The Multiversity

Starr Industries était une grosse compagnie, une multinationale créée par Karen Starr peu de temps après son arrivée sur ce monde. Elle avait utilisé son talent, ainsi que le savoir-faire kryptonien de son monde d’origine, pour concevoir cette compagnie. S’appuyant sur le modèle des keiretsu, Starr Industries était la société principale d’un consortium de sociétés, géré par la Fondation Starr. Si le siège central de toutes ces installations était à Starr Island, une île privée rachetée par Karen Starr, elle disposait aussi de succursales un peu partout, notamment à New York. Starr Labs disposait ainsi d’une antenne aux États-Unis. C’était une entreprise de recherche, travaillant étroitement avec l’armée et sous-traitant du matériel de haute technologie pour le SHIELD. Starr Labs était donc une solide compagnie, et, quand Tobias Ellison était venu demander de l’aide, sa demande était remontée jusqu’à Karen.

Proche du SHIELD et des officiels américains, Tobias Ellison était aussi un homme d’affaires peu scrupuleux, travaillant la Roxxon Energy Corporation. Anciennement dénommée Roxxon Oil Company, la Roxxon était une compagnie pétrochimique disposant de plateformes pétrolières, de puits de pétrole, et sans scrupule. Elle travaillait étroitement avec les juntes militaires et les cartels sudaméricains pour entretenir certaines usines pétrochimiques dans des pays dangereux et instables comme le Vénézuéla, et disposait également d’usines et de pipelines au Moyen-Orient. Ellison était l’un des cadres supérieurs de la Roxxon, mais était depuis quelques temps poursuivi par un étrange magicien. Il était convaincu qu’un sorcier cherchait à le tuer, et avait rapporté toute une série d’incidents. Tout cela avait rappelé à Karen un ancien ennemi de feu son père, un mauvais génie originaire d’une autre dimension, la Cinquième Dimension. Un lutin au nom imprononçable capable de déformer la réalité, un diable qui vous obéissait si vous arriviez à l’amener à prononcer son nom. L’un des plus redoutables ennemis de Superman, à la moralité ambivalente.

Se pouvait-il que Mr. Mxyzptlk traque cet homme ? Power Girl voyait aussi là-dedans un certain intérêt, car elle savait que le SHIELD enquêtait sur la Roxxon, notamment sur ses liens avec certaines autorités surnaturelles, comme le Prince Malekith. Power Girl aurait pu proposer à Helena de suivre Ellison, mais elle savait d’avance que celle-ci n’aurait pas été enjouée à l’idée de protéger une crapule. Karen s’en était donc chargée elle-même, et avait appris qu’Ellison avait une réunion importante avec des actionnaires de la Roxxon pour évoquer un incident technique survenu dans une plate-forme pétrolifère en Mer du Nord.

Karen surplombait donc la ville, quand l’attaque eut lieu.

*En piste !*

Elle repéra rapidement Ellison, avec une tâche de peinture en plein milieu du corps, et remonta la piste. Elle repéra ainsi un tireur d’élite sur un toit, et se rapprocha alors. Elle savait que Mr. Mxyzptlk pouvait changer de forme, mais il avait opté pour… Une surprenante apparence. En la voyant, Karen fronça les sourcils, et, avant qu’elle ne puisse dire quoi que ce soit, la tueuse sauta dans le vide.

« Hey, attendez ! »

Au lieu de s’écraser plus bas, la femme réussit à passer par la fenêtre d’un immeuble de bureaux. Karen la suivait à travers sa vision spéciale, quand une brusque migraine la saisit. Sa vision devint floue, et elle tomba à genoux.

*Hnnn… Mais qu’est-ce qui se passe ?*

Elle cligna des yeux à plusieurs reprises, cherchant à reprendre le contrôle d’elle-même. Sa vision devint un peu moins floue, mais impossible d’utiliser sa vision spéciale. Pour autant, elle ne ressentait pas le malaise et la douleur de la kryptonite. Elle grogna alors, comprenant que cette femme devait être une espèce de sorcière. Les Kryptoniens irradiés aux radiations d’une étoile jaune ne disposaient que de deux faiblesses : la kryptonite… Et la magie.

Karen se rapprocha du rebord, et bondit en avant. Même voler devenait difficile, mais elle réussit à voleter suffisamment pour entrer dans le couloir. Plusieurs employés la regardèrent, surpris.

« La femme qui a brisé la fenêtre… Elle est passée où ? »

Elle écouta silencieusement les employés, et s’avança, consciente de l’inutilité de la chose si le tireur pouvait changer d’apparence. Sans sa vision spéciale, elle se concentra. Sa super ouïe ne fonctionnait pas non plus, et, de toute manière, vu que les bureaux était bondés, il était difficile de voir quoi que ce soit.

Très rapidement, la présence de Power Girl attira les employés, et la jeune femme se retrouva sous peu encerclée dans un salon de détente, incapable d’avancer, devant faire face à une avalanche de questions.

« Écoutez, je recherche une fugitive, et…
-  Je peux avoir un autographe ?
-  Vous êtes vraiment la femme de Superman ?
-  Ma fille vous adore !
-  Je peux avoir un autographe ? »

La partie se compliquait.

*Qu’est-ce que c’est que ce merdier ?* soupira Karen, qui n’avait jamais été très douée pour la traque.

Elle laissait ça à Helena. Elle, son talent, c’était plutôt de défoncer les murs. Pouvant toujours voler, elle se recula, et s’envola dans les airs. Ses pouvoirs étaient encore instables, mais elle pouvait au moins contrôler mieux son vol, et regardait autour, cherchant un indice, quelque chose… Sauf que beaucoup d’employés quittaient aussi l’immeuble.

Autant chercher une aiguille dans une botte de foin !

Flottant dans les airs autour de l’immeuble, Karen faisait le point. Tous les employés l’avaient encerclé, la perturbant… Mais, en réfléchissant, elle ne pensait pas avoir affaire à Mr. Mxyzptlk. D’après ce qu’elle en savait, il ne s’était jamais transformé en homme, et il était plutôt du genre à perturber Superman, et pas ses homologues féminins. Ceci étant dit, il existait d’autres lutins. Elle réfléchissait donc, et se remémora sa première scène avec la tireuse, et nota que celle-ci avait de longs cheveux blancs… Ce qui l’amena à se rappeler qu’elle avait vu tout à l’heure, dans le flot des employés, une femme avec les cheveux blancs. Et, à dire vrai, même si cette femme portait une tenue de travail différente de celle qu’elle avait sur le toit…

*Elle me provoque… Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Est-ce que c’est elle qui est derrière les attaques sur Ellison ? Mais comment pouvait-elle se dire que des attaques sur cet homme d’affaires m’amèneraient ? Et pourquoi cherche-t-elle à jouer avec moi ?*

Karen n’aimait pas spécialement ça. Si elle se montrait moins calme que Superman, elle n’était pas non plus qu’une bourrine sans cervelles. Quand on avait des pouvoirs comme les siens, on devait nécessairement apprendre à faire preuve de retenue, ou on détruisait
une ville sans le vouloir. Ayant en tout cas un semblant de piste, Karen retourna à l’intérieur de l’immeuble, dans l’étage qu’elle avait quitté, et posa des questions sur une femme aux cheveux argentés. Un vigile ne tarda pas à lui préciser qu’il n’y avait aucune femme aux cheveux argentés parmi le personnel de cet étage.

« Négatif, Madame, et je connais bien les locaux, croyez-moi ! »

Power Girl tenait donc une piste, et s’avança. Les employés étaient aussi ravis de lui répondre que de loucher sur sa poitrine, constatant que celle-ci était aussi grosse que celle qu’on avait pu voir à la télévision. Sans être aussi populaire que Superman, Power Girl avait fait suffisamment d’apparitions publiques pour que son nom soit connu. Sur Terre, on ne pouvait pas rester éternellement discrets quand on venait de Krypton. Un salarié finit ainsi par lui indiquer la porte des toilettes.

Ne disposant toujours pas de sa vision à rayons X, Karen rejoignit la porte des toilettes, tandis que les vigiles la suivaient nerveusement, l’un d’entre eux parlant dans son talkie-walkie, comme pour essayer de comprendre ce qu’une super-héroïne faisait ici, avec eux. Elle rejoignit de son côté les toilettes, et ouvrit sèchement la porte, croisant le regard de…

…Karen fronça les sourcils devant elle.

« C’est vous que j’ai vu sur le toit, vous qui avez tiré sur Ellison…Qui êtes-vous ?! »

Le ton se voulait intimidant, tandis qu’elle s’était rapprochée de la femme, prenant volontairement une posture menaçante.

Ah bah, ça pourrait être pire. Devant moi se tient Power Girl et moi, je porte un uniforme de vigile. Mais en fait… Ça ne va pas durer longtemps car d’un claquement de doigts, je reprends ma tenue classique, celle avec le haut de forme, le masque de bal et tout le tralala. D’accord, je ne suis peut-être pas aussi bien foutue que Power Girl mais j’ai choisi un ensemble qui me met très bien en valeur. C’est un vestige de l’époque où j’étais une génie. Toujours avoir une apparence plus que plaisante au regard, si vous savez lire entre les lignes. Et la transformation est instantanée, sans effort. Pas de claquement de doigts, pas de formule compliquée… Bien au contraire, c’est aussi naturel que si j’avais inspiré ou expiré. Je lui souris. Un sourire narquois, un peu provocateur. Elle peut prendre une pose menaçante : je sais reconnaitre un bluff quand j’en vois un.

Quand elle me demande qui je suis, j’éclate de rire avant de me livrer à l’exercice. Je vais lui donner mon nom terrien, composé de multiples prénoms. Vingt-six, pour être exacte. Ayla Brigitte Cadence Daria Ellenor Frédérique Gloriana Harriet Isis Jazinda Kathryn Lenora Maeve Nathalie Olivia Piper Quintina Raelyn Sayuri Tyria Ulrike Victoria Wynter Xenia Yasmine Zarya. Si elle avait été précise, elle aurait formulé sa demande différemment. Quel est ton véritable nom, par exemple. Quelque chose de ce goût-là. J’ai été une génie suffisamment longtemps pour savoir que vous pouvez être désespérément imprécis dans votre façon de demander les choses, mortels. C’est elle qui va s’en mordre les doigts. Pas moi. J’ai « obéi » à la lettre. Oh et ne vous en faites pas pour le reste des vigiles. Cet échange est entre moi et Power Girl. Quand on a des pouvoirs…

« Allons, allons. La formulation correcte c’est : c’est toi que j’ai vu sur le toit, toi qui a tiré sur Ellison… Qui es-tu. J’ai une tête à me faire vouvoyer? Bien sûr que non. Et qui je suis… Tu as mon nom. Enfin. Un nom. Un très long nom. Et sans doute bien des questions plus pertinentes que ça. Et si je te disais pourquoi j’ai sur Ellison et pourquoi je le tourmente… Tu ne me croirais pas si je te le dis. Alors… Jouons! »

Maintenant qu’elle m’a retrouvé, plus besoin de neutraliser certaines de ses habiletés. Elle peut recommencer à utiliser sa vision spéciale sans aucun inconvénient. Évidemment, mon attitude risque de ne pas lui plaire car tout indique que je ne la prends pas au sérieux. Enfin. Que je ne la considère pas comme une menace et que par extension, je ne suis pas inquiète. Et ça, j’ai cru remarquer que la plupart des « gentils » détestent. Les méchants encore plus. Seulement voilà la vérité toute crue, toute nue : je n’ai pas peur facilement. Enfin si. Un film d’horreur, je risque de sauter au plafond. Mais dans la vie de tous les jours? Sachez que j’ai déjà survécu à un apocalypse de zombies. Plus qu’une fois d’ailleurs. Alors si elle veut que je collabore… Elle a intérêt à faire plus que mettre les poings sur ses hanches, bomber le torse et penser que je vais supplier qu’on m’épargne.

Je la regarde un instant puis mon apparence toute entière change. Je suis maintenant plus ou moins un clone d’elle. Même costume donc même mensurations mais mes couleurs sont comme un négatif de ces vieilles photos des siennes. Blanc devient noir, bleu devient jaune, rouge devient cyan… Vous voyez le genre? Et naturellement je garde la même couleur de cheveux. La même couleur d’yeux. Je l’ai dit, je veux jouer. C’est dans ma nature. Enfin. Dans ma nouvelle nature. Quoi que, même avant… Quand j’étais encore esclave de la lampe… Mais c’est sans importance. Je veux provoquer. Faire réagir. Montrer qu’en vérité, je suis tout sauf dangereuse. Je ne suis pas méchante par nature. J’ai juste bien du mal à recevoir des ordres ou faire ce qu’on me demande. Je fais un tour sur moi-même, m’admirant dans le miroir de la salle de bain avant de reprendre la parole.

« Si tu veux savoir pourquoi je tourmente Ellison, tu vas devoir jouer selon mes règles. Autrement, je crains que tu doives utiliser la manière forte pour me faire parler. Les règles du jeu sont simples. Tu peux me demander n’importe quelle question. N’importe laquelle. Je ne suis pas timide, ça peut être très personnel bien que ce ne serait pas utile pour trouver le pourquoi. Mais… Je ne peux répondre que par oui ou par non! »

Est-ce que c’est intelligent de se comporter ainsi devant une extraterrestre figurant parmi les plus puissants de ce monde? Non. Est-ce que c’est parfaitement le genre de chose que je ferais par nature? Définitivement. Vous n’avez pas encore compris? Je. M’ennuie. Et pour tromper l’ennui, je trouve le divertissement où je le peux et trouve toutes sortes de raisons pour faire ce que je fais. Vous savez quoi? Même si elle décidait qu’elle en a marre et qu’elle voulait se montrer agressive ou dominante, le fait est que ce sera probablement plus intéressant que moi qui tourne en rond dans ma bulle dimensionnelle à me demander ce que je vais faire de mon éternité. Ou de regarder en rafale tous les épisodes de toutes les séries qu’on ai fait sur Star Trek, Star Wars, Doctor Who, Game of Thrones, Battlestar Galactica et j’en passe. Alors comment la suite va se passer? Tout dépend de Power Girl et si elle veut jouer!

Face à cette femme, Karen comprit rapidement qu’elle allait devoir déployer des trésors de patience… Domaine dans lequel elle n’était malheureusement guère douée ! C’était Helena qui pouvait patienter pendant des jours, faire des filatures, pister et traquer patiemment ses proies en notant leurs déplacements et leurs habitudes. Karen, elle, était plutôt du genre à foncer dans le tas, à défoncer le mur de la maison pour secouer le criminel comme un cocotier jusqu’à ce qu’il balance tout. Mais, face à cette femme, Karen sentit vite que cette approche primitive risquait de ne pas fonctionner. Cette femme faisait tout pour l’agacer, allant jusqu’à lui balancer une litanie interminable de prénoms. Karen fronça les sourcils en crispant ses mains, retenant l’envie furieuse de coller une trempe à son interlocutrice.

Moqueuse, la femme lui montra l’étendue de ses pouvoirs. Elle pouvait changer de forme, d’apparence, et opta pour prendre l’apparence de Karen… Une apparence inverse, non pas dans le sens où elle se dota d’une poitrine ridicule, mais où elle changea les couleurs. L’uniforme blanc devenait noir, les cheveux blonds devenaient argentés, et les yeux changeaient également de couleurs.

*’Fais chier, c’est bien une magicienne…*

Les Kryptoniens n’avaient que deux faiblesses pathologiques : la kryptonite, et la magie. La première faisait perdre à un Kryptonien tous ses pouvoirs en les affaiblissant graduellement, et la résistance physique légendaire des Kryptoniens ne résistait pas à la magie. Le pire était donc à craindre, d’autant que le suspect reconnaissait volontiers être la femme ayant tiré sur Ellison. Mais pour quelle raison ? Est-ce que cette femme venait bien de la Cinquième Dimension ? Les lutins venant de cette dimension pouvaient se faire passer pour des humains, mais avaient une véritable apparence enfantine, ressemblant à des lutins. Se pouvait-il qu’Ellison ait attiré l’attention d’un des lutins ? Karen n’aurait pas été surprise d’apprendre que la Roxxon ait pu chercher à en capturer un, par exemple, et que ce dernier cherchait ensuite à se venger.

Devant elle, Ayla, premier des noms qu’elle avait utilisés, lui indiqua qu’elle allait devoir utiliser la manière forte, et qu’elle allait répondre à ses questions… Uniquement par « Oui » ou par « Non ». Karen resta silencieuse, tout en entendant des bruits de pas dans son dos. Les agents de sécurité se rapprochaient, et, de manière plus générale, il y avait également beaucoup d’employés et de victimes potentielles. Karen resta donc silencieuse, et décroisa les bras.

« Ok… Mais pas ici. »

Elle se déplaça alors, attrapa la femme par le col, et sortit des toilettes. Un courant d’air remonta dans les bureaux, soufflant quelques réserves de papier, puis Karen et Ayla se retrouvèrent ensuite dehors. Power Girl termina sa course sur un toit, où elle relâcha la femme. Elles avaient une belle vue sur l’Hudson River, et Karen regarda encore son double.

« Tu es une maligne, toi, hein ? J’ignore qui tu es, si tu es vraiment un lutin de la Cinquième Dimension, ou juste une nana un peu givrée… Mais ton comportement est pénalement répréhensible. Alors, il va falloir que tu arrêtes ça. »

Difficile de répondre à une telle phrase par « Oui » ou par « Non ». Karen n’avait guère envie de se plier aux règles d’une femme instable et potentiellement lunatique, mais elle n’oubliait pas aussi que cette magicienne avait pu annihiler certains de ses pouvoirs. Karen n’avait malheureusement pas les capacités naturelles d’Helena à mener des interrogatoires, mais chercha à trouver la faille, à poser une question où il serait potentiellement possible de répondre par « Oui » ou par « Non », mais sans pouvoir le faire.

Autrement dit, il lui fallait raisonner par l’absurde !

« Cherchais-tu à tuer Ellison ? Tes intentions sont-elles hostiles ? Le chat de Schrödinger sort-il vivant de la boîte ? »

Elle accepte de jouer… Sans accepter de jouer. Parce que les premières paroles qu’elle prononce sont en violation des règles que j’ai dicté. Donc… Je ne lui dirai pas là, maintenant, tout de suite qu’il y a des conséquences à toute action. Je ne suis pas méchante, ce ne sera rien de vraiment désagréable. Enfin je crois. Ça dépend de comment on regarde les choses. Mais nous y reviendrons plus tard. Pour le moment, sans doute pour ne pas potentiellement mettre des gens en danger, notion ridicule d’ailleurs puisque je ne compte faire de mal à personne. Définitivement, ce n’est pas mon genre. Oh, j’ai hâte de m’amuser un peu! Je sens qu’on pourrait devenir d’excellentes amies. Il faut plus de gens comme moi pour faire croitre le sens de l’humour qui sommeille en tout être. Franchement, être une déesse vengeresse, où est l’intérêt, je vous le demande!

Les farces sont considérablement plus divertissantes, à défaut d’être réellement constructives. Je ne comprendrai jamais comment on peut mener une existence sans jamais vraiment comprendre l’humour, sans expérimenter avec ses multiples facettes. Mais je monologue intérieurement alors qu’il y a des réponses à donner… Et comme je veux m’amuser, je change le décor qui nous entoure. Au lieu d’un toit d’immeuble somme toute banale, nous voilà dans une réplique du set d’un jeu télévisé classique, avec les lumières, les podiums et même la musique. Et pour la musique, je choisis « Tower of Tragedy » par Grant Kirkhope dans l’excellent jeu de la Nintendo 64, Banjo Tooie! Power Girl occupe la place de l’animateur et moi de la participante, avec un gros « buzzer » rouge devant moi. Quand je fais les choses, sachez-le, je les fais en grand. Jamais rien de moins.

Cherchais-tu à tuer Ellison? Ma réponse : Non! Tes intentions sont-elles hostiles? Ma réponse : Non, suivi d’un grand rire joyeux. Le chat de Schrödinger sort-il vivant de la boîte? Je me sens particulièrement espiègle donc je fais apparaitre la fameuse boite avec le tout aussi fameux chat, je l’ouvre et la montre au public avant d’annoncer fièrement : OUI! Je connais cette expérience. La première fois, j’ai dû relire le texte plus qu’une fois pour essayer de comprendre comment deux choses pouvaient exister simultanément selon des concepts purement humains. C’est un peu comme demander si un arbre qui tombe en forêt fait du bruit si personne n’est là pour l’entendre. La logique voudrait que oui, il fasse du bruit, c’est ce qui est attendu d’un corps qui tombe. Mais comment peut-on prouver ce qui techniquement ne saurait l’être? C’est quand même intéressant, comme casse-tête.

Évidemment, comme je l’ai mentionné précédemment, certaines paroles prononcées par Power Girl ne pouvaient être répondues en usant des conditions que j’ai imposé et mon ami de longue date, Mister Mxyzptlk, apparait soudainement en criant « Stop! Stop! Arrêtez tout! Une tricheuse est sur le plateau! » Comptez sur lui pour se joindre à mes délires. Je feins la surprise avant de saluer mon bon ami par un câlin suivi d’une bise sur la joue. Il est habillé comme un arbitre dans les sports, le chandail zébré noir et blanc et il pointe gravement Power Girl du doigt en disant qu’elle n’a pas respecté les règles. Le public fantôme s’exclame! La tension monte! Le drame pointe le bout de son nez! D’un claquement de doigt de ma part, le décor change et là c’est carrément tiré de Phoenix Wright, la scène de tribunal classique. Quitte à faire les choses en grand, quoi…

Power Girl au banc des accusés. Moi avec la perruque de juge et Mister Mxyzptlk pour la couronne. Oh et moi pour faire la défense de Power Girl, aussi. J’ouvre la session en disant que les trois questions posées par Power Girl pouvaient être répondues par oui et par non. OBJECTION!, s’exclame Mister Mxyzptlk. Elle a commencé par dire Ok… Mais pas ici. Objection refusée, dit la juge Jeannie. Ce n’était pas une question. C’était une affirmation. Mais mon ami ne se laisse pas démonter. Il concède le point et expose ensuite la suite des propos de la Kryptonienne. Tu es une maligne, toi, hein ? On peut répondre par oui ou par non. Rien d’anormal. J’ignore qui tu es, si tu es vraiment un lutin de la Cinquième Dimension, ou juste une nana un peu givrée… Ah… Voilà une question. Une question rhétorique mais une question quand même. Donc un bris flagrant des conditions.

Une question à laquelle on ne peut répondre par oui ou par non! Le reste (Mais ton comportement est pénalement répréhensible. Alors, il va falloir que tu arrêtes ça.) n’est pas en cause non plus. Donc... Si Power Girl a triché, il va falloir qu’il y ait une conséquence. Oh je ne me suis pas amusée comme ça depuis longtemps. J’adore! J’adore! Je suis là, avec une des super héroïnes les plus connues qui soit à m’amuser comme une folle alors qu’au fond, l’enjeu est un imbécile corrompu qui n’aurait jamais attiré mon attention n’eut été d’un commentaire que j’ai décidé de prendre personnellement. Je me moque bien d’Ellison, de sa compagnie et de ce qu’il fait, au fond. Je voulais juste m’amuser parce que je m’ennuie et je m’amuse encore plus parce que je peux faire ce que je veux en toute impunité, visiblement. Je ferais presque une petite gigue du bonheur moi!

« Power Girl, vous êtes coupable d’avoir triché! Quelle sera la sentence, je me demande… Une poitrine plate comme une planche? Des chatouilles avec une plume animée? Ou peut-être que je vais simplement me montrer clémente? Tant de possibilités, tant de choix! Oh… Et pour répondre à la question qui t’a mise dans cette position, je ne suis ni un lutin de la Cinquième Dimension ni une nana un peu givrée. Juste une ex génie qui a atteint le statut de divinité par un usage très créatif des clauses de son esclavage.

Mais c’est de peu d’importance, tout ça. Toi tu veux savoir pour Ellison et moi je veux m’amuser! Et je dois dire, sincèrement, que je commence à me demander si ta réputation n’est pas surfaite. On te décrit comme une femme d’action, une fonceuse, quelqu’un qui parle plus avec ses poings qu’avec sa tête… Et tu t’es fait avoir comme une débutante à un jeu d’une désarmante simplicité! Ce n’est presque pas drôle, en fait, quand on y pense.

Je serai bonne joueuse. Si tu dois savoir, je ne veux pas tuer Ellison. Ni avant, ni maintenant, ni plus tard. Ce n’est pas mon genre, tu vois? En fait je retire ce que j’ai dit. Je suis peut-être aussi un peu givrée. C’est juste que c’est long l’éternité, horriblement long… Et que j’ai tendance à m’ennuyer facilement. Maintenant, pourquoi j’en veux à Ellison… Si tu veux savoir, à toi de proposer un jeu! Oh j’adore jouer. C’est plus fort que moi! »

Karen, lorsqu’elle était sur Earth-2, avait déjà eu la chance de croiser Mr. Mxyzptlk. Le lutin magique avait une certaine affinité avec Superman, et semblait passer son temps à voyager de dimension en dimension pour nuire à Superman. Karen était alors jeune à l’époque, et avait surtout vu en Mr. Mxyzptlk une sorte de clown amusant. Mais, maintenant qu’elle était face à Jeannie, elle comprenait l’agacement de son père adoptif. Le décor évolua encore, et elle vit même une apparition de Mr. Mxyzptlk. Difficile de croire qu’il s’agissait du vrai, car deux êtres aux pouvoirs cosmiques et omniscients, tout en étant très instables, étaient sans aucun doute incapables de s’entendre l’un envers l’autre, et passeraient leur temps à s’annuler eux-mêmes.

*Le tout est de trouver son point faible…*

Karen n’avait toutefois pas le talent de manipulateur du Joker, qui, il y a quelques années, avait réussi à manipuler Mr. Mxyzptlk pour récupérer l’ensemble de ses pouvoirs, modifiant la réalité pour en faire son propre univers délirant. Le toit du gratte-ciel se transforma en un Tribunal où Karen fut accusée d’avoir essayé de piéger Jeannie avec sa question sur le chat de Schrödinger, question à laquelle celle-ci avait répondu par une pirouette. Folle et délurée, elle lui fournit néanmoins une information intéressante. Tout en se plaignant du fait qu’elle n’était pas assez violente, elle indiqua ne pas être de la Cinquième Dimension, mais être une ancienne génie.

Les connaissances de Karen sur les génies se limitant à Aladdin, celle-ci songea alors à une version délurée et instable de Jafar. Clairement, ce combat n’était pas pour elle. Elle avait besoin de rencontrer un magicien, un sorcier… Peut-être Docteur Strange ? Elle était à New York, après tout, et elle savait que la maison du Docteur se trouvait ici. Jeannie indiqua qu’elle ne cherchait pas à tuer Ellison, mais refusa d’expliquer ses motivations. Elle ne le ferait que si Karen proposait un jeu divertissant.

« Un jeu ?! »

Celle-ci sentit la moutarde lui monter au nez.

« Tu te fous de moi ? Tu me prends pour un clown ?! » éructa-t-elle.

Karen bondit brusquement en avant, et serra le poing. Autant vérifier ce que ce génie pouvait faire, non ? Elle le frappa du revers de la main, et Jeannie décolla. Le palais de justice fictif disparut, et Karen s’envola à la suite de la femme, l’attrapant par le col, et vola rapidement, jusqu’à se retrouver au-dessus de l’Hudson River, à hauteur du Pont Georges Washington. Elle tenait la femme par le col, toujours, et la suspendait au-dessus du vide.

« C’est assez violent pour toi, ça ?! Tu vas retourner dans ta boîte magique, dans ta lampe, ou dans je-ne-sais-quoi-d’autre, foutu génie de pacotille ! Ellison est un trop gros poisson pour que je laisse quelqu’un comme toi lui faire perdre tout intérêt. »

Le moins qu’on puisse dire est que les magiciens avaient un talent inné pour réussir à rapidement agacer Karen… Mais cela n’avait, fondamentalement, rien de si surprenant que ça, car elle détestait la magie !

Bon, elle ne veut pas jouer. Prévisible, je dirais mais on peut toujours espérer, non? Chose certaine, elle a un sacré punch. C’était peut-être prévu comme un coup avec le revers de la main mais comptez sur l’entropie et le chaos soit pour modifier vos perceptions ou juste… Modifier. Entre une sorte de gifle avec le dos de la main et un poing sur la gueule, la différence est quand même conséquente. Maintenant, techniquement, j’aurais pu m’immuniser aux « dégâts physiques », comme si c’était une statistique dans un RPG mais il s’avère qu’un général, bien que je veille à m’immuniser d’un certain nombre de désagréments, tomber malade par exemple, il y a plusieurs volets que je ne couvre pas. Je ne suis pas une combattante à la base, pourquoi j’aurais le réflexe de me protéger de choses auxquelles je n’ai pas de raison d’être confrontée? Bref.

Avoir une très grande résilience ne veut pas dire que parce que ma tête est encore attachée à mes épaules et qu’au lieu d’avoir je ne sais combien de fractures dont une du nez je ne fais que saigner légèrement que ça n’a pas fait mal. Ah ça pour faire mal, ça a fait mal. Et sonnée, aussi. Une chance qu’elle m’a rattrapée d’ailleurs. Oh je pourrais très certainement me plaindre du fait qu’elle vient de me frapper mais j’ai quand même couru après. J’aime jouer et souvent, jouer passe par la provocation. Expérimenter pour trouver la meilleure façon de s’amuser. Alors je vais prendre… 98% du blâme. 1% pour elle et 1% pour mon ami de la Cinquième Dimension qui ne m’a pas mise en garde. J’assume mes actions, en passant. Qui dit déesse ne veut pas dire ne rien admettre. Si c’était le cas, je ME tomberais sur les nerfs sur une base régulière, et c’est bien peut dire.

Il y a juste un détail par contre qui me fait sérieusement tiquer. Les insultes et la colère des gens, je gère comme une championne. Je veux dire… Ça fait un peu partie de toute l’affaire quand on s’amuse aux dépens des autres. Mais qu’on fasse référence à mon ancien statut d’esclave est une des rares choses capable de me rendre agressive et me donner suffisamment de motivation pour faire volontairement du mal à quelqu’un. Tuer… Il va en falloir plus, je gère. J’ai eu ma phase vengeance, violence, mort et dévastation. Je n’ai pas spécialement envie de revivre ça. En fait pour être honnête, je n’ai pas du tout envie de revivre ça. Dois-je vous rappeler que j’ai même défait ce que j’ai fait tant j’ai détesté la chose? Le rappel aura été fait, juste au cas où. Des fois…

Avant de lui dire ma façon de penser et de lui montrer de quel bois je peux me chauffer si on m’y pousse, je me questionne sur Ellison. Il a toute une liste de crime à son actif mais c’est le cas de bien des hommes d’affaires de cette planète.… Un gros poisson? Lui? Par rapport à qui, par rapport à quoi? Je sais que c’est un haut placé pour une compagnie quelconque mais… Sans doute aurons-nous l’occasion d’y revenir éventuellement. Je m’essuie le nez d’une main avant de la regarder avec un sourire amusé qui laisse entrevoir une pointe mesquine qui est, dans mon cas, le signe avant-coureur qu’une limite qu’il n’aurait pas fallu franchir vient de l’être. Je lui fais un clin d’œil et soudainement, nos positions sont inversées. Je la tiens par le col en flottant dans le vide. C’est moins agréable quand on reçoit que quand on donne, pas vrai, Power Girl?

« Que tu me frappes, aucun problème. Ça fait partie des risques du jeu. Que tu m’insultes, c’est plus amusant que réellement blessant. Mais que tu insinues de me renvoyer à un esclavage dont je me suis affranchie après des millénaires d’abus? Là je tire une ligne. Tu veux jouer comme ça, Power girl? Parfait. Mais tant qu’à jouer sur des mises, je vais en choisir une qui va te faire réfléchir deux fois plutôt qu’une. »

Ellison apparait dans une bulle colorée, un peu comme une bulle de savon. Est-ce que c’est le vrai, est-ce que c’est une copie, est-ce que tout ceci est réel… Difficile à dire mais veut-elle vraiment prendre ce risque? Je parierais que non et pour une excellente raison d’ailleurs. S’il est si important à ses yeux pour qu’elle agisse physiquement contre moi, c’est parce qu’en quelque part, il y a tout un enjeu. En me voyant, il se met à hurler que je suis la magicienne qui veut sa peau et il commence à crier sur Power Girl comme quoi elle ne fait pas son travail, bref, l’archétype de l’individu ingrat qui a énormément à se reprocher mais qui met tout sur la faute des autres. Charmant personnage, vraiment. Je lui conseille vivement de se taire parce que sinon je m’en charge et qu’il risque de ne pas aimer ma façon de faire.

« Tu as choisi ton jeu, volontairement ou non donc maintenant je peux te dire pourquoi j’en veux à Ellison ici présent. Tobias a passé un commentaire sur le Nutella que je n’ai pas du tout apprécié et c’était une raison comme une autre pour moi de m’amuser à le tourmenter. À chacun sa faiblesse. Moi j’adore le Nutella. C’est une des inventions les plus intéressantes de cette planète. Oh et une petite précision au passage…

Je suis une déesse d’une autre dimension. Je suis joueuse, farceuse et très rarement vengeresse. La manipulation de la réalité est mon crédo. Il y a peu de choses qui me font vraiment réagir et insinuer de me renvoyer à l’esclavage dont je me suis affranchie en est une. La seule raison pourquoi tu n’es pas en train de subir quelque chose de très désagréable c’est grâce à ton ignorance de la chose. Tu lui veux quoi, à Ellison, au juste?

Je suis convaincue que nous allons repartir à la fin de la journée en bonnes amies. Il n’y a pas de raison de laisser un malentendu faire de nous des ennemis. De toi à moi? Tu as un sacré punch. J’aime quand le jeu se corse. Où est le plaisir de la chose quand c’est trop facile? Oh je ne suis pas masochiste pour autant. Juste capable d’accepter que des fois je pousse le bouchon trop loin.  Je… Tobias? Je t’ai dit de la fermer, je me trompe? »

La force brute face à la magie absolue… Karen avait souvent écouté son père adoptif lui parler de ces affrontements pour savoir que, malgré ses superpouvoirs, elle ne partait pas favorite. Les Kryptoniens étaient malheureusement très vulnérables à la magie, et elle savait, pour avoir fait des recherches, que son père avait déjà été empoisonné, envoûté, notamment par Poison Ivy. C’est dans ce genre de situations qu’il était utile d’avoir un Wayne à ses côtés, mais Helena n’était pas là pour l’aider. Karen était pourtant très intelligente. Elle avait conçu des technologies très développées sur Terre, à l’aide de sa technologie kryptonienne, ce qui lui avait permis de fonder une société multinationale très puissante, si puissante qu’elle avait pu acheter l’une des nombreuses îles sauvages du Japon, afin d’y établir sa résidence principale et le siège social de Starr Industries. Mais, curieusement, dans ce genre de cas, elle réagissait avant tout par ses poings, se montrant très impulsive.

Face à elle, elle sentit toutefois qu’elle avait touché un point sensible quand la femme s’énerva, furieuse à l’idée d’être à nouveau enchaînée. Elle inversa alors les rôles, et Karen constata qu’elle était capable de la tenir à bout de bras, signe qu’elle devait améliorer ses caractéristiques, amplifiant sa propre force physique au détriment du reste.

*Elle a forcément une faiblesse…*

Les lutins de la Cinquième Dimension avaient eux aussi leurs faiblesses. Jeannie s’énerva donc, et fit apparaître Ellison. Apparaissant dans une sorte de bulle, l’homme se mit à paniquer, hurlant, avant de pointer un doigt accusateur vers Jeannie, et ordonnant à Power Girl d’agir. Cette dernière était en train de se demander comment Jeannie réagirait si elle lui cramait la tête avec ses yeux-lasers. La Déesse lui expliqua néanmoins ses motivations, et indiqua qu’elle en voulait à Ellison, parce que… Il avait posté un commentaire négatif sur le Nutella.

« Tu te fous de moi ?! »

Mais la Déesse semblait sérieuse. Jeannie retrouva ensuite son amusement, suggérant qu’elles risqueraient ensuite de finir bonnes amies.

« Vous êtes cinglée, hurla Ellison, je mène une campagne active contre le Nutella parce qu’ils mentent sur leur recette ! L’huile de palme, c’est de la publicité mensongère, et ma fille en a été victime ! »

Cette scène semblait surréaliste, et Karen commençait à voir une stratégie se dessiner. La colère de Jeannie sur ses paroles, sur le fait d’être à nouveau asservie.

« Toi qui te prétends si libre… Je crois que tu n’as jamais cessé d’être une esclave, que ce soit de ta foutue lampe, ou de ton absence de projets dans la vie. C’est ça, ta grande cause ? Devenir une sorte de troll magique qui emmerde les autres ? La liberté, ce n’est pas pouvoir faire toutes les conneries qu’on veut, c’est savoir être autonome, prendre ses propres choix, et agir pour le bien commun… »

Karen se concentra alors, et ses yeux flamboyèrent.

« Mange ça ! »

Les rayons jaillirent, et frappèrent violemment le visage de Jeannie, carbonisant sa tête. Karen put ainsi récupérer l’usage de son corps, et s’écarta du génie, avant de regarder Ellison.

« LIBÉREZ-MOI, PUTAIN !! »

Elle prit son envol, et bondit à travers la bulle, la faisant éclater. Ellison se mit à tomber en battant des bras nerveusement, et Karen l’attrapa par le col de sa veste.

« JE NE VEUX RIEN AVOIR AVEC VOS HISTOIRES !!
-  Ce n’est pas moi qui ai attiré cette femme ici, Monsieur…
-  JE M’EN FOUS !! »

Karen soupira en son for intérieur, se retenant de ne pas le jeter dans l’eau, et le déposa sur la plus proche jetée, avant de se retourner, craignant la prochaine contre-attaque de cette Déesse démentielle…

Elle me provoque? Ah si, clairement, elle me provoque? Mais ne voit-elle pas que je lui tends la main, que nous n’avons aucune raison d’être des ennemis? Elle prend cette histoire bien trop au sérieux, voyons! C’est incompréhensible. Les Kryptoniens et les Humains sont définitivement bien trop volatiles pour être considérés comme étant raisonnables. Ce n’est pas un mal en soi, bien sûr que non mais parfois cela rend les échanges… Compliqués. En même temps, je ne suis pas vierge de blâme non plus. Mon action peut sembler illogique. Très certainement. Et en un sens c’est vrai : tourmenter quelqu’un parce qu’il a dit quelque chose de mal sur le Nutella? Mais si on réfléchit avec plus d’objectivité, qu’est-ce qu’une cause si ce n’est que quelque chose en lequel en croit? Tiens, je suis d’humeur philosophique,  tout d’un coup? Voilà qui me ressemble peu.

Et c’est cette hésitation, justement, cette quête d’une réponse plus songée qui fait que je me prends un coup de vision thermique en pleine poire. Fort heureusement, cela ne me tue pas mais ça a la mérite de surprendre et de faire mal, quand même. Sur une échelle de un à dix? Sept, sept point cinq, probablement. Encore heureux que ça ne me tue pas. Je me demande si elle a vraiment réfléchi avant de tirer. Peut-être. Peut-être pas. À froid, elle n’a pas le profil d’une tueuse. D’une ultra badass botteuse de culs, je ne dis pas. Loin de là. Mais pas d’une tueuse. Peu  de super héros de ce monde en sont d’ailleurs. Ils pensent que mettre les méchants en prison ou à l’asile est une précaution suffisante. Je ne suis clairement pas d’accord mais ce n’est pas exactement à moi de leur dire comment mener leurs petites affaires dans le fin fond. Vivre et laisser vivre, si vous préférez.

Ceci étant dit, bien que je puisse deviner au moins un peu le motif derrière, sauver Ellison, prendre un coup de vision thermique en pleine poire n’est pas du tout agréable. Il va donc falloir… Comment dire… Je ne dirais pas la punir pour son geste mais de lui apprendre une leçon, en fait. De un, c’est bien moins agressif et de deux, je crois qu’il est encore possible de se servir du dialogue. Donc, comme elle veut Ellison, j’ai trouvé de quoi la motiver à coopérer. Comme mentionné précédemment, je ne compte pas tuer cet homme, encore moins le blesser. Mais je peux certainement continuer à le tourmenter pour amener Power Girl à collaborer. Bon, localisons Ellison. Ah. Il n’est pas SI loin que ça. D’un claquement de doigts, je me téléporte sans bruit derrière le « duo ». Je m’amuse vraiment beaucoup, en fait. Oh je conçois que se prendre des coups n’est pas amusant. Certes.

Cependant, ce qui est amusant, c’est que Power Girl ne comprend pas que je ne suis pas son ennemie et moi, je suis têtue. S’il fait que je devienne une plaie d’Égypte et que je la suive partout jusqu’à ce qu’elle accepte mon point de vue, je suis assez obstinée pour le faire. J’ai l’éternité devant moi! Mais où en étais-je? Ellison. Je fais un clin d’œil à l’homme d’affaires corrompu qui n’a pas le temps d’ouvrir la bouche qu’il est transformé en un adorable ours en peluche. Aucun risque qu’il témoigne sous cette forme et pour défaire ce que j’ai fait, bonne chance. Et je plaque mes mains sur les yeux de Power Girl, pour jouer. Vous savez, « coucou, qui c’est »? C’est d’ailleurs ce que je lui demande d’une voix enjouée avant de m’écarter prestement. Des fois qu’elle aurait des idées de cramage de tête, encore… Tout bien considéré, il va falloir que je me recoiffe avec tout ça…

« La vache, ça décoiffe ton truc. Et ça fait mal… Le coup de poing a tapé plus fort mais il m’a plus sonné que fait mal. Et tu as vu? Ellison est maintenant un adorable ours en peluche. Hum… Je me demande comment il pourra te servir sous cette forme. Ce n’est pas comme si, je ne sais pas, tu avais dans tes fréquentations une déesse un peu givrée mais sympa qui serait prête à t’aider, pas vrai? Parce que ce serait vraiment pratique!

Oh mais attends… Tu en as une! Allez Power Girl. Nous sommes parties du mauvais pied. Recommençons! Je m’appelle Jeannie. Je suis une ex génie, devenue déesse et entre la découverte de l’univers et un penchant pour faire des farces, je suis plutôt sympa et globalement inoffensive. Pouvons-nous parler de manière civilisée? Sans yeux laser et sans coups de poings? Franchement, tu connais beaucoup de divinités qui te propose d’être ton amie? »!

Je ne sais pas si les Kryptoniens lisent dans les pensées, à ma connaissance, non. Je ne sais pas non plus si Power Girl est une bonne juge de caractère. Mais partons du principe qu’elle est en mesure de se servir de ses cinq sens et de sa tête. Rien dans ma posture n’incite ou indique le mensonge, le secret ou la duplicité. On peut sentir un désir sincère dans mes paroles. Et en plus, au lieu d’être derrière un bouclier magique, je lui tends la main, signe universel pour établir un premier contact. Je veux juste discuter. Je vois difficilement ce que je pourrais faire de plus. Ah si. Je fais apparaitre le divan le plus confortable de la création, je m’assois dessus et je tapote la place juste à côté de moi. À ce stade si des choses, je peux difficilement faire plus pour montrer ma bonne volonté. Plus encore, je me mets volontairement en position de vulnérabilité. Dans position actuelle, je ne suis certainement pas prête pour une riposte éventuelle…

Karen se rappelait vaguement qu’il existait un mage à New York, un sorcier très puissant. Elle en avait entendu parler aux informations, et essayait de se rappeler où il était. Les informations revinrent ensuite. Un reportage sur les super-héros de New York, où l’équipe s’était rendu devant le manoir du sorcier… Le Docteur Strange.

*177 A Bleecker Street…*

Hélas, elle se trouvait à l’entrée du Pont Georges Washington, au nord de Manhattan, à Washington Heights… Alors que Bleecker Street se trouvait de l’autre côté, à Soho. Karen, de son côté, était à proximité du Little Red Lighthouse quand Jeannie intervint encore. Karen n’eut pas le temps de réagir qu’elle transforma Ellison en… En ours en peluche. Comme dans un mauvais remake de l’épisode « Black Museum » de Black Mirror, un ours en peluche se dressa sur place, capable de dire une seule chose, qu’il se mit à répéter frénétiquement au bout de quelques secondes :

« Oh je t’aime ! Oh, je t’aime ! »

Karen observa alors Jeannie, et ses yeux flamboyèrent encore, tandis qu’elle se mit à serrer nerveusement le poing. Le mauvais génie se mit ensuite à parler, proposant une trêve, expliquant qu’elle était son amie, et alla même jusqu’à, après lui avoir tendu la main, généré un divan, sur lequel elle s’assit. Autant dire que les badauds commençaient à se rapprocher, parlant ensemble à voix basse. Power Girl observa brièvement la femme, sa cape remuant doucement sous l’effet du vent.

*Je n’arrive pas à comprendre ce que souhaite cette folle…*

Cette histoire de Nutella ne tenait pas debout, tout simplement. Elle observa encore Ellison. L’ours en peluche était incapable de remuer, si ce n’est de s’extasier frénétiquement. Karen regarda encore Jeannie, et se rapprocha lentement.

« Redonne-lui son apparence normale, et j’accepte de discuter avec toi. »

Elle savait bien que la frapper ne servirait à rien, si ce n’est la défouler. Elle restait donc debout devant elle, croisant les bras, bien résolue. Même si Ellison était un salaud, Karen avait appris les leçons de son père. Il ne lui appartenait pas de juger les autres, mais de les protéger, de les sauver… Une chose sur laquelle elle n’entendait pas transiger.

« Oh non, je sais comment ça va finir. Je lui redonne son apparence et tu vas te trouver une excuse pour ne pas honorer ta parole. Tu penses qu’on ne m’a pas déjà fait le coup? Allo? Ex génie, peut-être? En fait non. Non tu as raison. Je vais faire le premier pas pour te montrer ma bonne volonté! Oui! Et même que je t’invite chez moi, on sera loin des regards des curieux! J’accepte ta proposition, Power Girl! »

Mais oui, c’est évident ! Si je mets de la bonne volonté, elle va peut-être enfin comprendre que je ne lui veux rien de mal. Je lui serre la main et quand je la lâche, nous ne sommes plus à New York. Nous sommes dans ma bulle dimensionnelle et Ellison a effectivement retrouvé forme humaine. Il est là, un peu plus loin, sur une île dans les nuages d’où il ne peut pas s’enfuir. C’est avec Power Girl que je veux discuter. Dans ce décor idyllique qui représente ma version actuelle de mon monde sympathique, je l’invite à me suivre vers un immense château : ma demeure. Et oui, je sais, c’est triste mais j’y vis seule. Oh ce n’est pas grave, au moins je rencontre des gens hors de mon petit monde parfait. Il faut bien que mes escapades aux quatre coins de l’existence servent à quelque chose. Sinon ce serait franchement déprimant de ne rien retirer de ces aventures.




Je l’invite à entrer. Elle a promis que nous allions discuter si je redonnais forme humaine à Ellison et je l’ai fait! À elle de tenir sa part du marché! J’espère qu’elle le fera. Si elle est comme Superman, Superman tient ses promesses, lui. Oh je suis tellement excitée de pouvoir parler à quelqu’un d’autre et de pouvoir rire sincèrement de toute cette aventure! Ce n’est pas tous les jours que je me mange des coups et des tirs de vision thermique en pleine poire parce que je défend le Nutella au péril de ma vie. Cela a eu le mérite de me changer les idées et de littéralement casser ma routine. Je nous amène dans un grand salon avec une belle galerie de portraits et bien que ce soit des peintures, tous ne représentent pas un décor médiéval. Il y a même des trucs vachement futuristes. Les souvenirs d’aventures passées.  Oh la la, par quoi commencer, je reçois si peu de visite d’habitude!

« Est-ce que tu as faim? Soif? Je peux modifier le soleil pour qu’il se comporte comme le soleil de la Terre. J’ai cru comprendre que vous aviez d’un certain type de radiations ou de rayons, vous, les Kryptoniens. Si tu savais comme je suis heureuse! Je n’ai vraiment pas beaucoup d’amis et la solitude devient vite pesante, tant et si bien que le plus petit prétexte est bon pour se changer les idées. Mais ça… Tu le sais déjà.

Pour le prétexte, j’entends! Ce n’était pas un reproche! Oh la la… C’est la nervosité, tu vois! J’ai passé ma vie seule, des millénaires d’existence entrecoupés de vœux à exaucer pour des gens qui me voyaient au mieux comme un objet utile, au pire comme d’une entité à abuser. Ce n’est pas exactement le meilleur scénario pour développer des habiletés sociales. Et… Et toi? Tu en as beaucoup, des amis? Juste par curiosité! »

Je peux manipuler la réalité à ma guise et je stresse à aligner une phrase complète devant une Kryptonienne? Bravo Jeannie, c’est sûr qu’elle va se sentir en confiance après ça! Oh et puis zut, ce n’est pas ma faute! J’ai bien vu qu’elle ne réagit pas comme je voudrais qu’elle réagisse à mes efforts alors j’essaie une approche différente. Vous pensez vraiment que j’aurais capitulé si facilement, sinon, face à sa demande pour Ellison? Jamais dans cent ans! Juste que là, bon. Clairement que ça change de l’ordinaire que quelqu’un se tienne enfin debout et n’ait pas peur de faire valoir ses convictions avec une main perdante. Vous connaissez beaucoup de personnes qui oseraient se tenir debout devant une divinité? J’espère que vous connaissez un nombre impressionnant de personnes dans ce cas! Juste sur Terre, si vous en trouvez une vraie de vraie centaine, je serai étonnée!

Mais là n’est pas la question, en fait. Je dirais plus que c’est… Comme jouer à la loterie! Vous avez des chances de gagner mais bien plus de chances de perdre. Je suppose que je pourrais tricher mais… À quoi bon? Le but, c’est d’y arriver par moi-même, pas forcément en me fiant à mes pouvoirs. On va déjà voir ce que ça donne et on verra après. En espérant que ça ne finisse pas en bagarre : je l’aime beaucoup ce château, je l’ai construit pierre par pierre, vous saurez. Chacune d’entre elle choisie et taillée avec amour. Il m’aura fallu des années avant de terminer mais en même temps, j’ai l’éternité devant moi, je ne suis pas exactement pressée, quand on y pense… Un des avantages de l’immortalité, s’il faut lui trouver du positif. Il n’y a pas que des mauvaises choses à la… Chose. Ça fait beaucoup de choses dans la même phrase. On va tâcher de faire attention. Des fois que…

« Je sais, je sais, c’était vraiment puéril comme raison pour embêter Ellison. Mais je m’ennuyais tellement que n’importe quel prétexte était soudainement parfait ou justifiable. J’envie parfois la simplicité des existences mortelles. Vous vivez comme si demain n’existait pas, comme si chaque jour pouvait être le dernier. Il y a une… Spontanéité chez vous, une sorte d’étincelle. C’est inspirant, tu sais? »

Tout autour de Karen, une bulle blanche se forma. Elle haussa les sourcils, et vit Ellison reprendre sa forme normale, avant d’être emmené sur une sorte d’île flottant dans le vide. Power Girl regarda encore autour d’elle, voyant le décor évoluer. New York et le Pont Georges Washington disparurent au profit d’un… D’un monde merveilleux. Des arbres florissants, un château de conte de fées, un arc-en-ciel magique, des canards et des oies… Karen aperçut même, le long des arbres, des licornes roses s’égayant. Plusieurs poteaux éclairaient le chemin menant au château de Jeannie. Après avoir hésité à donner suite, Jeannie avait fini par se raviser, et invita Karen à la suivre. Celle-ci hésita, s’attendant à chaque instant à tomber dans un piège. Mais, d’un autre côté, que pouvait-elle véritablement faire d’autre ?

Le duo rejoignit un grand salon avec une série de tableaux divers et variés. Karen resta silencieuse, fronçant doucement les sourcils. Cette Jeannie pouvait tout générer, et se mit à lui parler… Presque comme une enfant. Face à sa question de modifier les radiations solaires, Karen haussa les épaules, mais n’eut même pas le temps de répondre que Jeannie enchaînait déjà, lui expliquant qu’elle se sentait seule, et qu’elle était heureuse d’avoir une amie auprès d’elle.

*Okay, elle est folle…*

Power Girl ne savait pas vraiment quoi lui répondre. Tout ça était totalement surnaturel pour elle. Elle avait beau venir d’une autre dimension, Karen avait un esprit très cartésien. Elle était une scientifique, après tout, et, en voyant cette situation, elle se retranchait derrière la Troisième Loi de Clarke, recherchant la logique ici, les règles. N’importe quelle technologie suffisamment évoluée est indiscernable de la magie. Une loi applicable à la science-fiction, et qui se généralisait à la magie. La magie n’était rien de plus qu’une forme d’élément naturel, et, comme tout élément naturel, la science s’y appliquait. Elle l’analysait, elle le décortiquait, elle en tirait les faiblesses. Mais Karen était clairement perdue ici.

Jeannie revint ensuite sur ses turpitudes, pour en revenir à ce qu’elle venait de dire, sur la solitude. Karen hocha doucement la tête, observant encore les lieux.

« Je comprends ce que tu peux ressentir. Je veux dire, pour les humains, les Kryptoniens sont comme des Dieux. Et, si je n’étais que Power Girl, je serai sans doute devenue, à force, une sorte d’avatar surpuissant, craint et respecté, et désespérément seule. »

Elle reprit ensuite, après quelques secondes :

« Il existe un monde alternatif, Earth-22, où Superman a expérimenté ça. Un monde où les super-héros vieillissants ont laissé place à une nouvelle génération, et où Superman était en perte d’identité. Et tout ça parce qu’il avait renoncé à son identité secrète, à son humanité… Je pense qu’il y a un parallèle à dresser avec ta situation, non ? Oui, Jeannie, j’ai des amis… J’ai même une fiancée, et je dois organiser le mariage. Et tout ça… Tout ça me permet de mener une vie heureuse. Si je n’étais que Power Girl, je deviendrai folle. »

Karen marcha encore, observant les lieux.

« Pas de domestiques, pas de courtisans, pas de serviteurs… Et tu choisis un beau visage. Tu sais ce que je pense ? Que ton pouvoir est limité. Tu peux altérer la réalité, mais tu ne peux pas créer d’âmes, n’est-ce pas ? Je suis sûre que tu as déjà dû essayer, non ? Tout ça, tes blagues sur le Nutella… C’est comme l’enfant qui fait des bêtises afin que ses parents le remarquent. Aussi puissante sois-tu, je crois que la solitude te pèse beaucoup. Avoir le pouvoir absolu… Ce n’est pas si simple, hein ? »

« C’est bien pire que ce que tu crois. Tu te trompes. Oh comme tu te trompes. Ici, je peux créer ce que je veux. Je suis omnipotente. C’est ma bulle dimensionnelle. Je me suis créé un ami, une fois. J’étais tellement heureuse. Je m’assurais qu’il ne manque de rien et je l’ai amené voir un tas d’endroits dont la Terre. Mais à la fin de chaque excursion, nous revenions ici. Et… J’ai remarqué un changement.

Graduellement. Il semblait… Préoccupé par quelque chose. Je suis une ex génie, tu sais? Donner, je sais faire. Recevoir… Très peu. On nous considère comme des objets, après tout. Je lui ai demandé ce qui n’allait pas. Il ne voulait pas me le dire. Alors je me suis assuré de lui donner encore plus de choses dans l’utopique espoir que les choses redeviennent… Comme avant. Quand il était heureux, ici avec moi. Mais…

Un jour, n’en pouvant plus de le voir malheureux, je l’ai confronté et il s’est fâché après moi. Si désespérée que j’étais de comprendre, je l’ai figé sur place d’un geste avant d’aller lire ses pensées. Et j’ai compris. Il avait vu tous ces gens, ces couples, ces familles, ces groupes d’amis… Et ce n’est pas ici qu’il pourrait avoir ça. Je ne veux pas avoir des centaines de gens ici. C’est mon refuge, la seule maison que j’ai.

Alors… J’ai pris une des décisions les plus difficiles de mon existence. Et une des plus faciles en même temps. Si obsédée par son bonheur que j’étais, pensant pouvoir le combler matériellement, j’en avais fait pratiquement un prisonnier. Tu connais ma position sur la liberté. Alors je l’ai laissé partir, lui disant que s’il voulait revenir, ma porte lui était toujours ouverte. Qu’il pourrait rentrer à la maison. Et… Et… »

Ma voix se brise, je serre les poings, je sens les larmes me monter aux yeux. Dans cet unique moment, elle peut se rendre compte de tellement de choses. Que oui, comme n’importe qui, je suis vulnérable. Mais aussi que toute cette attitude pour faire des blagues, ce n’est pas JUSTE pour tromper la solitude. C’est pour garder constamment le cerveau occupé pour ne pas repenser à des millénaires d’abus et des traumatismes comme ce que je suis en train de raconter. Il n’y a pas eu une fin heureuse à cette histoire. Vous avez déjà vu ce qui arrive à un animal domestique qui se retrouve dans la nature. Ses chances de survie sont réduites par rapport à un animal qui a passé sa vie dans un tel milieu. Sur un coup de tête, je me réfugie dans les bras de la super héroïne. Une déesse cherchant le réconfort dans les bras d’une mortelle… Que d’ironie.

« N’ayant pas de nouvelles de lui après quelques jours mais un affreux pressentiment, j’ai décidé d’aller voir s’il allait bien. Je l’ai retrouvé, mourant, dans une chambre d’hôpital, seul. Abandonné. Attiré dans une ruelle par une belle jeune femme, il s’est fait attaquer et dépouillé du peu de choses qu’il avait avec lui. Des très beaux vêtements et un portefeuille très bien rempli. J’ai voulu le sauver, bien sûr.

Et… Et il m’a dit… Qu’il me demandait pardon. De le laisser mourir. Je l’ai supplié. À genoux. Une déesse suppliant un simple mortel, c’est pathétique, non? Mais pour moi il était plus qu’un mortel. Plus que ma création. C’était mon ami. J’aurais pu aller contre sa volonté, le guérir… Mais ça aurait été aller à l’encontre de son choix. De sa liberté de choix. Et donc… Je suis restée à son chevet. Jusqu’à la toute fin. Et après…

Je ne te mentirai pas. Tout ce dont j’avais envie c’était de retrouver ceux qui lui avaient fait ça et de les punir. Impitoyablement. Mais… Je me suis souvenu de ce que j’avais été pendant un temps et je me suis forcée à ne pas le faire. À la place, je me suis arrangée pour qu’ils soient arrêtés et trainés devant la justice. Parce que c’est ce qu’il aurait voulu.

Alors oui. Je pourrais remplir cet endroit de gens, créer un monde rien que pour moi et le diriger comme une déesse bienveillante. Mais… Je ne veux pas gouverner. Diriger. Imposer ma volonté à d’autres. J’ai connu l’esclavage. Ce n’est pas pour l’imposer à d’autres. Et… Excuses moi, tout le devant de ton costume doit être mouillé. C’est un sujet sensible. Un souvenir très douloureux. Je peux le sécher d’un claquement de doigts, si tu veux. »

Moi qui pensait pouvoir avoir une conversation plaisante et tout, voilà que j’avais dû raconter un de mes pires souvenirs. À quoi bon mentir, de toute façon. C’est arrivé, c’est arrivé. On ne peut rien y faire. Et je me dis en même temps, elle a avancé une théorie, c’était juste logique que je réponde, non? Même si pour ce faire j’ai remué une hallebarde dans une vieille blessure. Mais je ne lui en veux pas. Elle ne pouvait pas savoir. La solitude. Je la connais si intimement que je pourrais lui donner un petit nom sur l’oreiller, tiens. Et elle n’a pas tort. Rappeler qu’on existe quand on a passé sa vie à se faire ignorer… C’est un peu un réflexe. Oh elle peut me juger tant qu’elle veut, ça la regarde. Elle peut me trouver pathétique si ça lui chante. C’est son affaire. Moi, je me force à retrouver le sourire, à reprendre le masque joyeux qu’on me connait et derrière lequel je me réfugie. Chocolats? Demandais-je comme si de rien n’était en lui tendant une assiette apparue de nulle part…

Cette femme était assez étonnante. Elle était comme une humaine dans la peau d’une Déesse, une humaine aux pouvoirs omnipotents qui ne savait plus quoi faire. Karen ne savait pas trop quoi lui dire, et l’écoutait silencieusement. Elle lui expliqua qu’elle était capable de créer des gens, des gens dotés de leur libre arbitre, mais l’homme qu’elle avait fabriqué ici avait fini par s’enfuir, par demander à pouvoir vivre dans un autre monde, où il avait fait de mauvaises fréquentations. Power Girl choisit de ne pas l’interrompre, la laissant parler consciencieusement. Elle savait de quoi cette femme était capable, et elle savait aussi qu’elle était instable. Pouvaient-elles finir toutes les deux bonnes amies ? Karen avait un peu de mal à y croire, mais repensa encore à ce que son père lui disait. Quand Le Joker avait volé les pouvoirs de Mister Mxyzptlk, le lutin omnipotent était devenu un ami de Superman, et, même après, il avait toujours été assez instable. Mais Jeannie, indéniablement, fonctionnait différemment.

Karen la vit même pleurer contre elle, se serrant contre son torse. Ses bras l’enlacèrent chaudement, et elle posa sa main sur ses cheveux. Elle-même avait après tout perdu sa planète natale, alors elle pouvait comprendre ce que Jeannie ressentait. La Déesse releva ensuite sa tête vers elle, et, pour tenter de chasser ses larmes, proposa du chocolat. Le visage sévère de Karen semblait s’être adouci, et elle se laissa même également aller à un sourire, et caressa la joue de Jeannie.

« J’ai une idée assez absurde à te proposer. »

Elle laissa planer quelques secondes, et regarda autour d’elle.

« Vu l’intensité de tes pouvoirs, et, ton souhait de ne pas être une Déesse omnipotente, pourquoi ne fabriquerais-tu pas ta propre réalité ? Pourquoi ne pas créer une nouvelle humanité dans ton monde, et t’y confondre ? Te… Je ne sais pas, te réincarner en une simple humaine, sans pouvoir particulier. »

Une idée saugrenue, que Karen poursuivit, en s’écartant un peu.

« Je te l’ai dit, Jeannie… Si je n’étais que Power Girl, je ne serai pas heureuse. Power Girl n’est qu’un masque, mais, quand je le retire, je me comporte comme n’importe qui. Et c’est ça qui me fait vivre, Jeannie. Tu comprends ça ? Alors… Peut-être que ton problème vient de là, de ton incapacité à pouvoir agir normalement. »

C’était le moment de conclure, ce que Karen s’efforça de faire :

« Il n’y a qu’un seul moyen de lutter contre la solitude : rejoindre la meute. »

Voilà une idée intéressante. Pas de se créer une population ici, dans ma bulle dimensionnelle. Je tiens bien trop à mon intimité, à force. Mais effectivement, me créer une identité « civile » pour vivre parmi les Humains… Je pourrais toujours essayer. J’ai déjà essayé, pas trop sérieusement, une fois… C’est d’y mettre plus du mien, je suppose. Mais si je fais ça, je vais devoir changer d’apparence. Celle que j’ai est trop inhabituelle pour les Humains. Sa proposition n’est pas tombée dans l’oreille d’une sourde, loin de là. Peut-être que vivre simplement parmi les mortels va me faire du bien. Changer le mal de place, chasser la solitude. Ça ne règle pas la question d’Ellison, dont il faudra reparler éventuellement mais… Bref. On va se concentrer sur moi, pour le moment. Le reste peut attendre. Le passage du temps, de toute façon, est très arbitraire alors…

Je fais apparaitre dans l’air devant moi quelque chose de bien trop « high tech » pour appartenir à ce monde typé « Fantasy ». C’est plus comme un interface pour la création de personnage dans un RPG moderne. Je me retrouve alors sans vêtements, pour configurer le corps pour commencer et ensuite on se concentrera sur la garde-robe. Je change différents attributs, couleur des yeux, longueur des cheveux, teinte de la peau, mensurations, j’ouvre d’autres fenêtres pour regarder ce qui est considéré comme « beau » ou « attirant » chez les Humains, recoupé par ce qui est démographique… Ce n’est pas JUSTE de se choisir une apparence. C’est de se choisir la bonne apparence. Quelque chose dans lequel je serai confortable et qui ne va pas faire paniquer les mortels. Ce sont des précautions à prendre comme avec n’importe quoi, en fait. Enfin. À mon avis.

Je compare différents profils. Celui de Power Girl, de Wonder Woman, de Carol Danvers, de She-Hulk, de Selina Kyle, de Black Cat, d’une douzaine de pop stars, le double en actrices… Pour moi, c’est aussi simple que si vous aviez un programmeur qui écrit des lignes de code. Mais pour mon invitée, je suppose que c’est assez inhabituel. Ce qui ont le don de métamorphose, d’autant que je sache, ne se donnent pas autant de mal. J’aime bien faire les choses, c’est tout. Il existe un terme en anglais, « overthinking ». Je dirais que c’est probablement ce que je fais en ce moment mais qu’est-ce que j’y peux? Selon toute vraisemblance, c’est une apparence que j’aurai pour un bon moment, encore. Si je me mêle aux Humains et que je décide de tenter d’y faire ma vie pour me familiariser avec un autre sentiment que la solitude… Je n’aurai pas vraiment le choix. Enfin je crois.

Ça ne va pas m’empêcher d’aller m’amuser où je veux. Alors là certainement pas. Accepter d’apprendre à vivre plus simplement et en grand groupe ne veut pas dire abandonner, fondamentalement, qui je suis. Parce que si c’est ce que ça veut dire, vous m’oubliez. En même temps, Power Girl a dit qu’elle restait Power Girl même si elle a une identité civile. Ce qui me fait penser qu’il va falloir que je me trouve un logement, un emploi, il va falloir remplir un tas de paperasse… Mais c’est le bordel vivre parmi les mortels, en fait… Et je n’ai toujours pas trouvé de physique « parfait » pour ce nouvel avatar! Il me faut un second avis! Ça tombe bien, mon invitée va pouvoir m’aider. Tant que le physique n’est pas terminé, je ne touche pas à la garde-robe et aux accessoires. C’est une question d’ordre logique. Et le premier qui insulte ma logique, je le change en guimauve!

« C’est la misère. Je n’arrive pas à me choisir une apparence! Il y a trop de données contradictoires dans ce qui est apprécié des êtres humains. Tant qu’à prendre une apparence, autant s’assurer qu’elle soit plaisante au regard, franchement! Je ne peux pas garder celle que j’utilise habituellement, c’est trop inhabituel pour le commun des mortels. C’est dommage. J’adore cette apparence. Ce qu’on doit faire comme compromis…

Allez sois sympa, aide moi à choisir. C’est facile. Tu n’as qu’à utiliser les contrôles de l’interface holographique pour altérer ce que tu veux sur moi. Tu as une bien plus grande connaissance des Humains que moi…Un beau geste! Et il va falloir que je me trouve un boulot aussi et… Attends voir… Je pourrais travailler avec toi! Comme ça, comme Superman avec mon ami de la Cinquième Dimension, tu garderais un œil sur moi! »

Je ne dis pas que c’est la meilleure des idées mais à mes yeux c’est une bonne idée. Après tout, c’est elle qui a fait cette proposition, j’ose espérer que ce n’était pas simplement pour pouvoir s’en laver les mains! Quand on propose quelque chose, il faut assumer, quand même, sinon c’est de la lâcheté, voilà ce que c’est! Et d’autant que je sache, ce n’est pas trop dans le profil des super héros. Il est clair que nous venons de deux mondes différents, de deux « écoles de pensées » différentes. Mais est-ce que c’est grave ou problématique? Bien sûr que non! C’est en étant confronté, justement, à quelque chose sortant de l’ordinaire qu’on finit par vraiment avancer. Enfin je crois. Moi je sais qu’après avoir obtenu ma liberté, ça m’a ouvert un univers de possibilités. Littéralement, je précise. Je suppose que c’est propre à chaque personne, comme dans n’importe quoi.

La proposition saugrenue de Karen surprit Jeannie, qui la considéra pendant quelques secondes… Avant de l’accepter. Comme quoi, tout était possible ici ! De fait, Karen en était effectivement arrivée au stade où elle s’interrogeait sur la dangerosité de cette femme. Devait-elle la combattre ? Ou accepter l’idée folle qu’elle tente de mener une vie normale ? Karen se retrouvait dans la situation de n’importe quelle personne faisant face à un Kryptonien, et constatant la puissance surnaturelle de celui-ci. Pouvait-on lui faire confiance ? N’y avait-il pas un risque pour que, un jour, un individu doté d’une telle puissance ne finisse par perdre le contrôle ? Ces interrogations étaient évidemment légitimes, recevables, et Karen les comprenait tout à fait. Elle les ressentait en ce moment face à son interlocutrice, face à cette puissante Déesse loufoque et délurée.

Devant sa proposition, Jeannie se déshabilla rapidement, et une espèce d’interface se mit alors à flotter devant elle. Le décor disparut, devenant plus sombre, plus neutre, plus vide et Karen se retrouva dans une sorte de salle de contrôle, devant un terminal, où elle pouvait modifier l’apparence physique de Jeannie. Elle disposait pour cela de deux écrans devant elle : sur sa gauche, l’un comprenait une série de titres : « CARRURE », « TAILLE », « VISAGE », « PEAU », etc… Chaque menu donnait ensuite à une série de rubriques, surtout le visage : yeux, cheveux, nez, fossettes, joues, etc… Et, sur la droite, un autre écran montrait les changements. Karen se retrouvait ainsi devant un menu de création de personnages digne de n’importe quel RPG !

*C’est une plaisanterie…*

Jeannie lui laissait les commandes, lui demandant de choisir son apparence, car elle-même n’arrivait pas à se décider. Le « programme », pour l’appeler ainsi, proposait plusieurs modèles-types à partir desquels évoluer. Jeannie avait une excellente base de données, et les modèles-types étaient eux-mêmes subdivisés en plusieurs rubriques : personnalités politiques, actrices, super-héroïnes… Les modèles-types allaient de Bernadette Chirac à Rogue en passant par Jessica Alba, sacrée plus belle femme de la planète, à des stars du Net, comme Alizée, irrésistible à voir dans son clip « J’en Ai Marre », où elle remuait son postérieur avec une indécence folle.

Karen devait donc choisir, et opta rapidement pour autre chose.

« Si ça ne tient qu’à moi, Jeannie… Mais, tu sais, je ne te proposais pas nécessairement de venir sur Terre. Tu disposes de pouvoirs infinis, alors tu pourrais faire comme Jésus-Christ et Dieu… Créer dans ton univers un monde à ton image, et t’y incarner. »

Après tout, selon la théologie chrétienne, Dieu était un concept en trois : le Fils, le Père, et le Saint-Esprit. Pourquoi ne pas reprendre ce concept ici ? Tout en laissant Jeannie réfléchir, Karen continua à jouer, et lui donna finalement une apparence assez sensuelle et marquée d’autorité, une sensuelle blonde aux yeux bleus qu’elle imaginait très bien comme femme d’affaires.

« Voilà ce que je te propose… Une apparence plutôt universelle qui pourrait aller à merveille selon les univers que tu envisages. Je veux dire, tu n’es pas limitée qu’à un seul univers, ni à reproduire une copie exacte de la Terre. Tu pourrais… Je ne sais pas, innover. Créer une version futuriste de la Terre avec des aires de jeux façon Ready Player One… Si tu n’as aucune limite, qu’est-ce qui t’en empêche ? »

Les options étaient immenses…

Power Girl se décide enfin sur une apparence pour moi. Je suppose que c’est tant mieux. Personnellement, je n’aurais pas choisi blonde mais je lui fais confiance pour la peine. Je l’écoute parler et je la regarde non sans une once d’incrédulité. Elle veut que je ME crées un monde? Mais j’en ai déjà un, nous sommes dedans! Quoi, elle voudrait que je me fasse une deuxième bulle dimensionnelle encore plus développée pour… Pour… Oh non! Hors de question! Certes, l’idée est intéressante mais je ne veux pas devoir diriger un monde entier peuplé de millions d’êtres. Je l’ai fait une fois, c’est absolument impossible de plaire à tout le monde et ça a été excessivement éprouvant comme expérience. D’accord, c’était il y a une éternité mais… Non, vraiment, avant de retenter la chose, on va commencer par vivre plus simplement parmi les Humains.

Soyez assurés par contre que je garde quand même l’idée dans un coin de ma tête. J’ai adoré « Ready Player One », tant le roman que le film et j’espère vraiment qu’ils vont porter « Armada » au grand écran. Mais je m’égare. J’ai une nouvelle apparence, un nouvel objectif et… On verra bien ce que j’en fais après, non? Je ne suis pas obligé d’être une Jeannie à un endroit. Cultivez le bon paradoxe et vous pouvez à être à plus d’un endroit dans l’existence. Mais pas partout, hein! J’ai détesté l’expérience de la « divinité avec tous les pouvoirs ». Rien que d’y penser et j’en ai des sueurs froides. Il n’en demeure pas moins qu’il est trop tard pour elle pour faire machine arrière. Elle a mit quelque chose en marche : qu’elle assume, désormais. Et si elle se retrouve à devoir être ma « gardienne »… Elle n’avait qu’à ne pas proposer quelque chose sur lequel j’allais nécessairement rebondir.

Pourquoi est-ce que je m’isolerais dans un monde certes créé aléatoirement quand je peux encore continuer à explorer? Ce qui m’embête avec l’idée de créer mon monde de toute pièce, c’est qu’à la fin de la journée, ce sont quand même mes créations. Mon monde, mes affaires et si quelque chose me dérange, l’enlever sera tellement simple. Tandis que sur Terre, il y a une certaine éthique qui guide mes actions parce que ce que je vais défaire, ce n’est pas moi qui l’ai fait. Certainement pas. Donc… Voilà quoi. Vous voyez le genre? Mais où en était-je? Ah oui. Moi qui ne suis pas convaincu par l’apparence choisie par Power Girl, encore moins par l’intégralité de la teneur de ses paroles. Est-ce qu’elle essaie de se débarrasser de moi? J’ose espérer que non, avec tous les efforts que je fais! Vous allez me dire : quels efforts, ce à quoi je vous réponds : MES efforts, bon sang!

Vous pensez que c’est facile de rester concentré quand on souffre d’un trouble du déficit de l'attention avec hyperactivité? Vraiment pas! Pourquoi vous pensez que j’ai du mal à gérer les choses? Il y a toujours quelque chose d’autre à aller voir ou à expérimenter, voilà pourquoi j’en suis bien incapable! Enfin. Incapable non mais c’est beaucoup trop dur pour que ce soit gérable à une échelle comme l’éternité. Ironiquement, quand je joue à des jeux vidéo, c’est super pratique car je remarque un paquet de trucs en même temps. Entre des vies simulées et la réalité, par contre, je vous garantis que c’est deux poids et deux mesures. Vraiment. Si j’échoue une mission dans un jeu, les vies perdues sont des bits de données. Des zéros et des uns. Si j’échoue à gérer mon monde… Oui, ce sont mes créations. Elles sont vivantes et sont de chair et de sang. À mes yeux, ce ne sont pas des pions.

« Tu sais, je ne suis pas convaincue pour l’apparence… Je ne sais pas. Je vais la conserver pour le moment, faute de mieux on va dire mais… Je ne saurais dire ce qui me dérange. Quant à ton idée… Gérer… J’ai essayé. Je suis une brute à Simcity ou à Cities Skyline mais j’ai déjà essayé de gérer un monde. Un vrai de vrai monde. Vraiment pas cool. Oh et ne pense pas pouvoir te débarrasser de moi si facilement, au fait.

Je vais aller bosser avec toi que tu le veuilles ou non. Tu es un peu comme… Mon agent de probation, quoi! Ainsi tu gardes un œil sur moi et je ne fais pas tomber une pluie de météores pour faire un bonhomme sourire avec les morceaux en plein Sahara. Pas que je comptais vraiment le faire ou si je le fais, en s’assurant que ça ne blesse ou tue personne. Mais tu comprends le principe général. Je deviens partiellement ta responsabilité.

Tu es une super héroïne, non? Vois le comme ça. Où tu vas m’enfermer sinon? À Arkham? Et pourquoi tu chercherais à faire de l’antagonisme? Qui te dit que je ne vais pas aimer ça, la simplicité de la mortalité et graduellement gagner en maturité? Rien de moins sûr mais de nouvelles expériences ne peuvent pas faire de tort. Et de toi à moi, tu te sentirais vraiment, vraiment, vraiment confortable de laisser sans surveillance… Bien…

Une déesse souffrant d’un trouble du déficit de l'attention avec hyperactivité? Je dis ça je dis rien mais je doute que Superman ou Batman seraient fiers de toi s’ils l’apprenaient. Ou alors… Imagines toi que je décides de m’incruster à ton mariage pour avoir de l’attention. C’est cool les mariages! Du bonheur, du gâteau… Si je suis mieux encadrée, ça risque de ne pas prendre des allures rocambolesques et tout. Tu vois ce que je veux dire? »

Karen ne savait pas trop comment s’en sortir avec Jeannie. Cette femme ne cessait de la surprendre. Sa nouvelle apparence lui allait plutôt bien, et, à vrai dire, Karen s’était tout simplement inspirée du physique de Mercy, un personnage de « Overwatch ». Karen trouvait son corps assez agréable à regarder, et l’habilla donc avec une élégante robe blanche, largement ouverte dans le dos, et sourit brièvement. Mine de rien, même en étant dans cette situation tendue, Karen arrivait encore à trouver le moyen de s’amuser. Jeannie contesta en revanche vouloir fonder son propre monde, et insista pour rester proche de Karen.

*C’est pas vrai !*

Avoir une femme pareille à ses côtés, c’était comme élever une bombe atomique dans sa chambre. Jeannie était instable, et disposait de pouvoirs cosmiques susceptibles de transformer n’importe quelle situation ordinaire en situation complexe. Karen croisa donc les bras, Jeannie la menaçant en demi-teinte de lui gâcher la vie si elle la repoussait.

*Enfin, il me reste toujours l’option d’aller voir des magiciens, comme le Docteur Strange…*

Karen en savait assez sur la magie pour savoir que celle-ci suivait ses propres règles, et que personne n’était vraiment omniscient. Jeannie avait forcément des limites, mais Power Girl n’en savait pas assez sur les magiciens ou, de manière plus générale, sur la magie, pour pouvoir agir. Pour l’instant, elle allait donc devoir considérer cette femme comme une sorte d’alliée potentielle, de femme qui allait devoir la rejoindre.

Karen la rejoignit donc, et l’observa silencieusement.

« Moi, je te trouve très belle comme ça… Et, si tu veux faire partie de mon cercle proche, le mieux est que tu rejoignes ma société. Mais je ne sais pas si tu es capable de l’assumer. Mon épouse et moi… Hum, peu importe. »

Elle ne se voyait pas lui dire qu’elle avait une libido à la hauteur de sa nature super-héroïque. Power Girl se pinça donc les lèvres, avant de poursuivre :

« Mais je ne sais pas si ça te passionnera, d’être cadre dans une entreprise. C’est assez… Répétitif. Mais je ne sais pas, on peut peut-être te trouver autre chose… Travailler dans mes filiales dans des pays défavorisés, par exemple. En vrai, je dois bien t’avouer que je ne sais pas trop ce qu’on peut faire d’une femme aux pouvoirs cosmiques, ça ne m’arrive pas tous les jours. Ce n’est pas que je veuille me débarrasser de toi, mais… Enfin, qu’est-ce qui te ferait plaisir dans le fait de travailler dans une entreprise ? »