la promotion des idols de Tekhovisio. Et, surtout, je souhaite vous adjoindre vos services dans le cadre de la campagne que je prépare à Night City, puisque je suis candidate aux élections sénatoriales. On m’a dit que tu n’aimais pas beaucoup Arasaka, Himiko, et je compte axer mon meeting sur la critique de cette compagnie.

Les deux jeunes filles s’installèrent sur le canapé en l'écoutant et Himiko ne tarda pas à prendre la parole.

- Il y a beaucoup de raisons pour lesquelles je n’apprécie pas Arasaka, mais la principale, c'est que la corporation n'existe que pour elle même. Je ne suis pas naïve, je sais que toutes ont des méthodes plus ou moins douteuses dans leur approche, Biotechnica utilise des cobayes humains pour ses expérimentation, Militheck fournit autant les gangs que les forces de l'ordre, la TraumaTeam n'hésite pas à délaisser ceux qui ne payent pas son abonnement exorbitant et je suis même certaines que GeoWeapon esclavagise celles qui ne peuvent plus subvenir à leur besoin. Cependant, toutes contribuent également à la société, d'une façon ou d'une autre.

En somme, toutes les corporations exploitaient le peuple pour ses propres intérêt, mais en retour, elles répondaient également aux besoins de sa population. BioTechnica avaient beau expérimenter des médicaments sur des gens et utiliser ensuite leur corps comme compost, dans le même temps, elle produisait également quantité de fruits et légumes dans ses serres. Et c'était elle aussi qui produisait la viande synthétique, pour palier au manque de viande biologique. La supprimer complètement reviendrait à affamer la population. On pouvait en dire autant pour toutes les corporations. Excepté une seule.

- Arasaka est la seule qui n'apporte rien à la population, qui l'exploite pour son seul profit sans rien apporter en retour, malgré ses beaux discours. Même la petite poignée de riches qui profitent de ses services luxueux est à peine tolérée par la corporation. Pourtant, elle continue de perdurer et tout le monde semble l'accepter, faisant même de l'ingérence dans l’application des lois pour l'avantager toujours plus. Ce n'est pas normal. Donc si soutenir votre campagne peut la mettre à mal, ce sera avec plaisir.

Dernièrement, une loi avait été voté à Night City, qui stipulait que les corporations seraient exonérées d’impôts, pour engranger plus de profit. Officiellement, c'était pour favoriser l’emploi. Toutes les corporations en avaient profiter pour investir massivement dans les infrastructures de la ville. Arasaka elle, s'était contentée de consolider ses acquis. Là où une corporation rachetait un bâtiment et améliorait la vie de ses habitants s'ils travaillaient pour elles, Arasaka au contraire, se débarrassait de ceux-ci de plusieurs façons, et récupéraient ensuite les bâtiments, pour pas grand chose. A bien y réfléchir, c'était plus une organisation criminelles qu'une véritable corporation.

[Miranda Forge]

Miranda écouta silencieusement les explications d’Himiko. Elle expliqua que, si elle n’aimait pas Arasaka, c’est parce que cette compagnie ne contribuait en rien au développement de la société. Le propos surprit Miranda. Pour elle, le principe premier d’une société, c’était avant tout de penser à elle-même. Une société commerciale n’avait qu’un seul but : faire du profit. L’aspect sociétal ne dépendait pas d’une société, mais de l’État, et de politiques publiques. Pour Miranda, toutes les sociétés qui se disaient sociétales, ou vertueuses, ne faisaient que mener des campagnes marketing à destination des gens crédules. Elle laissa néanmoins Himiko faire son plaidoyer.

« Eh bien, nous avons donc un adversaire commun. Même si je ne suis plus officiellement la PDG de GeoWeapon Corp., je continue encore à l’administrer. »

Elle était la Directrice Générale, ce qui, selon les statuts de la société, lui conférait les mêmes pouvoirs que la Présidente, qui était sa fille. C’était Kara qui avait souhaité ce choix. Sa fille ne voulait pas avoir à gérer toute seule une firme aussi grande, tout en ayant parallèlement des enfants à s’occuper. Miranda avait respecté et encouragé ce choix. On aurait pu observer que, si Miranda avait élevé Kara, celle-ci n’aurait jamais rencontré Lucy… Mais, d’un autre côté, devoir se séparer de son enfant était terriblement cruel. Miranda en avait beaucoup souffert, et elle ne pouvait donc que comprendre le choix de Kara de mettre fin à la malédiction des Forge, et d’éduquer ses enfants.

« Sache que, si je compte m’opposer à Arasaka, je n’ai pas le pouvoir de fermer cette compagnie. C’est avec ma compagnie la principale firme à fournir des armes au gouvernement et à l’armée, et à développer des technologies militaires. Donc, tant que la guerre avec les Xénos continuera, Arasaka continuera à exister. J’aimerais en revanche renforcer les contrôles administratifs sur les mégacorporations, pour mettre fin à des pratiques peu éthiques, voire illégales. Cela ne vise pas spécialement Arasaka, mais il est vrai que certaines firmes se sont permises beaucoup trop de libertés, et qu’il faut trouver un moyen de réguler cela. Mais je ne compte pas non plus t’impliquer dans un discours trop technocratique. »

Il aurait de plus été très hypocrite pour elle de se prétendre une grande moralisatrice. Miranda voyait surtout Arasaka comme une rivale aux méthodes discutables.

« Quoi qu’il en soit, au-delà de ma campagne, je souhaiterai aussi proposer à votre compagnie d’assurer la distribution et la publicité de vos idols. Je sais que vous tenez à conserver votre indépendance, et je n’y vois aucun problème… Mais vous devez aussi savoir que le monde des affaires est impitoyable, et que, si vous vous opposez ouvertement à Arasaka, vous vous exposez à ce que celle-ci fasse pression sur tous vos partenaires. Autrement dit, pour lui résister, il vous faut, vous aussi, des partenaires qui ont les reins solides. »