Hikari étouffa un bâillement derrière sa main. Elle tenait avec son autre main sa sacoche, et venait de sortir du lycée. Le soleil commençait à se coucher dehors, et la jeune femme, malgré toute sa motivation et tout son entrain, était fatiguée. La journée avait été bien chargée. Elle avait fini ses cours depuis deux heures, mais avait dû corriger des copies, suite à un contrôle de mathématiques. C’était la saison, et c’était fatigant. Hikari avait fini par prendre ses copies avec elle, et rentrait maintenant chez elle, afin de finir les corrections. Elle avait un appartement dans un autre quartier de la ville, et, malheureusement, n’avait pas encore de véhicule. Ce faisant, elle était condamnée, soit à marcher, soit à prendre les transports en commun. Fort heureusement, le lycée Jimmu était plutôt bien fourni, avec une station de tramway à côté et des arrêts de bus. Elle s’avançait donc le long de la rue, saluant de la tête quelques élèves qui la reconnaissaient.
Venant d’arriver depuis seulement quelques semaines à Yoake, Hikari n’avait qu’un rêve : en partir. Ce n’est pas qu’elle n’aimait pas les locaux, loin de là, mais elle savait que le lycée avait une triste réputation, et elle avait toujours voulu enseigner dans de prestigieuses écoles… Voire dans d’autres pays. Plus elle se renseignait, et plus elle se disait qu’elle ne ferait pas de vieux os à Yoake. La ville était une sorte d’impasse, et Jimmu avait une très mauvaise réputation au sein du rectorat. Hikari savait qu’elle avait été envoyée là parce que son directeur de thèse ne l’avait pas aimé. Une sorte de vengeance à retardement, vicieuse et perfide. Il lui avait offert sa thèse, mais avec un boulot pourri derrière. Hikari était surdiplômée pour cette profession, mais il fallait bien trouver un moyen de payer les factures. Elle avait besoin d’un salaire, non seulement pour elle, mais aussi pour continuer à financer les différentes associations caritatives où elle était inscrite. Elle donnait notamment beaucoup pour un fonds associatif visant à aider les victimes du séisme de 2011. Des millions de ses concitoyens s’étaient retrouvés sans rien, à la rue, et le scandale ne s’était pas limité qu’à l’usine atomique de Fukushima. Beaucoup de Japonais avaient été escroqués par leurs compagnies d’assurance, et plusieurs associations avaient été fondées afin de les aider, de les accueillir, de les héberger, et aussi de les soutenir dans leurs démarches judiciaires. Hikari participait à ces mouvements associatifs, tant d’un point de vue financier (elle avait ainsi fait de nombreuses donations au Central Community Chest of Japan), qu’humain. Sans être juriste, elle avait aidé certaines personnes à rentrer en contact avec des avocats, et à constituer des associations afin d’attaquer en justice les charognards et les escrocs refusant de débourser leurs sous.
*Mon salaire de prof’ dans ce lycée ne me permet pas de les aider comme je le voudrais…*
Hikari venait de rejoindre le tramway en surface. Il était relativement désert, et, dehors, il faisait désormais nuit. Son esprit était embrumé par de tels soucis. La jeune senseï voulait aider son prochain, aussi fort que possible, mais la tâche était difficile. Elle bâilla à nouveau, et secoua la tête.
*Parfois, je devrais juste me détendre… Un bain, et tout ira mieux…*
Pour l’heure, elle passait surtout son temps à corriger des copies, mais sa notation était parfois assez sévère. De plus, elle ne supportait pas les bavardages en cours, et, même si elle s’efforçait de se faire passer pour une professeur avenante et sympathique, le fait est qu’elle manquait de patience, et qu’elle ne supportait pas les gamineries habituelles des collèges et lycées. En fait, elle n’était pas à sa place dans ce lycée. Elle voulait aller ailleurs, enseigner plutôt à la fac’, là où elle pourrait vraiment parler de choses sérieuses, comme critiquer le gouvernement, évoquer la place du nucléaire, définir le rôle que le Japon doit jouer le 21ème siècle… Autant de choses dont elle ne pouvait pas vraiment parler dans un lycée, et qui la frustrait.
Elle sortit du tramway, et continua à marcher, ses talons claquant sur le trottoir. Elle bifurqua dans une rue assez silencieuse, déserte, sans être loin de se douter que sa soirée ne serait pas comme les autres.
Pas du tout.