The Multiversity

Dans le lointain, de grandes tours blanches, grises et carrées se dressaient à l'assaut d'un ciel azuré ! Un concentré de nuages semblait attiré par ces monuments longiformes. Debout sur une branche d'arbre suffisamment robuste pour la supporter, Cirth, la Scriptomancienne, dévorait ce panorama du regard. Afin que le soleil - qui crevait de temps à autre l'écran de cumulus - ne l'éblouisse pas, elle avait posé une main en visière contre son front.

- C'est fou tout ce qu'ils ont pu construire là-bas ! s'exclama-t-elle, ses grandes prunelles couleur d'ambre pétillant d'excitation. Tu devrais grimper voir ça, Kerby. C'est du jamais vu, je t'assure !

Les pieds dans les hautes herbes, la concernée s'était adossée à l'arbre en question. L'okami croquait tranquillement dans une pomme qu'elle avait fait tomber en flanquant un grand coup d'épaule dans le tronc juste avant que sa Soeur Liée ne se mette en tête de l'escalader pour profiter de la vue.

- Mouais, fit-elle, visiblement pas très fan des hauteurs. Quoi de plus tape-à-l'œil qu'une capitale, hein ? M'est avis que tu devrais, toi, apprendre à t'en méfier.

- Bah, pourquoi ça ?

Kerberath attrapa la tige de la pomme entre ses dents, puis l'arracha avant de la cracher.

- Parce qu'en plus d'attirer l'œil, toute cette richesse attise la convoitise. Tu peux être sûre qu'il doit y avoir tout un tas de gens qui, derrière le vernis de la civilisation, se battent tous les jours pour rester maître de leur territoire.

- Donc, selon ton propre point de vue, tout ce qui est beau génère des conflits ?

- Non. Il n'est pas question que de mon propre point de vue. Je tiens tout ça de l'histoire, figure-toi. Des tas de livres retranscrivent les péripéties des mortels. Et ceux-là parlent souvent de batailles, de guerres, de révoltes et j'en passe ! Donc plus les habitations sont nombreuses, plus nombreux ont été les combats. C'est d'une logique implacable ! On ne fait pas d'omelette sans casser des œufs, Cirth. Tout comme il n'y a pas de fumée sans feu.

Particulièrement fière d'elle, la Louve planta ses dents dans le fruit.

- C'est d'un pessimisme consternant ! Voilà pourquoi je déteste plonger le nez dans ce genre de bouquin... Tu devrais apprendre à en faire autant. Pour ne pas avoir aussi triste mine.

En entendant cela, Kerberath avala son savoureux morceau plus vite que prévu.

- Je ne te permets pas de me juger sur les apparences. Parce qu'intérieurement, je rayonne, oui.

Du haut de son perchoir, Cirth la toisait d'un air soupçonneux.

- J'ignore si tu joues de sarcasme ou si, pour une fois, tu essaies de te montrer honnête avec ta sœur adorée...

Tout en se décollant du tronc, Kerberath eut un geste négligeant.

- Oh, tu sais... parfois, j'ai moi-même un peu de mal à me discerner.

Elle pointa du doigt un petit village, bien plus proche que cet amas de tours immondement modernes.

- Fin de la pause, Cirth. Allons découvrir ce que ces bonnes gens ont à nous offrir.

- Ah ! enfin un peu de positivisme~

La kitsune bondit souplement de son arbre. Elle rattrapa très vite sa Sœur Liée, et c'est ensemble qu'elles se dirigèrent vers les plus modestes maisons du coin.

Elle détestait sa mission. Alors qu’elle avait prouvé avoir le potentiel pour venir à bout du Projet Manhunt, voilà qu’elle devait, elle le Projet CA.lcium, partir en randonnée hors de la mégalopole. Elle roulait donc tout droit en attendant de tomber sur… quelque chose. Un événement aléatoire. Des données à traiter et à incorporer dans son dernier « devoir ». Ça l’énervait tant, elle qui se targuait de mettre un sang-froid et une capacité intellectuelle. La réflexion était plus puissante que les émotions. C’était tellement évident qu’elle devait le répéter si souvent que, parfois, elle se demandait si elle ne faisait pas partie d’une race supérieure.

Elle roulait tout droit sur ses appendices typé jambes. De grandes pièces métalliques noirs et recourbées l’une sur l’autre. Parce qu’à la place d’une « rotule d’un être humain » se trouvait des roues qui lui permettaient d’avancer rapidement. Quant à l’extrémité de ces appendices typé jambes se trouvait une pointe acérée et létale.

« Non. Je déteste davantage cette mission. Une zone blanche. »

Elle parlait toute seule. Le Projet CA.lcium parlait à lui-même. En même temps qu’il était toujours en communication avec le réseau de sa personnalité cyborg tout comme il était en constant échange avec son entité cafard. Et soudainement, un grand vide. Un silence très éprouvant. C’était comme devenir sourd après seulement un claquement de doigts.

Le Projet CA.lcium s’immobilisa.

…

Retourner en arrière signifierait retourner dans une zone où les ondes passaient et où elle pourrait se reconnecter pour puiser des informations, connaissances, calculer des schémas, conjecturer des hypothèses et se soumettre à de nombreuses micro mises à jour.

« Seulement je dois avancer. Remplir les modalités de ma mission. Une longue mission. Trop longue et trop inutile mission. »

Alors le Projet CA.lcium recommença à avancer sur ses roues-rotules technologiques.

Quand soudain deux femmes furent en vue. Elles étaient à pied. (quel horriblement lent moyen de transport. C’était tout sauf efficace…) Elles se dirigeaient vers un petit village. Le Projet CA.lcium aurait normalement fait une recherche pour connaître le nom de ce village, le nombre d’habitants, la position de la Geo Weapon Corporation par rapport à ces arriérés, etc, etc… Mais emprisonné dans la zone blanche où les informations ne transitaient plus, le Projet CA.lcium dut avancer « à l’aveugle ». Il détestait ça.

« Vous. »

Une créature à la croisée d’une jeune femme, d’une cyborg et de l’horreur héla les deux femmes possédant des oreilles d’animaux. Il n’y avait nulle politesse ni chaleur dans ce mono mot. Et cela ne s’améliora pas avec la suite. C’était direct, brut. Ca avait tout d’un ordre et non d’une sollicitation.

« Parlez-moi. Je dois interagir avec des autochtones. Consigner leurs futiles pensées. »

Le bras gauche s’était tendu vers les deux femmes à oreilles d’animaux. Un bras squelettique qui parvenait pourtant à mouvoir malgré une absence de muscles et de tendons. Un bras aux proportions trop long pour qu’il soit 100% être humain. De son faciés à œil rouge et mâchoires de pattes d’araignée métalliques, un accessoire typé micro fin doublé d’un dictaphone s’avança tel une menace près des visages des « deux péquenaudes ».

Rectification : c'est en même temps que les sœurs Lalwendë virent cette... chose montée sur des échasses s'arrêter en plein milieu de la route - leur route. Une "route" qui n'en était pas vraiment une, à vrai dire ; il y avait là beaucoup trop d'herbe pour parler de "sentier battu". Mais revenons plutôt à cette entité effroyable qui avait abruptement abordé les charmantes hybrides !

- Whow ! Bon sang ! C'est grand ! Qu'est-ce que c'est que ça ?! s'exclama Cirth, le cœur battant, dans un mouvement de recul.

A deux doigts de faire muter ses bras, Kerberath s'était aussi placée sur la défensive.

- Aucune idée, grommela-t-elle, les yeux plissés. En tout cas, c'est une espèce bizarrement foutue.

Pourtant pas peureuse de nature, la Scriptomancienne jugea beaucoup plus prudent de se tenir le plus près possible de sa Sœur Liée.

- C'est... une personne, tu crois ?

- Va savoir ! Au moins la moitié a l'air de nous ressembler, c'est déjà ça. Par contre, en ce qui concerne le reste...

De la tête jusqu'à la taille, leur interlocutrice possédait les attributs d'une femme humaine. Avec tout de même quelques différences notables au niveau de la mâchoire, des oreilles et des bras qui relevaient davantage du domaine mécanique. Ses bras, par ailleurs, étaient extraordinairement longs. Surtout le droit, avec ses trois appendices pointus. Le gauche, plus squelettique et un peu moins étendu, paraissait moins menaçant. En revanche, du côté de ses jambes, c'était un enfer monté sur roues !

- Elle est vraiment flippante, marmonna Cirth. On dirait comme une... mante religieuse ? Avec quelques options en plus, peut-être...

- Chut ! Elle nous prend pour des habitantes du coin.

A cette occasion, elle leur avait tendu quelque chose. Par mesure de sécurité, l'okami s'était reculée sur deux pas non sans en avoir incité, d'un bras protecteur, sa Sœur Liée à faire de même.

- Olà, olà ! Bas les pattes ! Garde tes distances, machin-chose !

Elle donnait l'impression qu'on lui avait mis le couteau sous la gorge.
Dans son oreille, Cirth continuait de lui souffler son appréhension :

- Dis Kerby, tu ne trouves pas qu'elle s'exprime bizarrement ?

- Si, je ne ressens aucune émotion dans sa voix, lui confirma la Louve avant de fusiller du regard la bizarrerie roulante. Tu souhaites interagir avec des autochtones ? Alors sache que ce n'est pas en notre compagnie que tu trouveras ton bonheur : nous, les sœurs Lalwendë, ne sommes pas du coin.

- On voyage, osa préciser la kitsune. Nous avons du traverser et l'océan et les terres avant d'atterrir ici. Avant d'ajouter à voix basse : Jusqu'à présent, on s'est plutôt bien amusées.

Kerberath soupira.

- Ta conception de l'amusement me sidérera toujours, Cirth.

Le Projet CA.lcium est bien entendu upgradé un peu partout. Si le haut de sa tête parait complètement fait de chairs et de sang, c’est une erreur. Son cerveau est moitié humain et moitié composé de composants électronique. Ses oreilles ont également reçu des mises à jour. Ce qui signifie que tout ce qui est marmonnements et murmures devant elle est parfaitement audibles. Seulement, elle n’a aucune raison de réagir à ce qui pourrait être considéré par des insultes. Une mante religieuse avec des options supplémentaires ? Soit.

« Ne me faites pas perdre plus de temps. Cessez de vous éloigner de mon appareil d’enregistrement audio. »

De nouveau, elle tendit son micro intégré à son corps en direction des sœurs Lalwendë.

« Ceci n’est pas une arme. Mais ceci en est une. »

Il n’y avait aucune menace dans le déploiement de son bras droit noir et métallique. Si cela ressemblait vaguement à un bras humain avec une jointure au niveau d’un « coude », d’une autre au niveau d’un « poignet » et des mêmes possibilités de mouvements au niveau de « doigts ». Le tout était clairement trop grand, trop technologique et trop létales. Il n’y avait aucune menace donc (de son point de vue), seulement une démonstration de faits.

« Je tiens également à préciser que je ne tiens pas de la mante religieuse mais de cafards. »

En même temps que de prouver qu’on ne pouvait rien lui cacher, un cafard galopa sur ses cheveux émeraudes pour venir se positionner sur le côté de sa tête comme une horrifique broche.

« Vous avez traversé l’océan. Vous avez traversé des terres. Je n’ai jamais voyagé plus loin que ma position actuelle. Tout ce que je sais des terres au-delà de ce point se trouve stocké dans les réseaux. Mais, actuellement, je n’y ai pas accès. Cette zone est spéciale. Elle est appelée blanche à cause de l’absence totale d’ondes voyageuses. Mais cela semble sans importance pour vous au vu de vos habits et de vos réactions, par exemple, au micro. Vous semblez être deux créatures arriérés et très en retard en terme de progression technologique. Oui, vous m’intriguez presque. »

Sa tête chercha à observer au-delà des sœurs Lalwendë. Comme s’il était possible pour elle de voir tout ce qui pouvait être contenu dans une si courte phrase telle que « Nous avons dû traverser et l’océan et les terres avant d’atterrir ici. » Bien entendu, ses yeux étaient aussi améliorés. Mais elle ne possédait pas non plus la capacité d’observer à des distances qui nécessiteraient la lunette d’un fusil sniper, par exemple.

« Voyager vous amuse ? Je ne comprends pas. Se déplacer d’un point A à un point B n’est qu’une perte de temps pour rejoindre le lieu où une mission doit être accomplie. S’amuser est également une perte de temps. Seul le travail et les objectifs à accomplir sont importants. Quant aux sentiments, ils sont inutiles et font faire des choses absurdes aux êtres humains. Ou humanoïdes, tels que vous deux. »

"Un appareil d'enregistrement audio" ? Cirth comme Kerberath se demandaient ce que ce charabia voulait dire jusqu'à ce que l'espèce de machine à tuer sur roue leur dévoile une arme de son arsenal, mettant un grand frein à leur interrogation ! Car oui : le contraste avec ce micro, qu'elle s'évertuait à leur foutre sous le museau, était pour le moins intimidant.

- Hé-oh, hé-oh, hé-oh ! Range ça tout de suite ! s'écria la Louve, ses oreilles animales ramenées en arrière sous le coup de l'appréhension.

- Awh... Je crois qu'on peut faire la différence entre ce qui est inoffensif et ce qui ne l'est pas, maintenant.

La kitsune s'était cramponnée au bras de sa Sœur Liée. Elle n'était pas peureuse de nature mais... l'aspect de cette anomalie longiforme ne l'emballait vraiment pas ! Et cela ne s'arrangea pas lorsque leur interlocutrice réfuta le rapprochement qu'elles avaient fait, entre sœurs, à voix basse, sur son cas ; elle se disait plus proche du cafard que de la mante religieuse.

- Beuuuh ! Regarde, Kerby ! Il y a un de ses cousins qui se balade dans ses cheveux...

- Quelle angoisse, grimaça l'okami qui, pourtant, avait collectionné plus d'une étrangeté au cours de sa vie de "chasseuse de trésors naturels".

- Je crois que je ne me sens pas très bien...

- Hé ! Interdiction de me vomir sur l'épaule.

Pendant que le trouble s'accentuait chez l'une et que la bile montait chez l'autre, la grande horreur montée sur roulettes intégra les quelques informations communiquées par la Scriptomancienne. Elle les éplucha soigneusement. Parla même d'une "zone blanche" qui, aux yeux des sœurs Lalwendë, méritait plutôt l'appellation de "zone verdoyante". Idée qui contribuait à l'hypothèse plus que sensée de la moitié cafard.

- Des créatures arriérées, répéta fielleusement Kerberath en braquant un regard noir sur la "personne" concernée. Si cette "progression technologique" enlaidit à ce point, je suis bien contente de ne pas en avoir fait les frais !

- Toi aussi tu peux avoir l'air monstrueuse sous ta forme bestiale, Kerby.

- Merci ! Tu comprends pourquoi je me garde de la montrer trop souvent, grommela sa Sœur Liée.

- Je ne voulais pas te vexer.

- Pourtant tu sais frapper là ou ça fait mal.

- Je te demande pardon.

- Accorde-moi quelques minutes, le temps de bien digérer l'insulte...

Cela tombait plutôt bien car la réflexion de la mutante hi-tech ciblait justement les paroles de Cirth ! Elle critiquait notamment l'amusement que la Scriptomancienne retirait des voyages sur de longues distances. La femme aux cheveux verts ne vivait que pour accomplir des missions. Elle ne profitait jamais de tout ce qui peut se passer entre un point A et un point B.
La kitsune trouvait ça vraiment triste.

- Comment pouvez-vous penser une telle chose ? Une vie sans jeu serait dénuée d'intérêt ! Une vie que l'on consacrerait exclusivement au travail serait... si plate et ennuyeuse. (Ses oreilles se dressèrent sur ça tête quand elle comprit ce que ses paroles impliquaient.) Vous ne ressentez absolument rien à voyager comme vous le faites ? Mais c'est horrible ! Il faut que vous changiez ça... Trop de sérieux tue le sérieux, on ne vous l'a jamais dit ?

- Voilà qui serait étonnant puisque c'est toi qui vient de l'inventer, intervint Kerberath.

En tant que donneuse de leçons assidue, Cirth ignora sa Sœur Liée au bénéfice de la robotisée :

- Peut-être que vous vous déplacez trop vite sur vos drôles de patins ? Ils ne vous laissent même pas le temps de voir tout ce qui se passe autour ! Je suis certaine que vous êtes passée à côté d'une pelletée d'évènements qui en valaient le détour. Malheureusement, vous n'avez pas su en profiter... Peut-être que vous auriez pu apprendre des choses en chemin ? On ne le saura jamais. (Elle secoua la tête, la mine triste.) J'imagine que les surprises ne vous font ni chaud ni froid ? Si c'est le cas, il va falloir vous remettre sérieusement en question !

Oh-ho ! Elle paraissait foncièrement déterminée, la kitsune.
En la considérant ainsi, Kerberath se sentit traversée par un frisson de fort mauvais augure.

- Attends, Cirth... qu'est-ce que tu mijotes, tout à coup ?

La Scriptomancienne se tourna vers elle.

- C'est pourtant évident : nous allons l'emmener avec nous jusqu'à ce joli petit hameau afin de lui montrer ce que ça fait, de vivre à la manière des Lalwendë !

- Quoi ?! Les gens vont nous lâcher de ces regards...

Les poings sur les hanches, Cirth la toisait d'un œil torve.

- Et en quel honneur, je te prie ?

- Ça devrait pourtant te sauter aux yeux Cirth ! Les cafards montés sur échasses, on en a pas vu beaucoup jusqu'à présent... alors si en plus on nous remarque en compagnie d'un spécimen pareil, forcément on va nous mettre dans le même sac !

- Hmmm...

Cirth paraissait mitigée. Elle devait bien admettre qu'il y avait du vrai dans ce que sa Sœur Liée racontait.
Cependant...
Ses prunelles ambrées se tournèrent vers leur potentielle escorte.

- Qu'en dites-vous ? Vous pensez que les autochtones éprouveront de la peur si jamais vous les approchez ?

- Ah, s'ils ont un minimum de bon sens ou ne serait-ce qu'un soupçon d'instinct de survie...

- Tu es vache, Kerby !

- Du tout. Je tiens davantage de la louve. Et je le vis très bien, moi, au moins.

- Grmbl... ce que tu peux être désagréable quand tu te mets à jouer avec les mots comme ça !

Qu'avait dit leur spectatrice au sujet des sentiments, déjà ? Ah, oui : qu'ils étaient inutiles et faisaient faire des choses absurdes aux humanoïdes. Elles lui donnaient raison, d'une certaine façon.

Le Projet CA.lcium plissait les yeux au fur et à mesure que les deux femmes parlaient. Et elles parlaient en quantité. Un tel babil devenait presque une excuse d’élimination. Mais le Projet était loin de la maison-mère. Qui plus est, il était ici pour une mission typé social. Tout ce qu’elle détestait. Il n’y avait rien de plus inutile que les conversations vides qui menaient généralement à de nombreux plans et à de très rares accomplissements.

« Il y a beaucoup de points sur lesquels j’ai besoin d’obtenir des retours. »

Dans sa tête techno-améliorée se tenait une sorte de to-do list dans une sorte de bloc-notes. Il fallait appauvrir les termes. Le Projet CA.lcium le réalisa. Il fallait qu’elle abaisse son niveau de langage pour se rapprocher de la terre et de ses créatures arriérées. Ce couple d’hybride d’un autre genre que le sien gagnait en potentiel. Leur babil incessant donnait matière à réfléchir. Et sur de nombreux sujets. L’apprentissage était une très bonne façon de charmer le Projet de la GWC.

« Un point qui remonte à la mention de, je cite, « toi aussi tu peux avoir l’air monstrueuse sous ta forme bestiale » couplé à un second point récent et je cite à nouveau, « Vous pensez que les autochtones éprouveront de la peur si jamais vous les approchez ».

Si le ton était toujours aussi froid, la vitesse d’élocution et les modulations dans les changements d’intonation étaient une copie exacte de ce qu’avait dit les sœurs Lalwendë. Une version technomonstrueuse dénaturée de toute chaleur et de tout sentiment.

« J’ai la capacité d’arborer une forme moins efficiente et davantage porté pour m’assimiler à la masse. S’il le faut pour remplir ma mission, je m’exécuterais bien que cette forme ne me plaise pas. Pour l’importante raison qu’elle vous ressemblera. Ce que je veux savoir, c’est la nature de votre transformation. Mais aussi la raison de me dévoiler cette compétence qui pourrait vous assurer un effet de surprise dans l’objectif de me vaincre. Bien que mon cerveau soit toujours en train de calculer et que mes nombreux capteurs anticiperaient votre pseudo effet de surprise. »

Le Projet CA.lcium hésita pendant une seconde à continuer sa liste de questions ou à attendre une réponse. Elle jugea que les créatures arriérées ne pourraient pas répondre de tout en bloc. Alors elle leur donna une fenêtre de réponse. Sitôt répondu, elle enchaînerait. Elle voulait maximiser son temps. Le temps étant de l’argent répétait des femmes comme Miranda Forge. De nouveau, une excellente transition avec une prochaine question.

« Les femmes qui m’ont élevé et pour lesquels je travaille ont une forte propension à jouer à des jeux. Si Maman Rossa et Miranda Forge sont d’excellentes travailleuses, elles passent également beaucoup de temps nu à avoir des coïts. Des pertes de temps. Je leur répète encore et encore. Surtout lorsque je découvre la PDG de GWC nue alors que je reviens d’une mission compliquée. Je ne peux en divulguer davantage à cause du secret professionnel. Perte de temps. Manque de sérieux. Et pourtant, je lance encore et encore des calculs pour comprendre. Une grande quantité de mises à jour n’ont également apporté aucune réponse satisfaisante. A mon sens, le coït sert aux animaux à se reproduire et assurer la descendance de leur lignée. Je pratique parfois l’enfantement moi aussi. Je vais le faire de suite. »

Sans prévenir, le Projet CA.lcium s’accroupit et écarta les cuisses. A la manière des cafards, elle pondit un œuf. Ce n’était pas une image propice à un fantasme sexuel. La posture froide doublée des liquides reliant l’intérieur de l’organisme à l’œuf possédait une nature révulsante.

Une version miniature de Kazue sortit de l’œuf. Une petite fille aux grands yeux innocents et aux longs cheveux bleus. Intégralement humaine à l’exception du micro qui lui sortait de sa bouche toujours ouverte. Un petit monstre, en somme. Un qui était complètement nu et asexué.

« Je lui ai confié le dispositif d’enregistrement audio. Ainsi, je pourrais conserver une forme humaine et pouvoir approcher les autochtones sans provoquer de réaction d’effroi et de fuite. »

Le Projet CA.lcium décida d’arrêter de parler. Elle avait beaucoup parlé et s’attendait à une égale quantité de mots de la part des deux sœurs. A savoir également qu’elle conserva sa position « d’accouchement » sans éprouver la moindre gêne. La « fille » du Projet se laissa tomber cul par terre et joua avec l’herbe. Puis elle se releva avec un équilibre précaire pour aller à la rencontre des deux sœurs, les bras tendus et les mains ne cessant de s’ouvrir et de se fermer. Une intention de vouloir être prise dans les bras ?

Les deux sœurs fixaient leur interlocutrice avec un mélange d'appréhension et d'interrogation. Il semblerait que dans tout ce qu'elles avaient dit, certains passages avaient titillé sa curiosité. Elle les avait répétés au mot près, à la manière d'un enregistrement, les émotions en moins dans sa voix robotique.

- Incroyable !

- On dirait bel et bien qu'elle n'a pas oublié un mot de notre conversation, remarqua Kerberath, fascinée bien malgré elle.

La bizarrerie "cafardienne" s'exprima à nouveau. Dans son jargon cette fois-ci. Avec son vocabulaire complexe, oui ! Elle parlait de sa mission. De ce qu'elle allait devoir faire pour la mener à bien. Un truc qui ne lui plaisait pas. Un truc qui lui permettrait de leur ressembler. Ceci tout en rebondissant sur l'annonce imbécile de la kitsune au sujet de la transformation de l'okami. De quoi réduire à néant le potentiel effet de surprise que cela aurait eu sur leur interlocutrice en cas d'affrontement à la sauvage...

- Pfiouh ! J'ai un de ces mal de crâne, moi... Kerby, je te passe la main !

- Quoi ? Tu te défiles ? Alors que ce sont TES paroles qui lui ont donné envie d'échanger ? J'hallucine !

Mais Cirth n'écoutait déjà plus.

- C'est toi la meilleure, Kerby !

La concernée roula des yeux au ciel.

- Seulement quand ça t'arrange...

Poussant un soupir, Kerberath en retourna à leur prévoyante interlocutrice.

- Cirth est beaucoup trop candide pour son propre bien. Je pense qu'elle ne t'imagine tout simplement pas nous attaquer, même si ton aspect suscite chez elle l'esquisse d'un sentiment de révulsion. Ce qui n'est pas vraiment de ta faute, j'imagine. On est comme on est, tout ça tout ça... (Elle fit des ronds avec son poignet.) Bref ! Tout ça pour dire que ma sœur et moi, nous sommes capables de nous métamorphoser en bête. Elle, en une renarde - sans blague, hein ? - et moi en un... en une sorte de...

- D'ours et de loup monté sur deux pattes, déclara la Scriptomancienne. Une sorte d'ours-garou, quoi ! Avec des bras énormes et velus, une gueule à faire peur et des yeux rouges comme de la lave en fusion ! C'est super effrayant, je t'assure.

Kerberath la regarda d'un air renfrogné.

- Merci, Cirth. Il ne fallait pas, Cirth. Trop aimable, Cirth.

- De rien, Kerby. J'y ai mis tout mon cœur, Kerby ! Un jour, je prendrai même le temps de te dessiner sous cette forme, Kerby.

La Louve se plaqua une main sur le visage.

- Sans façon, Cirth... sans façon, vraiment. (Elle regarda la monstruosité sur roues.) Bon, et sinon, pour la deuxième citation... je ne sais pas trop quoi te répondre ? Je veux dire... ça me parait évident ! Tu es spéciale, comme créature. Pas très esthétique. Plus... fonctionnelle qu'autre chose ? Trop différente du commun des mortels. Forcément, ça inspire la méfiance, voire carrément l'effroi.

L'étrangeté déballa à nouveau son sac. Cette fois-ci, elle se servit de ses "mamans" comme exemple. Des femmes qui travaillent beaucoup - presque autant qu'elles pratiquent le coït. Une activité dont l'utilité secondaire échappait aux neurones de la raconteuse. Kerby, sentant que sa Sœur Liée s'interrogeait sur ce mot en particulier, fit deux pas en arrière pour se tenir à sa hauteur et lui glisser à l'oreille :

- Si tu veux tout savoir, elle dit que les femmes qui l'ont élevée pratiquent souvent des jeux cochons.

- Aaaah ! fit Cirth en tapant du poing dans sa main ouverte. Et comme elles ne font pas de bébé, que ça ne leur sert visiblement pas à se reproduire, notre drôle de compagne de causette n'en comprend pas le besoin.

- C'est... exact.

Kerby souriait de fierté, satisfaite de l'élan compréhensif de sa Sœur Liée, quand elle vit la drôlerie se mettre dans une... drôle de position ?

- Attends, attends, attends... Mollo ! Non mais hé ! Tu ne vas tout de même pas... !!!

Elle avait écarté les cuisses juste après avoir annoncé son intention. La Louve dut se précipiter dans le dos de Cirth pour lui cacher les yeux alors que l'autre était déjà en train de pondre un œuf dégoûtant ! Kerberath, qui en avait pourtant vu, des trucs immondes, au cours de sa vie, en eut l'estomac au bord des lèvres.

- Hey ! Mais qu'est-ce ce qui se passe, Kerby ?

L'appelée dut ravaler sa bile.

- J-je t'épargne un spectacle horrible, bafouilla-t-elle.

- Quoi ? Comment ça ? Qu'est-ce qu'elle nous fait, au juste ?

L'œuf s'ouvrit, exposant aux yeux de Kerberath un modèle miniature et - il faut bien l'admettre - bien plus mignon que sa version originelle. La petite était pourvue d'un dispositif d'enregistrement audio. Kerberath comprit que c'est à travers elle que leur interlocutrice comptait entrer en contact avec les autochtones.

- Je suis suffisamment grande pour regarder ce qui doit l'être !

Par bonheur, les yeux de la kitsune tombèrent aussitôt sur le petit corps de la nouvelle née qui leur tendait les bras tout en s'avançant maladroitement. Kerberath s'était défait de son manteau rouge à capuche pour emballer la petite chose par derrière. En tournant le dos à la semi-robotique accoucheuse, elle veillait aussi à lui faire écran. Pour que Cirth ne puisse pas la surprendre dans cette posture dégoutante, avec ce nœud de fils gluants au niveau de l'entrejambe...
Beurk ! Et dire que je tiens, en ce moment même, un modèle réduit de sa "personne" entre mes bras... Il faut que tu penses à autre chose, Kerberath ! Tu n'as pas le choix.
Au moins avait-elle réussi son coup : sa Sœur Liée, au lieu de vomir à ses pieds, paraissait émerveillée par cette micro-chiure.

- Oooooh ! Mais dis voir, c'est un bébé monstre que nous avons là ? (Elle sourcilla.) Mais où le cachait-elle ?

- Ah, t'occupe, t'occupe ! s'empressa de lui dire la Louve. Tiens, prends-la ! Elle a l'air de bien t'aimer. (Elle la lui mit dans les bras avant de tourner la tête vers l'authentique Projet.) Et toi fais-moi le plaisir de refermer tes échasses et de te redresser, bon sang ! Heureusement que Cirth n'est pas toujours à l'écoute de son monde...

Et comme pour aller en son sens, justement, la Scriptomancienne jouait déjà avec la "fille" du Projet qui reposait dans le creux de son bras droit. Elle avait un faible pour les gosses, oui ! Celui-ci n'était certes pas une image de beauté mais il n'en demeurait pas moins "mignon" à sa manière...

Une tête humaine (à l’exception de la bouche humaine toujours ouverte pour laisser sortir la tige métallique), deux petits bras humains, deux jambes humaines. Le bébé du Projet CA.lcium avait tout d’un véritable petit enfant humaine aux beaux cheveux émeraudes.

« Le sujet numéro quatre-cent-cinquante-sept se porte bien. Début de la connexion par ondes entre le Projet CA.lcium et le sujet numéro quatre-cent-cinquante-sept. Connexion en cours… 12,512%... 17,988%... Connexion en cours… »

Erreur me direz-vous ? Et quid alors de cette zone blanche ? Et bien figurez-vous que le Projet CA.lcium est actuellement en circuit fermé avec elle-même et sa progéniture. Un dispositif d’ondes à courte portée. Et oui, le Projet avait également pensé à la connexion filaire. Mais elle a supposé que ce serait trop « monstrueux » pour se mêler au bétail humain en vue d’accomplir sa mission sociologique.

« Connexion en cours… 95,772%... Connexion effectuée. Très bien. A partie de maintenant, le sujet numéro quatre-cent-cinquante-sept enregistrera et stockera toutes les informations audio dans son cerveau. Sitôt sorti du village, je mangerais le-dit cerveau pour récupérer toutes les informations. »

Sans aucune émotion, la cyborg venait de parler d’un meurtre prémédité contre son propre enfant. Excepté que pour le Projet CA.lcium, cela se résumait à une habile manœuvre pour se fondre dans la masse et accélérer l’obsolescence programmé de l’outil organique sorti de l’œuf pour qu’il retourne à la matrice.

Sans prévenir, le Projet CA.lcium entama une autre expérimentation. A l’échelle de l’invisible, des nano-robots entraient en action. C’était une explication simplifiée d’un processus complexe. La conclusion étant que les bras à rallonge du Projet raccourcissaient. Que le métal devenait chair. Et que les os apparents redevenaient chairs eux aussi. Les jambes à rallonge et métalliques redevenaient très rapidement une paire de jambes humaines. L’œil rouge perdit de sa lueur froide pour reprendre la couleur émeraude de ses cheveux. Les pattes mécaniques toujours mobiles dans sa gueule mécanique rentrèrent à l’intérieur et la peau se reforma pour former un bas de visage humaine et une belle petite bouche avec des lèvres à distribuer des bisous en plein concert.

« Vous pouvez m’appeler Kazue. »

Le Projet CA.lcium s’était transformé en Kazue l’Idol. Il y avait des émotions sur ce visage d’une femme qui frôlait entre la fin de l’adolescence et le commencement de la vie adulte. Même son ton était empreint de vie.

« C’est mon nom de scène lorsque je donne des concerts. »

Elle fit un tour sur elle-même pour faire tourner sa jupe au liseré de LED émeraude. La cravate décorant une chemise blanche sans manches suivit le mouvement de rotation. Quand elle finit son tour, Kazue ferma un œil, afficha un sourire en combinaison d’un bras tendu pour brandir un un index et un majeur en forme de V.

« Je suppose que ce sera un bon déguisement pour interagir avec des fans qui ne savent pas encore qu’ils le sont ? »

Kazue débuta une petite série de mouvements pour réchauffer les muscles de son corps. Lever de genoux. Petits moulinets des épaules, coudes et poignets. Elle semblait s’apprêter à monter sur scène pour donner un concert. Elle fit même quelques échauffements de sa voix. Ce qu’elle entendit parut lui plaire étant donné son sourire.

« Je suis prête. C’est quand vous voulez, les filles ! »

Bon ! La grande cafarde robotique avait resserré les cuisses. Cirth ne risquait plus de dégueuler sur la tête de l'enfant. Du moins, si ce dernier ne se mettait pas à son tour à produire quelque chose de répugnant, bien sûr !
Kerberath s'attendait à tout, contrairement à sa Sœur Liée que la simple présence d'une enfant "cromignone" parvenait à endormir.

- Attends, qu'est-ce que tu me chantes ?

Un matricule. Une connexion. Des pourcentages... L'autre s'était mis à débiter ces absurdités comme si elle réfléchissait à voix haute. La Louve essayait de suivre tout ce fatras de données. Pour une "péquenaude", ce n'était pas chose évidente. Mais son cerveau travaillait. Il traitait les informations ébruitées. Il chauffait dans l'effort. Il...

- Pardon ?

Kerberath avait mal entendu. C'était pas possible autrement !
Elle accusa un mouvement de recul.

- Manger le cerveau de ta propre gosse ?!

Son éclat de voix attira l'attention de Cirth.

- Qu'y a-t-il, Kerby ? Elle a dit quelque chose qui t'a énervée ?

- Euuuh... non. Enfin, si, un peu ! Mais ne t'en fais pas, je gère la situation. Notre... "amie" n'est pas prête de recommencer.

Un telle assurance fit éclore un nouveau sourire sur la bouille de la kitsune. Avec Kerberath à ses côtés, aucun besoin de s'en faire ! L'okami disposait d'une telle aura... la Scriptomancienne se sentait bien plus forte en sa compagnie. Prête à tout affronter ! A commencer par les esprits les plus diaboliques qui soient.
Le Projet CA.lcium attira subitement son attention. Chez elle, un grand changement s'opérait. Un changement si énorme qu'il coupa le souffle à l'okami, en plus de celui de Cirth. Le monstre s'était littéralement transformé en une parfaite humaine. Une jeune femme débordante de vitalité qui respirait fort la bienveillance !
Les Lalwendë en furent proprement estomaquées.
Kazue, de son nom de scène en tant qu'Idol, remplaçait l'horreur mangeuse de cerveaux.

- C'est complètement fou !

Cette vision la scotchait. De sa main libre, Cirth tira une manche de sa Sœur Liée.

- Tu vois ce que je vois, Kerby ? Elle est devenue super mignonne en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire !

- Je... je ne peux pas te donner tort.

L'okami déglutit. Le déguisement de leur gracieuse interlocutrice était criant de réalisme. Absolument parfait, il dissimulait merveilleusement bien cette effroyable créature de métal et de chair qu'elles avaient croisée au beau milieu de nulle part.
La ravissante demoiselle aux cheveux d'émeraude exécuta une pirouette avant de taper la pose. Son sourire féérique était en mesure de tromper n'importe qui.
Ou presque.
Comme pour se défaire de l'emprise insidieuse émise par cette chaleureuse illusion, Kerebrath secoua la tête.
Derrière le vernis de la civilisation et de la beauté se cachent des roues, des griffes et je ne sais combien d'autres instruments de mort.
Kazue enchainait les mouvements d'échauffement. En plus d'un beau corps, elle possédait aussi une très belle voix. Tout pour transporter le public !
Cirth ne mit guère longtemps à se laisser abrutir par cette image qu'elle renvoyait. Elle encourageait l'idole en brandissant un poing enthousiaste au dessus de sa tête blonde.

- Wouhou ! C'est trop génial ! Je sens qu'on va bien s'amuser, toutes les quatre, dans ce petit village~

Ni une ni deux, la kitsune dépassa sa Sœur Liée et se mit à marcher à côté de l'aberration déguisée. Cirth était bel et bien celle qui porterait l'enfant tout du long, oui. Elle ne le lâcherait pas sans une réaction de sa part. Kerberath était bien obligée de suivre le mouvement. De participer à cette... supercherie, au grand dam des villageois.

- Ce voyage est de plus en plus absurde. Quand nous en conterons les détails aux autres, personne ne nous croira.

- Oh, mais si, ils nous écouterons du début jusqu'à la fin ! lui assura Cirth. Grand-mère nous soutiendra comme elle l'a toujours fait. Elle nous donnera raison, même en l'absence de preuve~

- Je commence tout juste à me rendre compte que ton optimisme est parfois plus effrayant encore que ces deux parties d'une même chose qui nous accompagnent...

Alors qu'elles approchaient du hameau, des cris se firent entendre. Ils provenaient tous de la même direction. Plusieurs voix s'élevaient, grondaient sous l'effet de la colère. Et toutes, compris Kerberath en se concentrant dessus, émanaient de la plus grande maison du coin. Celle qui se trouvait en bordure de village, en l'occurrence, et qui était destinée à accueillir, voire héberger, les voyageurs.
Ni Cirth ni Kerberath n'étaient suffisamment arriérées pour ne pas reconnaître une taverne quand elles en voyaient une.

- On dirait qu'il y a de l'agitation, par ici.

- En tant normal, je ne serais pas contre y jeter un œil mais avec ce petit bout de chou dans les bras...

- M'est avis que ce "petit bout de chou", comme tu l'appelles, pourrait tout aussi bien servir de projectile mortel.

- Tu dis des horreurs, Kerby. Je préfère croire que tu ne les penses pas.

Une porte s'ouvrit à la volée, recrachant un homme qui alla s'étaler en plein milieu de la voie. Il avait un œil au beurre noir et quelques hématomes sur le visage. Une dent de devant lui manquait. Il respirait toujours quoique péniblement. Il entreprenait déjà de se relever. Il valait mieux pour lui qu'il fasse vite : trois types plutôt costauds sortaient de l'établissement avec l'air de vouloir en découdre.
Kerberath, qui avait cessé d'avancer pour mieux étudier la scène, les regardait se faire craquer les phalanges.

- On dirait bien un règlement de comptes.

Allaient-elles devoir s'en mêler ?
Le gars à terre faisait pitié. Il n'était clairement pas de taille face aux trois brutes épaisses.
La Louve jeta un coup d'œil à Kazue.

- Qu'en pense notre charmante idole ?

"Au sujet de jeter le bébé dans la bataille ? Je ne suis pas certaine que ce soit une bonne idée. "

Ce pouvait très bien être une plaisanterie de la part de Kazue. Apres tout, la jeune femme semblait être aussi gentille que jolie. Mais les deux soeurs avaient d'abord vu sa "vraie" apparence. A moins que la machine ne soit la forme de défense ? Qui pouvait dire qui de la poule ou de l'oeuf était arrivé le premier ?

"Mais si c'est au sujet de cette rixe, j'ai malheureusement peur de ne pas pouvoir faire grand chose. Je ne suis ni grande, ni musclée, ni gradée. En plus de tout cela, je ne peux pas me permettre de recevoir un coup. Mon visage est mon outil de travail. Et je ne voudrais pas alourdir la responsabilité de mon équipe maquillage. Qui plus est, le risque est trop grand. Un coup dans la gorge ? Comment chanter avec des cordes vocales abîmées ? Et je ne ferai pas partie de ces artistes qui chantent en playback. C'est hors de question."

Oui, Kazue était humaine. Elle était chaleureuse et débordait de vitalité. Mais cette façon de parler... Son travail paraissait aussi important que la mission du Projet. Sans compter qu'elle parlait de son équipe comme si un camion l'attendait non loin. Il y avait comme un décalage entre la réalité réelle et la réalité que créait les mots de Kazue.

Brute épaisse, le chauve "Vous mêlez pas d'ça, les nanas. Giclez d'ici. Vous m'avez entendus !"

"Je crois qu'on devrait écouter le monsieur. Vous vouliez entrer dans cet établissement ? Alors nous devrions y aller."

Kazue observa le bâtiment. Elle...réfléchissait ? Il y avait comme du vide dans ses yeux. Puis elle revint à elle avec un sourire charmant.

"C'est ici que vous voulez que je me produise ? C'est très loin des stades où je rassemble des milliers de personnes. Mais il paraît que la mode veut que les super Idols renouent avec les concerts...comment disent-ils déjà ? Intimistes ? Soit. Pourquoi pas."

Son doigt se rendit vers la version que la gentille soeur portait dans ses bras.

"Vous devriez faire quelque chose pour votre bébé monstre, madame. Cette chose métallique qui lui sort de la bouche ? Je ne sais pas quelle triste maladie l'accable mais ce n'est pas bon pour mon image. Je ne voudrais pas qu'une photo de cette chose soit sur le même cliché que moi. Merci de vous en occuper."

...

Kazue faisait-elle un déni de réalité ? Ne realisait-elle pas que c'était une version rajeunie d'elle ? Il semblait que non. Et pendant ce temps, un attroupement grossissait autour de la future bataille entre les trois brutes et leur victime. Ça braillait. Ça rigolait. Il y avait même un petit malin qui proposait de prendre des paris. "Pour pimenter un peu le truc" ajouta-t-il. Pendant que certains hésitaient à gagner de l'argent, une des grosses brutes donna un coup de pied dans le sol pour envoyer des morceaux de terre dans le visage de leur victime. Une autre brute lui donna un coup dans les côtes pour l'empêcher de se relever. Mais aussi pour l'empêcher de parler. Que ce soit pour sa défense ou pour appeler de l'aide.

Après avoir écouté le petit speech de l'Idol, Cirth et Kerberath s'étaient échangé un regard incrédule.

- ...Sérieusement ?

- C'est quoi, du "playback" ?

La Louve n'avait même pas cherché à donner un sens à ce mot. Ce qui l'impressionnait le plus, c'était bien le comportement incongru de cette fausse demoiselle. Elle parlait carrière comme si son apparence de monstruosité montée sur roues n'était rien d'autre qu'une illusion, un cauchemar oublié...
Autant dire que l'okami eut un peu de mal à faire en sorte que ses sourcils haussés retrouvent leur position d'origine.
Comme pour forcer la chose, elle se passa une main sur le visage.
L'une des grosses brutes qui avait entendu leur discussion se permit alors un commentaire fort désobligeant.
"Les nanas" ?
Les sourcils de Kerberath s'étaient froncés.
"Giclez d'ici"" ?
Elle resta plantée là, à le regarder froidement, alors que Kazue et sa Sœur Liée contemplaient l'établissement.
La kitsune dressa les oreilles quand l'Idol nombriliste critiqua sa version miniature.

- Hein ? Mais... (Elle baissa les yeux sur la bouche du bambin.) Bon, c'est vrai que sa frimousse n'est pas très esthétique. Mais ce n'est pas une raison pour la mettre de côté ! Regarde : elle a les mêmes cheveux que toi, en plus. Je ne trouve pas ça très commun !

Cirth lui grattouilla la fontanelle en babillant des inepties. Ce n'est qu'à regret qu'elle se vit forcer de tirer un peu sur un pan du manteau à capuche prêté par la Louve pour dissimuler une partie de l'anormalité buccale de l'enfant-monstre.

- Et puis c'est quoi au juste, une "photo" et un "cliché" ? Tu utilises vraiment des mots bizarres, Kazue. Tu dois lire souvent, non ? Au moins autant que Kerby !

En parlant de sa Sœur Liée, celle-ci n'avait toujours pas bougé.
Cirth se tourna pour la regarder.

- ...Kerby ?

Bras croisés sur sa poitrine, la Louve ne disait rien. Son silence inquiétait la kitsune, qui prolongea son regard sur le spectacle de cet attroupement au milieu duquel un homme se faisait passer à tabac.
Cirth observa à nouveau sa frangine mutique.
Je connais ces yeux-là.
Elle ne fut pas surprise de l'entendre dire :

- Ces sales types méritent une bonne leçon.

L'okami toisa sévèrement l'Idol.

- Tu laisserais ces salauds te piquer la vedette ? (Elle pointa du doigt la foule excitée.) Parce qu'ils sont en train de se donner en spectacle, figure-toi ! Et de façon fort douteuse. C'est une forme de concurrence déloyale, ça, non ? (Elle secoua la tête.) Ignore ces imbécile si ça te chante mais moi, j'cautionne pas cette pratique.

Kerberath n'attendait pas de réponse de sa part. Elle se fraya un chemin parmi les spectateurs, n'hésitant pas à jouer des coudes ou à en bousculer certains à coups d'épaule. On se plaignait dans son sillage mais elle s'en moquait éperdument. Tandis qu'elle marchait, son regard fixait le fier trio de raclures. Sa venue éveilla l'attention du grand chauve. Le regard méprisant au possible, il se dressa face à elle.

- Tiens, tiens ! Encore cette greluche rachitique ? On peut savoir c'que t'as pas compris dans "giclez d'ici", heiiin ?!

Kerberath n'avait pas besoin d'avoir recourt à sa transformation pour l'humilier. Elle leva lentement la main droite. La brute imbécile, un sourcil dressé, la suivit du regard. De sa main gauche, l'okami, en un mouvement vif, lui arracha sa ceinture. Elle y avait mis tant de force que le gaillard, le froc baissé sur ses chevilles, tournoya sur lui-même à la manière d'un personnage de cartoon !

- Gros débile.

D'une balayette, elle l'expédia au sol. Le vilain se ramassa par terre la bouche la première. Sonné, il ne vit pas la Louve lever cette épaisse lanière de cuir souple qu'elle lui avait dérobée.

- Toi et tes copains, vous faites une belle brochette de consanguins.

Elle fit claquer son fouet au dessus de sa tête. Rien qu'en entendant le bruit dans l'air, la brute s'était recroquevillée par terre, en position fœtale, non sans se mettre à chouiner sous les yeux ronds de ses collègues. Ces deux-là ne tardèrent pas à se détourner de leur victime pour lorgner méchamment vers la Louve.

- Tu t'prends pour qui, espèce de petite chienne ?!

Il sortit un couteau de chasse. Kerberath ne le gratifia que d'un vague coup d'œil avant de faire claquer son arme improvisée. Le dos de la main de l'abruti rougit à l'impact. Avec un petit cri de fillette, il laissa tomber sa lame sur un de ses pieds. Comble de la malchance, la pointe s'était logée en travers d'un orteil. L"'homme" cria plus fort en sautant à cloche pied ! Kerberath, agacée par son timbre ridicule, utilisa de nouveau la ceinture de sorte à ce qu'elle s'enroule autour de son cou. Elle tira sur la laisse en tournant le poignet. Voix de fausset bascula dans les jambes de son congénère, qui s'effondra à son tour. D'un bon coup de pied, l'okami le frappa en plein visage !
Sans se soucier de ce que les spectateurs pensaient de son intervention, elle se retrouva très vite au-dessus des trois trouble-fêtes qui s'étaient ramassés par terre comme des larves.

- Et maintenant, je vous somme de vous excuser !

- V-va shier, bafouilla le type à qui elle venait juste de casser le nez.

Kerberath, qui lissait distraitement le plat de la ceinture avec sa main gauche, lui coula un regard de travers.

- Je vais d'abord t'ôter l'envie d'être vulgaire, tête de nœud.

Elle fouetta le malotru ! Avant de répéter la même opération avec les deux autres. Tous se plaignirent comme des enfants brutalisés durant les premières secondes. Après quoi il se mirent à hurler leur pardon, en récoltant au passage les rires hystériques de la foule. Kerberath, avec un sourire factice sur les lèvres, les flagella une ultime fois - juste pour le plaisir du geste - avant de jeter la ceinture et d'aller ramasser le type qui s'était pris une sacrée dérouillée.
Elle croisa son regard abîmé.

- M... merci, souffla-t-il, une petite écume de sang au bord des lèvres.

Puis il s'évanouit dans ses bras.
Kerberath roula des yeux au ciel. Sans effort apparent, elle hissa le malheureux sur son dos puis se dirigea d'un pas tranquille vers l'Idol et sa Sœur Liée. Les spectateurs formèrent une haie d'honneur. Certains l'applaudissaient tandis que d'autres, remarqua-t-elle, fuyaient son regard carmin.
Elle n'en avait absolument rien à foutre.
Cirth fut la première à l'accueillir comme elle le méritait ; ses adorables yeux ambrés pétillaient d'admiration. Sa queue de renarde brassait l'air comme celle d'un chien qui attend son nonos.

- Whaooow ! Tu as été incroyable, Kerby ! In-cro-yable ! Tu leur as mis une de ces tannée ! C'était stupéfiant ! Je me suis même arrêtée de respirer, pendant un moment~

Le sourire que l'okami lui adressa était authentique.

- Je sais, Cirth. Je sais. Ces types n'étaient que des rigolos. Tout dans les bras, rien dans la tête. (Elle soupira par les narines.) Rentrons. Mon bagage n'est pas bien lourd mais il a pris cher. Il faut que je l'installe quelque part et qu'il s'y repose.

Kazue avait formé des grimaces à chaque fois qu’un coup de ceinture claquait dans l’air. Et pas que, surtout dans la peau qui rougissait. Elle ne cautionnait pas la violence. Pour elle, le monde devait être sauvé via la coopération avec des bons sentiments. On ne pouvait pas solutionner un problème avec des… des coups de fouets et de la douleur. Alors elle ne félicita pas la guerrière. Elle donna à peine un œil à son « bagage ». Il y avait quelque chose d’autre qui l’ennuyait et elle ne s’en cachait pas.

« Je ne comprends pas. Toute cette foule qui encense cette raclée violente. Tous les yeux qui convergent ailleurs que sur moi. Ça me donne l’impression que personne ne me connaît. »

Soit. Ce devait être une méprise. Tout le monde ne pouvait pas encore la connaître. Mais elle était attendue à l’intérieur de l’établissement. Il ne pouvait en être autrement. Que ferait-elle dans un tel coin paumé autrement ? Ce serait incompréhensible. Alors sans rien ajouter, elle prit les devants et marcha avec une attitude hautaine de célébrité. Une arrogance qui ne pouvait pas être totalement à blâmer car son joli minois était une parfaite excuse.

Sitôt passée la porte, elle s’arrêta et se retourna rapidement vers le duo qui la suivait. Le double duo, en fait. Etant donné que chacune de ses « assistances » portaient un « bagage ». Un bébé enregistreur et une victime mal en point. Heureusement qu’elle n’avait pas à se soucier du prix relatif au poids de ce qu’elle transportait d’un stade à un autre.

« Je ne comprends pas. Il n’y a eu aucun flash de photo. Et personne ne m’a arrêté pour me demander un autographe. Oh, ce qui me fait penser. Un cliché et une photo ? Vous ne savez vraiment pas ce que c’est ? Un téléphone portable ? Un appareil photo ? Hum, laissez tomber. Ce n’est pas le moment de donner une leçon de technologie à deux paysannes. D’urgentes affaires me demandent. »

Le charme de l’établissement était rustique. L’inspiration semblait faire remonter à des centaines d’années en arrière. Une omniprésence de bois. Très peu de métal. Cette dernière matière étant surtout représentés par les têtes des clous. Il y avait zéro rubans LEDs. Aucun écran géant. Et… la scène ? Une pauvre estrade faite en bois. Aucun ampli. Zéro synthé. Mais où l’Idol avait été entraîné ? Plus le temps passait, moins cela lui plaisait.

Serveur : « Une table pour trois ? Hum, quatre avec ce monsieur sur votre épaule ? Entendu, suivez-moi. »

Dans un coin de la salle se trouvait une table. Contre le mur se trouvait ce qui ressemblait à un canapé en forme de L. Les deux autres bords de la table accueillaient des chaises en bois. Le modèle avec l’assise tressée en pailles. C’était tellement « rétro ». Kazue fit la moue à l’idée de s’asseoir des céréales desséchées. Elle préféra donc ce qui semblait plus confortable.

Serveur : « Je vous rapporte rapidement la carte des menus. »

« Excusez-moi. A quelle heure est prévue ma performance ? »

Serveur : « Votre performance, madame ? Je ne comprends pas. Il… il faudra surement demander au patron. Je ne suis au courant de rien. Asseyez-vous. Prenez vos aises. Je reviens promptement. »

Kazue croisa ses petits bras et communiqua une expression qui ressemblait fort à une enfant qui boude. Son pied commença à taper nerveusement le sol. Un parquet en bois. Toujours du bois… C’était si étrange. Une matière si… chaleureuse ? Peut-être. Mais il n’y avait pas de capteurs de contact. Pas d’effet de rétro-éclairage. C’était si étrange…

« Au fait, toi. »

L’Idol pointa la guerrière d’un petit mouvement de la tête.

« J’avais très bien compris ta pitoyable provocation tout à l’heure. Mais qu’est-ce que tu as cru ? Que, jalouse, j’allais soudainement me jeter dans la mêler et taper tout ce qui vociférait ? Je ne m’abaisse pas à ce genre de bassese. J’ai un service de sécurité pour ça, lorsqu’il y a des débordements. Mais je ne comprends pas. Je ne vois personne. Ni service de sécurité. Ni équipe technique. Rien. Seulement vous deux. »

Kerberath ne fut pas spécialement étonnée de ne pas entendre la fausse mistinguette aux longues couettes turquoises s'extasier devant sa prestation. Pour le coup - oui, et il n'y en avait pas eu qu'un seul durant! - , c'était l'okami qui lui avait volé la vedette. Heureusement pour tout le monde, la Lalwendë ne comptait pas la conserver bien longtemps.

- Certains individus ne comprennent que ce langage. Ici, on ne parle plus de loi du plus fort mais plutôt de la "voix" du plus fort. Ne restons pas dehors : ça attire les mouches.

Sans doute que l'Idol n'avait même pas pris la peine de l'écouter ; elle avait eu vite fait de trouver refuge dans la taverne avec une drôle d'impression d'invisibilité auprès du public.

- Dis, Kerby, 'y a quelque chose qui m'échappe...

- Je t'en prie : pose cette question qui te brûle les lèvres.

- Pourquoi Kazue s'imagine avoir automatiquement du succès auprès de tout le monde ?

Sa Sœur Liée haussa les épaules.

- Peut-être est-ce dû à une sorte de complexe de supériorité, ou à cette habitude d'être au centre de toutes les attentions ? Sans ses traits monstrueux, il faut avouer qu'elle est plutôt bien faite de sa personne ! Ailleurs, dans son milieu, elle a dû faire un malheur auprès des curieux.

Alors que derrière le vernis de la civilisation, le Projet mortel "dormait".
Kerberath ne s'était pas vraiment attendue à ce que la version "kawaï" de cette effroyable mutante souffre non seulement d'égarement mais aussi d'un souci de personnalité.

- Mais elle n'a même pas encore chanté...

- Patience. Elle n'a visiblement pas renoncé à ce projet.

Elles lui emboîtèrent le pas. L'amnésique célébrité s'immobilisa juste après avoir dépassé le palier. Encore une fois, elle ne comprenait pas son absence de succès immédiat. Encore une fois, elle employait des mots que Cirth ne comprenait pas. Les sœurs Lalwendë s'échangèrent un regard.

- Des paysannes, nous ? Cela fait si longtemps que nous n'avons pas aidé au travail des champs, Kerby !

- Tu m'étonnes ! Mais ne prête pas attention à cette insulte, Cirth.

- Parce que c'en était une ?

- Dans la bouche de cette insolente artiste ? Très certainement.

- Ah, fit la kitsune, soudain soucieuse. Elle ne nous aime pas beaucoup, j'ai l'impression.

- On ne peut pas plaire à tout le monde. (A cette pensée, Kerberath eut un sourire en coin.) Notre "amie" finira bien par l'apprendre.

Tandis que Kazue évaluait les lieux d'un œil critique, un serveur vint à leur rencontre. Il leur choisit une table de libre en fond de pièce. Une table encadrée d'un canapé qui formait un angle et de deux chaises modérément confortables. Sans surprise, la starlette, avec une grimace de dégoût à peine contenue, cala son gracieux popotin sur le mobilier qui lui paraissait le plus adapté à sa fantastique personne.
Cirth s'installa sur une petite portion du canapé histoire de laisser de la place au bébé monstre si besoin - pour le moment, rien ne semblait le déranger. Kerberath installa l'évanoui sur une chaise avant de prendre place sur l'autre, juste à côté. Elles laissèrent Kazue s'entretenir avec le serveur et... divaguer comme l'Idol qu'elle incarnait si bien.
Mécontente, celle-ci avait commencé à bouder.
La Louve souriait intérieurement.
Au moins, avec ce comportement enfantin, elle ne risque pas de griller sa couverture.
Comme si elle avait lu dans ses pensées, Kazue jeta aussitôt son dévolu sur l'okami. Avec un "toi", bien senti. Bien réducteur. Bien méprisant. Kerberath, l'air stoïque, soutint son regard et écouta - trop ? - sagement son baratin.

- Premièrement, j'ai un nom, mistinguette. Tu seras donc priée de l'utiliser à bon escient parce que je ne tiens pas à ce qu'il se retrouve sur toutes les lèvres. Contrairement au tien que, manifestement, tu brûles tant d'envie de faire connaître dans ce patelin sans y avoir jamais fait quoi que ce soit. Plutôt ironique, n'est-ce pas ?

Les coudes posées sur la table, elle ne lui laissa pas le temps de répondre et poursuivit sur le même ton :

- Tu veux que je te dise ? Si tu ne voies personne céans, c'est que tu n'es personne aux yeux de ce petit monde. Maintenant, c'est à toi - et à toi seule - de te démarquer pour obtenir le succès que tu mendies toute seule dans ton coin. Il n'y a pas d'équipe technique. Pas de service de sécurité non plus... enfin, peut-être que si, tout compte fait. (Nouveau petit sourire de garce.) Tu ne l'as peut-être pas compris - comme beaucoup de choses jusqu'à présent - mais en intervenant tout à l'heure, j'ai veillé à la sécurité de tous. Et pas seulement de toi, la méchante petite nombriliste qui se croit plus importante que son entourage entier. (Elle croisa les bras sur sa poitrine et leva fièrement le menton.) Cesse de te fourvoyer, gamine. A aucun moment n'ai-je cherché à exciter ta morgue. Je ne comptais pas sur toi pour remettre ces brutes décérébrées à leur place ; si je t'ai demandé ton avis tout à l'heure, avant de fouetter ces malappris, c'était avant tout pour comprendre ton nouveau mode de fonctionnement. Et autant te dire qu'il me laisse... pantoise.

Cirth, qui avait suivi toute cette affaire au lieu de chercher à jouer avec l'enfant monstre, se permit une intervention à l'attention de la pseudo-célébrité :

- Excuse-moi de te poser cette question qui va sans doute te paraître un peu étrange mais... peut-on savoir quel est le premier souvenir que tu as de nous deux ?

- Bonne question, ça ! Ajoutons-lui en une autre si tu le veux bien : si tu ne sais pas où se trouve ton... "équipe", est-ce que tu te rappelles au moins du moyen de transport que tu as emprunté pour te perdre ainsi en plein milieu de la cambrousse ?

Sous son apparence d'Idol, le Projet comptait recueillir des informations sur cet environnement isolé ? Les sœurs Lalwendë, elles, analysaient sa couverture sans prendre de gant.

Ses yeux s’écarquillèrent de surprise. C’était un véritable choc pour Kazue qu’on lui dise qu’elle n’était « personne aux yeux de ce petit monde » ! A un point tel qu’elle eut la plus grande des difficultés à comprendre ce que lui disait cette « paysanne » à la gueule trop bien active… Nombriliste ? Oui, évidemment. Où était le mal de s’occuper de sa propre personne ? Par contre, elle ne comprenait pas l’ajout de « méchante » avec. N’était-elle pas la plus belle ? La plus mignonne ? La voix préférée des 12-16ans ?

« Comment ? »

L’autre sœur ajoutait son babil…

« Vous me croyez idiote et malade ? »

Sa tête tourna d’un seul coup sur le côté. Ca restait un mouvement dans les limites de ce qu’autorisait le corps humain. Mais il y avait un côté « bug », un côté « glitch ». Termes qui échapperaient à la compréhension des deux sœurs. Il n’en restait pas moins que la gestuelle était plus que suspecte…

« Je vous ai découverte tous les deux en plein milieu de rien. A l’extérieur de ce village… »

Ses yeux papillonnèrent. Un coup bleu Idol. Un autre coup rouge machine… Les doigts de sa main glissaient sur le bois de la table. Comme si elle la caressait. Un geste nerveux. Et davantage… Déjà des sillons se creusaient. Il fallait une force monstrueuse pour faire ça à main nue.

« Et je n’ai pas utilisé de moyen de transport. Je suis venue par moi-même à toute vitesse sur mes jambes. C’est quoi ces questions ? Quel est l’objectif de tout ceci ? »

Sa tête commençait à tourner sur le côté et revenait à sa opsition initiale. Plusieurs fois de suite. Comme prisonnière d’une mini boucle temporelle. Un nouveau « bug ». Ses deux personnalités essayaient de constituer une réalité commune. Il fallait faire des ajustements. Se mentir à soi-même. Tout en sachant qu’elle n’était pas qu’une Idol. Le Projet avait peut-être été jeté trop rapidement trop loin de la civilisation.

Un cafard apparut alors dans ses cheveux. Mais Kazue ne le sentit pas. La version miniature d’elle avec un malaisant appareil qui lui sortait de la gueule commença à s’agiter. Son visage exprimait le bonheur. Sa main tendue s’ouvrait et se refermait. La version miniature prenait le cafard pour son animal de compagnie ? Comme certains enfants qui grandissaient avec un chien domestique ?

« Moi aussi j’ai des questions. »

La main continuait toujours à « caresser » la table de bois. Les jointures ne tenaient pas et déjà apparaissaient la main « squelette » au-dessous… L’Idol ne le remarquait pas. Toute concentrée à s’occuper des deux pestes qui la collaient. Deux débiles inutiles. Peut-être de nouvelles journalistes qui, pour se différencier du reste et tenter de percer, avait adopté un nouveau look ? Une nouvelle approche ? Oui. Peut-être. Et tout ça. Tout ce décor si… « sale ». Cette absence de technologie. De LED. D’effets de lumières et de brouillards scéniques. Oui, ce devait être une sorte de show télévisé avec des caméras habilement dissimulées.

« Quel est le nom de la clinique qui vous a affublé de ses oreilles sauvages ? Les caméras ont-elles remplacés vos yeux ? Pourquoi vos concepteurs ont décidé de vous différencier ? Il aurait été plus pertinent de ne produire qu’un seul modèle. Economiquement, c’est bien plus rentable. »

Le serveur avait parlé à son patron et ce dernier s’était enfin déplacé pour aller à la table. Il interrompit la discussion de sa seule présence. Tout son corps faisait comprendre qu’il n’avait pas le temps. D’ailleurs, sa façon de parler était tout aussi directe :

Tavernier : « Je ne te connais pas et je n’emploie pas des gamines. Ca m’a déjà valu des problèmes. D’toute façon, y’a plus aucun créneau de libre aujourd’hui. Les artistes que j’ai acheté, leurs prestations, ont déjà été payé. J’reviendrais pas sur mes décisions. »

Puis il partit. Il n’avait aucune envie de perdre son temps à discuter de sa décision ferme et définitive. Kazue ne se produirait pas dans la taverne aujourd’hui. C’était non négociable.

Oula ! Qu'est-ce que la petite célébrité était en train de leur faire, au juste ? Son corps réagissait si bizarrement ! Plein de petits mouvements saccadés, nerveux...

- Idiote et malade ? répéta confusément la kitsune. Non, il y a méprise ! Je n'ai jamais insulté personne de cette manière.

- Laisse, Cirth. N'en dis pas plus. Notre amie semble... "partagée".

Ses yeux changeaient de couleur. Alors qu'ils clignaient, le bleu de la paisibilité se substituait au rouge du danger - et inversement. Ses doigts fins, en se crispant, laissaient des marques sur la table. Kerberath observait le phénomène avec une certaine méfiance. Elle n'aurait jamais pu faire pareil avec ses mains humaines. Les dires de Kazue confirmaient ce que suspectait la Scriptomancienne : l'Idol n'était pas au courant du monstre squelettique et robotique qu'elle pouvait incarner à tout moment. Tandis qu'elle s'efforçait malgré tout de répondre logiquement aux questions qui lui avaient été posées, la star perturbée multipliait les mouvements erratiques.

- N'y vois là aucun problème, tempéra l'okami. Nous nous inquiétons seulement pour ta santé. Personne n'est à l'abri d'un malaise. Et aucune de nous deux ne voudrait te voir en faire un, Kazue.

Calmement, elle avait levé les mains au dessus de la table en signe d'apaisement.

- Ceci dit je commence à y voir plus clair. Tu as beaucoup marché pour venir jusqu'ici, pas vrai ? Tu as parfaitement le droit d'être fatiguée. Attention au surmenage, tout de même ! Ce genre de chose, ça ne prévient pas...

Dans les bras de Cirth, le bébé du Projet s'agitait. La petite monstruosité tendait une main vers la chevelure de sa version adolescente. Là où un cafard avait fait son apparition.

- Ce n'est pas un jouet, lui chuchota la kitsune. Et c'est fragile, en plus. Laisse la petite bête se... euh... balader.

La Scriptomancienne aussi la voyait : cette main nerveuse qui se "desséchait" dangereusement sur la table. La beauté juvénile de l'Idol s'écaillait.
Oh, ce n'était vraiment pas bon signe, ça...

- Vas-y. Pose les. Nous sommes tout ouï.

Alors que Cirth se sentait mal à l'aise, Kerberath s'efforçait de préserver les apparences.
Malheureusement, ni l'une ni l'autre ne fut en mesure de répondre aux interrogations bizarroïdes de l'Idol. Par bonheur, le propriétaire du bouiboui fit son apparition au meilleur moment possible. Hélas pas pour prononcer des paroles agréables...

- Pas très diplomate, le bougre, commenta la Louve en suivant le bonhomme du regard alors qu'il s'en allait déjà. Bonjour tout de même, hein ! Et bienvenue à ta clientèle... (Après avoir balancé ça dans son sillage, elle secoua amèrement la tête.) Ce type m'a tout l'air d'être un gland.

- Ton langage, Kerby.

- Désolée. Ça m'a échappé.

A côté de l'okami, l'homme eut un léger gémissement.

- Ton copain se réveille, lui fit gentiment remarquer sa Sœur Liée.

- Ce n'est pas mon copain.

- Tu l'as sauvé. Il serait ingrat de sa part de ne pas le devenir.

- Mouais...

Passant outre les questions de Kazue qui n'avaient de toute manière aucun sens à ses yeux, Kerberath se pencha sur l'humain pour mieux l'examiner. Elle lui souleva une paupière avant d'agiter une main devant.

- Hé ! Tu me vois, là ? Youhou ?

- ...C-chérie ? C'est... toi ?

Kerberath, les joues rouges, eut un mouvement de recul. Cirth, quant à elle, ne put s'empêcher de glousser.

- Eh ben, dis donc ! Les choses ne trainent pas, avec lui.

- N'importe quoi ! Il délire, cet imbécile. J'ai de quoi y remédier.

Elle lui administra une gifle. Cirth sursauta. La tête du bonhomme partit violemment sur le côté ! Inspirant un grand coup, Il écarquilla les yeux.

- Q-Quoi ? Qu'est-ce qui se passe ? Où suis-je ? Je... (Il cligna des yeux plusieurs fois avant de les fixer sur le visage de Kerberath.) Oh ! C'est vous qui m'avez... aïe ! (Les dents serrées, il se massa la nuque.) J'ai l'impression qu'une charrue m'aie passé dessus.

- Disons plutôt trois charrettes à bras qui auraient même pris la peine de faire marche arrière, lâcha la Louve. Mais ne vous inquiètez pas : elles ne s'y risqueront plus avant un bon moment. Comment vous appelez-vous ?

- Yvann, répondit-il. A qui dois-je ma survie ?

- Kerberath, se présenta sa première interlocutrice en se posant une main entre les clavicules. Cirth, ajouta-t-elle en indiquant sa Sœur Liée. Et la "meilleure" pour la fin, j'ai nommé Kazue.

Elle eut un léger sourire en coin avant de lui demander en pointant l'Idol du pouce :

- Peut-être que cette charmante créature vous disait déjà quelque chose ?

- Non, pas vraiment, admit Yvann en grattant ses cheveux blonds coupés courts. Vous n'êtes pas du village, toutes les trois. Ici, les habitants - dont je fais partie - ne sont pas très... comment dire... cultivés ?

Il avait tout de la dégaine d'un fermier. Et pas des plus riche, à première vue.
Mais pourquoi donc avait-il fait office de punchingball ?
L'homme ne puait pas l'alcool et n'avait pas l'air méchant.

Ca n’allait pas. Rien n’allait du tout. Kazue se répétait encore une fois la question : d’où elle était ? Mais aussi : ce qu’elle faisait dans cet endroit inconnu ? Elle regardait encore et encore les deux mascottes à oreilles d’animaux. Quelle entreprise était représenté par ces deux filles ? Kazue ne parvenait pas à trouver. Entre ça et le lieu « vintage »… Non, ça n’allait pas. Maman Rossa n’était pas présenté. Ici, il n’y avait aucune froideur dans les couloirs de la GeoWeapon Corporation. Et l’activité qui régnait n’était pas celle de l’école où elle étudiait. Décidément, rien n’avait de sens. Pire, elle n’avait pas de repères. Et c’est ce qui faisait revenir… qui ? Le Monstre. Le cauchemar qui se dissimule sous les traits d’un être humain. Un Doppelganger ? Non. Autre chose. Sa tête se tourna brusquement. Elle avait entendu quelque chose. Un cafard. Dégoûtant ! Qui fuyait et disparaissait déjà au-delà de la portée de son regard.

« Vous devriez rester plus longtemps à l’école, en ce cas. »

La réponse étant cinglante pour le nouvel inconnu qui venait de se réveiller à leur table.

Yvann : « Ah, euh, je suis désolé si je vous ai vexé. C’est qu’ici, on va plutôt aux champs pour aider les parents. Et puis, on a pas vraiment les moyens ni les professeurs. Et, voilà. J’ai rien d’autre à ajouter, en fait. »

« Mieux vaut ne pas parler pour ne rien dire. »

Vous voyez cette petite faux-cul au premier rang de la classe ? Vous entendez cette voix qui vous tape sur le système ? C’est celle de Kazue. Son cerveau a décidé que, si elle ne comprenait pas où elle était, elle devait tout de même s’imposer. Kazue est intelligente. Elle est la première de sa classe. Evidemment qu’elle doit être en première place ! Pour rendre fière maman notamment.

« Vous avez une bibliothèque ? »

Yvann : « Oui. Enfin, pas vraiment. C’est plutôt le vieux Theophile. Il, et bah déjà il sait lire. Ce qui n’est pas le cas de tout le monde dans notre village. Au cours de toute sa vie, il a récupéré des bouquins. Parfois, c’est la moitié d’un truc de poésie. Il en a déjà eu un avec autant de symboles que de lettres. Il m’a dit que c’était un truc qui venait de la Grande Ville. Et que ça servait à calculer des choses très compliquées. Moi, je préfère quand c’est simple. Et je m’aide de mes doigts pour compter. »

« Il va falloir apprendre à faire concis. Et, non, ce n’est pas une insulte. Concis, ça veut dire court. »

Kazue fait une pause. Elle observe les deux femmes autour de la table. Et puis le bébé malade avec un appareil dans la bouche. Elle évite de le regarder longtemps parce qu’elle commence à se poser des questions quand elle le regarde. Son cerveau, inconsciemment, l’envoie regarder ailleurs.

« Kerberath ? Cirth ? C’est bien ça vos prénoms. D’accord. On va finir de manger dans ce restaurant. Puis on ira faire un tour de ce village. Je veux savoir à quoi il ressemble. Quelles sont les infrastructures existantes. Je vais mettre au point une opération humanitaire. Pour cela, il faut que je sache également leur accès à l’eau potable, à l’électricité et à la fibre. Il va falloir jauger de leur niveau de culture, et donc d’intelligence qui est aussi en lien avec leur niveau civilisationnel. Je pense à un jumelage ou à un partenariat. Peut-être lancer une cagnotte sur les Réseaux pour récolter de l’argent, des livres ou encore des prothèses. »

Ca devenait évident pour Kazue. Si elle était ici, c’était parce qu’elle s’était portée volontaire pour une mission extrascolaire. Quelque chose dans l’humanitaire, c’était une évidence. Etant donné qu’elle avait l’ardent désir d’améliorer le monde. Bien qu’elle aimait l’idée de le « sauver ». Mais son égo n’était pas assez fort, ou c’était sa lucidité qui l’était assez pour ne pas le déclarer à voix haute. Et si ces deux filles étaient avec elle, alors par voie de cause à effet, c’est qu’elles faisaient partie du même groupe. Il fallait qu’elle apprenne à les connaître.

« Toi, Kerberath, tu dois avoir le profil de l’étudiante sportive. Je suppose que peu importe l’activité physique, tu excelles ? Ton point fort évident doit donc être ton corps. As-tu d’autres compétences qui pourrait nous aider ?

Et toi, Cirth ? Je vois que tu as des affinités avec les enfants. A toujours te cacher derrière Kerberath, tu ne dois pas avoir une grande force mentale. Je dirais même que tu es timide. Ce qui ne m’aide pas à juger de tes compétences. Il va falloir que tu fasses un effort et que tu me parles. »

Intraitablement vache, cette peste. A croire qu'elle est complètement bloquée sur un "module" d'irascibilité !
Kerberath n'en aurait pas voulu à Yvann si ce dernier l'avait giflée en guise de réponse. En fait, elle l'aurait peut-être même applaudi. Mais de là à dire qu'elle préférerait revoir la machine montée sur roues plutôt que de garder Kazue, alias la Superstar des Pimbêches : non !
Cirth, avec cette histoire de gifle en moins, ne pensait pas mieux. La kitsune appréciait la réaction du fermier, qui se voulait à la fois modeste, réaliste et respectueux. Kazue n'avait sans doute pas suivi de cours de bienséance, dans son école. La Scriptomancienne grimaça devant le franc parler de l'Idol. Elle allait sans doute mettre un petit peu de temps à s'y habituer.
Heureusement que le bébé est mignon, vu de dos.
Le monstrueux petit bout de chou lui occupait les mains. Son visage était tourné vers la scène, bien entendu. Il voyait et entendait tout. Si cela pouvait rendre service à l'horrible projet, c'était tant mieux. Cirth préférait croire qu'elle ne supportait pas tout ça pour rien, qu'elle se rendait utile d'une certaine façon...
Bref ! Tout ça pour dire que l'échange entre Yvann du tiers monde et Kazue de la haute société fut très certainement enregistré.
Bonjour la postérité !
Kazue s'adressa aux deux sœurs. Au moins avait-elle retenu leurs prénoms ! Première marque de respect de la journée. Ce qui rattrapait un peu sa méchanceté au sujet de leurs attributs animals. Bon, il y avait encore pas mal de chemin à parcourir pour tout effacer mais il faut tout de même saluer la manœuvre. D'autant plus que Kazue, avec son cerveau de première de la classe, avait réfléchi rapidement à la suite du programme. D'abord manger, puis ensuite échafauder une...

- Une opération humanitaire ?

- Qui-que-quoi ? bafouilla Yvann, qui avait l'air de quelqu'un d'assez futé pour se perdre dans ses propres chaussures même en faisant du surplace.

Kerberath lui lança un regard de compassion.
Bordel ! dans quel pétrin on vient de se fourrer, là ? Même pour moi, ça va trop vite !
Cirth, attentive, hochait sagement la tête. Elle comprenait très bien les bonnes intentions de la première de la classe. Quand bien même si, en tant que Scriptomancienne, elle n'avait pas été celle qui siégeait devant, sous le nez de sa grand-mère professorale. Parce qu'elle était avant toute chose une grande amatrice de siestes et de jeux !
L'Idol s'était donc mise à décortiquer leur profil.
Bonjour les stéréotypes !
Ni elle ni Kerberath ne semblaient ravies par son analyse.

- A mettre en valeur mes seules capacités physiques, tu me donnes vaguement l'impression d'être une débile à l'image de cette brochette de branquignoles qui s'en est prise à Yvann, ronchonna la Louve. Tu cherches à me vexer, ou quoi ?

- Moi, timide ? Je te rappelle que j'ai ton... (Elle secoua la tête.) Euh... non ! Je veux dire un bébé dans les bras ! Je ne peux donc pas m'amuser à gesticuler dans tous les sens avec cette responsabilité entre mes mains.

Les joues gonflées, elle tourna son irrésistible frimousse vers sa Sœur Liée.
Sentant le mauvais coup venir, Kerberath leva les mains en toute innocence.

- Ne me regarde pas comme ça ! Je n'ai rien f-

- Pas encore, mais ça ne saurait tarder.

Elle lui fourra le bébé dans les bras.
L'okami, les yeux ronds, en frémit d'horreur.

- Quoi ?! Hé ! Mais... non ! Tu ne peux pas me faire ça, Cirth !

- Oh que si ! répliqua Cirth en lui plantant un doigt au milieu du front. Tu vas prouver à Kazue que tu es aussi bonne babysitteur que je le suis. Tandis que moi, je vais me faire un malin plaisir de l'assister dans son projet humanitaire ! Parce que voyez-vous : j'ai de l'énergie à revendre et des neurones en suractivité !

Yvann, mal à l'aise, jonglait du regard entre les différentes protagonistes.

- Euuh... Ouais. D'accooooord... ? On commence par quoi, alors ?

- Kazue a dit que nous allons devoir faire le tour du village, lui rappela Cirth. Village auquel vous appartenez, mon bon. Alors autant que vous nous serviez de guide dans cette aventure ! Nous pourrons, qui plus est, vous ramener à votre ferme en un seul et beau morceau.

- C'est tout bénef, constata le fermier. Je marche avec vous !

- Très bien, grande maligne. Tu vas peut-être pouvoir m'éclairer sur un point bien précis, du coup : comment suis-je supposée faire pour veiller sur vous avec un microbe dans les pattes ?

- Tu n'auras pas à le faire, Kerby, sourit la concernée. JE nous défendrai tous ! Et, crois-le ou non, je le ferai de façon plus intelligente~

La Louve vouta les épaules, coucha les oreilles et la regarda d'un air blasé. Puis, comme pour parfaire le tableau de celle que ça n'arrange en rien, elle se mit à soupirer par les narines.

- Très bien. Toi aussi tu t'y mets ? C'est sympa ! Merci pour la reconnaissance ; vue comme ça, j'ai encore plus l'air d'une abrutie qui ne pense qu'avec ses muscles.

- Je n'ai pas dit ça.

- Ha ! Bah, non. Tu l'as juste pensé tout haut.

- Je ne te pensais pas aussi susceptible, Kerby. Mais je sais que tu vas pouvoir remonter cette pente.

Kerberath détourna le regard, posa un coude sur la table puis laissa tomber son menton dans la paume de sa main. Le bébé ? Pfah ! Elle le tenait dans le creux de son autre bras.

- Super ! Tu parles comme une vraie petite cheffe. Ça, c'est de la motivation où je ne m'y connais pas...

- Ne fais pas la tête, Kerby. Tu vas t'en sortir, je te le promets !

- Je m'en sors toujours, grogna la Louve avant de frapper du poing sur la table et de hausser le ton à l'attention du serveur : Hé, garçon ! La bouffe qu'on vous a gentiment commandée, c'est pour aujourd'hui ou pour demain, hum ?!

Le concerné sursauta avant de se précipiter vers les cuisines.

Kazue plissa les yeux aux premières réactions des deux femmes-animaux face à elle. L’excitée cherchait la bagarre. Tandis que la timide accusait une désynchronisation entre ses pensées et son débit de paroles. Ce n’était pas bien encourageant. Alors que le bébé changeait de main, Kazue se demanda une énième fois ce qu’elle faisait dans ce bar « vintage ». Elle avait très envie de retourner chez elle et de parler de cette expérience catastrophique à sa maman.

Et soudain tout changea. Tout ce que croyait savoir Kazue fut détruit pièce par pièce. Méticuleusement. Elle se sentait aussi bête que le paysan a observé le film deux de cette conversation. C’était la bagarreuse qui se retrouvait avec un bébé dans les bras. Enfin, coincé dans un seul. A l’image d’un sac ? Tandis que la silencieuse se mettait à vouloir prouver au monde à quel point elle avait des ressources cachées. En fait, tout compte fait, ça ne changeait pas grand-chose au premier profil qu’elle avait établi.

« Je ne comprends pas cette obsession à la violence. Même si vous avez échangé le rôle toutes les deux, ça ne change rien au fait que vous croyez davantage au langage des poings que celui des mots. Des maux ? Excusez-moi. Une pensée qui aurait du rester à voix basse. Quelle voie ? Décidément… »

Elle se retourna pour observer où était parti le serveur. Elle s’en fichait. Ce qui importait, c’était de se donner un petit peu de temps pour retrouver ses esprits. Et ne pas en donner aux autres en coupant la connexion qui s’effectuait via les regards. Voilà. Elle avait respiré. Elle pouvait à nouveau les regarder toutes les deux. Ou tous les quatre, bien que les deux autres étaient inutiles. Un bébé et un paysan… (soupir). Quoique, les deux femmes-animaux ne semblaient pas bien plus utiles.

« Vous parlez beaucoup toutes les deux. Soit vous êtes très nerveuses. Soit vous vous connaissez depuis longtemps. Les deux raisons pourraient coexister. Mais je pense que la solution penche davantage vers la seconde raison. Malgré la différence de couleur de cheveux, par exemple, vous avez des traits semblables. »

Elle jeta à nouveau un regard au bébé aux cheveux émeraude. Ca l’agaçait ce truc qui lui sortait de la bouche. Même si elle ne le voyait pas. Elle avait envie de l’arracher comme un cheveu rebelle. Ne pas le regarder. Oui, c’était ça. Ne plus le regarder équivalait à le faire disparaitre de son champ de vision. Et donc à le faire disparaitre de l’existence.

« Je suppose que votre pensée première pour la violence est liée à votre éducation. Vous avez du vivre dans des terres reculées où l’école n’était qu’une sorte de garderie avant de vite envoyer les enfants dans les champs ? Mais je suis curieuse. Ce n’est pas en plantant des légumes dans la terre qu’on en vient à apprendre à se battre. Est-ce que c’est parce que vous êtes deux filles qui devaient survivre dans un environnement très masculin qui vous a poussé à faire usage de vos petits poings ? »

Le serveur revenait. Même si Kazue n’était pas en accord avec le fait de pousser une gueulante, elle appréciait tout de même la pression qui s’en était ensuivi. Et donc le fait d’être servi avant d’autres. Preuve en était de cette autre table qui grognait d’avoir perdu en priorité. Ce qui fit sourire Kazue. C’était une forme de respect pour sa personne. Passer avant la plèble était tout à fait normal.

La dernière assiette se posait. Le serveur n’était pas encore reparti que Kazue, sans aucune pudeur pour les deux femmes-animaux leur demanda :

« Est-ce que par hasard vos caractères et comportements actuels seraient dû à vos règles ? Irascibilité. Tendances violentes. Est-ce que les gens dans vos campagnes vous ont appris à gérer ce sang et ces conséquences ? »

La technologie faisait des merveilles. Pilule. Scans réguliers. Médicaments et données faisaient des merveilles pour contrôler l’organisme de l’Idol. Oh, et elle ne comptait pas leur proposer quoi que ce soit. Seulement, si c’était vraiment les menstruations le problème, cela permettrait de les excuser. Pas tout. Mais en partie. Le serveur bredouilla qu’il allait repartir et qu’il faudrait l’appeler s’il manquait quelque chose et leur souhaite bon appétit et il repartit.

Kazue faisait sa difficile ! C'était ce que se disait Cirth en écoutant l'idol se plaindre que ce changement rôle ne signifiait pas grand-chose à ses yeux inexpressifs.

- Je n'ai pas parlé de faire la bagarre, riposta calmement la kitsune en dressant index spécial "madame-je-sais-tout". D'ailleurs, je n'ai pas non plus parlé de mes poings ! Mais je nous ferais perdre du temps à tout t'expliquer, Kazue. J'espère tout de même que je n'aurai pas à intervenir pour préserver notre sécurité...

- Essaye de ne pas faire flamber les méninges de nos futurs agresseurs, ronchonna Kerberath. Ils en ressortiraient deux fois plus stupides.

- Je contrôle parfaitement mes pouvoirs.

La Louve n'insista pas. En revanche, Kazue, elle, avait toujours un commentaire à faire sur tout ce qu'elle entendait. Et pour une fois, celui-ci partait plutôt bien ! Cirth était contente de l'entendre dire qu'elle ressemblait à sa sœur adoptive. C'était élogieux ! Même Kerberath le pensait - avec toutefois un gros doute vis-à-vis de la soudaine amabilité de l'idol.
Je hume une vacherie.
Kazue développa sa pensée. Son hypothèse était quelque peu insultante. Elle ne les considérait certes pas comme des sauvages. Plutôt comme des filles qui travaillaient la terre, à défaut d'avoir bien bossé à l'école.
Satanée petite garce pédante ! Tu ne saurais même pas lire une carte maritime et tu te permets de nous inventer une vie sur un ton supérieur ?
La Louve dut prendre sur elle-même. Elle fit le vide dans sa tête, desserra le poing et adressa un sourire guindé à cette espèce de...

- Tu n'y es pas du tout, se contenta-t-elle de répondre.

- Sur l'ile où nous avons grandi, il y avait des disciples de la Scriptomancie des deux sexes, précisa Cirth. Aucune majorité. Et j'étais la meilleure d'entre tous ! D'où ce voyage initiatique à l'intérieur des terres en compagnie de ma Sœur Liée~

Elle avait l'air fière, la petite fille à sa mamie chérie !

- Et moi, compléta posément la Louve, j'ai été choisie pour l'accompagner parce que...

Instant de réflexion.
Elle se moquerait de moi si je lui disais que sans la proximité de Cirth, j'aurai tôt fait de sombrer dans la folie.
Le serveur, toujours un peu intimidé, était revenu pour les servir.
De quoi expliquer et couvrir le léger blanc sonore méditatif de Kerberath.

- Mon sens de l'orientation est aussi affuté que le sont mes doigts par rapport aux travaux manuels.

Voilà ! Ça, c'était des arguments qui se voulaient convaincants.
Kerberath lorgna avec appétit le contenu de son assiette. Lorsque Kazue eut dans l'idée saugrenue de théoriser sur le traitement soit disant négligé de leurs règles, ses oreilles s'agitèrent violemment sur sa tête en même temps que celles de Cirth.
La Louve frappa vigoureusement du poing sur la table !
Le serveur, effrayé, fit un grand bond avant de s'éloigner prestement.

- Mais c'est pas bientôt fini, les questions indiscrètes ?! gueula l'okami avant de s'enfoncer furieusement dans sa chaise. Parler des règles à table, sérieusement... Elle est belle, la bienséance, chez les petites bourgeoises premières de la classe !

- C'est un peu gênant, marmonna la kitsune, le regard un peu fuyant.

Yvann ne cherchait plus à suivre la conversation : il mangeait, tout simplement. Pas de la façon la plus propre et élégante qui existe, certes, mais au moins il n'ouvrait pas la bouche pour parler de menstrues ! Cirth se concentra aussi sur son plat mais surtout parce qu'elle avait faim. Kerberath dévora le contenu de sa gamelle en fusillant du regard la malapprise. Elle commençait à se dire que l'idol n'était pas si différente de la monstruosité mécanique que ses traits enfantins dissimulaient soigneusement.

- Je suis curieuse, lâcha brusquement la Louve entre deux bouchées. En daignant t'écouter les prendre de haut, tes rares amies ne t'ont jamais dit que tu avais la langue d'un croque-mitaine ?

Cette fois-ci, Yvann, rentrant la tête dans les épaules, se fit tout petit.
A sa table, il y avait de l'eau dans le gaz...

Il y eut un blanc. Très court après que Kerberath ait lancé son attaque à propos d’un croque-mitaine.

« Personne ne m’a jamais dit ça. Car dans notre cité, les monstres ont été chassé. Et les petites filles n’ont plus le temps de croire à des chimères imaginaires. »

Oooh… Kazue Kazue Kazue… Ton sous-texte en dit bien plus long que tes mots. Kerberath a touché une corde sensible. Et toi, petite innocente de la campagne que tu es, déconnectée des réseaux et de ta vie : tu es soudainement si exposée. Si fragile. Si facilement blessable.

Il y a eu ce silence, d’abord. Court, certes. Mais synonyme que la pique avait touché. Puis il y a eu la mention de « personne » au lieu de dire « mes amies ». Et enfin la mention des chimères. Semblant dissimulée une attention excessive sur les études et les joies de la modernité a contrario de l’innocence enfantine et des histoires de l’imaginaire.

Kazue boudait maintenant son assiette. Le dos droit. Les bras croisés sur sa menue poitrine, son regard bleu électrique était dardée sur celui de Kerberath. Cette peste à oreilles d’animal l’énervait tellement ! Elle méritait une beigne sur le museau, d’être remis sous collier et enfermée dans sa cage ! Heureusement, elle n’en avait rien dit.

L’esprit est étrangement fait. Voilà que celui de Kazue se souvenait d’une intervention récente. Mais surtout d’un blanc un poil trop long, survenu à un moment trop bien rythmé par l’intervention du serveur. Kazue ne put s’empêcher d’avoir un petit sourire « première de la classe ». Donc arrogante. Donc prémisse d’une nouvelle vacherie.

« Je l’avoue, je ne sais pas ce qu’est une scriptomancienne. Si je devais deviner, je dirais que c’est une femme spécialisée dans l’écriture de programmes informatiques. Parce que je sais qu’on appelle ça des « scripts ». Mais au vu de votre vie rurale, ça ne peut pas être ça. Une question dont j’aimerais avoir la réponse parce que je n’aime pas ne pas savoir. Mais ce que je trouve intéressant, c’est la position de l’autre sœur. »

Elle laissa planer juste un instant de flottement. Yvann savait que Kazue allait lancer une nouvelle pique. Mais il était bien trop couard pour intervenir. Mieux valait gonfler ses joues de nourriture et baisser le regard. Ne surtout pas croiser les yeux d’une de ces féroces combattantes !

« D’après ce que j’ai vu et entendu, Cirth est du genre discrète. Comme une petite souris qui préférera trouver un trou plutôt que le chien qui aboiera en réaction. Qui plus est, elle est petite et menue. Elle n’a rien pour décourager de probables prédatrices. Donc, voilà qu’apparait la « Sœur Liée ». La sœur qui n’hésite pas à ouvrir sa gueule. Ou devrais-je dire aboyer ? Le chien trop stupide mais qu’on garde parce qu’il est loyal. C’est pour ça que tu l’accompagnes, n’est-ce pas ? Pour être les muscles qui complète sa tête à elle. »

Elle l’avait dit. Kazue avait réussi à évoquer cette image de l’animal qu’on domestique. Ce n’était certes pas à coup de collier et de cage. Mais ça revenait au même. Ca n’allait pas être une chienne victime en rut qui allait prendre l’ascendant tout de même ! A propos de ce sujet, d’ailleurs…

« Mais revenons-en à ma question initiale. Cette colère suite au sujet des règles : c’est parce que tu les subis et que tu n’arrives pas à contrôler les changements de ton corps ? Ou ce n’est pas le sang qui te monte à la tête mais simplement un caractère brouillon qui tend à la violence comme méthode de « communication » ? »

C’était le genre de questions qui n’avait pas de bonne réponse. Sur le moment, Kazue était particulièrement ravie de sa répartie. A nouveau, qu’avait-elle à perdre ? Elle était supérieure. Elle était civilisée. Elle n’avait rien à perdre si ce n’était du temps pour remplacer cette équipe, disons, insolite. Elle pouvait tout à fait monter à la confrontation !

Sauf que… Kerberath avait tapé dans le mille. Sans sa carrière d’Idol et ses excellentes notes quand elle était plongée en milieu scolaire… Kazue n’était rien. N’avait rien. Et surtout personne…