The Multiversity

Le désert tout entier semblait pris au piège d’une colère divine. Le soleil brûlait sans pitié, et les vents se déchaînaient en tempêtes de sable hurlantes.
Râ, le dieu Soleil, déchaînait sa fureur contre sa propre fille, Neferita, née d’un viol sur une mortelle, une tache qu’il voulait effacer à tout prix.

L’air autour d’elle vibrait de puissance destructrice.
Chaque grain de sable était chargé de lumière ardente, chaque rafale un coup porté à son existence.
Neferita sentait son corps vaciller, brûlé par la chaleur du combat, affaibli par la magie qu’elle avait dépensée.

Mais elle refusait de céder.

Elle rassembla ce qu’il lui restait de force et appela le pouvoir des astres — la lumière profonde et froide des planètes, la chaleur lointaine des étoiles.
Un éclat solaire jaillit d’elle, une force cosmique qui fendit la tempête en un instant.

Poussée par ce pouvoir, elle s’envola, fuyant la tempête divine.

Mais la fuite fut brutale.
Elle percuta le sol près d’un oasis caché, son corps meurtri et son esprit presque brisé.

Chaque respiration était une douleur, chaque mouvement un supplice.
Ses blessures ouvertes laissaient perler un sang mêlé de poussière, et la fatigue l’écrasait comme un poids de pierre.

Dans ce moment de faiblesse extrême, des silhouettes surgirent doucement des palmiers environnants.

Des hommes.
Ils portaient des armes, mais leurs gestes étaient mesurés, empreints de prudence.
Leurs regards n’étaient pas animés de haine, mais d’une certaine inquiétude, voire de compassion.

Pourtant, Neferita, marquée par les trahisons et le rejet, sentit une méfiance viscérale monter en elle.
Chaque présence inconnue était une menace potentielle.
Son instinct de survie lui criait de fuir.

Malgré la douleur, elle recula lentement, les muscles engourdis protestant à chaque pas.
Puis, dans un effort désespéré, elle se précipita hors de leur portée, tentant de fuir.

Mais son corps trahit ses intentions.
Ses jambes fléchirent, ses forces l’abandonnèrent.
Elle chuta au sol, inconsciente, la chaleur du désert l’enveloppant comme un linceul.

Le silence qui suivit fut profond, seulement troublé par un murmure.

— “Neferita…”

Cette voix résonna dans son esprit, grave, puissante, inoubliable.

Elle s’éveilla en sursaut, le cœur battant à tout rompre, les yeux grands ouverts dans l’obscurité d’une pièce inconnue.

Les murs étaient lisses, baignés d’une lumière douce et chaude qui semblait venir de partout à la fois.

Le silence était presque palpable, presque sacré.

Au fond de la chambre, une silhouette apparut.

Ce n’était pas Râ.

C’était une femme, élancée, vêtue d’un tissu fluide qui semblait capturer la lumière et la plier en ombres dansantes.

Son visage restait dans l’ombre, mystérieux et impénétrable.

Neferita, encore fragile, mais saisie par une étrange curiosité, rassembla ses dernières forces pour parler.

— “Qui… qui es-tu ?”

Un souffle de mystère planait dans l’air.

On appelait ça le simoun. Un phénomène météorologique redoutable, un vent sec, chaud, poussiéreux, où le vent soulevait des mottes de sable dans le désert. Le désert avait ses propres lois, ses propres menaces. Le simoun était un phénomène violent et soudain, qui avait emporté bien des gens. Un vent brûlant, pestilentiel, qu’on disait venir des Dieux. Quand le simoun soufflait, c’est que les Dieux étaient en colère. Et les Dieux l’avaient été. Le simoun avait soufflé, terrifiant, forçant les habitants de l’Oasis à se replier, à s’abriter chez eux, tandis que Phasmaria avait elle aussi senti la puissance du simoun. Cependant, tandis que le simoun fondait sur la région, la Chamane de Papua, Kleeah, avait perçu une présence inhabituelle au sein du simoun, une personne ayant un potentiel magique si fort qu’elle avait perturbé sa méditation.

Kleeah n’était pas n’importe qui, elle était la magicienne attitrée de la famille Thoris, les dirigeants de Papua. Sa présence ici faisait suite à un rapprochement entre Phasmaria et les Thoris, quand elle avait appris qu’elle avait un ancêtre commun avec les Thoris, le Dieu Fulron. Phasmaria, qui se faisait passer pour une fausse Déesse auprès de son peuple, avait donc récemment appris qu’elle avait des origines divines dans les veines. Kleeah voyageait donc entre Papua et l’Oasis, et se chargeait d’améliorer les pouvoirs magiques de Phasmaria. Celle-ci avait en effet déjà réussi un prodige, en parvenant à fonder l’Oasis. Elle avait perçu ici une nappe phréatique, et elle avait fait jaillir l’eau à la surface, permettant ainsi le développement de ce domaine.

« Je vais aller retrouver cette personne… »

Phasmaria n’allait pas prendre le risque de s’aventurer vers le simoun. Kleeah réunit plusieurs des hommes de Phasmaria, d’anciens gladiateurs qu’elle avait libérés et qui étaient devenus ses soldats d’élite. L’Oasis ne disposait pas d’une armée régulière, mais de mercenaires qui voyageaient à travers le désert avoisinant, le désert de Korath. Un désert vaste et redoutable, une fournaise abritant des monstres, des ruines, des vestiges… Kleeah dirigea la troupe, s’aidant de sa magie pour se diriger vers la personne. Plus elle se rapprochait, et plus elle sentait sa nature divine, qui ne manquait pas de la surprendre. Assistaient-ils à un conflit entre Dieux ? La caravane menée par Kleeah finit par trouver la personne qu’ils recherchaient. Kleeah utilisait un dôme magique pour repousser autour d’eux les projections sableuses du simoun.

« Elle est là !
- Mais… Qui est-ce ? »

Kleeah n’avait aucune réponse à cette question. Elle se rapprocha de cette belle femme couchée dans le sable, et sentit en l’effleurant toute sa puissance. Aucun doute possible, c’était une Déesse ! Kleeah ignorait ce que ça voulait dire, mais elle ordonna qu’on l’emmène.

Plus tard, Neférita se réveilla bien loin du simoun, dans une très belle chambre, sur un confortable lit rond. Couchée sur un divan au bord de la fenêtre, Phasmaria se tenait là. Elle vit son invitée se réveiller, et se redressa à son tour. Quand celle-ci l’interrogea, Phasmaria se rapprocha, en attrapant sur une table une cruche dorée remplie d’eau, et un verre.

« Commence par boire un peu, tu dois être assoiffée. »

Belle et magnifique, Phasmaria se rapprocha du lit de la Déesse, et lui tendit donc son verre.

« Je m’appelle Phasmaria, mes hommes ont senti ta présence, et t’ont amené jusqu’à mon palais, dans l’Oasis. Ma magicienne prétend que tu as une aura divine. Et, maintenant que tu es proche de moi, je le constate aussi. Qui es-tu, belle Déesse ? Et, surtout, que faisais-tu, perdue au milieu du désert ? »

Neférita resta allongée un moment, son regard perdu dans les reflets du désert qui ondulait derrière la fenêtre ouverte. Le vent chaud apportait avec lui l’odeur sèche du sable brûlé, et dans l’éclat aveuglant des dunes, elle crut un instant revoir une silhouette… ou une menace.

Peut-être qu’il me cherche encore. Peut-être qu’il n’a pas renoncé.

Son cœur se serra à cette pensée. Et maintenant, elle était ici. Dans un palais inconnu. Sauvée par une femme magnifique, élégante… et entourée de magie.

Elle redressa lentement le haut de son corps, la tête encore lourde, les muscles douloureux. Phasmaria s’était approchée, un verre d’eau à la main, le geste plein de bienveillance apparente.

Neférita tendit la main, prit le verre doucement… mais ne but pas. Elle le garda simplement posé contre sa paume, les doigts serrés autour, le regard fixé sur la femme.

Trop belle. Trop calme. Trop parfaite. Une femme comme elle… c’est sûrement une servante d’un dieu. Peut-être même de Râ.
Et si c’était le cas…

Elle posa lentement le verre sur la table de chevet, sans en avoir bu une seule goutte.

Puis, elle se décida à parler.

« Je m'appelle Neférita. »

La voix était neutre, sans chaleur, mais sans agressivité non plus. Maîtrisée.

« Je ne suis pas une simple mortelle… mais je ne suis pas une déesse non plus. Je suis entre les deux. »

Elle détourna brièvement les yeux vers la fenêtre, vers le désert.

« J’ai fui. Quelqu’un voulait ma mort. Un dieu. Je me suis battue, et j’ai fui. Je croyais mourir dans le sable. »

Puis, elle regarda Phasmaria droit dans les yeux.

« C’est ta magie qui m’a tirée ici, je le sais. Je l’ai sentie. Quelque chose en toi m’a attirée. »

Elle fronça légèrement les sourcils, laissant filtrer une note de tension.

« Mais je ne comprends pas pourquoi. Tu dis que tes hommes m’ont trouvée. Que tu m’as ramenée. Mais pourquoi m’avoir sauvée ? On ne se connaît pas. Tu ne me dois rien. »

Sa voix se durcit un peu malgré elle, son instinct de survie prenant le dessus .

« Qui es-tu, Phasmaria ? »

Elle baissa un peu les yeux, son ton redevint plus mesuré, presque amer.

« Je te remercie. Vraiment. Sans toi, je ne serais peut-être plus là. Mais je dois comprendre. Pourquoi ici ? Pourquoi toi ? »

Un bref silence, lourd, comme suspendu.

« Et surtout… comment puis-je savoir si je suis en sécurité ici ? »

Neférita… Phasmaria eut beau faire un effort de mémoire, se souvenir des leçons qu’elle avait reçue quand elle était une prêtresse, elle fut incapable de se rappeler une quelconque divinité papuanne portant ce nom. Il fallait donc en conclure que, comme Neférita le suggérait, elle était une demie-Déesse, entre les hommes et les Dieux. Phasmaria était curieuse d’en savoir plus, mais elle ne souhaitait pas non plus brusquer son hôte. Elle lui indiqua que quelqu’un voulait sa mort, et, vu la tempête de sable à laquelle ses hommes avaient fait face, Phasmaria était tentée de la croire. Elle ne lui indiqua néanmoins pas qui lui en voulait à ce point, et pourquoi.

Phasmaria l’écouta donc, et, quand ce fut à son tour de répondre, elle le fit.

« En sécurité ici, je ne peux pas te le garantir. Moi, je ne te veux aucun mal, mais la personne qui te poursuit est de toute évidence très puissante. Et moi, je pense que je suis un peu comme toi. Je ne vais pas te mentir, car je crois que tu le sentirais, mais je ne suis pas une Déesse. Mes sujets aiment à le croire car cela les rassure. Pour autant, j’ai appris récemment que j’étais la descendante d’un Dieu, donc je suppose qu’il doit y avoir un peu d’essence divine en moi… C’est sans doute cela que tu as senti, et qui t’a conduit jusqu’à moi. »

Elle se rapprocha d’elle, et attrapa doucement les mains de Neférita.

« J’utilise ma magie pour protéger l’Oasis, mais je ne sais pas si elle sera suffisante contre celui qui te poursuit. Qui peut en vouloir à une femme comme toi, Neférita ? Je ne sens aucun vice en toi. Si tu veux savoir si tu es en sécurité ici, il faut m’en dire plus sur ton histoire, et sur celui qui te veut du mal… »

Neférita garda le silence un long moment. Le vent du désert sifflait doucement entre les tentures de la tente, soulevant parfois un pan de tissu comme une main curieuse. Son regard, d’abord fuyant, se posa enfin sur Phasmaria, calme et résolu.

« Tu as raison, » dit-elle d’une voix plus grave que d’ordinaire. « Il n’existe aucun sanctuaire assez profond, aucune muraille assez haute. Il finira par me retrouver, où que je sois. »

Elle baissa les yeux, comme si ce qu’elle s’apprêtait à dire la brûlait de l’intérieur.

« Je suis née d’un crime. Un crime céleste. Mon père… c’est Ra. Le dieu solaire. Le très-haut, le maître du jour. Mais il n’a pas engendré ma naissance par amour, ni même par dessein. Il m’a arrachée à ma mère humaine dans un acte de pure brutalité divine."

Ses mains tremblaient à présent, mais elle poursuivit, d’un ton plus ferme.

« Je n’aurais jamais dû naître. C’est lui-même qui l’a dit. Il m’a rejetée dès l’instant où il a compris ce que j’étais devenue : une tache, une aberration, une trace indélébile de son erreur. Il m’a chassée des sphères célestes, et m’a condamnée à errer parmi les mortels… avec dans les veines une essence qui n’a pas sa place dans ce monde. »

Elle releva les yeux vers Phasmaria, et dans son regard brillait une lueur mêlée de colère et de désespoir.

« Tu comprends, maintenant ? Si tu ne connais pas mon nom, c’est que l’on a tout fait pour qu’il disparaisse. Que je disparaisse. Mais je suis encore là. Je suis Neférita, fille bannie de Ra, enfant du viol d’un Dieu. »

Elle marqua une pause, respirant plus vite, comme libérée et vulnérable à la fois.

« Et celui qui me poursuit… ce n’est pas un simple homme. C’est une incarnation de sa volonté. Une créature d’ombre et de feu, née de la lumière corrompue. Il vient pour m’effacer. Définitivement. »

. Neférita la fixait, presque suppliée.

« Alors dis-moi, Phasmaria. Toi qui ressens la magie, toi qui as peut-être en toi une étincelle divine… Crois-tu que j’ai le droit detre une demi déesse ?

Phasmaria écouta donc l’histoire tragique de la belle Neférita. Elle était la fille du dieu Râ, ce qui surprit Phasmaria. Ancienne prêtresse de Papua, Phasmaria connaissait naturellement le panthéon papuan. Râ, ou Rê, était le Dieu principal du panthéon papuan. Dieu du Soleil, on le représentait sous la forme d’un homme avec une tête de faucon linier ou de faucon pèlerin. Sa volonté était, comme celle des autres Dieux, indéchiffrable.

La jeune souveraine écouta donc Neférita lui dire que Râ voulait la détruire, et avait lâché sur elle une sorte de créature infernale, qui était à l’origine de cette tempête. Phasmaria pouvait sentir l’émoi de Neférita, ses doutes, ses hésitations… Phasmaria l’écouta sans l’interrompre, et, quand elle lui demanda si avait le droit d’être une demi-Déesse, Phasmaria sourit alors.

Elle attrapa dans ses mains les mains de Neférita, et lui sourit doucement.

« J’ai été une prêtresse avant de fonder l’Oasis, Neférita. Je connais la complexité des Dieux, je connais leur cruauté… Râ te met de toute évidence à l’épreuve. S’il voulait vraiment te supprimer, tu ne serais pas en liberté. J’ignore ce que cela signifie, mais notre rencontre n’est pas liée au hasard. »

Phasmaria croisa encore le regard de Neférita.

« C’est peut-être un Dieu qui t’a amené près de mon Oasis, Neférita. Tu es une Déesse, même partielle, et, même si j’ai quitté Papua, je reste une prêtresse. Mon devoir est donc de t’offrir l’hospitalité, mais aussi de t’aider, et de te servir. »

La femme se pencha alors, et finit à genoux devant Neférita, où elle se mit à baiser tendrement ses mains.

« Tu es une Déesse, Neférita, tu as le droit d’exister, et d’avoir un culte pour toi. Et moi, mon Oasis n’a pas de divinité protectrice. J’ignore si cela est la volonté des Dieux ou non, mais tout porte à croire que tu as trouvé un lieu de culte, un endroit que tu pourras protéger et qui te renforcera par ses prières quotidiennes. »

Phasmaria sautait les étapes, mais elle était sûre de son coup.

« Accepterais-tu de devenir la divinité de l’Oasis, Neférita ? »

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Rejetée vers la chaleur d’un oasis inconnu {Phasmaria}

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