The Multiversity

Cela faisait déjà quelques mois que Rini Koken suivait des cours au sein du Lycée Jinmu. Comme depuis sa plus tendre enfance, elle ne se faisait pas remarquer et ne se démarquait absolument pas de ses camarades, se fondant merveilleusement bien dans la masse d'étudiants. Certains figuraient parmi ses amis, d'autres n'étaient que de simples inconnus à ses yeux. Elle n'avait pas de véritable ennemi, dans cet établissement. Aucun de durable, du moins. La lycéenne savait très bien mettre les points sur les i, même avec les esprits les plus réfracteurs et les turbulents imbéciles. Elle n'utilisait la force qu'en cas d'ultime recours, et le "peu" qu'elle connaissait de la légitime défense s'expliquait par les états de service de son père et de sa mère. En ayant eu vent de ces informations, nul ne s'amusait à lui chercher des noises très longtemps - ni à son encontre ni à ceux qu'elle était amenée à protéger, au détour d'un couloir, face à d'infortunés voyous.
Mère a dit : "surtout, ma grande, évite les bagarres inutiles !"
Un premier conseil qui remontait à très loin - plusieurs bonnes années en arrière - mais qu'elle renouvelait sans cesse.
Rini avait toujours fait en sorte de ne jamais l'inquiéter. Sa mère était bien trop occupée ailleurs, hors des frontières du Japon. Elle ne tenait pas en place, et ses supérieurs hiérarchiques non plus d'ailleurs. Même si elle manquait à sa fille, cette dernière ne lui reprochait pas de vivre pleinement sa vie professionnelle. Si ce boulot lui plaisait à ce point, c'était tant mieux, non ?
Ceci dit, j'espère que le mien futur ne sera pas aussi chronophage.
Il lui arrivait de rêvasser pendant les cours. Comme à cet instant, oui. Rini s'installait toujours près des fenêtres pour, de temps à autres, jeter un coup d'œil en direction du ciel et des bâtiments lointains. Quand le cours était trop ennuyeux, ça faisait passer le temps... plus ou moins.
La sonnerie retentit. Le professeur donna ses ultimes consignes avant de souhaiter une bonne fin de journée à la mauvaise troupe. Les élèves empaquetèrent rapidement leurs affaires et disparurent, par paquets, dans les couloirs. Les discussions entre copains et copines allaient bon train. Certaines s'éloignaient déjà.
J'avais presque oublié que c'était le dernier cours de la journée.
Elle n'avait pas besoin de se presser. Sa journée n'était pas terminée. Il lui restait quelques choses à faire, dans ce club auquel elle s'était inscrite. Le lycée allait devoir se la coltiner encore un bon petit moment ! Au moins, ce n'était pas pour nettoyer les classes, cette fois-ci.
Aujourd'hui, pas de sport non plus. Ça ne devrait pas être trop épuisant.
Son sac balancé en travers de l'épaule, elle quitta la salle avec un bon train de retard. Pas besoin de préserver les apparences plus que nécessaire ; les plus curieux s'en étaient allés depuis plusieurs minutes. Bien qu'elle aimait son cher père et son garage, Rini n'avait pas spécialement envie de se précipiter pour retrouver la paire.
En réalité, je ne sais pas trop ce qui m'attend là-bas.
Au club, en l'occurrence. Rini ne répugnait pas à plonger son nez dans la paperasse. Ce n'était pas ce qu'elle appréciait le plus mais bon ! Le boulot n'était pas à la portée de tout le monde, et au moins n'était-il pas aussi chiant que certaines matières sur lesquelles elle n'éprouvait absolument aucun plaisir à se pencher.
C'est un peu comme tout : le plus compliqué, c'est d'se lancer.
Sur cette pensée neutre, elle accéléra modérément le pas.

Rini prit une grande inspiration avant de pousser la porte du Club des Justiciers. Un nom peu orthodoxe, dans un tel lycée ! Comme quoi les adultes n'étaient pas les seuls à devoir veiller sur les élèves ; c'était aussi à eux de prêter attention au bien-être de leurs nombreux camarades. Une sorte de police scolaire mais beaucoup moins intrusive que les autorités compétentes du dehors.
Mère n'a pas du tout été difficile à convaincre.
La Présidente du Club était présente. Son brassard la démarquait des autres. Sans compter sa proximité avec le référent : un homme plutôt bien bâti, et surtout professeur de sport à temps plein. Pas celui de Rini, certes, mais un enseignant tout de même ! La lycéenne n'allait pas tarder à comprendre qu'il avait bien choisi sa place, celui-là.
Tout le monde se tenait en rang devant le duo. Rini aussi, qui était arrivée juste à temps pour ne pas se faire remarquer...
Celle-ci se rendit compte qu'on avait poussé tables et les chaises au fond de la salle.
La raison fut divulguée par la charmante Présidente. Au programme : un entraînement bien fourni !
Pas de sport aujourd'hui ? Bien ! je retire ce que j'ai dit.
Les fatigués de leur journée avaient le droit de faire un pas en arrière et de s'occuper des requêtes.
Rini, en jetant un coup d'œil par-dessus son épaule, apprit que ceux-là n'étaient vraiment pas nombreux...
Mais suffisamment pour parvenir à bien s'occuper.
Après courte réflexion, la lycéenne se laissa tenter par les exercices. La paperasse pouvait attendre encore un peu ; elle n'allait pas s'envoler de sitôt.
Place aux échauffements, donc ! En s'accordant aux mouvements des autres, Rini ne risquait pas d'attirer l'attention sur elle. Ils passèrent dix minutes à se mettre en condition, étirant les zones sensibles avec parcimonie. Le professeur de sport remplissait bien son rôle, veillant à ce que personne n'en fasse trop ou se blesse stupidement. Rini ne demanda aucun conseil. Elle suivait le courant, tout simplement.
Une fois chose faite, la Présidente, avec un chaleureux sourire, déclina son identité à ceux qui ne la connaissaient pas déjà. Shehtra Gonas, surnommé l'Ange Gardienne.
Appréciable, songea Rini. Pas très pompeux comme pseudonyme.
Elle en avait entendu parlé. Rini ne se souvenait pas du ou des moment(s) exact(s). Sans doute au sein d'une discussion posée entre filles ?
En tout cas, la Présidente du Club espérait bien : son sens de la justice, Rini l'entretenait jour et nuit !
A plus forte raison la nuit tombée, oui.
Le sensei se présenta à son tour :

- Je m'appelle Hiroshige Edamura, référent du Club des Justiciers et professeur de sport à temps plein. Certains parmi vous me connaissent déjà sous le nom de "Pattes d'Ours". (Une lueur passa sur les verres de ses lunettes.) J'autorise naturellement les membres du Club à user de ce titre pour attirer mon attention, mais uniquement dans le cadre de nos activités. En cours, je ne veux aucun compromis : ce sera "Monsieur Edamura" pour tout le monde.

Ses élèves déglutirent ; ils n'avaient que trop connaissance de son sérieux. Un homme droit et fier ! Pas le genre qu'une racaille de bas étage puisse pousser à bout sans finir solidement écarté du groupe.
Rini appréciait ce type de profil - une sacrée figure d'autorité, à n'en pas douter !
Elle hocha la tête avant que survienne son tour de se présenter. L'attention de la présidente était braquée sur elle, très vite suivie par celle des autres membres du club.
Faisant claquer ses talons, "l'élue" se mit aussitôt au garde-à-vous et dit :

- Koken Rini, de la classe 1-C ! C'est un honneur de me tenir parmi vous aujourd'hui.

C'était un peu embarrassant. On en attendait pas tant, venant d'une nouvelle, non ?
Quoiqu'il en fût, elle ne put s'empêcher de continuer sur sa lancée :

- A vos côtés, j'espère bien affûter mon sens de la justice. Pour que tout le monde au sein de ce lycée puisse jouir pleinement de sa scolarité, je suis prête à me joindre à la bataille sur tous les plans !

- Ah ! Je savais bien que c'était toi, fit une petite voix souriante, dans son dos.

Surprise, Rini lui coula un regard par dessus son épaule.

- Hum ?... Oh, mais tu es... !

Une silhouette fine et musclée, des cheveux bruns en bataille avec une coupe un peu garçonne, un bandeau blanc sur le front...
Impossible de se méprendre sur son identité !
La concernée, avec un sourire de vainqueur, leva haut la main et annonça fièrement :

- Hibari Konya, de la classe 1-B ! Ravie de faire partie des vôtres~

Effectivement, Rini la connaissait déjà.
Elle l'avait rencontrée, naguère, dans un club de sport.
Etait-ce un problème ?
Si Konya ignorait que Rini n'était pas une simple humaine, elle était malgré tout au courant pour ses compétences martiales.
Rini espérait qu'elle n'en dirait pas trop d'un coup...

Les présentations allaient bon train ! Les nouvelles têtes étaient plutôt nombreuses au sein de ce club. Konya et Rini ne risquaient pas de se sentir seules. Ces dernières n'eurent pas l'occasion d'échanger au sujet de leurs retrouvailles. Le référent surveillait les rangs, et les bavardages n'étaient logiquement pas tolérés pendant que les autres déclinaient leur identité à voix haute.

- Hé hé ! Je sens qu'on va super bien s'amuser, cette année, pas vrai ?~

- Oui, sans doute... mais nous ferions mieux de rester concentrées.

- Tu n'as pas changé depuis l'enfance : toujours aussi sérieuse dans tout ce que tu entreprends !

- Je prends ça pour un compliment.

- Et tu fais bien ! affirma Konya en lui décochant un clin d'œil énergique.

Pattes d'ours n'eut pas à les rabrouer pour qu'elles la mettent en veilleuse ; la Présidente avait repris son speech au bon moment. Elle mentionnait les valeurs mises en avant par son club ainsi que le programme du jour. Soit de l'autodéfense - le grand classique !
Quelques petites piqures de rappel, hein ? Et pourquoi pas ? Ça faisait longtemps.
Elle appréciait l'idée tout autant que sa voisine au bandeau blanc.
Ni l'une ni l'autre ne furent surprises par le ton employé par l'Ange Gardienne ! Konya affichait un grand sourire tandis que Rini se contentait d'observer, ses mains croisées dans le bas du dos.
Un rugissement digne d'un sergent instructeur ! On croirait presque entendre Père gueuler sur une de ses machines.
Même si Rini n'avait jamais fait l'armée, elle ne paraissait aucunement dépaysée. A contrario des autres nouveaux qui tremblaient comme des feuilles.
Il se pourrait bien qu'il y aie de futurs désistements dans les rangs.
Mais elle préférait ne pas trop s'avancer.
Ce cri avait fait figure de test. Certains l'avaient passé haut la main, d'autres non. Personne ne s'en réjouissait - en tout cas, pas ouvertement.
Ça viendra avec le temps et les exercices. La peur ne s'efface jamais vraiment de l'inconscient humain ; elle se camoufle, tout au plus.
Aux côtés du géant référent, Shehtra Gonas émit de nouvelles instructions. Former des duos. Echanger des coups de pieds et de poings avec son camarade pour que l'autre puisse chercher à les dévier, et inversement. Le but n'étant pas de finir avec des élèves tout cabossés, bien entendu !
Konya toucha aussitôt l'épaule de Rini.

- Je ne laisserai personne d'autre te monopoliser avant moi, Rini Koken ! dit-elle en dressant sa garde, un poing plus bas que son comparse.

- Pour sûr que je n'allais pas y réchapper, sourit la concernée.

Avant d'échanger le moindre coup, elles se saluèrent comme au dojo.

- JE frappe la première~

Elle aussi n'avait pas changé, constata Rini.


La Présidente s'était trouvée une partenaire. Une troisième année, en l'occurrence ! Chizuru Asa avait été choisie, pour le meilleur comme pour le pire. Elle déglutit aussi discrètement que possible. Parce qu'elle connaissait l'Ange Gardienne, et qu'elle l'avait déjà vue remettre un peu d'ordre dans le lycée.
Autant de souvenirs qui ne la réconfortaient pas beaucoup, en cet instant fatidique.

- Entendu !

Même si l'idol n'était pas une combattante aguerrie, elle n'était pas du genre à se dégonfler face à l'adversité ! Pour sourire, elle n'avait pas non plus besoin de se forcer. Elle dressa donc sa garde, prête à se comporter en parfaite sparring partner.
Sauf que Shehtra n'avait pas menti en disant qu'elle n'y irait pas de main-forte : son rythme devint très vite ingérable pour la pauvre idol, qui peinait franchement à se dépatouiller.

- M-moins vite, Shehtra-chan ! Moiiinsss viiiiite, s'iiil te plaiiiiit !

Lorsque dévier les attaques ne lui parut plus possible, Chizuru se contenta de leur faire barrage avec ses avant-bras derrière lesquels elle avait replié son visage de séduisante jeune fille. Tout en supportant les chocs, l'idol faisait la grimace.
A-au secours, professeur ! Shehtra va me réduire en miettes !
Un appel à l'aide qu'elle n'était même pas en mesure de formuler à voix haute.

Le référent du club n'avait aucun besoin d'élever la voix. Le simple fait de le voir circuler entre les rangs, avec sa grande silhouette, rendait les participants nerveux. Ces derniers travaillaient du mieux qu'ils pouvaient, les épaules légèrement arrondies sous le poids de son regard d'aigle.
Konya et Rini se trouvaient dans le lot, mais aucune des deux n'éprouvaient de la crainte à l'égard de l'imposant Edamura Hiroshige. Elles étaient concentrées sur leurs échanges. La karatéka multipliaient les coups de poings et de pieds avec une rigueur digne d'une athlète. Elle s'était améliorée après toutes ces années, oui. Mais sa partenaire n'en démordait pas non plus : sa défense, pour le moins fiable et solide, réduisait à néant ses remarquables efforts.

- Tu me donnes toujours l'impression de frapper dans du béton, Rini ! siffla Konya. Ils sortent d'où, toutes ces petits muscles saillants ?

- De la salle, répliqua posément la concernée. Je pourrai t'y inviter, à l'occasion : j'ai souscrit à un abonnement premium !

- C'est pas un peu trop onéreux pour ce que c'est ?

- Non, je ne trouve pas.

Rini bloqua un vif coup de pied fouetté, repoussa la jambe et modifia la position de ses mains en conséquence.

- Père récompense bien ceux qui bossent efficacement de leurs mains.

- Tu dis ça parce que tu es sa fille chérie ! gloussa Konya.

C'était de l'intimidation - loin d'être bien méchante. Peut-être que la karatéka espérait, avec ses réflexions quelque peu déplacées, déstabiliser son adversaire ? Cette stratégie ne fonctionnait pas : Rini était, de par son attitude, aussi calme que l'eau d'une rivière. Les attaques de la jeune femme au bandeau glissaient autour de sa défense de fer.

- Si c'est là le fond de ta pensée... (Elle dévia un coup de poing en revers.) ...non seulement je vais t'inviter à t'entraîner à la salle avec moi... (Elle fléchit sur ses jambes et baissa la tête afin d'éviter un retour.) ...mais en plus de ça, tu passeras quelques heures avec nous, au garage.

Konya s'arrêta.

- Et je serai rémunérée ?

Rini hocha la tête.

- Mais tu vas devoir garder ta langue. Ce n'est pas le genre d'offre que je proposerais à n'importe qui. Il serait contreproductif que ça en vienne à s'ébruiter.

- Très bien ! fit Konya en lui tendant le poing. Va pour tes deux invitations, alors~

Tout sourires, Rini fit de même, entrechoquant son poing avec le sien.

- Contente de te retrouver.

- A qui le dis-tu !

Pattes d'Ours s'était arrêté à leur niveau. Les bras croisés sur sa poitrine de gorille, il simula une toux.

- Pardon, pardon ! On s'y remet tout de suite. (Elle regarda Rini.) On accélère ?

Sa camarade, une lueur de défi dans le regard, eut un petit sourire de connivence.

- C'est bien à moi que tu demandes l'autorisation ?

La machine se relança aussitôt.


Pendant ce temps-là, le supplice de Chizuru Asa se poursuivait. Shehtra mettait ses défenses à rude épreuve ! L'Ange Gardienne n'entrainait pas que ses bras - que l'idol avait l'impression de sentir se briser un peu plus à chaque seconde - : elle renforçait aussi son mental avec de douloureuses prévisions pour l'avenir. La troisième année, qui avait cessé de geindre, grimaçait.
Collection d'hématomes garantie ! Les autres vont me prendre pour une fille battue. Et mes parents, en les voyant ? Ils s'imagineront qu'on me brutalise à l'école !
Pas question d'aller moins vite ou moins fort - oh que non ! La présidente était dure mais juste, elle le savait. Ce traitement infernal, Chizuru devait l'endurer... non sans se promettre de faire très vite, la prochaine fois, pour se trouver une partenaire d'entraînement moins virulent.
Je suis ouverte au progrès, mais je n'ai aucune envie de mourir jeune et pimpante !
Si Chizuru ne parlait plus, elle respirait fort. Si fort que cela finit par mettre la puce à l'oreille à Shehtra. Son offensive perdit de son mordant pour tomber au point mort. Comme les bras tremblants de l'idol, oui. Elle eut, en revanche, un mal de chien à desserrer ses petits poings. Le sang circulait toujours, là-dedans ? Ou bien s'était-il retrouvé bloqué dans ses phalanges ainsi que dans ses bleus en formation ?
Se collant un sourire éclatant sur le visage, elle prit une grande respiration et dit :

- Merci pour la leçon, Présidente !

Pour ajouter juste derrière, avec une bouille plus éblouissante encore :

- Puis-je faire un petit tour à l'infirmerie ? Ce serait pour y récupérer de la glace. En quantité. Ah-ha !

Bon dieu qu'elle avait mal ! Des fourmis lui courraient partout dans les bras. Une sensation détestable, pour elle qui n'était pas une grande amie des insectes.

- J'en prendrai une pleine brouette. Au cas où les autres aussi en auraient besoin, oui. Et j'essaierai de trouver des boissons en chemin, tiens ! Ça marche ? J'aimerais que les nouveaux se sentent comme chez eux, dans le Club.

Aaaaah, ça ! pour marchander, Chizuru ne manquait pas de souffle...

Ce baiser entre les deux jeunes lycéennes n'était pas passé totalement inaperçu. Chizuru, légèrement embarrassée par de telles familiarités au sein de leur club, s'était gardée de le faire remarquer à la Présidente qui, elle le savait, agissait très souvent avant de réfléchir aux conséquences.
J'espère que les autres ne vont pas trop jazzer sur nous.
Bon, ce n'était pas comme si elles avaient forniqué au milieu de tout ce beau monde mais tout de même !
En tant qu'idol, Chizuru ne passait pas inaperçue. Mais en tant que lycéenne, elle tenait à avoir l'air aussi disponible que pure. Le meilleur moyen de vendre du rêve, c'était d'invoquer cette illusion et de l'entretenir le plus longtemps possible.
Si je me montre souriante et serviable avec les autres, ils auront vite fait fait d'oublier ce qu'ils ont vu.
Dans un sens, l'interaction de Shehtra Gonas avait renforcé sa détermination. L'idol devait absolument se montrer à la hauteur !
Conservant contenance, elle tourna sereinement les talons et s'en alla remplir sa mission.


- Ah-ha ! Touchée !

Alors que Rini faisait la grimace, Konya exultait. Oui, elle l'avait atteint d'un joli coup de pied fouetté entre les cottes. Mais non : ce n'était pas tout à fait grâce au fruit de son entrainement. A vrai dire, sa camarade s'était laissée distraire par la Présidente et la troisième année avec qui elle semblait bien proche.

- Aïe, gémit Rini avant de lui lancer en guise de représailles : Tu jubiles ? Profites-en bien parce que ce n'est pas près de se reproduire !

- Oh ? Dois-je comprendre que mon ancienne partenaire de tatami me lance un défi ?~

- Ouais ! Et j'espère bien qu'elle n'essaiera pas de se défiler.

Konya lui adressa un sourire de forcenée.

- Tu veux peut-être qu'on intervertisse les rôles ?

Rini sourit à son tour.

- Tout dépend de ta capacité à appréhender le danger, championne.

Konya, les poings sur les hanches, éclata d'un rire sonore.

- Pour qui me prends-tu, Rini ? (Toujours souriante, elle se remit immédiatement en garde.) Abandonne les grands mots et balance-moi plutôt tout ce que t'as !

Elle ne se le fit pas dire deux fois ! Sa concurrente prit un malin plaisir à tester ses défenses, feintant de temps en temps pour rendre l'exercice autrement plus ardu. Konya dévia bon nombre de ses attaques tout en en encaissant d'autres. Rini Koken veillait bien entendu à ne pas la blesser ; ses coups étaient parfaitement bien dosés.

- Génial, Rini ! haletait la karatéka. C'est vraiment... rafraîchissant de t'affronter !

- Economise ton souffle où tu risques vite d'en manquer.

En circulant dans les rangs, la Présidente donnait de la voix. Pattes d'Ours, telle une ombre imposante, l'accompagnait sans avoir besoin d'élever la sienne.
Cette ambiance rigoureusement sportive commence à me plaire. Il se pourrait bien que ce club réponde à bon nombre de mes attentes.
La troisième année avait refait son apparition. Physiquement, elle ne payait pas de mine et pourtant la voici déjà de retour avec un charriot encombré de glacières, elles-mêmes chargées en sacs de glaçons avec en prime différentes boissons énergisantes.
L'idol du club n'avait pas fait les choses à moitié.
Tout en regardant Konya, Rini lui indiqua le charriot d'un signe de tête.

- On se ressource et je te mets la pâtée de ta vie ?

- Oh-oh ! (Avec un petit sourire chafouin, elle agita un index à son attention.) Rini, Rini, Rini... je vais finir par croire que tu me fais des avances !

- Au risque de te décevoir, permets moi de te dire que tu te fais des idées, répliqua la première année. Bien que je te laisse tout à fait le droit de t'imaginer des choses. Apparemment, dans ce lycée, les élèves ont vite tendance à se rapprocher plus que de raison.

- Tu veux dire que les bons vivants pullulent, dans le coin ! (Konya ricana.) C'est justement ce qui fait le charme de cet établissement.

- Je respecte ton point de vue, mon amie.

Elles s'accordèrent un moment pour s'hydrater avant de caler leur pseudo rivalité sur les nouvelles consignes émises par la Présidente.
Konya bougeait bien ! Au départ, pas un assaut de Rini ne l'effleura. Ce qui ne rida point cette dernière car, justement, elle n'en attendait pas moins venant de la karatéka. Après avoir pris soin d'analyser les mouvements de sa camarade, la brune offensive modifia sa posture en conséquence, amorçant de nouvelles attaques. Konya en évita certaines grâce à son jeu de jambes et au balancement millimétré de ses hanches. En revanche, une bonne partie des percussions et notamment des coups de pieds de Rini firent mouche, ébranlant les défenses de la karatéka.

- Cette souplesse et cette force... dieu que ce satané mariage m'avait manqué !

- Voilà qu'on se met à blasphémer, championne ? (Elle gloussa.) J'en ai encore sous la pédale, si tu n'en as pas encore eu assez.

- Qu'attends-tu, petite cachotière ? Fais-moi voir !

L'échange se poursuivit dans le langage des poings. Chizuru, comme une poignée d'autres curieux qui en avaient eu assez, observaient la scène tout en distribuant quelques encouragements. S'il n'y avait aucun pari de lancé, ce spectacle semblait beaucoup leur plaire ! Derrière ses verres, le régent y jetait fréquemment un coup d'œil. Au-delà de son air très sérieux, Edamura Hiroshige restait avant tout un homme. Et il n'était guère vieux. Deux jeunes femmes énergiques et bien dessinées qui se mettaient ainsi en valeur éveillaient naturellement des choses en lui. Une affection qu'il était tout à fait en mesure de garder pour lui. Comme il n'était pas quelqu'un de très loquace, sa secrète admiration n'était pas frappante.

Chizuru Asa faisait naturellement partie des "culs posés", et plus précisément de ceux ayant les yeux braqués sur les deux forces de la nature qui s'échangeaient des frappes vertigineuses. Un spectacle à couper le souffle ! A un tel point que le référent lui-même s'était immobilisé pour les regarder faire.
J'espère qu'elles resteront dans le club plus d'une année.
Ils avaient besoin de gens coriaces et persévérants. Ces lycéennes paraissaient redoutables. Elles possédaient vraisemblablement une expérience martiale que peu de leurs camarades pouvaient se targuer d'avoir.
La présidente annonça la fin de l'exercice, et avec elle le début de la prise en charge des "blessés".
C'est l'heure de te mettre en valeur, super Chizuru !
L'idol comptait bel et bien se charger de la distribution des glaçons, des boissons pour ceux qui ne s'étaient pas encore jetés dessus et de trouver de la place pour ceux qui voudraient éventuellement s'asseoir au calme. Dans un RPG, elle aurait sans doute fait figure de soutien de l'équipe, pour ne pas dire de prêtresse ou de cuisinière.
Rini Koken et Hibari Konya, par respect pour la donneuse d'ordres, avaient cessé tout mouvement.

- C'était plutôt cool, pour un échauffement, s'exclama la karatéka, peut-être un brin condescendante.

- Personnellement, je n'avais pas du tout prévu de me donner autant, avoua la sino-américaine, de toute évidence plus modeste.

Shehtra Gonas les avait toutes les deux dans le collimateur. La présidente du Club des Justicières s'était approchée d'elles pour leur proposer un combat d'exhibition en deux contre un.
Konya échangea un regard circonspect avec son actuelle partenaire.

- La présidente en personne souhaite tester nos forces, on dirait. Comme ça : dès le premier jour !

- Et pourquoi pas ? sourit Rini en faisant rouler les articulations de ses épaules l'une après l'autre. Non seulement tu n'es pas prête de lui dire "non", mais en plus de ça je te sais euphorique à l'idée de voir de quoi elle est capable.

Avant de se remettre en garde, la fille au bandeau gloussa.

- Tu sais quoi ? Avec toi, ça ne me gêne pas du tout d'avoir l'air aussi transparente.

Rini se positionna à côté d'elle et l'imita.

- Tant mieux ! J'aurais eu du mal à m'empêcher de voir clair dans ton jeu.

Konya pouffa de rire.

- A l'attaque !

La jambe en l'air, elle fut la première à se jeter sur l'Ange Gardienne ! Une attaque directe, suivant une trajectoire rectiligne, pouvant être esquivée avec un déplacement latéral. Rini lui accorda quelques secondes d'avance avant de se lancer à son tour ! Pour elle, point de coup de pied fulgurant ; juste des percussions destinées à focaliser l'attention de la présidente sur ses phalanges. Une diversion dont jouirait Konya pour s'élancer à nouveau dans l'espoir de faucher les appuis de leur adversaire désignée.

Leur premier assaut ne porta guère ses fruits. Shehtra Gonas maîtrisait son sujet à la perfection, évitant de se faire toucher par le tandem qui pourtant se donnait fougueusement. La Présidente bougeait vite. Trop vite pour ses adversaires qui frappaient en simultanée. Elle déviait, parait ou esquivait sans relâche, allant même jusqu'à trouver l'occasion de les féliciter quant à leur jeu d'équipe.

- Elle me glisse entre les doigts comme une anguille ! se plaignit Konya.

- Ne te déconcentre pas en comparaisons inutiles, la réprimanda Rini, sa garde toujours dressée. Ici, il ne s'agit ni de perdre ni de gagner.

- T'as raison ! On est reparties~

Une nouvelle fois la distance fut brisée. Kronya leva la jambe bien haut. Trop haut, peut-être ? Shehtra la prit de court en enroulant un bras autour de sa cheville avant de balayer son seul appui restant. Puis, du plat de la main, elle la frappa à la poitrine, lui coupant le souffle.

- Keuf-keuf !

La karatéka grimaça. Elle passa un certain moment à retrouver son souffle, et un autre à se redresser. Entre-temps, Rini Koken s'interposa entre le prétendument mur infranchissable et sa camarade en voie de rétablissement. La bagarreuse ne craignait pas l'adversité - qu'elle fusse puissante ou non ! Elle ne se posait pas ce genre de question quand l'affrontement était inévitable.

- Je suis prête à tout.

Ou presque. La métahumaine n'envisageait aucunement d'avoir recours à ses pouvoirs. Ni le froid mordant ni le feu dévorant de ses poings ne devaient transparaître au grand jour. Pareille démonstration de ses capacités signifierait l'abandon pur et simple de sa scolarité. Une défaite sur tous les plans ! Une inestimable perte à long terme. Une sombre et regrettable déchéance l'attendait au bout de ce piètre chemin.
C'est pourquoi Rini Koken, dès son plus jeune âge, avait appris à se contrôler, à maîtriser ses pulsions.
Faisant le vide dans son esprit, elle souffla doucement par la bouche et... attaqua ! Tout alla très vite. Beaucoup plus vite que tout à l'heure, lorsqu'elle avait pris la décision d'aligner sa vitesse sur celle de Kronya dans l'espoir de perturber leur adversaire. Une explosivité qui, en premier lieu, la fit se mouvoir à moins d'un pas de la Présidente ; son pied droit claqua contre le sol au moment où son coude du même hémisphère lui fonça dessus avec l'allonge d'une lance !

Elle l'avait manquée ? Dans un pareil moment ?
Rini n'en croyait pas son sens du toucher.
Le vide ? Etait-ce vraiment ce que son coude avait rencontré ?
Là, je suis sidérée.
Soudain, la voix de la Présidente retentit dans son dos.
"Pas mal" ? La bagarreuse ne pouvait pas se contenter d'une appréciation aussi mitigée !
Elle grogna en sentant une jambe élancée lui fouetter le dos. Puis ce fut au tour de ses appuis d'être fauchés. Un enchaînement incompréhensible, qui sous-entendait une exécution à grande vitesse. Là encore, la lycéenne avait du mal à y croire. Pourtant, cet uppercut qui la cueillit entre les omoplates n'était que trop réel. Au point de la faire basculer sur les genoux et de restreindre sa respiration déjà bien rauque.
Merde... mon corps refuse de bouger !
Konya vint à la rescousse. Son avalanche de coups de poings ne fit point plier le barrage quasi mystique des mains mouvantes de Shehtra Gonas. Celle-ci trouva même le moyen de refermer ses doigts fins autour des poignets de la karatéka, avortant son enchaînement, pour ensuite la faire tourner sur un tour avant de la balancer sur son alliée.

- A-attention ! fit Konya en battant urgemment des bras.

Rini voulut la rattraper mais, malheureusement, ses bras lourds mirent trop de temps à se soulever. Du coup, elles se cognèrent l'une contre l'autre - front contre front ! Un choc qui arracha un grimace à l'assistance, dont Chizuru Asa qui n'avait rien manqué de tout ça.

- Aïe... deux bosses pour le prix d'une ! La glace ne sera pas de trop.

Tout en se frottant vigoureusement la tête, Konya poussa un gémissement de bête acculée. Sur le cul, Rini Koken ferma un œil, une main collée à son front. La migraine n'allait pas tarder à poindre, elle le savait. Serrant les mâchoires, elle poussa sur ses jambes avec la ferme intention de se redresser. Son amie l'attrapa par le poignet. Leurs regards se croisèrent...
La karatéka ourla un maigre sourire.

- Tu... tu ne comptes pas y aller seule, j'espère ?

- Je n'ai pas dit mon dernier mot, souffla Rini en l'aidant à se relever.

- Alors moi non plus, fit Konya avec une assurance renouvelée.

Sous les yeux des membres du club, elles se remirent en garde. Quelque chose avait changé dans leurs regards. Une flamme vivifiée. Une lueur combative, silencieuse mais féroce, qu'elles partageaient comme un seul être.
Les bras croisés sur sa large poitrine, le référent Hiroshige Edamura ne fit rien pour les arrêter. Ce à quoi il assistait le faisait vibrer intérieurement. Deux combattantes qui se complétaient aussi bien n'était pas chose courante dans le lycée. Malgré la supériorité écrasante de la Présidente, il tenait à en voir davantage.
Konya et Rini n'eurent guère besoin de se donner le mot pour s'avancer en même temps. Poings fermés, elles fondirent sur Shehtra... avant de se télescoper au tout dernier moment et d'initier un enchaînement en duo particulièrement imprévisible. Lorsque la Présidente les menaçait d'une contre-attaque ciblée, l'une passait devant l'autre pour l'intercepter. Un roulement des plus fluide s'ensuivait, permettant à celle qui l'avait échappé belle de reprendre une offensive millimétrée. Elles intervertissaient les rôles à un rythme affolant de sorte à empêcher leur adversaire, aussi forte fusse-t-elle, d'anticiper leurs actions.
Pieds, poings, coudes et genoux vrombissaient au contact de l'air !
Ainsi synchronisées, les filles faisaient montre d'une solidarité onirique.

Après avoir encaissé quelques attaques du duo, Shehtra Gonas attendit une double ouverture pour leur renvoyer l'ascenseur ! Un coup de poing ascendant pour Konya et un low kick pour Rini. La première manqua s'écrouler en retombant sur ses talons - qui s'était décrochés du sol, oui ! - tandis que la seconde eut vite fait de ressentir une gêne en travers de sa jambe. Prendre de la distance ne leur avait pas rendu service, bien au contraire ; la présidente usa alors de son style bien à elle, les ramenant toutes les deux à la douloureuse réalité.
Renversée sur le ventre, Konya, un poing dans le dos et les joues gonflées, s'efforçait de contrôler sa toux. Rini Koken, quant à elle, demeurait accroupie, ses jambes fléchies comme paralysées par les frappes essuyées.
Quelle force ! Cette fille est en béton, ou quoi ?
Les apparences, comme celle de cette mince lycéenne, sont parfois trompeuses...
Elles eurent droit à des applaudissements. D'abord de la part de leur adversaire, puis en provenance de l'assistance.
Ayant reçu l'autorisation d'intervenir, Chizuru Asa hocha la tête et, de gros glaçons à la main enveloppés dans du tissu froid, se mit à hauteur des perdantes.

- Vous vous êtes données à fond ! C'était très plaisant à voir. Mais vous devez savoir que Gonas-san est un cas à part. Vous l'avez vue bouger, vous ? Moi, j'ai franchement eu beaucoup de mal à la suivre ! J'avais presque l'impression de voir flou. Je ne sais absolument pas comment vous faites. J'aurais tendance à penser qu'elle est un cyborg, ou une bête de course dans le genre.

Et encore, se dit-elle, vous ne l'avez pas vue faire dans un contexte plus intime.
Tout en l'écoutant, Rini se colla son glaçon sur le tibia. L'idol prêtait surtout assistance à Konya, profitant de sa position allongée pour la masser entre les épaules. La karatéka avait appliqué son petit bloc de glace sous son menton douloureux.

- Qu'est-ce que c'est froid ! grelota-t-elle.

- Le contraire m'aurait surprise, soupira Rini avec un maigre sourire.

- C'est ça ! Profites-en pour me descendre plus bas que terre.

Mais son amie d'enfance n'avait pas pour habitude de se comporter de cette façon.

- Tu t'es bien battue, Konya. Ton style n'a certes pas beaucoup changé avec le temps mais tes progrès n'en sont pas moins notables.

- Tu me joues cette chanson parce que je suis parvenue à te suivre ?

- Non, pas du tout. C'est ensemble que nous sommes parvenues à ce résultat ; seules, la présidente nous l'aurait mis minable.

- Là, j'veux bien te croire...

Sous l'effet du massage que lui prodiguait de Chizuru, sa voix avait doucement commencé à s'éteindre.

- Ah, oui, juste ici... Bon sang ! ce que ça fait du bien. Tu as vraiment des doigts de fée, Asa-senpai.

- Une de mes rares qualités, sourit l'intéressée.

- Ne sois pas trop modeste.

Rini décida de les laisser faire plus ample connaissance. Le dos tourné à ses deux camarades, elle assista tranquillement à la fin de l'entraînement avant de se joindre aux applaudissements. La Présidente invita les fiers membres de son Club à rester sur leurs gardes et à, entre autres, se tenir prêts à une éventuelle réunion d'urgence ; les harceleurs pouvant frapper à n'importe quel moment.
Je suis bien placée pour le savoir.
Elle attendit le dernier moment pour rejoindre les vestiaires, laissant même Konya et Chizuru disparaître à leur tour. Elle estima que cela serait plus facile de discuter avec la présidente sans l'intervention de son énergique partenaire de combat. Rini s'approcha alors, s'installant sur un banc qui se trouvait non loin.

- Gonas-senpai, j'aimerais te poser quelques questions si cela ne te dérange pas ?

Elle espérait bien que non ! Rini avait perdu l'habitude de demander des conseils ; depuis quelques temps déjà, elle passait plus de temps à les prodiguer qu'autre chose.

- D'où te viens cette expérience du combat ? Tes mouvements sont atypiques et ton style, assez particulier - mais force est de constater qu'ils sont efficaces. Cela fait longtemps que je n'ai pas croisé une combattante aussi douée que toi. J'aimerais donc savoir à qui nous avons vraiment eu affaire, Konya et moi, tout à l'heure.

A qui ou à quoi ?
En tant que métahumaine, Rini était tout à fait en droit de se poser la question ! Elle préférait toutefois la formuler avec respect. Shehtra Gonas n'était pas un monstre : elle était civilisée et se montrait même protectrice envers les plus faibles. Difficile de la considérer d'un œil mauvais ! Attitude qui ne faisait aucunement partie des principes martiaux que la plus jeune lycéenne des deux avait assimilés depuis sa plus tendre enfance.

Une dizaine d'années de vie passées à échanger des coups ? Rini n'était pas loin du compte, mais probablement pas autant que la présidente ! L'écart entre leurs forces en disait long. Cela dit, il y avait quand même peut-être autre chose...
D'une certaine manière, elle m'expose ses forces et ses faiblesses. L'avantage d'être douée au combat, et les problèmes que ça peut lui poser dans la vie de tous les jours. Ce qui a tendance à témoigner de son humanité. Pourtant, j'ai comme l'impression qu'elle ne me dit pas tout.
Rini hocha lentement la tête.
Oui : elle comprenait bien pourquoi Chizuru, malgré ses aptitudes limitées au contact, faisait partie de l'équipe. Les intervenantes comme elles se comportaient en médiatrice afin d'éteindre les incendies de moindre ampleur. Et lorsque ces derniers gagnaient en ardeur, les justicières comme Shehtra Gonas faisaient parler les poings.
Un langage primitif, peut-être, mais indéniablement universel.
La lycéenne jugea inutile de chercher à tirer les vers du nez de la présidente. Elle lui avait dit ce qu'elle voulait dire, certainement, et Rini, malgré ses doutes, allait s'en contenter. Parce qu'elle aussi ne tenait pas à devenir trop transparente aux yeux des autres.
Tout le monde à ses petits secrets. Moi, je les préfère bien gardés.
Nouveau dodelinement de la tête.

- Je vois. Ce n'était pas facile tous les jours, hein ?

Question purement rhétorique.
En retour, la présidente y alla de ses suppositions la concernant.
Et son hypothèse était loin d'être mauvaise.

- Tout au long de mon enfance, ma mère m'a inscrite à beaucoup de clubs. Elle tenait à ce que je sache me défendre par mes propres moyens et que je me... diversifie.

Dans un sens, elle s'était comportée comme un majordome. En plus d'être aimante, bien évidemment ! Un peu autoritaire par moments, peut-être, mais toujours pour son bien. A l'image de son paternel. Une force de la nature, celui-là ! Un modèle d'endurance. Certes pas une armoire à glace, mais un homme de valeur - très manuel, doué de ses dix doigts.
Auprès de ces deux-là, Rini avait décidément hérité de beaucoup de petites choses positives.
Dont son sens aigu de la Justice !

- Comment sont tes parents, Gonas-senpai ? Si, bien sûr, ce n'est pas trop indiscret de ma part... Je comprendrais que tu ne veuilles pas en parler.

La question méritait d'être posée. En plus, naturellement, d'être la première à lui avoir traversé l'esprit.
Entre-temps, la prude jeune femme songea vaguement à se changer. Sauf qu'elle avait conservé son uniforme d'écolière tout le long de l'entrainement. Exactement comme Konya, oui. Bon ! elle pouvait toujours opter pour une tenue de rechange mais...
A quoi bon ? Je me changerai à la maison, de toute manière. Par ailleurs, j'ai beau avoir sué dans l'effort, je ne sens pas si fort que ça.
Elle se retint de lever le bras et de se renifler l'aisselle comme un primate.
...Je crois ?
Une vraie justicière se devait d'avoir du style, non ?