The Multiversity

Cela faisait déjà plusieurs jours qu'Arxa était coincée sur Terre. Plusieurs jours qu'elle ne s'en plaignait pas, et qu'elle profitait d'Atarashï Yoake comme n'importe quel touriste avant elle ! L'Ingénieuse avait beau être une sacrée bosseuse, très calée technologie, elle n'en demeurait pas moins, dans des occasions comme celle-ci, une grande gamine dans sa tête. En l'occurrence, elle avait fini par succomber à l'attrait de ces grosses machines archaïques - de son point de vue - qui peuplaient cette immense salle d'arcade en plein air.
Afin de bien en profiter sans qu'on vienne la reluquer toutes les deux minutes, la hobgobeline avait usé d'un de ses appareils pour modifier la pigmentation de sa peau. Une illusion surréaliste lui permettant de se fondre parmi la populace !
Sans grande surprise, l'extraterrestre avait développé une véritable addiction pour les jeux de tir. Rien qu'en cette journée ensoleillée, la génialissime petite folle y avait gâché près de cinq heures de sa vie.

- Raaaaaah !! Encore perdu ?! Comment c'est possible ?! Je vais bien finir par leur exploser la tronche, à ces satanés xénomorphes !

Oui : elle jouait à Alien, en coop avec Vixen, une facette de la personnalité de l'Unité A-Sin-Crown qu'Arxa avait choisi à dessein pour cette "mission" fichtrement animée. Par-dessus sa combinaison futuriste, la belle machine portait des vêtements humains.
Malgré leur aisance avec un flingue à la main, l'ingénieure et son androïde peinaient à parvenir au bout de cette ludique aventure...
Autant dire qu'à force d'insérer de couteux jetons dans la bécane, elles faisaient la joie et les bénéfices du gérant de la boutique.
Face au message de "Continu ?" relatif à leur dernier échec, Vixen simula un soupir.

- On devrait peut-être se pencher sur un autre jeu, non ?

- Quoi ?! Est-ce que tu débloques, Vixen ? On ne peut décemment pas s'arrêter en si bon chemin !

- Moi, je crois surtout que la décence nous a depuis trop longtemps quitté...

Mais Arxa ne l'écoutait pas. C'était toujours pareil quand elle était obnubilée par quelque chose : les bons conseils lui passaient au-dessus de la tête sans avoir ne serait-ce que l'occasion de s'enfoncer dans une oreille pour ressortir par l'autre.
Mâchoires serrées, une lueur de défi dans ses yeux braqués sur l'écran, la hobgobeline de l'espace était cramponnée à son arme à feu factice.

- Fourres-y donc une nouvelle pièce, lâcha-t-elle avec une expression à la limite de ce qu'on pourrait qualifier de hargneuse. Le fléau charbonneux mérite qu'on lui mette une taule d'anthologie !

De bien mauvaise grâce, l'androïde s'exécuta.

- Il y a des jours comme ça où je me demande ce qui m'a valu pareille conceptrice...

- Tu as dit quelque chose ? grogna la concernée. Tu veux peut-être que je te fasse une révision ?

- Absolument pas.

- Alors concentre toi sur notre affaire, Vixen. Je ne tolérerai pas que l'on essuie une défaite de plus !

Ce n'est sûrement pas la première fois de la journée qu'elle disait ça...
Piégées par ce divertissement qui frisait doucement la folie collective, les deux "joueuses" ne remarquèrent même pas l'arrivée de celui qui allait peut-être chambouler leurs "vacances".

L'individu mystérieux, qui surveillait l'Ingénieuse et son androïde, les étudiait à bonne distance. Il espérait glaner quelques précieuses informations sur elles, sauf que ces imbéciles heureuses ne faisaient que passer du bon temps. Temps qu'elles gaspillaient et que, par conséquent, lui aussi perdait à les zieuter inutilement. Il allait donc être temps d'agir. Plutôt que de simplement les éliminer, il espérait les capturer. Histoire de rentabiliser l'affaire, voyez vous ?
A cette heure-ci, la salle d'arcades était loin d'être bondée. Pas de témoin, donc. A première vue, l''occasion s'avérait bonne, profitable pour lui. Et très certainement regrettable pour ces fieffées joueuses.
Sortant de sa poche ce qui ressemblait fort à un smartphone - mais qui n'en était pas un -, l'"observateur" tapota un "texto".
Quelque chose se mit en branle. Quelque chose qu'il avait pris soin de poster dans un coin de ce centre commercial et qui, comme lui, était soigneusement déguisé. Parce qu'après tout, en matière de camouflage, il savait très bien y faire ! Sans sa brillante stratégie, tout le monde aurait remarqué qu'il n'était pas humain. Qu'il n'appartenait pas à ce monde infect.


Pendant ce temps, du côté des "demoiselles"...
Se jetant le dos contre son siège, l'une d'elle poussa ce qui s'apparentait fort à une gueulante.

- Mais c'est pas vrai !!! Je me suis encore fait déglinguer par cette saloperie !

- Fait étrange : tu meurs toujours la première.

Mauvaise perdante, Arxa lui lança un regard noir.

- Alors ça veut dire que ton excès de prudence me coûte la vie, grinça-t-elle en giflant son arme factice. Celle là même qui t'a offert un nouveau corps ! Tu devrais avoir honte, Vixen, de te servir de ta conceptrice comme d'un vulgaire bouclier de viande !

- Accusation infondée. C'est un jeu de tir à la première personne, lui fit calmement remarquer l'androïde, avec tout de même un brin de condescendance. Personne ne peut passer devant l'autre. Il n'y a donc pas de privilégiée. Pas de victime du mauvais sort. Juste deux artilleuses des temps modernes qui, visiblement, n'ont pas du tout le même niveau.

Vixen était loin d'être idiote. En la prenant d'aussi haut, elle s'attendait à faire sortir Arxa hors de ses gongs. Mais bizarrement, la hobgobeline de l'espace paraissait sans voix. Plus étrange encore : son regard portait bien plus loin que le visage de l'androïde. Oui, Arxa avait accidentellement fixé son regard d'améthyste sur une silhouette sombre et voutée qui s'approchait à grandes foulées de leur machine. L'individu en question, particulièrement louche, était vêtu d'un long manteau et coiffé d'un bonnet. On ne distinguait quasiment rien de son visage. Seulement la ligne de ses yeux.
Des yeux... blancs ?

- ...Qu'est-ce qu'il nous veut, ce drôle de type ? grommela Arxa en portant une main à sa sacoche où était rangé son flingue.

Sentant le coup fourré, l'Unité A-Sin-Crown quitta son poste en se dressant face à cette menace potentielle. Elle pressa un compartiment de sa combinaison - dissimulée par ses vêtements mondains -, arrachant à sa poche fictive un tazer discret mais puissant.
Leur assaillant, lui, ne fit pas mine de ralentir ; il accéléra le mouvement et, une fois à une distance raisonnable de ses cibles, déplia ses doigts métalliques jusqu'alors dissimulés sous ses manches amples.
Des griffes impitoyables qui se tendaient en direction du cou de l'androïde !