The Multiversity

Alice était désormais la Reine de Sylvandell. Elle avait deux magnifiques enfants en bas âge, Aerin et Erwan. Si son père siégeait toujours au Conseil royal, Alice restait la souveraine légitime de Sylvandell. Elle était appréciée, et finalement plutôt populaire auprès des Sylvandins, qui louaient sa beauté, sa jeunesse, sa joie de vivre, mais aussi son sérieux, et son patriotisme. Sous son règne, elle avait organisé la réouverture des mines de Sylvandell, qui avaient permis à la Couronne de récupérer des fonds. Avec ces fonds, des rénovations urbaines avaient été faites, et la Reine, qui aimait les artistes, avait aussi accru le mécénat. Son palais accueillait ainsi des peintres, des sculpteurs, des musiciens. Elle était le genre de Reine à se rendre parfois sans prévenir à des évènements caritatifs, ou même en ville, provoquant parfois des attroupements imprévus.

Sylvandell avait connu des évènements difficiles, le réveil d’Alduin, des invasions, des attaques de monstres. Le royaume s’était reconstruit, et, aujourd’hui, Alice participait aux doléances. Généralement, elle se faisait substituer, mais elle tenait à présider au moins une séance par mois. Elle présidait la séance en portant une impeccable robe blanche satinée, hérissée de pierres précieuses, et légèrement transparente.

« …Et donc, Votre Majesté, je sollicite de votre part la possibilité de suspendre le remboursement de mes dettes jusqu’à la réparation de ma toiture. »

Devant elle, un fermier sylvandin était poursuivi par la banque pour le paiement des échéances de son prêt. Suite à une tempête, un arbre s’était abattu sur sa grange, détruisant ses récoltes. Il disposait bien d’une assurance, mais la compagnie avait rejeté sa garantie en estimant que le toit de la grange n’était pas assez solide. Alice connaissait le droit, et elle savait qu’elle pouvait accorder une grâce royale, consistant en une suspension de l’exigibilité du prêt pendant une durée de 24 mois maximale. Le créancier pouvait ensuite contester cette décision devant le juge.

Sensible à la cause de son sujet, Alice lui annonça qu’elle allait rendre sa décision en fin de session, le temps d’en discuter avec les conseillers qui l’assistaient. Elle allait accueillir le prochain membre du public quand un garde toqua précipitamment à la porte.

« V-Votre Majesté !!
- Eh bien quoi, Sergent ? Vous êtes en pleine séances de doléances !
- L-Le Fusion… Brimstone… Il est revenu ! Il souhaite vous voir ! »

Alice écarquilla les sourcils brièvement. Elle se rappelait du passage de Brimstone, de la bataille colossale qui avait suivi dans la montagne. Son père ne serait sûrement pas ravi de le voir.

« Eh bien, s’il souhaite s’entretenir avec moi, il est arrivé au bon moment ! Vous n’avez qu’à le faire entrer dans le public. Huissier, pouvez-vous vous rapprocher de ce monsieur pour compléter le registre ? »

L’Huissier-audiencier hocha la tête, se releva, salua la Reine, puis rejoignit le couloir. Il portait une perruque blanche avec une longue toge savante, et tenait dans sa main le registre de doléances, où il notait dans son ampliatif un récapitulatif des doléances.

Alice, de son côté, resta songeuse. Elle se demandait ce que ce dernier voulait. Aucun doute qu’il n’allait pas passer inaperçu, au milieu de la salle d’audience…

« Son passage est sur mon terrain, Majesté ! Il fait exprès passer ses vaches pour saccager mes plantations !
- C’est un scandale, c’est un complot ! Ce passage est ici depuis toujours ! J’ai le droit de l’utiliser, Majesté ! Et ce qu’il dit sur ses plantations, c’est de la connerie !
- Tenez votre langue devant la Reine ! » s’énerva l’un des Huissiers d’audience.

Alice, silencieuse, essayait de ne pas s’endormir. L’une de ses attributions royales était la conciliation, un moyen alternatif à la saisine du juge. Deux fermiers qui se détestaient pour des raisons inconnues avaient trouvé un nouveau motif de querelle : l’un des deux avait remplacé la barrière que l’autre utilisait pour amener ses vaches paître au lac par une clôture. Il prétextait que le terrain lui appartenait, et que les vaches saccageaient ses plantations. Le second contestait ce saccage, et affirmait qu’il détenait une servitude consistant en un droit de passage, acquise par usucapion. Alice avait fait ses cours de droit, elle savait que les querelles de clochers entre fermiers ne passionnaient pas les juges… Mais cela ne la passionnait pas non plus !

L’assemblée fut quelque peu perturbée quand Brimstone et Grim, les deux géants, entrèrent. Il fallut pousser quelques bancs pour qu’ils puissent se poser. Alice nota également que Brimstone avait sur l’épaule un dragon. Elle papillonna brièvement des yeux, intriguée, avant de se focaliser sur la querelle des fermiers. Comme Brimstone et Grim n’étaient pas annoncés, ils allaient devoir attendre la fin des doléances, ce qui leur permettrait aussi d’avoir un aperçu sur les litiges au quotidien de Sylvandell.

Après la querelle du droit de passage, la Couronne entendit également un boulanger se plaignant des retards de son fournisseur, un couple se plaignant des malfaçons de leur charpentier. Une famille réclama l’aide de la Couronne pour des formalités administratives, un ancien soldat grièvement blessé expliqua que l’Empire ne lui versait pas sa pension, et avait besoin d’aide. Avenante et humaine, Alice rassurait ses sujets, parlant d’une voix douce et chaude. On la sentait bouleversée quand on lui parlait de drames. Finalement, Brimstone et Grim furent les derniers à pouvoir s’exprimer. L’Huissier d’audience les invita à se rapprocher.

« Sieur Brimstone, Sieur Grim, vous n’êtes pas des sujets de la Couronne, et vous ne vous êtes pas annoncés préalablement. Nous n’avons aucune obligation de vous écouter, mais vous avez rendu un grand service à Sylvandell il y a un mois, et la Couronne est hospitalière. Maintenant, je vous avoue que je me demande ce que la Couronne de Sylvandell peut faire pour vous… »