The Multiversity

On se rassembla tous pour voir le spectacle épouvantable qui allait se produire, ou plutôt, la suite d’un cauchemar qui s’était dévoilé au grand jour aussi soudainement et brutalement qu’une averse dans cette contrée aride et dénuée de clémence.

Rusting City, qui n’avait de cité que de nom et qui était plus un village caché sous l’ombre d’un canyon, avait depuis longtemps été une communauté relativement paisible dans un monde impitoyable et sans cœur. Isolée de toutes ressources et ayant échappé aux cercles d’influence des nombreux pilleurs et seigneurs de la guerre de par son manque de trait stratégique ou de ressources autre que ses citoyens, elle avait fini par devenir une sorte de cité de pèlerins, accueillant un grand nombre de rôdeurs et de religieux qui cherchaient l’inspiration divine le plus loin possible des conflits sanglants entre esclavagistes et autres bandes.

Au fil du temps, une petite chapelle avait été bâtie, sponsorisée par un groupe notoire de nonnes guerrières qui veillaient à ce que la Voix de Dieu atteigne tous les horizons de ces terres infidèles. Un prieur très apprécié de la communauté, du nom de Gus, avait pris l’honneur et la responsabilité d’être le prêtre de la ville, apportant son soutien spirituel à tous ceux qui visitaient sa chapelle.

Puis vint les jours sombres. Père Gus, avide confesseur, avait commencé à inviter avec plus de fougue et d’insistance ses fidèles à confesser leurs péchés dans l’intimité de leur confessoire, si bien qu’il commença à négliger ses autres tâches pour s’adonner entièrement à l’écoute. Certains fidèles, gênés, avaient murmuré leur tracas quand le moine avait insisté sur les détails les plus intimes, certains ayant même l’impression de l’entendre mastiquer au fil des paroles. Le doyen du village avait parlé de la pratique de mangeur de péchés, ces ascètes qui semblaient consommer les péchés des autres pour les porter en eux. Chez Gus, cela semblait être littéral.

Et enfin, cette matinée fatidique. Le shérif de la cité avait constaté, ainsi que plusieurs familles, la disparition de tous les fidèles de leurs demeures et autres lieux de repos. Des traces de pas multiples menaient vers la chapelle. Une sorte de froideur malsaine émanait de l’édifice, et on entendait des bruits étranges qui faisaient frissonner les plus braves. Quand le shérif ressorti de la chapelle, il était pâle comme un cadavre et tremblait de peur. La vision d’horreur qui l’avait accueilli restera à jamais gravée dans la mémoire de Rusting City. Le confessoire avait éclaté sous la masse de Gus, désormais devenu une énorme caricature grotesque d’humain, obèse comme pas possible et recouvert de sang. Le prêtre avait gagné une masse si imposante qu’il ne parvenait même plus à se mouvoir, mais il continuait de mâcher, de mastiquer bruyamment ... de dévorer les monceaux de cadavres de ses fidèles, venant engloutir des membres entiers dans une bouche aussi vaste que celle d’un ogre. Sur les murs de la chapelle, des sceaux et runes dessinées avec le sang des victimes couvraient les lieux, donnant le vertige à ceux qui les regardaient trop longuement.

La milice s’était réunie, formant un cercle autour de la chapelle pour interdire les curieux d’approcher le lieu dessacré. On préparait des torches et de l’essence pour mettre le feu à cette maison du mal, et son résident cannibale qui continuait à glousser en barbotant dans le sang de ses victimes, incapable de ramper, content de ronger les os entre ses dents jaunis.

Le shérif, qui s’entretenait avec un de ses hommes, s’apprêtait à donner l’ordre d’évacuer les lieux, car une foule de curieux s’était rassemblée. C’est alors qu’il vit approcher une étrangère dont la tenue chassa toute animosité de son visage.

“Ma Soeur.” salua le moustachu en penchant son chapeau de côté.

Rustworld. Un monde mort, punit par Dieu, pour punir l’humanité qui n’avait fait que plonger dans les vices, la corruption et le pécher. Mais dans sa miséricorde, il l’avait épargné, repoussant la fin des temps, une dernière chance de racheter l’humanité. Et il avait envoyé des bergers, pour guider les brebis égaré et en peine. Mais finis la gentillesse. Plus de compromis. C’était là, la raison d’être de Soeur Repentia et des saintes. Parcourir le monde pour rependre la bonne parole… et délivrer du plomb dans la tête des mécréants, qui ne font que répéter les mêmes erreurs. D’aucun dirait que c’était stupide, Dieu n’existait pas ou les avait abandonné, qu’il y avait plus d’espoir.

Mais c’était sans compter les miracles comme Rusting City. Une ville sainte, vierge de tous les vices qui déchire le monde. Un retour aux sources, loin des conflits, loin des seigneurs de guerre, pillards et autre. Un lieu de sérénité et de calme. C’était pour ce genre de miracle, que Repentia était capable de poursuivre. Ça et son fanatisme. Son ordre y avait beaucoup contribué, assistant la création de la ville et de la chapelle.

Elle revenait d’une longue chasse d’une ordure qui faisait dans la chasse aux femmes, ordure qu’elle avait fini par trainer sur quelque kilomètre, attaché à sa moto. Elle était à la recherche de calme, de sérénité. Et Rusting City était le lieu parfait. Elle se dirigeait vers la chapelle, marchant à côté de sa moto, remontant l’allée principale à pied. Elle voulait voir le père Gus, pour bénéficier du gîte et du couvert. Un homme bon, pieu et généreux. Un bon partenaire pour de longue discussion aussi, un homme de culture, rare en ce monde. Elle s’imaginait déjà parler de longue heure avec lui. Mais à mesure qu’elle remontait, elle vit de plus en plus la foule près de la chapelle.

C’était courant ici, de longue messe ne pouvant accueillirent tout le monde. Mais elle le sentie d’ici, son instinct le lui disait, elle le sentait. Un drame avait lieu. Elle gara sa moto non-loin, et mue par son instinct, garda ses pistolets et son canon-scié. Elle traversa la foule, qui était en émoi, brandissant des torches. A mesure qu’on la remarqua, la foula s’écarta, dressant une haie. Elle arriva devant la milice et leur chef, qui la saluèrent respectueusement, alors qu’elle nota la présence de bidon, denrée précieuse. Quel est donc le drame qui justifie de telle perte !

"-Ma sœur."
-Que se passe-t-il George ? Pourquoi vouloir brûler la chapelle ? Le père…

La simple mine déconfite du sheriff lui suffit. Ça et les bruits sanglant et horrible sortant de l’église. Sans échanger de mot, elle traversa le cordon de sécurité, prenant son canon scié en main. Elle avait vécu des horreurs, vue des sacrilèges et des personnes horribles. Mais ça… cette débauche de sang, recouvrant les murs de signes ésotérique inspirant l’horreur, tracé à la main et avec du sang encore frais pour certain, Repentia n’en n’avait jamais vue. Elle vacilla, et se rattrapa de tomber, une main filant vers sa croix, puisant dans sa Foi pour tenir.

Elle se remit d’aplomb et avança vers la véritable horreur. Cette amas de chair boursouflé et vivante, couvert de sang frai et dégoulinant, avalant des morceaux de chair d’un… bras ?

-Quiconque profane la maison de dieu, sera punit par ses mains gardiennes. Clama Sœur Repentia, avançant à grand pas, pointant la masse de son arme.

La chose se tourna vers elle et leur regard se croisèrent. Repentia se stoppa choqué. Un décela un regard de honte et d’effroi, avant de s’effacer, pour devenir fou et avide.

-Père… Gus ?

La chose brailla de sa bouche énorme, un mélange de crie et de rôt, projetant des gerbes de sang de sa bouche disproportionné. Il agita son bras, essayant vainement d’attraper Repentia. Il parvint l’exploit de se renverser, tombant à la renverse dans un bruit sourd, au pied de Repentia, toujours en cherchant à l’attraper. Repentia recula, horrifié. Comment ? Comment lui, un homme pieu et généreux, avait pu finir ainsi ? Et tous ces signes ésotériques ! Ce n’était pas un coup de folie, ni un coup de sang, elle le sentait. Un mal sévicé ses lieux. Un mal terrible. Elle pointa son canon scié dans la direction de la tête du Père Gus, faisant un signe de croix et récita une courte prière avant de s’adresser à lui.

-Père Gus, si vous m’entendez, si il reste une part de l’homme bon et juste que vous étiez, répondez moi ! Je vous offre là, votre seule chance de vous repentir. Qu’avez-vous fait ? Et pourquoi ? Pourquoi ce massacre des gens qui étaient sous votre aile ?

Elle serait fort la croix à son cou, priant que l’homme qu’elle avait connue n’était pas complétement perdu et puise lui parler et avoir un soupçon de remord.

L’homme de foi, devenu une sordide caricature de gourmandise et d’horreur, se prosterne involontairement aux pieds de Repentia. Plus que par honte ou par adoration, c’est sa propre maladresse morbide qui le fait chavirer sur son ventre gonflé à l’éclat, incapable de faire bouger sa masse surnaturelle. Des bruits dégoutants de digestion liquide résonnaient dans les entrailles saturées du cannibale, qui semblait contenir péniblement le contenu de son estomac entre ses dents jaunis de sang et de bouts de chair odorante.

Comment avait-il pu dévorer des humains entiers en une nuit ? Quel maléfice était derrière cette métamorphose grotesque et impie ? L’air ambiant était froid, très froid, si bien que Repentia pouvait sentir sa peau frissonner et des buées d’air se former au fil de sa respiration, chose quasiment introuvable dans une matinée brûlante au cœur des Badlands. Si elle attardait ses yeux sur les inscriptions énigmatiques tachetant les murs, elle sentirait la nausée lui étreindre le coeur et sa tête virevolter. Tout ici était une insulte à son culte, un blasphème abject, une moquerie ouverte de sa foi.

Gus releva la tête, semblant soudain concentrer une partie éparse de sa conscience envers celle qui tenait une arme mortelle en face de son visage crasseux de sang coagulé. Il hoqueta, semblant essayer de formuler des paroles, mais seul un grondement peiné et douloureux résonna à travers sa gorge boursoufflée. Il ferait presque peine à voir, s’il n’était pas aussi repoussant, aussi ... néfaste.

Des larmes commencèrent à couler le long de ses joues obèses. Des larmes noires, visqueuses et épaisses comme de l’encre, ou un ichor surement nocif. Des soubresauts parcoururent le corps du monstre et, lentement, il se cacha le visage derrière ses mains rouges. Le père pleurait, gémissant, laissant tomber son infâme festin comme pour cacher sa honte aux yeux de la sœur qui le jugeait.

“ ... péchés ... je dois ... écouter ... confessions ...”

Le glouton obscène se recroquevilla dans sa propre masse, formant une pitoyable boule de chair et de robe salie et déchirée. Gus colla son visage à même le sol, enfouissant son nez et évitant le regard de celle dont il avait apprécié la compagnie. Sa voix, ou peut-être la vue de sa croix et le son de sa prière, avait peut-être réussi à rallumer une part de son humanité derrière le masque cauchemardesque qu’il était devenu.

“ ... péchés ... les manger ... libérer les cœurs ... de leurs tourments ... porter leurs fardeaux ...”

Ses soubresauts s’arrêtèrent un moment, puis reprirent, de manière plus rythmique, plus ... hystérique. Les pleurs et gémissements s’étaient tus dans son immobilité avant qu’ils ne se transforment en un glaçant ricanement mêlé de gargouillements humides. La voix plaintive du moine se changea en un grognement bestial, animal. Gus releva la tête, et son visage avait perdu son expression humaine, claquant machinalement des dents devant Repentia tout en tendant ses mains vers elle pour l’étreindre.

“Viens confesser tes péchés à Papa Gus, mon enfant. Donne-lui tout ton fardeau, tu seras libérée. Papa Gus portera toute ta noirceur en lui. Et ensuite ...”

Le cannibale toussa bruyamment, projetant des filets de bave rouge qui s’étalèrent sur le fusil scié de la Sainte et manquèrent d’entacher ses vêtements. Ne s’empressant pas d’essuyer son menton baveux, il traîna des yeux paresseux et inexpressifs à travers la grande salle de communion, puis pointa un doigt tremblant vers le confessoire. Brisé par le poids du prêtre corrompu, la boîte de bois n’était plus qu’un amas de morceaux brisés et de kyrielle d’éclats, mais cloué à l’une des planches se trouvait un bout de papier jauni. Une adresse avait été griffonnée dessus avec un crayon. Un lieu de rendez-vous, semblait-il, qui invitait tous les fidèles les plus dédiées à dieu à “exercer l’Acte de manger les péchés des affligés” puis de se rejoindre dans ce point afin de bannir les souffrances du monde hors de cette terre maudite.

L’écriture était particulièrement élégante malgré la qualité du papier, et l’encre semblait de qualité, contrastant avec tout ce scénario barbare. Un sceau, presque imperceptible, formait une sorte de signature sur le bas du papier. Repentia avait l’impression d’avoir déjà vu ce signe quelque part en particulier, mais peut-être devrait-elle s’entretenir avec un expert. On racontait qu’un savant vivait dans la périphérie de Rusting City. Peut-être saurât-il l’aider à déchiffrer cette énigme.

Gus essaya de ramper sur sa panse, laissant une traînée rouge-noire telle une immonde limace. Il cherchait à quitter les lieux, à rejoindre cette place mystère. À son rythme, il ne quittera pas la chapelle avant d’éclater sous le soleil ...

Le temps passant, la résilience de Sœur Repentia fut mise à l’épreuve, devant l’horreur, le blasphème et la manifestation évidente de surnaturelle. Elle le sentait en elle, aussi bien que le froid qui mordait sa chaire, un froid qui n’avait pas lieu d’exister. Aussi bien l’odeur de mort qui agressait son nez et aussi bien la déchéance d’un homme bon et juste, frappant ses yeux. Es le diable, qui ici, déchaine sa malveillance et sa cruauté, se demanda intérieurement Repentia, alors qu’elle parvenait, non sans peine, à ne pas trembler sous le froid et l’horreur. Sa foi la guidait, Dieu l’avait guidé. Si elle était ici en cet instant, c’était en son nom pour punir le mal ! Elle se concentra sur Gus, ne regardant pas les inscriptions blasphématrices, chaque chose en son temps.

Elle regarda cette caricature d’humain, attendant sa réponse avant d’abattre sa sentence. Cette chose émit plusieurs borborygme, impossible à différencier entre ses paroles et les remous de son corps gonflé. Puis des larmes, des larmes noirs, qui firent reculer Repentia. Elle aurait tiré, si Gus n’avait pas commencé à cacher sa figure derrière ses mains, cachant ses larmes et ses éttouffant ses gémissants plaintif et maladif. Mais c’était là, la preuve qu’elle voulait. Il n’était pas complétement partie, une part de lui-même, la flamme de son humanité avait ressurgie des ténèbres d’où il s’était plongé !

Il parla difficilement, luttant pour délivrer son message, peut être son dernier acte de bonté. Mais ce n’était que succins et éttoufé, obligeant Repentia à se rapprocher à nouveau. Et c’était abscons. Manger les péchés des fidèles venant se confesser ? Les libérer de leur tourment et porter leurs fardeaux ? Voulait-t-il dire, qu’il voulait devenir leur martyr ? Mais comment cela avait il put dégénérer en ce carnage. On devait prier, se confesser et faire de bonne action pour se faire pardonner ! D’où venait cette idée ? Qui ?

Et alors que Repentia se posait plein de question, comme tout flamme, l’humanité du Père Gus s’éteignit, et la bête ressurgie, redevenant ce monstre hideux dévoreur de chaire. Des larmes et gémissement, il passa au rire et au soubresaut. Son regard n’avait plus rien d’humain. Il claqua des dents et tendis à nouveau ses bras, comme cherchant à l’attraper. Il était devenu terrifiant, une bête immonde. Ce fut si soudain, que Repentia en resta paralysé, respirant difficilement un court instant. Cela permit à la chose de parler, sans doute la même phrase qu’à chaque personne qu’il avait dû dévorer, avant de tendre un doigt vers l’amas de débris qu’était devenue le confessoire.

Repentia hésite, et jeta un coup d’œil. Un papier ? Elle contourna la masse de chair informe, le pointant toujours de son arme, avant d’attraper le papier. Un soubresaut du Père Gus ? Il y avait une adresse. Ce n’était pas loin d’ici ! Le responsable devait être derrière et de ce qu’elle comprit du message, le Père Gus n’était pas le seul invité visiblement. Combien d’horreurs et d’atrocités avaient été commise ? Elle se retourna, regarda la pathétique tentative du monstre dévoreur de chaire de partir. Il allait là-bas ? Non. Il y avait une autre route pour lui.

-Seigneur, accueil en ton sein, le Père Gus. Il fut un homme bon et juste, un homme de culture et un homme de foi. Mais la folie des hommes, l’a conduit à se perdre dans sa foi. Dieu miséricordieux, puisse tu pardonner le Père Gus dans l’au-delà, et lui accorder une place auprès de toi, lui qui fut un homme généreux et pieux, toujours là pour aider son prochain. Amen.

BLOOM

Son canon scié fuma, alors que la tête du défunt Père Gus fut réduite en pulpe sanglante. Elle l’avait rejoint à mesure qu’elle entonna ses paroles. Elle trembla, manquant de lâcher son arme. Cette dernière rejoignit son holster, dans son dos, avant qu’elle ne se dirige vers l’autel, où trôner une grand-croix, les deux profaner. Ça ne pouvait pas être le Père Gus qui avait fait tout ça. Pas tout seul. Elle contempla l’étendu de l’horreur, venant la frapper. Elle avait tenue grâce à sa foi en l’humanité du Père Gus, mais maintenant… partout où elle regarde, l’horreur était là, la profanation, le blasphème, la marque du diable. Son cœur battait, sa tête tournait. Elle manqua de vomir, mais tomba à genoux à la place.

Serrant fort sa croix, la jointure de ses doigts devenu blanche, elle récita ses prières. Elle se réfugia dans sa foi. Fermant les yeux à l’horreur pour ouvrir son esprit à Dieu. La froideur des lieux lui mordait toujours la chaire, en son sein, une chaleur se manifesta, l’apaisant. Elle ouvrit les yeux après quelque minute, les feux de la vengeance dans le regard. Elle savait ce qu’elle devait faire et ce qu’elle allait faire. Elle traversa l’église d’un sur et décidé, ne se laissant pas atteindre par la malfaisance des lieux.

En sortant, elle vit que la foule était toujours là, les miliciens tendus et attendant la suite.

-Brulez tout. Dit elle tout haut, avant de prendre à part le Shérif. Quelqu’un a amené le mal, et a fait de Père Gus sa victime, avant de s’en prendre à d’autre. Faite moi un rapport des allées et venues, de tout ce qui s’est passé ces derniers jours. Le moindre détail peut être utile.

Ainsi fait, elle s’éloigna, les habitants se mettant à prier, alors que les premières flammes attaquaient la bâtisse. Elle regarda à nouveau le papier, et ce concentra sur la signature. Elle lui rappelait quelque chose, en même temps que cela ne lui disait rien. Et comme une réponse, une pensée lui rappela que dans le village, vivait un homme ayant la réputation d'être un expert en calligraphique et graphologie. Elle demanda l’adresse à un badaud, avant de s’y diriger.

C’était sa première piste pour porter le pardon par le plomb à ce fils de Satan responsable de tout cela.

Dans une des bourgades poussiéreuses de la ville endeuillée, l'atelier de l'occultiste se niche à l'écart, à l'ombre d'un vieux chêne tortueux, un des rares arbres qui vivaient encore grâce aux soins des habitants. La bâtisse, une chimère de métal rouillé aux murs défraichis, arborait une enseigne usée par le temps et les éléments : "L’antre du Tarot". Même à l’extérieur, on pouvait ressentir une atmosphère de mystère émanant de la porte de bois vermoulu, où d’étranges gris-gris pendaient et se balançaient au rythme du vent.

Les murs étaient tapissés de vieux parchemins de papyrus, leurs pages jaunies s'entrelaçant avec des cartes célestes et des symboles mystérieux et complexes peints à la main. Une grande table en plastique, recouverte de divers ingrédients alchimiques, occupait le centre de la pièce, faisant office de comptoir de fortune. Derrière, bocaux d’animaux séchés, cristaux scintillants et potions aux contenus douteux étaient ordonnés sur les étagères d’une armoire poussiéreuse. Des bougies aux teintes variées, dont la lumière vacillante projetait des ombres dansantes, finissaient par compléter le décor ésotérique de l’atelier de l’occultiste.

Attiré par le bruit des gris-gris claquetant comme une cloche à l’entrée de Repentia, le propriétaire fit son apparition en poussant un rideau de peau de bête séchée qui menait vers une autre chambre. L’occultiste transpirait l’austérité, un vieil individu au visage ridé et à la peau basanée. Hormis ses vêtements sombres et délavés, il semblait ordinaire et ne se différentiait pas des autres citoyens de Rusting City, si ce n’est les nombreux anneaux de pierres et de métaux qui ornaient chacun de ses doigts maigres et parcheminés. Ses yeux étaient épuisés mais perçants, comme s’il pouvait sonder les âmes par un simple regard. L’occultiste s’appuyait sur une canne inscrite de runes cabalistiques dont le sens devait lui échapper à lui-aussi, mais ça faisait une belle antiquité en main et elle soutenait son poids.

Son nom était Alivert, et il ne cacha pas sa surprise quand il vit que sa visiteuse était une religieuse, armée qui plus est.

“Bonjour, bonjour. Bienvenue dans l’Antre du Tarot, ma sœur. Voilà fort longtemps qu’une Sainte ne m’a pas honoré de sa présence dans mon modeste établissement. Pas depuis que j’étais novice auprès d’un exorciste, Walter. Paix à son âme.”

Pour appuyer ses mots, il se signa, et son geste semblait sincère, malgré tous les artefacts ésotériques et les fétiches occultes qui parsemaient la pièce.

“J’ai eu vent, d’une de mes clientes, de ce qui s’est passé à la chapelle ... Gus était un brave et honnête homme. Sa disparition nous affecte tous.”

Croisant les mains sous sa ceinture avec attention, il attendit que la nonne de guerre lui fasse son récit, hochant avec gravité sa tête à mesure qu’elle lui décrivait la scène cauchemardesque de l’horrifique destin du moine. Le frêle Alivert se serra dans ses propres mains, comme parcourut par un frisson glacé, à la mention des glyphes qui avaient parsemé l’intérieur de la chapelle.

“Cela me rappelle de biens sordides souvenirs. Votre récit ressemble trait pour trait à l’œuvre d’un serviteur du Malin. Je ne peux déterminer en revanche de quelle nature ou type, vu que la chapelle a été mise à feu. Tant mieux, en un sens, car on ne sait jamais quel maléfice peut corrompre votre âme si on essaie de déchiffrer ces écrits maudits.”

Quand elle lui présenta le bout de papier jauni qu’elle avait récupéré dans le confessoire, Alibert plissa des yeux et extirpa une paire de lunettes anciennes recollées à l’aide de divers nœuds et adhésifs qu’il posa sur son nez avant de consulter avec attention le parchemin.

“Troublant. Très troublant. Ce papier mentionne une pratique très, très ancienne, celle qui date d’un temps où notre monde n’était pas cette terre ravagée et radioactive. Selon les anciens récits, il existait des gens qui rôdaient à travers les terres avec pénitence jusqu’à ce que leur chemin les guide vers la famille d’un individu récemment décédé. L’ascète est invité alors à consommer un maigre repas au chevet du défunt, dans la croyance qu’il mangeait aussi ses péchés pour le libérer des tourments de l’Au-delà et les garder en lui. Des sortes de martyrs vivants, exclus, à la fois parias et mystifiés.”

Se grattant le crâne avec insistance, l’occultiste semblait de plus en plus dérangé par sa lecture, jetant des regards nerveux vers la combattante religieuse comme pour partager son ressentiment silencieux.

“Je n’ai jamais vu ça ailleurs. Je plonge le bout des doigts dans la communication avec les esprits, les artefacts anciens et la cosmologie, mais ça ... cela relève de quelque chose de plus sombre, plus ... malsain. Cependant, vous êtes chanceuse ma sœur, car j’ai un ami ici présent qui peut nous éclaircir dans ce domaine.”

D’un geste lent de la main, il invita Repentia à le suivre à travers les pans du rideau, qu’il repoussa pour qu’ils pénètrent dans l’intérieur de sa demeure, derrière le comptoir. Comme la plupart des demeures locales de la ville, c’était un méli-mélo de pièces de différents matériaux cloués et soudés les uns avec les autres en un patchwork de couleurs sobres, couvertes ici et là par des sachets de plastique quand un trou venait ronger l’intérieur. Passant une citerne rouillée qui servait de couloir, ils abordèrent alors une chambre circulaire soutenue par des poutres. La pièce était sombre, éclairée par la faible lueur d’une lampe à huile accrochée au-dessus de la tête d’un autre individu qui, les jambes croisées, était installé sur une paillasse épaisse et semblait inspecter une sorte de doigt osseux et parcheminé, un membre momifié à l’ongle noir disproportionné.

“Ma soeur, je vous présente Iahhel. Un savant qui a travaillé par le passé avec notre ordre et a été très précieux. Iahhel s’est récemment installé chez moi sous ma requête pour classifier une récente acquisition. Il est ... très éduqué en matière de démonologie.”

Le personnage assis ne se retourna pas quand il les entendit entrer, agitant simplement sa main derrière son épaule.

“La soeur peut entrer, mais tu transportes encore de l’énergie négative sur ta peau, Alibert. Tu sais que ce traitement est délicat.”

“Oh ... oui, effectivement, je n’y ai pas pensé. Je laisse notre bonne soeur Repentia en ta compagnie, confrère.”

L’occultiste refermant la portière derrière lui, la sainte se retrouva donc isolée avec le mystérieux savant. Les gens des wastelands avaient pour habitude d’être ... rarement hygiéniques, le manque d’eau, la chaleur et le simple fait de survivre dans un environnement désolé rendant les apparences esthétiques assez hétéroclites et brutes. C’était donc surprenant de voir que l’ami d’Alivert était relativement bien entretenu. Ses vêtements, une chemise ocre couverte par un gilet ouvert en cuir, l’oeil attentif pouvait distinguer bien des détails intéressants, comme la fraîcheur de sa peau, ses ongles parfaitement sculptés, ou encore ses cheveux fluides et dépourvus de débris ou de poussière.

“Tu veux du café ? J’ai une gorgée restante. Je ne sais pas si tu as déjà goûté à ça, du café. Une boisson assez forte, qui était absolument prisée par les anciens de ce monde. Hm ?”

Tout en avançant, Repentia ne cessait de penser à tous ce qu’elle avait. Il ne fallait pas être un génie pour comprendre que le mal était à l’œuvre. L’ennuie était de le comprendre, de le dévoiler. Beaucoup trop de connaissant ont été perdu, l’humanité était faible. Une cabale, des satanistes ? Des œuvres impies, qui ne pouvaient être issue des connaissances d’un monde détruit comme celui-ci. Quelque chose rodait dans l’ombre, Repentia le sentait. Le froid surnaturelle imprégnait encore la surface de sa peau, mais se dissipait rapidement.

En approchant la bâtisse qu’elle cherchait, elle sentit émanant d’elle une aura mystique. C’était bien la bonne adresse. Ça et les multiples breloques laissés au vent. Repentia se sentait mal à l’aise. Après ce qu’elle avait vécu, et si quelqu’un comme le Père Gus avait été atteint, elle devait faire preuve d’une grande prudence. Elle récita une prière, se tint prête à dégainer et entra. Le lieu était insolite, la définition même de l’étrange et du bizarre. Repentia avança d’un pas ferme et résolue vers le comptoir, le visage grave, contenant son mal être, les lieux lui inspirant les mêmes impressions que dans la chapelle, regardant partout essayant de voir une quelconque menace qui sortait du lot. Si le propriétaire voulait impressionner ses visiteurs et les mettre mal à l’aise, c’était une réussite. Ne restait qu’à voir si il était fiable et pas une menace.

Il apparue rapidement, sortant de sa chambre. L’homme avait atteint un âge, et bien que sa mine était austère, il ne transpirait pas la vilénie. Il avait tout d’un occulte, mais au moins il avait l’air d’être digne de confiance et de connaître son sujet. Mais pour autant, Repentia ne relâcha pas sa garde. Il pouvait tout aussi bien être une menace, qu’un charlatan abusant des plus crédules. Cependant, elle n’en laissa rien transparaître, il était sa seule piste.

Et elle changea d’avis, et lui accorda d’avantage de crédit, quand il se présenta. Non pas qu’elle connaissait Walter, mais elle avait le souvenir de ce prénom d’une des discussions avec le père Gus. Elle se détendit et se relâcha, mais pas trop non plus.

“J’ai eu vent, d’une de mes clientes, de ce qui s’est passé à la chapelle ... Gus était un brave et honnête homme. Sa disparition nous affecte tous.”
-C’était un saint. Ceux qui ont fait ça, sont une menace pour toute la ville. Il faut les arrêter.

Repentia fit tout le récit de la scène horrifique. Elle se contenta de décrire les symboles oralement, ne faisant ni geste ni dessin, refusant de leur donner forme physique, la crainte du malin et du mal lui conseillant de ne pas le faire. Surtout ici. Il lui confirma ce qu’elle redoutait déjà et étant en accord avec sa décision de brûler le lieu, ce qui renforçait la confiance qu’elle lui accordait. Et elle lui tendit le bout de papier mystérieux, avec la même expression que si elle lui donnait une immondice qu’elle préfèrerait bruler et pas fâché de ne plus l’avoir en possession.

Et Repentia fut très attentive à tout ce qu’il lui expliqua. Ainsi une vielle pratique religieuse, empreint de mysticisme à ses yeux, avait été détourné. Les péchés étaient un mal de l’âme, comment manger auprès d’un mort, dont l’âme déjà partie, pourrait l’absoudre de ses péchés ? Et pourquoi le père Gus aurait pratiqué quelque chose d’aussi abscons avec des vivants ? Et pourquoi aurait-il finit par manger directement les pécheurs ? C’était les preuves de l’agissement du malin ! Aucun être saint d’esprit n’aurait pu agir ainsi, une âme pieuse comme le père Gus n’aurait jamais fait ça ! Est qu’il luttait contre un mal ? Est qu’il n’était qu’une marionnette brisé ? Est que c’était vraiment le père Gus ?

Il lui semblait sentir à nouveau ce froid surnaturelle, alors qu’elle frissonnait en réfléchissant à tout ceci. Son interlocuteur l’invita à rejoindre une connaissance, et Repentia ne se fit pas prier, tout en reprenant le papier. Elle n’accorda aucune attention aux pièces et aux murs, se concentrant uniquement sur sa foi pour gérer le mal être en elle. L’échange entre les deux hommes l’intrigua, mais ne fit aucun commentaire, elle aurait le temps de se renseigner plus tard. Ce qu’elle nota d’avantage, c’était l’aspect de son nouvel interlocuteur. Il était propre sur lui. Trop propre. Même elle, une nonne, une servante de Dieu, n’était pas aussi bien lotit. Elle ne le prit pas en grippe, mais clairement, elle était d’avantage méfiant. Son instinct lui disait de se méfier. Aussi déclina-t-elle sa proposition.

-Merci, mais je préfère me contenter d’eau. Entrons dans le vif du sujet. Enchaina Repentia, en lui tendant le bout de papier. Je veux savoir à quoi on a à faire exactement. Père Gus était une bonne âme et un homme bon. Il était cultivé et très réfléchit. Comment un homme de sa trempe à pus ressortir de vielle croyance et chercher à manger les péchés des vivants et non des morts ? Dit-elle sur un ton, dont la douleur de sa perte pouvait légèrement se faire sentir. Je veux connaître quel genre de démon pourrait faire ça ou au nom de quel démon des gens ont pu faire ça ! J’ai une adresse qui indique un lieu de rendez-vous, aussi je suppose qu’une secte est derrière ça pour le meilleur des cas. Que pouvez-vous me dire ?

Repentia avait parlé avec calme, mais on pouvait sentir qu’elle avait soif de justice et d’apporter la punition sur les impies. Son regard était inquisiteur, ne souffrant d’aucun refus, ni de doute.