The Multiversity

La requête était éminemment surprenante. Le château de Westchester, même s’il était bien plus que ça en réalité, n’avait été officiellement que la propriété du feu Sir Xavier, un philanthrope qui avait dévoué sa vie à l’accueil d’orphelins en qui il décelait une vivacité d’esprit toute particulière. Même si cette noble mission, depuis menée par la première génération d’enfants accueillis, n’était pas un secret, et avait même bénéficié d’un patronage royal grâce à l’attention toute particulière de la Reine envers l’éducation, recevoir une telle invitation semblait pour le moins étrange, surtout sans plus d’information, et le choix de Monsieur Summers comme invité semblait aussi singulier ; S’il commandait en secret la Société X, un mouvement de résistance mutant face au règne vampirique, c’était Mademoiselle Munroe qui assurait le bon fonctionnement de Westchester. Cette lettre déclencha donc un débat houleux au sein de la Société X.

Ceux qui se méfiaient de l’invitation citaient le fait qu’à l’issue de la prise de pouvoir des vampires, la supposée hôte de leur chef Cyclope, Emmeline Grace Frost, la Reine Blanche, avait reçu la couronne du royaume Britannique précisément en récompense de son talent tout simplement préternaturel pour éradiquer divers réseaux de résistants ; En conséquence, son intérêt pour Westchester ne pouvait être que suspect.

Quelques des contre-arguments étaient que ses méthodes s’étaient toujours révélées brutalement efficaces, tout le contraire de cette lettre qui serait, si vraiment elle représentait une menace, un avertissement inutile, et une chance pour la Société X de s’échapper. Il y avait aussi ces rumeurs – que chacun était libre de considérer simples on-dit voués à scandaliser et amuser les masses – de l’appétit vorace de leur monarque en terme de mâles, et Monsieur Summers était certainement un bel exemple de son sexe, et, moins bassement, Westchester avait bel et bien reçu l’attention royale par le passé, et il n’était donc pas absurde que la Reine Blanche daigne finalement faire plus qu’envoyer quelques lettres et diamants en guise d’approbation.

Une autre considération fut la nature mutante de l’invité. Si certains pouvaient cacher leur don, ça n’était pas le cas de Monsieur Summers qui, malgré des lunettes tout spécialement faites pour contenir son pouvoir qu’il ne savait contrôler, était donc loin d’avoir une apparence classique. Certains pensaient d’ailleurs que ça pouvait être la raison de son choix : Il était remarquable, et la curiosité de la monarque l’avait peut-être amenée à jeter sur lui son dévolu alors qu’elle n’avait pas grand chose à faire de qui lui expliquerait les détails de l’effort charitable de Westchester. Cependant, s’il pouvait sembler simplement étrange pour les habitants des villages alentours, il y avait un risque que la Reine ou sa garde ne suspecte son statut de mutant, et bien que celui-ci n’était pas illégal ou même légalement discriminant – une spécificité relativement inexpliquée mais bienvenue du royaume de la Reine Blanche au sein du dominion vampire – le lien avec la Société X pouvait être rapidement déduit.

Dans tous les cas, il fut finalement décidé, à cause de l’insistance de la lettre, que Monsieur Summers se rendrait bien au Palais Blanc, mais ferait de son mieux pour poliment écourter le repas.

Londres, 1899

À bord d’un carrosse de luxe, Scott Summers contemplait l’invitation de la Reine Frost. Elle venait d’arriver au pouvoir récemment, et organisait son couronnement suite au décès de la regrettée Reine Victoria. Tout le monde souhaitait à la Reine Frost, ou « la Reine Blanche » comme on la surnommait, un règne aussi long que celui de la Reine Victoria, qui avait régné pendant plus de 60 ans, soit un record historique au sein du royaume britannique. Il n’y avait pourtant pas de quoi se réjouir. La fin du règne de Victoria était crépusculaire, et, à l’approche du nouveau siècle, l’Angleterre était en train de basculer. Le pays était englué dans une crise majeure en Afrique du Sud, où les Boers menaçaient à chaque instant de raviver la flamme du conflit contre l’Empire britannique, et, pour ne rien arranger, le pays sombrait dans une importante épidémie. Londres était en danger, avec des quartiers entiers qui avaient été placés en quarantaine. Un mal ancestral se répandait dans le pays, un mal qui avait commencé à fleurir quand l’Angleterre s’était couverte de rouge, lors des sanguinolentes guerres de religion... Les vampires.

On disait que le vampirisme était un maléfice venu d’Orient, qui avait été répandu en Occident par l’intermédiaire d’un voïvode slave au 15^ème siècle : Vlad III Basarad, Vlad l’Empaleur... Drăculea. Une légende que certains auteurs gothiques avaient remis au goût du jour, comme Bram Stoker, mais qui dissimulait une réalité bien plus sinistre. Dracula existait, et le Comte Dracula avait porté son regard sur l’Angleterre. Scott avait croisé sa route à deux reprises... Petit, lorsque ses parents, des chasseurs de vampires, avaient été tous les deux tués par Dracula. Il aurait alors dû mourir également, car Dracula appréciait la chair et le sang frais des jeunes bébés. Ses pouvoirs spéciaux, christiques, s’étaient toutefois manifestés, et ses yeux avaient scintillé de la lumière du Seigneur, enflammant Dracula, le blessant mortellement. Depuis lors, une guerre féroce faisait rage entre Scott et Dracula. Personne n’avait jamais autant blessé le Roi des Vampires que Scott, et Dracula avait commencé à infiltrer les institutions européennes.

Petit à petit, son réseau s’étendait partout. Il avait sévi en France lors de la Révolution Française, profitant des guillotines massives de la Terreur pour s’emparer du trône. Proche de Napoléon, on disait qu’il avait vampirisé ce dernier, et chaque invasion napoléonienne avait été autant de raisons pour lui d’étendre son ombre, à travers ses pantins, des vampires, des courtisanes, de simples esclaves qu’il séduisait par le regard. Dracula était le véritable maître du monde, et avait profité de ses influences européennes pour se répandre également sur les colonies. On disait qu’il ourdissait une guerre majeure entre la Prusse et la France, afin de déclencher un conflit intense dont il pourrait bénéficier.

Grièvement blessé suite à ce combat, Scott avait été sauvé par le meneur de l’ordre sacré auquel ses parents appartenaient, Charles Xavier. Ce télépathe respectable était un disciple du premier chasseur de vampires, Abraham Van Helsing, qui avait été le premier à combattre Dracula. Van Helsing avait fondé un ordre religieux destiné à combattre les vampires. Il en fut le premier Grand-Maître, et Charles le dernier. Tout au long de leur carrière, l’Ordre d’Helsing se heurta au redoutable Hellfire Club. Un véritable club de damnés qui avaient depuis des siècles dirigé l’Angleterre. Un club qui remontait à l’époque où Guillaume le Conquérant avait envahi la sauvage Angleterre pour la réunir sous sa coupe, le règne totalitaire de Guillaume donnant lieu à l’établissement de la Magna Carta en 1215. On disait que le Hellfire Club avait été fondé à cette occasion, afin d’avoir une association d’aristocrates destinés à influer sur la politique royale en-dehors des canaux officiels. Bien des siècles après, le Hellfire Club avait été parasité par Dracula, et avait mené une guerre contre l’Ordre d’Helsing. Mené par Sebastian Shaw, un humain belliqueux, le Hellfire Club servait en réalité Dracula, et Shaw, esclave de Dracula, réussit à capturer le grand amour de Scott, la paysanne Jean Grey. Elle était une télépathe redoutable, l’un des éléments centraux de l’Ordre d’Helsing. Tandis que Shaw menait sa guerre ouverte, Dracula avait manipulé Jean, usant de ses pouvoirs charismatiques (pouvoirs auxquels Scott était relativement insensible, puisque Dracula ne pouvait voir ses yeux, perpétuellement protégé derrière des lunettes en rubis-quartz façonnées par Forge, l’alchimiste-forgeron de l’Ordre) pour la séduire, et, peu à peu, en faire son épouse. Elle était devenue sa Reine Noire. Les affrontements entre l’Ordre Helsing et le Hellfire Club donnèrent lieu à un affrontement majeur au sein de Londres, dans le quartier général du club. Shaw fut tué, Jean trahit les siens, et provoqua la mort de Charles Xavier, tandis que les forces de Dracula, avec l’aide de Jean, ravagèrent le quartier général de l’Ordre.

Suite à cette lourde défaite, l’Ordre Helsing disparut, mais la résistance ne faiblit pas. En hommage à Xavier, ses croisés s’appelèrent « Société X ». Des actes de résistance isolés. Chacun des anciens disciples de Xavier disposait de pouvoirs surnaturels, fruits des expériences alchimiques de Charles Xavier. Mais la Reine Noire et Dracula restaient la menace principale. Un couple terrifiant. Xavier avait néanmoins prophétisé qu’ils s’autodétruiraient. Sur son lit de mort, il avait annoncé avoir vu le futur, et avait demandé à ses X-Men (car façonnés par Charles Xavier) de croire en l’espoir.

Après la mort de Shaw, Dracula avait converti une femme haut-placée au sein du Club, Emmeline Grace Frost, qui était également une télépathe, en lui laissant l’Angleterre. Dracula avait vaincu en Angleterre, il avait volé à Scott sa femme, et se moquait alors bien du reste de l’Angleterre. De fait, il aurait pu le tuer, mais il refusa cette idée, préférant celle de le faire souffrir en l’imaginant en compagnie de Jean.

La Société X était un ordre violent, qui avait dépassé les préceptes de Xavier. Les résistants n’hésitaient pas à attaquer les humains pactisant avec les vampires. Ils ignoraient que la Reine Blanche était une vampire, car ils n’avaient pas eu l’occasion de la croiser lors des affrontements contre le Hellfire Club. Scott avait donc accepté l’invitation de celle-ci, pensant alors à un simple litige successoral. Xavier était mort, et le Palais Westchester, la demeure familiale de Charle set siège de l’Ordre d’Helsing, n’avait plus de propriétaire légal, Xavier étant décédé sans héritier. Un avocat avait annoncé à Madame Munroe que l’héritage serait compliqué. Sur un testament recueilli par un avocat, Charles Xavier avait légué son château à Ororo Munroe, mais l’avocat avait des doutes sur la légalité du legs, du fait de la couleur de peau et du sexe d’Ororo. Jamais la Couronne n’accepterait une négresse comme Lord !

« Je suppose qu’elle t’invite pour parler de moi... Une négresse ancienne esclave, cela ferait tâche à Buckingham Palace. »

Le Palais Royal de Buckingham, renommé « Palais Blanc », abritait la demeure de la Reine Blanche. C’est ici que Scott se rendait, seul. Sa soif de vengeance était toujours là. Et si la Reine Blanche souhaitait aider les X-Men ? Ororo se méfiait d’elle. Scott voulait aussi profiter de ce séjour à Londres pour tenter de retrouver Logan. Depuis la mort de Xavier, Wolverine était parti à Londres, s’enfermant dans une vendetta vengeresse contre les vampires. Sévissant dans le quartier de Whitechapel, il avait été surnommé « L’Éventreur » en raison de ses actions.

*Espérer... Mais comment puis-je espérer ?*

Scott était un roc inébranlable... C’était l’image qu’il aimait donner aux jeunes recrues, ces orphelins victimes des vampires que les X-Men ramenaient, mais, en son for intérieur, il savait que la bataille était terminée. Dracula ne cessait de s’étendre, et les vampires, jadis discrets, s’affichaient désormais librement. Certains quartiers de Londres étaient devenus des coupe-gorges, et, comme il avait délaissé l’Angleterre au profit de ses enfants, des vampires imparfaits se répandaient dans les quartiers pauvres... Des monstres grotesques, des vampires inachevés, ayant perdu toute notion cognitive, s’en prenant à n’importe qui. L’intronisation de la Reine Blanche se faisait donc dans un pays sous tension, et, tandis que le chariot de Scott se rapprochait du Palais Blanc, celui-ci pouvait constater qu’il y avait beaucoup de convives.

De toute évidence, la Reine organisait une soirée...

Malgré le rebaptême du Palais de Buckingham avec la couleur éponyme et apparemment fétiche de la Reine Blanche, ses Gardes jonchaient les lieux dans leurs uniformes toujours rouges et noirs, un clin d’œil à un passé qui chaque jour semblait plus lointain, ou, pour ceux conscients de la guerre sous-terraine qui faisait rage en Europe, peut-être un rappel de Dracula de la couleur du sang à celle qu’il avait placée ici. L’ambiance était cependant bien loin de ces considérations, si sombres et sérieuses ; Alors que Scott approchait, il put commencer à entendre les cordes de l’orchestre, et bien sûr, remarquer la foule d’invités qui, bien que pas aussi dense que pouvait l’être la foule par certains endroits dans Londres, indiquait une soirée mondaine.

Les tenues étaient extravagantes, au moins selon les goûts plus simple d’un résident de Westchester, qui plus est, un habitué aux considérations utilitaires d’une vie faite de nombreux combats. Plus notable encore, des masques, même si à l’extérieur, certains étaient enlevés pour profiter de l’air du soir ; Dans l’entrée, un valet posté devant une petite alcôve en recélant des dizaines, peut-être même plus, en tenait quelques-uns pour offrir aux nouveaux arrivants n’ayant pas été avertis de la nature du bal. Même s’ils se ressemblaient de par le besoin de remplir leur fonction, tous étaient légèrement différents, mais avant que Scott ne puisse véritablement analyser cette diversité, ou même seulement se demander s’il comptait en profiter et ne pas simplement prendre le premier venu, une voix l’interpela depuis la salle de bal et ses lumières chatoyantes.

« Oh, Monsieur Summers – ne vous embarrassez pas de ce choix, j’ai fait préparer un masque tout spécialement pour vous. »

Depuis l’arche qui délimitait implicitement où l’atour devenait obligatoire, une femme approchait en s’offrant à un baise-main. Il était aisé, en fait simplissime, évident, qu’il s’agissait de la Reine Blanche, inexplicablement bien tombée.

Sa tenue était ostentatoire, digne de sa royauté ; Couronnée, presque littéralement, d’un diadème de chrome poli jusqu’à en sembler un miroir et supporté par quelques roses blanches parsemées dans ses cheveux, son masque ainsi que même sa robe, particulièrement son haut col et buste, brillaient de la présence de fines touches de métaux précieux soulignant par leurs reflets chatoyants sa taille fine, sans aucun doute possible affinée au delà du naturel par un corset, alors que de multiples couches de tissus précieux savamment superposées donnaient une impression de richesse et complexité.

Et hormis ces reflets, aucune couleur n’adornait la tenue de la Reine Blanche, fidèle à son titre, mais ce qui était bien plus frappant était à quel point cela était vrai de sa personne aussi ; La peau cadavérique, même si elle n’en avait pas l’aspect malade ou décrépi, ressemblant au contraire à un marbre sculpté par un des grands de la Renaissance, aussi bien dans son aspect que ses proportions, et les cheveux entre le plus clair des blonds et le blanc, les seules « taches » de couleur étaient ses yeux d’un bleu éthéré et son rouge à lèvre intensément rouge.

« Désolée que ma lettre ait été si...cryptique ; J’aurais volontiers donné plus de détails – en l’occurrence, j’imagine que « donné des détails » serait une formulation plus apte – mais ceux-ci n’étaient pas encore décidés, et je voulais malgré tout vous donner quelques jours pour préparer votre voyage depuis Westchester. Si son allure n’avait pas déjà confirmé l’importance de la dame, et par extension son identité, un petit groupe d’invités s’attroupa rapidement, curieux de savoir ce qui distrayait la monarque. Celle-ci se retourna juste assez pour pouvoir poser un œil sur eux, mais pas plus, et ils retournèrent maladroitement au reste du bal, permettant à la Reine Blanche de faire signe au valet d’aller chercher l’ajout final à la tenue de Summers. Rapidement, celui-ci revint avec un masque dans le front duquel un troisième œil était sculpté, et dont, sur le côté, partaient deux longues plumes rouges, mais qui, notamment, pouvait accommoder ses lunettes. Comment avez-vous trouvé Londres ? Inutile de me mentir, je ne suis ni aveugle ni particulièrement adepte des euphémismes. »

Au fur et à mesure des mots mielleux de la Reine et de ses sourires amiables, ce qui n’aurait pu être qu’un soupçon jusqu’ici de révéla en même temps que deux canines subtilement mais notablement plus longues que la moyenne ; Celle-ci était une vampire. Pire encore, après sa question passe-temps, la monarque passa son bras sous celui de Scott pour, même si l’usage voulait que ça soit le contraire entre un homme et une femme, le guider à l’intérieur.

« Mais trêve de politesse - dites moi, comment se porte l’entreprise, ou plutôt mission sacrée, de ce cher Charles ? »

Scott constata que la soirée serait… Masquée. Il n’avait aucun masque avec lui. Il sortit de la voiture, humant l’air pollué de la ville. Les usines avaient vu le jour partout, ainsi que ces technologies formidables et révolutionnaires. Il avait vu des poteaux électriques le long des grands boulevards menant au Palais Blanc.

« Je n’ai pas de masque. »

Avant que le domestique ne puisse lui proposer quoi que ce soit, une voix féminine happa l’attention de Scott. Il ne l’avait jamais vu, mais il sut immédiatement qui elle était en la voyant arriver. Toute vêtue de blanche, la Reine d’Angleterre lui faisait face, son visage disparaissant derrière un masque blanc, un masque qui semblait fait de cristal, parsemé de délicates roses blanches, qu’on retrouvait aussi sur sa couronne, ou le long de sa robe royale… Et quelle robe ! Scott ne put que sentir son souffle s’emballer. Une robe blanche impériale, qui détonait assurément avec le style victorien habituel, mais qu’on ne pouvait qu’admirer. Elle était blanche, et même cristalline, dévoilant un peu de la peau parfaite de la Reine. Scott avait entendu dire que la Reine n'approuvait guère le dress code très strict imposé par la Reine Victoria. Il en avait l’illustration.

Devant lui, Scott cligna des yeux, et, bien élevé, s’inclina respectueusement, surpris de voir la Reine face à lui.

« Je… Majesté, c’est un honneur ! »

Elle lui expliqua avoir un masque « spécialement pour lui ».

*Qu’est-ce que c’est supposé vouloir dire ? Elle me connaît ?*

Si on excluait leur traque des vampires, Charles Xavier et ses X-Men n’attiraient guère l’attention ! Et le comté de Westchester n’était pas un comté très connu. Il n’était donc pas un invité de marque, d’autant que sa légitimité en tant que successeur du comté était contestée. Avait-elle entendu parler de cette histoire ? Souhaitait-elle arbitrer dans ce litige ? Elle lui présenta même des excuses, indiquant être « désolée » pour sa lettre cryptique. Sous ses lunettes, les sourcils de Scott s’écarquillèrent, ce que personne n’aurait pu voir.

Face à elle, il sentait toutefois le même instinct que face à Jean en croisant son regard, l’impression qu’elle pouvait lire dans son esprit, décortiquer la moindre de ses pensées… Se faisait-il des idées ? Probablement, mais cette femme le troublait. Il la suivit donc devant le fronton du palais, et elle lui présenta son masque. C’était un masque doré, élégant, adapté pour ses lunettes, avec… Un troisième œil cyclopéen sur le dessus.

Cyclope… Son nom de code dans la lutte contre les vampires !

*Un message évident…*

Elle parla encore, et Scott ne nota pas la présence de ses canines. Il voyait mal avec ses lunettes, et l beauté de la Reine l’éblouissait. Il attrapa le masque, et l’enfila ensuite.

« Pour être honnête, je ne pensais pas l’air si vicié, ici, à Londres. Enfin, je ne parle pas pour votre Palais, Majesté, mais ces usines et ces cheminées qui crachent leurs fumées toxiques sont très particulières. À Westchester, nous n’avons pas encore d’usine. »

Quand elle lui annonça qu’elle saurait s’il mentait ou non, il revit encore Jean, lorsqu’elle lui affirmait qu’elle savait tout de lui, et qu’il ne pouvait pas lui mentir. Elle tendit son bras vers lui, le sortant de ses pensées. Scott l’attrapa, et, ensemble, ils rejoignirent le grand hall. Un léger brouhaha les accueillit. Les convives étaient venus de toute l’Angleterre, se retournant vers eux, s’inclinant ou courbant respectueusement l’échine devant la Reine. Elle s’affichait avec lui. C’était en soi un scandale politique que l’ancienne Reine n’aurait jamais autorisé, car il n’était pas encore, officiellement, Lord. Mais c’était aussi un signe de modernité. Les Lords aristocratiques pesaient maintenant bien peu de choses face aux grands industriels, aux navigateurs, ou aux propriétaires terriens des grandes colonies anglaises.

« Sa mission sacrée… Vous êtes donc au courant, Majesté… »

Ils marchèrent ensemble. Des vampires étaient ici, Scott le sentait, mais où ?

« Nous poursuivrons l’œuvre de feu Sire Xavier avec toute la passion dont nous sommes capables. Notre détermination n’a jamais été aussi grande, malgré les afflictions que nous avons subies dernièrement. Au moins, nous avons contribué à affaiblir le Hellfire Club, et à renforcer les pouvoirs de la Couronne. »

Ce club n’était pas inconnu à la souveraine.

« Nous pensons que les renégats du Hellfire Club vont vouloir récupérer le pouvoir, Majesté. J’ai accepté votre invitation à cette fin, et afin de clarifier les choses entre vous et notre ordre. Le litige autour de la succession de Sire Xavier n’est qu’un subterfuge. Nous avons réussi à vaincre Shaw, mais le club lui a survécu, et cherche à nous stopper en voulant récupérer le château de Sire Xavier. »

Scott ne disait pour l’heure rien de plus que ce que la souveraine devait déjà savoir.

« Permettez-moi de vous dire que vous êtes éblouissante dans cette robe, Majesté. Mais je suis curieux… Pourquoi m’avoir invité moi, spécifiquement ? Et que comptez-vous faire concernant Westchester ? »

Pouvait-il se permettre tant de familiarités ? Scott n’avait jamais été très à cheval avec l’étiquette !

« C’est l’air de notre ère, j’en ai bien peur – et avec tant d’ennemis à nos portes, du sentimentalisme pastoral serait mal venu ; l’Angleterre se doit d’être forte, compétitive, et pas simplement vertueuse. La Reine Blanche prenait son temps pour entrer dans le vif du sujet, d’abord car cela ne faisait que mieux déboussoler Summers qui, entre la désinvolture de la cour et le sérieux de ce qui s’y jouait, ne savait où donner de la tête – et c’était sans ajouter le charme vampirique d’Emmeline. Mais aussi parce que, malgré ses talents, elle n’était pas aussi bien informée sur la Société X qu’elle le voudrait, et si Scott était prêt à se confesser, alors, évidemment, elle comptait en profiter. Et bien sûr que je connais votre regretté mentor – j’ai été un de ses premiers... Même si déceler les expressions sous le masque était difficile, celle-ci fut évidente : Frost pencha son visage sur le côté et fit la moue, hésitante ...cas d’étude, dirons nous. J’étais une jeune fille noble et les règles de la bienséance ne savaient que faire de mes...prédispositions, alors mes parents s’enquirent de celui qui semblait – et en vérité, semble toujours, malheureusement – le seul expert en la matière. »

Même si cette histoire pouvait se targuer d’être vraie, elle était incomplète au point de quasiment en devenir un mensonge; Avec l’éveil de ses pouvoirs et donc sa capacité à lire dans les pensées de quiconque elle rencontrait, la future Reine Blanche forma rapidement l’opinion que la lutte de Xavier était absurde, naïve, se concentrant sur les vampires alors que les humains, aussitôt ceux-ci défaits, et peut-être même avant, se retourneraient bien volontier contre les mutants. Plutôt que gâcher ses efforts, elle choisit de gravir l’échelle sociale, et même si cela l’amena à tomber en même temps que le reste du Hellfire Club dans les griffes de Dracula, elle continua son chemin en tant que son allié, ce qui au fond, rendit les choses bien plus faciles, et elle n’avait jamais craint la trahison, du moins, de la commettre.

« Pour le meilleur et pour le pire, ma noblesse – ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, de sang – me rappela à la cour, et c’est donc d’ici que j’espère aider ceux...comme nous. Emmeline tourna la tête vers Scott pour le regarder de ses yeux intenses, aussi bien physiquement captivants, semblant tantôt bleus, tantôt rouges, que psychiquement, sa télépathie et son allure vampirique se combinant en ce que ceux qui ignoraient l’existence de l’un et l’autre décrivaient comme un charisme irrésistible. Vous savez ce dont je parle, n’est-ce pas, Monsieur Summers ? Charles a toujours été – lui aussi, pour le meilleur et pour le pire – obnubilé par les vampires, et je ne peux pas lui jeter la pierre, la menace est réelle, mais...ses “X-Men” ne sont pas le fruit que de l’alchimie, ils sont une nouvelle espèce, un nouveau sang, qui chaque jour est répandu, aussi bien par ceux qui ne peuvent tolérer son existence, que par la naissance de nouveaux “mutants”, comme on nous appelle parfois, en toujours plus grand nombre. Viendra un jour où nous ne saurons plus vivre dans les ténèbres, cachés – en ça, comme les vampires que nous combattons – et quand ce jour viendra, je ne veux pas que nous subissions le sort d’autres franges de ce royaume ou d’autres... »

Malgré cette référence à peine voilée à quelques persécutions lointaines ou récentes, autour de la paire, l’attention était retombée, et pourtant, la Reine au bras d’un roturier était un événement ; Bien sûr, un tour télépathique de celle-ci, pour que les espions de Dracula ne puissent surprendre la conversation, mais aussi une volonté de donner un air plus privé à celle-ci, pour pousser Scott à l’intimité. Une alliance avec lui était, après tout, la meilleure chance qu’avait Emmeline de se défaire du joug du Roi des Vampires, voire d’en usurper le pouvoir, et ce dans un but qui l’unissait avec la Société X, quand bien même, sur un autre plan, ils étaient ennemis jurés. Après un compliment accepté avec une simple révérence de la tête, à la fois trop habituée et peu disposée par le protocole pour faire plus, elle frappa.

« J’ai cru comprendre que vous aviez réussi à blesser Dracula..? La question était posée presque innocemment, une réponse nonchalante, presque anecdotique à l’interrogation peut-être quintessentielle de Summers, “Pourquoi lui ?”, mais elle était, bien évidemment, centrale à l’alliance avec les X-Men. Aussi, que vous faites montre d’un zèle des plus nobles – d’âme et d’esprit, cette fois – dans votre combat sacré, et, pour mettre fin à votre interrogation quant à Westchester, comme la fortune, je sourie aux audacieux ; C’est votre revendication que j’aimerais favoriser contre celle du Hellfire Club, en partie, je dois regretter, car malgré mon respect pour Mademoiselle Munroe, ma position est un équilibre parfois précaire, et il sera plus facile à maintenir, en même temps que votre assise sur le château, si une ancienne esclave n’en est pas la propriétaire. »

« Je ne compte pas révéler notre existence moi-même, je connais l’histoire des Albigeois, Charles me l’a narrée lui-même – mais la clandestinité ne saura nous seoir éternellement pour autant, c’est un fait. Chaque mois, semaine, peut-être même jour, plus d’entre nous naissent, de parents humains, et, bien entendu, nos propres enfants sont assurés cette...singularité. Il est inévitable qu’un jour, tous les humains seront mutants – si la “Mutanté” n’est pas tuée dans l’œuf avant, bien sûr. Rallier la Société X à sa cause était pour le moins audacieux de la part de la Reine Blanche, même en sachant qu’elle pouvait cacher ses traits vampiriques les plus évidents grâce à sa télépathie, mais en limitant son contact à “Cyclope”, et en le courtisant par quelques moyens détournés tout en assurant sa position de leader...l’esquisse d’un plan se présentait. C’est pour ça que Frost s’adaptait à ses mots, se présentant comme une opportunité en or. Ne vous inquiétez pas, Monsieur Summers, je n’ai aucune intention de vous jeter dans une sorte de révolution contre les humains, loin de là – je m’assure juste que vous comprenez qu’il est important pour nous de nous soutenir, et ne pas laisser le combat contre les vampires nous distraire de celui-là. »

Il était facile de sentir la tourmente qui agitait l’esprit du mutant, mais comment l’exploiter restait difficile à dire, même pour la manipulatrice experte qu’était Emmeline; Il était un guerrier, convaincu du bien-fondé de sa cause, et celle-ci, si seulement il le savait, lui demanderait de réduire en poussière la Reine Blanche. Mais il ne le savait pas, alors, pour l’instant, la vampire décida de simplement le garder près d’elle, là où elle pouvait apparaître comme une alliée, loin de ces X-Men qui doutaient d’elle et de leurs dogmes. Après réflexion, et quelques pas de plus dans le hall qui servait de pièce principale à la réception, Emmeline, sa main reposant toujours sur l’avant-bras de Summers, trouva un angle d’attaque, et l’emmena doucement vers les quartiers privés du palace.

« Seriez-vous vraiment un Messie, et non pas un simple outil, si vos rayons ne pouvaient affecter que le Mal ? Le choix, le libre-arbitre, est une condition Sine Qua Non de l’âme humaine, et la seule par laquelle elle saurait être jugée – ne doutez pas parce que vous en êtes doté, au contraire, croyez bien qu’il n’y a qu’ainsi que nous triompherons. Pour toute la haine et la honte que ressentait Charles à son égard, son mutisme quant à sa nature, et le fanatisme qu’il inculqua à ses disciples, finit par servir la Reine Blanche. Finalisant son discours d’encouragement, la télépathe lâcha le bras de son cavalier et fit quelques pas autour de lui pour pouvoir lui faire face. Oubliez ce Prussien sans doute mort, et ne vous concernez pas trop pour ma position que je sais précaire, mais que je sais aussi maintenir ; Vous avez de grands desseins devant vous, et je suis prête à vous aider à les réaliser, Comte de Westchester. »

Le mot était dit avec trop de légèreté pour sembler officiel, mais pas non plus une boutade, et la Reine Blanche, malgré toute sa sournoiserie, n’avait pas menti sur ce point. Cependant, elle fit immédiatement preuve de cette qualité en faisant mine de regarder par-dessus l’épaule de Scott et semblant d’y surprendre quelque chose.

« J’ai bien peur que mon devoir m’appelle, et je sens que vous n’êtes ni un habitué ni un grand admirateur des bals, ou peut-être surtout de ceux qui y participent – je ne vous blâme pas. Des suppositions évidemment bien informées par sa télépathie. Se retournant à nouveau, cette fois vers les quartiers privés, ou plutôt un des chemins y menant, où la Reine Blanche avait menée sa proie, elle y attira l’attention de celle-ci en même temps qu’elle s’assura qu’un garde était disponible. Pourquoi ne pas profiter d’une des chambres et de l’hospitalité du palace, vous ne ferez pas le chemin jusqu’à Westchester à cette heure de toute façon, et nous discuterons de votre nouveau titre demain – et d’autres choses tout aussi importantes ? Vous serez ma toute première affaire du matin, je vous le promets, et vous serez libre de retourner à vos devoirs avant midi. »

À nouveau, la Reine Blanche ne mentait pas, et comptait bien donner au puissant Cyclope son attention au plus tôt – au beau milieu de la nuit, en vérité, où elle le mordrait, lui permettant, même si elle n’allait pas le transformer en vampire, de former un lien télépathique temporaire mais extrêmement puissant avec lui, le premier pas vers la domination des X-Men via son Messie.

Que dire d’Erik, si ce n’est que lui et Charles avaient divergé sur le point de savoir si les mutants devaient renverser les vieilles monarchies européennes décadentes ? Comme Charles l’avait toujours expliqué à ses élèves, humains et mutants s’étaient violemment affrontés. La chasse aux sorcières, qui avait frappé en Europe à compter du 15^ème siècle, avait été une réponse de l’Église aux violentes épidémies de peste noire qui avaient ravagé l’Europe. L’Église avait accusé les mutants d’être à l’origine de ce mal, et la chasse aux sorcières avait été une traque redoutable envers les mutants. Charles, lui, avait été convaincu que la Grande Peste Noire avait été une manœuvre des vampires. L’épidémie venait après tout de l’est, là où les descendants de Caïn s’étaient exilés.

«  Notre guerre, dit-elle, ne remonte pas qu’à Dracula. Le Comte Dracula n’est que la régénérescence du Premier Mal qui soit… Les vampires sont les descendants maudits de Caïn, le premier tueur de l’Histoire. Caïn, le fils d’Adam et Ève, qui tua son propre frère, Abel. Il est dit que Dieu condamna Caïn à l’exil, lui refusa la lumière du jour et la rédemption par la mort. Caïn fut exilé des terres chrétiennes, et le mal qu’il incarnait s’est répandu dans les contrées arabes. »

Les enseignements de Xavier étaient des enseignements protéiformes. Histoire, religion, droit, mathématiques, astrologie… Il n’y avait pas un sujet que Charles ne maîtrise pas, et il avait soigneusement formé ses X-Men dans un récit mythologique, faisant des vampires les descendants du vil Caïn, et des X-Men les descendants d’Énosh, le neveu d’Abel, ancêtre de Noé.

« J’ai refusé de suivre la voie d’Erik. Notre séparation m’a profondément meurtri. Je n’ai pas su le sauver de ses maux, de ses traumatismes enfantins. »

Scott songeait fugacement à cela, ce qui amena la Reine, de sa voix de velours, à le sortir de ses pensées. Elle lui demanda s’il était vraiment le Messie, et un léger sourire éclaira les lèvres de Scott. Le Messie… Il aurait aimé le croire, mais il faisait un bien piètre messie. Incapable de sauver son mentor ou sa fiancée, Scott estimait n’avoir rien de biblique.

« Vous parlez comme mon mentor. Charles aimait à répéter que nous avions toujours le choix, qu’il n’y a ni malédiction ni bénédiction… Nos pouvoirs sont ce que nous en faisons. »

Paradoxalement, il estimait aussi que tout bon vampire était un vampire mort. La Reine lui proposa de se reposer ce soir, et de la revoir demain matin, celle-ci devant assister au bal. Scott resta silencieux à nouveau, et, quand elle fit mine de se retourner, il releva la tête, la regardant.

« Et si… Cela va vous sembler extrêmement présomptueux, Majesté, mais… »

Scott hésita encore un peu, conscient de la familiarité d’un tel geste, et commença alors à remuer. Bombant le torse, il fit ensuite une légère révérence, courbant l’échine.

« …Me feriez-vous l’honneur d’une danse en ouverture du bal dédié à votre splendeur ? »

Emmeline pouvait sentir ses paroles raisonner en Scott, et malgré qu’elle tentait de le manipuler, ses mots n’étaient pas totalement dénués de sincérité, et elle aussi voyait l’hypocrisie de Xavier de se targuer d’un choix tout en peignant tous les vampires comme par définition mauvais. Elle n’avait pas choisi d’être transformée, et malgré ce fait, elle ne ressentait aucun devoir envers Dracula, même si elle devait admettre qu’il avait été très utile, alors qu’envers les mutants...

« Vous avez sans doute deviné que je ne suis pas d’accord avec Charles sur tous les points, mais sur celui-ci, je lui donne bien volontiers raison – vos rayons ne sont pas un danger, parce qu’ils sont vôtres. Cela aurait fait de bon mots sur lesquels se quitter, mais Summers avait visiblement une autre idée ; Frost accueillit la question avec surprise, mais pas outrage, comme elle aurait au fond pu se permettre. Faisant mine de réfléchir, d’hésiter, les lèvres entrouvertes alors que ses yeux à la couleur indéfinie dardaient sur Cyclope, elle finit par revenir vers lui. « Extrêmement présomptueux » est peut-être un peu trop...autodérisoir, ironiquement. Mais comme je l’ai dit, je sourie aux audacieux. »

Par dessus le brouhaha du bal, il était difficile d’entendre l’orchestre qui siégeait du côté opposé, mais une oreille attentive, et peut-être aussi cultivée, pouvait reconnaître le début de Le Beau Danube Bleu – Strauss étant mort il y a seulement quelques semaines, sa musique était très en vogue, peut-être même un peu trop au goût de la Reine qui l’entendait à répétition. Quoi qu’il en soit de cet état d’oreilles, elle se mit à nouveau au bras de Scott pour le mener jusqu’à ce qui servait de piste en danse, en vérité simplement un endroit où l’on dansait – Buckingham Palace n’avait pas été pensé ainsi.

L’entrée de la Reine Blanche fut remarquée, sa divine robe à la couleur éponyme étant remarquable d’une demi-douzaine de manières, même au cœur de ce bal rempli de nobles et bourgeois tout aussi extravagants – mais évidemment, aucun n’osait voler à la monarque sa signature. À l’inverse, l’entrée du même-pas-encore-Comte aurait été difficile à remarquer si elle n’avait été accompagnée royalement, et le contraste faisait se poser des questions ; Qui était-il, pourquoi lui, que cela veut-il dire, faudrait-il s’en faire un allié ? Mais ces interrogations auraient à attendre puisque déjà, Emmeline s’offrait aux bras du vigoureux jeune homme pour une valse – Le Beau Danube Bleu oblige. Le tissu fin de sa robe n’offrait qu’une frontière presque symbolique entre ses doigts et sa peau, et c’était bien une des raisons pour laquelle cette danse avait été si scandaleuse il n’y a de cela qu’une poignée de décennies, mais désormais, encore plus ici, à la cour de la Reine Blanche, c’était mieux accepté.

Il y avait cependant une particularité à cette enlace certes sportive, artistique, mais pas tout à fait dénuée de sensualité ; La vampire avait, comme tous, le sang froid, et s’il y avait longtemps qu’elle s’était habituée à cette réalité, il restait toujours une chaleur qui surprenait, ou plutôt, qui obsédait : Celle du corps humain. 37°, pas assez pour brûler, pourtant assez chaud pour en être inconfortable à trop haute dose, mais une main dans le dos, des doigts enlacés, la vampire ne savait s’en lasser. Frémissant sous les doigts de Scott, elle fit de son mieux pour n'en faire cas, au plus de subtils rapprochements, presque inconscients, mais il était impossible de se défaire de la penser que bientôt, elle goûterait à cette chaleur en le mordant ; Sans tout à fait réussir, elle tenta de distraire son esprit de cette idée.

« J’imagine que cela vous change de Westchester... C’était une évidence, mais cela faisait la conversation, et rappelait les yeux de Scott à son visage, ce qui, dans ce moment pas tout à fait intime, mais où il y avait eux, et le reste, permettait au charme vampiro-télépathique d’opérer ...Parfois, je suis nostalgique de la campagne, loin de tous ces artifices, ce monde, cet air vicié, malade... Une danseuse accomplie, comme elle se devait d’être par sa position qui ne permettait pas les faux pas, tant littéraux que métaphoriques, Emmeline semblait enchaîner ses pas de manière à la fois mécanique et féérique, n’ayant même pas à y penser. Je crois toujours bien à ce que je vous ai dit plus tôt – l’Angleterre se doit d’être forte, et cela passe par quelques disgrâces – mais je le regrette chaque jour, ces choses qui sont, et doivent être, mais qui dans un monde meilleur, ne seraient pas...Doit-on pour autant les bouder.. ? La Reine fit une moue discrète, seulement à l’attention de Summers. Je me demande si vous apprécierez mieux Westchester après avoir vu Londres ? Si avoir vu le pire ne fait qu’élever le meilleur, quand bien même ce meilleur n’est pas si bien, pourrait-on penser, avant de voir à quel point il est rare et précieux. »

Il était aisé de faire un parallèle avec la vampirité de la Reine Blanche, mais évidemment, pour l’instant, seule l’idée devait faire son chemin – sa finalité ne viendrait que bien plus tard, quand Cyclope serait assez sous le joug de la télépathe pour ne pas la rejeter comme Charles a tant cherché à lui inculquer.

Offrant son épaule à la Reine, comme cela était de circonstance, le duo rejoignit la salle de bal. Une grande pièce qui avait déjà bénéficié d’une rénovation par la Reine, le blanc étant la couleur dominante. Pour autant, le tout n’était pas laid ou nu. L’ensemble avait un aspect cristallin, brillant, lumineux. Des lustres ornaient le plafond, ainsi qu’une tapisserie qui serait sans doute appelée par la suite à être modifiée. Scott nota les regards curieux des nobles et des aristocrates, tout en se demandant lesquels étaient déjà à la solde de Dracula. Il était alors bien loin de se douter que la femme somptueuse à qui il tenait le bras était l’une de ses ennemies héréditaires.

Scott et Emmeline se positionnèrent au milieu de la salle, tandis qu’un orchestre se préparait. Il croisa le regard de la femme, pour autant que cela puisse s’appliquer à quelqu’un qui ne pouvait jamais montrer ses yeux, et esquissa un léger sourire, tandis que l’orchestre s’échauffait. Les convives n’attendaient plus que la Reine pour agir. Scott laissa la Reine rappeler à ses invités que la Cour avait appris récemment la mort de Johan Strauss, et, en sa mémoire, fit jouer l’une de ses plus célèbres valses.

Le Beau Danube bleu commença à venir, appelant à une valse. Scott allait donc faire une valse avec Emmeline, et fut un peu surpris au début. Cette musique… Oh, il la connaissait bien ! Scott n’avait pas été qu’en Angleterre. Il y a plusieurs années, les X-Men avaient mené une mission à haut risque en Autriche, pour exfiltrer un chasseur de vampires que Charles souhaitait protéger. Ils s’étaient rendus à Vienne, et Scott avait dansé sur le Danube bleu avec Jean. Une danse envoûtante, mais où sa prestation avait été, pour être honnête, assez minable. Depuis lors, il s’était convaincu de devoir s’exercer à ces arts bourgeois et sophistiqués.

*Allons-y, alors…*

Le Danube bleu appelait à ce qu’on appelait désormais la « valse viennoise ». C’était une danse très exigeante, qui se voulait plus rapide que la valse anglaise habituelle, et où les danseurs prenaient aussi plus de places, restant au corps-à-corps tout en tournoyant sur de grands espaces. Scott, après quelques sec ondes, attrapa avec sa main gauche la main droite de la Reine, et la releva, puis passa sa main droite sous son aisselle gauche, appuyant sur la robe de la Reine.

*Une robe si fine…*

On aurait pu croire que la robe dérangerait la Reine Blanche, mais il n’en fit rien. Scott se déplaça alors, se rappelant nécessairement les enseignements de Jean. Xavier ayant été paraplégique, danser n’était pas sa spécialité. Il avait pu lui montrer les schémas, modéliser des séquences de danse dans sa tête, mais cela n’avait jamais marché. En définitive, c’était Jean qui lui avait dit d’arrêter de voir la danse comme un art exigeant. Il fallait se laisser porter par la musique et par son partenaire. Tout le reste était superfétatoire, seul comptait ce mouvement à deux, comme si deux vagues étaient portées par un courant musical.

Il l’observa donc, se fiant à ses mouvements, aux élancements de la symphonie pour ralentir le rythme. Scott n’hésitait pas, lorsque la musique se calmait, à s’arrêter sur place, et tendait le bras tenant la main d’Emmeline pour qu’elle s’éloigne, et tournoie sur place. Et, lorsqu’elle le faisait, on avait l’impression que sa robe scintillait, comme si des rivières de perles cristallines s’illuminaient dessus. Elle revenait ensuite contre lui, dansant avec aisance, avec une spontanéité naturelle qui forçait l’admiration… Et, même si Scott se maudit à en faire la comparaison, mieux que Jean.

Tout en dansant, Emmeline lui parlait, comparant Londres à Westchester.

« Je trouve toujours Londres trop grande… »

Il laissa encore Emmeline s’écarter, et, tandis que la musique se terminait, il la fit basculer devant lui, la maintenant tout en se penchant vers elle, envisageant soudain de l’embrasser… Comme il avait embrassé Jean ainsi. Si on pouvait voir les yeux de Scott, on aurait pu voir la surprise dans ceux-ci. Au lieu de ça, seules ses lèvres s’entrouvrirent, comme pour simuler un baiser, avant qu’il ne batte précipitamment en retraite, et ne rajoute, prolongeant ce qu’il avait entamé :

« Mais je ne peux qu’admettre qu’il y existe des aspects beaucoup plus charmants et impressionnants. »

Et Scott en avait d’ailleurs un très bel échantillon devant lui…

Même si ses vues sur le titre de Reine (Blanche) avaient été tardives, Emmeline avait toujours fait partie de la noblesse, et, son père n’étant pas du genre à se suffire de moins que l’excellence, était une danseuse hors-pairs, même si elle devait beaucoup de « son » talent à quelques vols télépathiques d’artistes bien choisies. Un autre avantage qu’elle avait, et dont elle fit subtilement montre en continuant à parler pendant la valse : Elle ne pouvait tomber à bout de souffle. Scott, ne possédant ni l’un ni l’autre de ces avantages supranaturels, et surtout, n’ayant pas été élevé pour les bals de Londres, n’était pas aussi bon, mais pas pitoyable non plus ; En fait, la Reine Blanche devait admettre aimer se retrouver entre ses mains qui n’hésitaient pas, ni dans leurs mouvements ni à manipuler la Monarque d’une manière que tout le monde n’oserait pas.

Tant et si bien que lorsque vint l’ultime mouvement se leur danse , il faillit l’embrasser ; Peut-être aurait-ce été difficile à remarquer seulement à la subtile courbure de ses lèvres, mais avec déjà une canine dans son esprit, c’était aisé à remarquer, la tentation de l’acte, du fruit défendu. Emmeline s’en amusa, même si ici et maintenant, elle ne pouvait rien y ajouter, alors simplement, elle fit une révérence devant son partenaire d’un soir, puis devant la salle qui, évidemment, observait la paire avec attention.

« Faites-vous-y, Comte de Westchester et Messie de la race mutante – vous avez de grandes choses devant vous, bien plus grandes que Londres. Revenant vers la périphérie de la piste de danse, au bras de Summers, la monarque rajouta un peu plus bas ; Pas de peur d’être entendue, elle s’assurait télépathiquement que ça n’arrive pas, ni par pudeur, la Reine était loin de ce genre de honte, mais pour forcer Cyclope plus près de ses lèvres qu’il avait déjà désiré. Plus charmantes et impressionnantes, aussi, j’en suis sûre. »

Usant de ses talents psychiques, à l’utilisation facilitée par l’entrouverture des défenses de Scott qui s’était opérée pendant leur danse, Emmeline lui fit ressentir une fatigue légère, juste assez pour passer pour l’accumulation d’un relativement long voyage et d’un effort physique un peu tardif, avec peut-être une touche de l’air vicié de la ville. La Reine joua alors la surprise et vint poser sa seconde main, celle qui n’était pas à son bras, sur la sienne, volant chaque goutte de sympathie qu’elle pouvait.

« Vous sentez-vous bien ? Vous n’en avez pas l’air... Sans faire signe à un de ses gardes, Frost donna télépathiquement l’impression qu’elle l’avait fait, le faisant immédiatement accourir, pendant qu’elle faisait sentir à Scott un vertige. S’il vous plaît, Monsieur ne se sent pas bien ; Amenez le à une de nos chambres, et faites lui servir un bon repas. Avant que le garde n’emmène le X-Man, Emmeline lui dit, s’assurant que ses mots l’atteignent et s’inscrivent dans sa mémoire. Je serai là lorsque vous vous réveillerez, Comte, n’ayez crainte et profitez d’un bon repos. »

Comte, lui ? Scott ne l’était pas encore, justement. Était-ce à dire qu’elle l’avait anobli ? Il en fut un peu surpris. Certes, elle lui avait dit qu’il était le meilleur candidat pour devenir l’héritier de Westchester, mais… Scott, Comte ? Scott, un Lord britannique ? L’idée lui donnait le tournis. Scott n’avait pourtant rien de noble. Il était un roturier, quelqu’un qui avait combattu en compagnie de Charles Xavier. L’idée ferait sûrement jaser plus d’un aristocrate au sein de la Cour, mais la Reine Blanche semblait n’en avoir cure. Après leur danse, Scott était doucement ragaillardi, même s’il était… Perturbé. Confus. L’esprit de Jean hantait ses pensées, mais c’était bien la Reine qui lui faisait face. Et… Avait-il sérieusement envisagé de l’embrasser ? On en avait écartelé pour moins que ça ! Scott se racla la gorge, tentant de reprendre ses esprits. Face à la Reine, il sentit alors comme un coup de massue s’abattre sur ses épaules.

*Qu’est-ce que ?*

Il secoua la tête, clignant des yeux, sentant la fatigue le saisir… Maintenant ? Scott ne se sentait pas pourtant particulièrement fatigué… Et, pourtant, il commençait à cligner des yeux, et à sentir les effets avant-coureur de la fatigue. L’alourdissement de ses épaules, cette sensation d’éloignement, de relâchement… Comme si son corps se détachait de son esprit, et que tout devenait plus distant, plus éloigné.

« Je… Euh… C’est bizarre. Veuillez me pardonner, Votre Majesté, ce… J’aimerai beaucoup que nous puissions reprendre cette conversation par la suite. »

Cette torpeur subite qui le saisissait était sans conteste des plus étonnantes ! Il n’aurait su se l’expliquer, et, tandis qu’il suivait un page, il sentait encore la fatigue le saisir. C’est ce qu’on appelait un sacré coup de fatigue ! Scott suivit l’homme jusqu’à rejoindre l’une des chambres dans les derniers étages.

« Je… Je vous remercie. »

Le domestique le salua, et referma la porte à double battant derrière lui. On avait fait monter ses bagages. Il étouffa encore un bâillement, et se rapprocha du lit. Dehors, Londres brillait de mille feux. Il n’avait jamais vu une nuit si lumineuse, à tel point que la lumière de la ville éclipsait celle des étoiles dans le ciel. La révolution industrielle à l’œuvre, le 20^ème siècle s’annonçait très particulier, différent de tout ce qu’on avait connu. Charles en avait eu la prémonition, et c’était à Scott qu’il revenait d’agir.

Le Messie… La Reine l’avait appelé ainsi. Scott y songeait tout en se déshabillant. Sa chemise de nuit était perdue quelque part dans l’un de ses bagages, alors il choisit de se coucher avec un simple caleçon, s’affalant au milieu du lit… Sans se douter que sa nuit serait plus rythmée que ce qu’il pensait.

Au milieu de la nuit, ou plutôt tard dans celle-ci, après le bal, la Reine Blanche sortit à nouveau de sa chambre alors que tout le monde, mais surtout un certain Scott Summers, dormait. Vêtue uniquement de sa robe de nuit et sans lumière ; Ses sens vampiriques n’avaient guère besoin de lumière, et étant donné la raison de son errance, il valait mieux qu’elle ne soit pas surprise. Parfois, quelqu’un croyait entendre quelque chose, ou risquait de tomber sur la Monarque par pur hasard, et alors elle se cachait de lui télépathiquement, donnant naissance à la rumeur que le château était hanté – et en soi, une morte arpentait bien ses couloirs.

Rapidement, donc, Emmeline arriva dans la chambre de son invité, en refermant une des portes derrière elle, et glissa doucement vers le lit, y posant un genou, puis deux, avant de délicatement gravir jusqu’au dessus de Scott. Il était bien assoupi, mais elle usa de sa télépathie pour le garder ainsi, et après s’en être assurée, elle se mit à califourchon sur son bassin et laissa ses mains tomber sur son ventre, en appréciant la dureté et la chaleur, avant de doucement remonter jusqu’à ses pectoraux. À un cadavre certes vivant mais tout aussi froid, le contact chaud, battant, et gorgé de sang, était addictif, et évidemment, Cyclope était un spécimen particulièrement charmant, malgré – ou peut-être même pas – ses cicatrices.

Après ces quelques préliminaires, la Reine se pencha sur son hôte tout en laissant ses bras passer sous lui jusqu’à pouvoir l’enlacer et le ramener contre elle, le soulevant un peu de son lit et plus à portée de ses crocs. Mais avant, elle apposa sa joue contre la sienne, appréciant encore un peu plus cette chaleur qui chez elle était passée mais qu’elle pouvait ainsi délicieusement retrouver, et lui murmura, même s’il y avait peu d’utilité :

« Vous serez bientôt tout à moi, Monsieur Summers... »

Sur ce, son menton et, par instants, ses lèvres, descendirent son cou jusqu’à sa base, pour ne pas laisser de trace trop visible une fois il aurait retrouvé ses vêtements, et sans plus attendre, Emmeline mordit, contractant inconsciemment ses bras et pressant donc leurs deux corps ensembles en même temps que sa mâchoire dans sa chair.

Rapidement, un flot irrégulier de sang se déversa dans sa bouche et elle se mit à l’avaler. La sensation était divine, et la Reine ne put s’empêcher d’ajuster sa position et celle de Scott tant elle l’était, mais rapidement, elle se concentra sur sa tâche, et usa de ce lien impie qu’était celui entre une vampire et sa proie pour s’immiscer dans son esprit. Abusant de cette confusion entre elle et Jean dans celui-ci, la renforçant même, et la naturelle faiblesse d’un humain contre une vampire-télépathe le mordant, elle tenta de le convaincre que la Reine était sa plus chère et tendre alliée.

Quand elle en eut fini de sa première "gorgée", Emmeline sa releva, ayant amené Scott presque à la verticale contre elle, et respira bruyamment de plaisir après avoir consommé un sang si bon et puissant dont une traînée coula doucement de ses lèvres jusqu'à sa gorge. Elle ne pouvait en ponctionner beaucoup plus encore, ou elle risquerait de faire de sa si précieuse proie un vampire lui-même, mais la tentation était si présente.

Scott avait toujours du mal à s’endormir. C’était un fait constant. Sa femme était devenue son pire ennemi, son mentor était mort, et son plus proche allié était un sauvage hirsute qui préférait boire dans des pubs. Scott trouva toutefois rapidement le sommeil, à sa grande surprise, et, tout en errant dans un sommeil agité, ponctué de rêves et de cauchemars, il laissa son corps sans défense.  Il avait pourtant été habitué à ce genre de choses. Les vampires étaient des êtres nocturnes, alors il fallait s’attendre à les combattre la nuit. Tandis qu’il dormait, la Reine se rapprocha, et passa à l’attaque. Elle s’allongea contre lui, usant de ses pouvoirs pour le perturber, pour éteindre sa méfiance, tout en le mordant.

« Hmmm… »

Scott ne réagit pas initialement, tout en continuant à mener un rêve confus.

« Tu devais être mon meilleur élément, Scott, mon Ange de vengeance…
-  Scott… Scott ! Viens danser avec moi, mon chéri, Scott ! »

Il avançait dans l’un des couloirs du manoir de Westchester. Un couloir plongé dans l’obscurité, grotesque et effrayant. À chaque fois que le tonnerre grondait, il croyait voir Jean dans les éclats lumineux éphémères provoqués par les coups de tonnerre. Scott marchait encore, nerveux, jusqu’à voir du sang sur le sol. Petit à petit, le sol se remplissait de sang, fuitant depuis l’ouverture d’une porte, une porte qui tremblait et qui claquait sur place. Et, quand il l’ouvrit, le sang jaillit massivement, le noyant totalement. Il tombvva sur le sol, emporté par le courant sanguin. Il se sentit dériver, et atterrit dans une rue de Londres. Le ciel était rougeâtre, et il pleuvait du sang.

« Inspecteur ? Le meurtre a eu lieu par là… »

Scott se releva en reconnaissant la voix du pasteur, Kurt Wagner. Ils entrèrent dans une petite échoppe de Whitechapel, quartier mal famé de Londres.

« C’est sûrement un coup de l’Éventreur… On dirait que le tueur se cherche lui-même, vous n’êtes pas d’accord, Inspecteur ? »

C’était une femme aux longs cheveux rouges. Elle gisait au milieu de la pièce, un pieu planté dans le cœur. Une femme que Scott connaissait. Des bruits se firent entendre soudain au-dessus, comme si on renversait un meuble. Kurt invita Scott à s’y rendre. L’inspecteur gravit donc l’escalier en bois menant à l’étage de l’immeuble. Il faisait tout d’un coup très sombre tandis qu’il émergeait dans un couloir étroit et sinueux. Scott marcha lentement, jusqu’à rejoindre la porte de l’appartement. Quand il l’ouvrit, une lumière aveuglante l’envahit. Il fronça les sourcils, avant de sentir une onde de choc le repousser. Jean était là, en compagnie de Dracula, le décor ayant encore changé. Cette fois, ils étaient dans le palais de Dracula, devant une grande fontaine remplie de sanga u milieu d’un énorme hall gothique.

« Scott Summers… Vous avez fait beaucoup de chemin pour mourir.
-  Mort ou vivant, cela ne changera pas grand-chose… Crois-tu vraiment avoir jadis apporté quelque chose d’utile à ce monde, Scott ? Avoir jamais eu le moindre impact ? »

Jean se mit à rire. Les rayons de Scott fusèrent à destination du Comte, mais celui-ci les esquiva sans difficulté, se déplaçant dans un nuage d’ombres pour se matérialiser à proximité. Il atterrit sur le sol, et fusa sur sa proie. Sa main froide et dure se saisit de la gorge de Scott, et il le plaqua au sol. Ses yeux injectés de sang traduisaient sa soif de meurtre… Lorsqu’une onde de choc repoussa le Comte. ERn se retournant, Scott vit une femme approcher, s’imposant comme son unique espoir…

…Emmeline ? la Reine Blanche !

Scott se réveilla brusquement en sueur, et repoussa la femme qui était étalée sur lui. Il se redressa brusquement, et posa sa main sur sa nuque, sentant des traces de sang.

« Qu’est-ce que… »

Surpris, il sentit alors un vertige le saisir, et constata que la masse étalée sur le lit devant lui était…

« Majesté ?! »

Scott posa sa main sur ses lentilles en ruby-quartz, dans un réflexe de défense naturel, mais sentit à nouveau le vertige le saisir.

« Vous… Vous êtes une vampire ! » s’exclama-t-il alors.

Sa tête lui faisait un mal phénoménal. Le manque de sang était trop important, et il commençait à défaillir sur place…

C’était un testament aux défenses psychiques de Scott qu’il ait finalement réussi à se défaire du “sort” de la Reine Blanche, mais elle avait malgré tout réussi – le manque de sang aidant – à le rendre confus, et la vampire devait sans doute sa survie à cela. Préférant presser son avantage que fuir, et se sentant surtout sur le point d’atteindre son but, elle se redressa rapidement pour pouvoir commencer à avancer à nouveau vers Summers, à quatre pattes sur son lit, son sang encore aux lèvres.

« Dracula m’a transformée, oui...Mais je ne le sers pas – je suis une mutante avant tout, et compte le détrôner au nom de notre espèce... Emmeline n’avait jamais vraiment été certaine de la raison pour laquelle elle n’était pas sous le joug du seigneur des vampires; Elle hypothétisait une combinaison de sa forme de diamant qui rompait le sort et de la “volonté des Frosts”, comme l’appelait son père ...Mais je ne pourrai jamais seule – il me manque un champion, le messie de la race mutante qui saura nous apporter la victoire... Continuant d’avancer vers Cyclope, lentement pour ne pas lui donner le réflexe de la désintégrer, la Reine Blanche saisit une de ses mains et l’apporter près de son ventre, contre le tissu recouvert de dentelle de sa robe de nuit ...Seriez-vous cet homme, Scott ? »

Désormais assez proche pour que même dans l’obscurité de la chambre, les yeux d’Emmeline soient visibles, elle reprit son travail de sape mentale, usant à la fois de son charme vampirique et ses talents télépathiques pour convaincre l’X-Man de baisser son arme. Doucement, usant à nouveau de la confusion entre elle et la “défunte” femme de Scott, elle se laissa délicatement tomber contre lui pour venir l’embrasser, partageant avec lui le goût de son propre sang.

« Je ne vous veux aucun mal – seulement un peu de votre sang pour survivre comme j’y ai été maudite... Amenant sa main sur celle de Summers qui pressait sur sa morsure, l’aidant comme pour s’excuser, la Reine Blanche continua à lui parler télépathiquement alors que ses lèvres étaient occupées ...Ensemble, nous pourrions défaire Dracula et guider les mutants vers leur salut. »

La diablesse continuait à parler, à lui embrumer l’esprit… Vampire, la Reine ! Cette idée effrayante traversait le crâne de Scott, tandis qu’elle lui affirmait ne pas être sous les ordres de Dracula… Et vouloir le combattre ! Elle avait besoin de lui et des X-Men pour mener à bien cette révolte. Scott secoua la tête, refusant cette idée. Tout vampire obéissait à Dracula, car il était leur Maître, le Roi des Vampires ! C’est ce que Charles avait toujours enseigné, et c’était pour ça que les vampires devaient être éradiqués. Ils obéiraient toujours à leur Maître, même en prétendant le contraire. Dracula lui avait volé son mentor, il lui avait volé son épouse, et voilà qu’il venait de voler le pays ! Comment cela était-il possible ? Il grogna encore, la sentant s’insinuer en elle.

« Sors… Sors de ma tête, diablesse ! »

Ses yeux s’illuminèrent sous ses lentilles et il se recula. Scott heurta le lit, se défaisant à l’étreinte étouffante de cette femme.

« Tu crois que je ne sais pas quand on cherche à me manipuler ?! Je suis sorti avec une télépathe ! L’Angleterre est définitivement perdue, mais je n’abandonnerai pas ! Tous ceux qui sont avec Dracula mourront, ils seront purifiés par le feu ! »

Les rayons de Scott s’illuminèrent, faisant fondre ses lentilles. Les rayons filèrent alors, et tirèrent à côté d’Emmeline, heurtant le mur. Le feu se propagea alors, et Scott tituba encore, sonné. Il était en manque de sang, et dut fermer les yeux, ayant furieusement mal au crâne. C’était un traquenard, un piège !

« Les vampires sont des manipulateurs, disait Xavier dans son crâne. Ce qu’ils ne prennent pas par la force, ils le font par la conviction. Les humains sont particulièrement sensibles à leur pouvoir, à leur envoûtement. C’est comme ça que Dracula a pu s’emparer de la Transylvanie, et qu’il a pu ainsi soumettre tant de populations. »

Oui, oui, il ne devait pas se laisser abuser, il ne devait pas se laisser tromper par cette femme, cette menteuse, cette vipère ! Scott se rua vers la porte, et sortit dans le couloir. Sa vision était floue, et il courut dans le couloir, cherchant un endroit par où fuir… Quand un garde le frappa au visage, le jetant au sol.

« Voyez ses yeux !
-  Les yeux du Démon ! »

Les rayons jaillirent encore. Scott regardait le plafond, et les gardes hurlèrent au démon en voyant le plafond s’ouvrir en deux. Les rayons fusèrent dans les étages supérieurs. Scott tourna la tête en fermant les yeux. Un soldat sortit son arme, s’apprêtant à abattre son épée pour en finir avec le démon…

Se transformant immédiatement en diamant lorsqu’elle vit le feu jaillir des yeux de Cyclope, une des seules choses au monde qui pouvait la menacer, la Reine ne put que rester immobile et, certains diraient, choquée, ne devant sa survie qu’à son réflexe protecteur qui, malgré qu’elle fut maigrement touchée par les rayons vengeurs du mutant, lui permit de simplement leur résister. Bien entendu, elle le damnait d’avoir résisté à son sort, mais sans lui donner entièrement raison, ne pouvait pas non plus nier quelques vérités dans ses propos. Quoi qu’il en soit, elle put à peine commencer à le suivre lorsqu’il tenta de s’échapper que ses gardes lui tombèrent dessus et manquèrent de le tuer sur-le-champs, ce qu’elle n’osa empêcher simplement d’un ordre qu’ils pourraient ne pas entendre, ou entendre trop tard, et préféra retourner à la chair et les immobiliser télépathiquement depuis l’intérieur de la pièce en même temps que leur « démon ».

Avec un soupir, elle sortit de la chambre avant de, sans un mot, contrôler mentalement ses propres gardes pour qu’ils ne souviennent d’absolument rien, mais surtout, passer à son deuxième plan. Dans la nuit, elle fit transporter Summers à la tour de Londres dans le plus grand secret, où fut forgé à la hâte un masque pour le forcer à porter les lunettes avec lesquelles il était venu, en même temps que l’empêcher de dire ses vérités, quand bien même elles ne seraient probablement jamais crues.

Là, Frost le laissa récupérer quelques jours, mais aussi méditer sur ce qu’il s’était passé, après quoi elle le visita au crépuscule, pour le peu qu’il pouvait savoir de l’heure, ainsi aveugle et gardé en isolement. Dans une robe bien moins éblouissante, mais ça n’avait donc que peu d’importance au prisonnier, Emmeline lui rendit donc finalement visite, s’assurant qu’aucun garde ne se souviendrait de sa venue ; Pour tous à la tour, ce prisonnier avait toujours été là, pour des crimes trop graves pour qu’on ose en parler, même si ses accommodations étaient en vérité spartiates mais pas indignes.

« J’espère que vous avez pu réfléchir aux mots que mes gardes – tout à fait humains, et très honorables outre cela – ont utilisé pour vous décrire. La Reine Blanche ne prit pas la peine de se présenter, car il ne pouvait bien y avoir qu’elle pour venir le voir avec une voix si mielleuse, ni de s’étendre en politesse, car c’était probablement la dernière chose que Scott voulait entendre à cette heure et de sa bouche. J’admets que mes moyens ont été...sournois, pour m’allier avec vous, et même si je vous ai caché quelques vérités...je n’ai pas menti pour autant : Je suis une mutante, et la lutte qui est la nôtre est au moins aussi importante que celle contre Dracula. Et je comprends que vous en vouliez la preuve, mais à moins que vous n’ailliez en tête un moyen de vous fournir cela...je n’ai que ma capacité à résister à vos rayons, pourtant si mortels ; Sous cette forme, un autre de mes dons mutants, je résiste à tout – en tout cas, tout ce à quoi j’ai dû résister pour survivre jusqu’ici – y compris les enchantements de mon supposé seigneur, censés me garder à ses ordres. »

S’approchant du prisonnier, et n’ayant pas vraiment peur de lui, surtout sans son regard tueur, car comme elle l’avait dit, il lui suffisait de se changer en diamant pour devenir insensible à quoi qu’il puisse faire, elle lui fit relever la tête en apposant sa main gantée sur son menton, et s’introduisit dans son esprit, pour savoir ce qu’il pensait de ce qu’elle avait dit, ne pouvant évidemment avoir une réponse de vive voix.

« Que dirait notre cher Charles, si adepte des signes, du destin, de l’incapacité des rayons vengeurs du messie tueur de vampires de me désintégrer comme tous les autres ? »

Scott était un homme croyant. On ne pouvait que l’être quand il s’agissait de combattre des vampires. Chaque jour, la foi de Scott était mise à l’épreuve. Chaque jour, sa résilience aux forces des Ténèbres qui recouvraient le monde était malmenée. Il avait perdu Jean, mais il pensait au moins avoir préservé les institutions de l’Angleterre de la mainmise de Dracula et de son pantin articulé, le Hellfire Club. Au lieu de ça, non seulement Dracula avait mis à la tête de l’Angleterre une vampire, mais celle-ci était une autre télépathe… Une télépathe qui connaissait Charles, et dont celui-ci n’avait jamais fait part ! Scott était donc doublement trahi. Trahi par la situation actuelle, mais aussi par son mentor. Celui-ci ne leur avait jamais parlé de cette femme, et surtout à lui, Scott, qui se considérait comme son fils spirituel. Les télépathes étaient pourtant extrêmement précieux, car, là où les vampires pouvaient se dissimuler aux yeux, les télépathes pouvaient les repérer. Plus d’une fois, cela avait aidé l’équipe. Il existait malheureusement très peu de télépathes, et, parmi les télépathes existants, peu qui avaient de vrais pouvoirs.

*Pourquoi ne pas avoir parlé de cette femme, Charles ?*

Enchaîné dans la Tour de Londres, dans des vêtements de bagnard avec un masque de fer sur le visage, Scott se montra peu dangereux, presque inerte. Plongé dans l’obscurité, sa seule visite était la petite trappe de la porte de sa cellule qui s’ouvrait pour lui offrir son repas journalier : un bol de soupe sur un plateau en bois. Son seul autre compagnon était un rat qui tournait dans la cellule, et qui attendait visiblement que son camarade de chambrée ne soit plus de ce monde pour se sustenter.

« Tout texte religieux n’est qu’une interprétation humaine de la volonté de Dieu. Cela signifie qu’un texte saint ne peut donc être parfait. Prenez par exemple la Genèse, et ce passage du texte nous disant qu’Ève serait née de la côte d’Adam. Cette idée selon laquelle Ève serait sortie de la côte d’Adam est en réalité largement sujette à interprétation, car le mythe du Jardin d’Éden provient d’un autre mythe, qui était écrit dans une autre langue. Pour les linguistes, les écrivains de la Genèse ont mal traduit le mot utilisé par leurs prédécesseurs pour désigner ‘‘côté’’. L’idée n’est alors pas de considérer Ève comme issue de la côte d’Adam, mais comme étant son côté… Ou, selon une formulation plus moderne, sa moitié. »

Dans un état entre le rêve et le conscient, réveillé par les picotements du rat, Scott repensait aux songes de Xavier. Pendant ces trois jours, il ne mangea pas. Il aurait pu le faire, car, même si le casque de fer était relié au mur par une chaîne, et qu’il avait des fers aux pieds, il pouvait ramper vers la porte, et utiliser la petite ouverture à hauteur de ses lèvres pour avaler la soupe. Il n’en fit toutefois rien, perdu dans ses pensées.

« Ce qui nous différencie des vampires, ce n’est pas notre capacité innée à faire le Bien. Je vous en conjure, ne limitez pas votre approche de notre lutte à une conception manichéenne. Les humains et les vampires sont deux espèces capables toutes deux des pires atrocités… Et cela vaut aussi pour nous, leurs Anges. Mais il y a une chose qui nous différencie, un élément fondamental… Nous pouvons choisir. Notre libre-arbitre est la force que nous devons protéger, car elle est ce qui nous rapproche le plus de Dieu. Nous pouvons choisir de faire le Bien ou de faire le Mal. Un vampire ne dispose pas de son choix, car il reste l’esclave de son Maître, de la personne qui l’a mordu. C’est aussi pour cela que vous ne devez pas hésiter face à un vampire. Car, dès qu’une personne que vous connaissez devient un vampire, elle perd ce libre arbitre, et ne peut qu’obéir à la volonté de son Maître. »

Scott entendit vaguement l’ouverture de la porte. Il sortit du sommeil dans lequel il pensait se trouver, et perçut l’odeur de la Reine… Une odeur bien reconnaissable. Impossible pour lui de parler, ni même de voir quoi que ce soit. Il la reconnut à son odeur, et l’entendit ensuite… Dans sa tête. Impossible de la faire taire. Il essaya encore de s’endormir, conscient que cela représentait sa seule arme contre cette femme, aussi faible soit-elle. Mais, tandis qu’il espérait lutter, il se retrouva en train de rêver…

…Et elle était là, dans son rêve. Le soleil l’éblouit légèrement. Scott était dans la campagne anglaise, et voyait depuis une colline Westchester, au loin. Emmeline était à côté de lui, continuant sa tirade. Il n’avait pas senti les doigts de la Reine sur son menton, mais sentait encore son odeur. Il grogna alors, et tira sur Emmeline… Dans son rêve. Les rayons ne filèrent donc que dans le vide.

« Sortez de ma tête ! Ne parlez pas de Charles, Xavier ne vous connaissait pas ! »

Il abattait sa dernière carte, comme s’il pensait que cela pourrait le protéger. Il se retourna en entendant des bruits, et vit Charles, se rapprochant dans son fauteuil roulant.

« Scott… Mon garçon…
-  Vous n’êtes pas réel !
-  Tu te trompes, Scott… Mon corps et mon esprit ont peut-être quitté ce monde, mais pas mes souvenirs… Te souviens-tu de ce que j’ai dit sur l’éternité ? »

Scott se tut pendant quelques instants, et reprit alors :

« Que l’éternité était le royaume de Dieu. »

Charles acquiesça lentement, avant de se mettre à marcher.

« Et le royaume de Dieu est entre tous les hommes. Tu comprends la métaphore, n’est-ce pas ? Tant que des gens continueront à croire en moi, en mes objectifs, je ne serai jamais mort.
-  Vous parlez encore par énigmes… Quel rapport est-ce que ceci a à voir avec… ?
-  J’ai volontairement dissimulé à tes yeux et à ceux des autres X-Men l’existence d’Emmeline. Et j’ai implanté en toi des clefs que j’ai ensuite bloqués dans ton esprit. Emmeline a toujours été mon assurance pour le cas où Westchester se retrouverait sans télépathe. »

Scott se tut.

« Elle se moque de moi… Sorcière, je ne serai pas dupe, sors de ma tête ! »

Dans le monde réel, Scott s’agitait nerveusement. Charles secoua la tête.

« Tu étais le seul en qui je puisse implanter un souvenir de moi, Scott… Le seul en qui je partageais un lien suffisamment fort pour ça… Et cela était d’autant plus faisable pour moi que ton esprit est habitué depuis des années à être en contact d’un télépathe. Même si j’avais eu mon propre fils biologique, cela n’aurait pas pu marcher. Je devais me réveiller en toi le jour où tu rencontrerais la Reine. Pourquoi crois-tu que la Reine d’Angleterre t’ait invité toi, Scott ? Elle n’a fait que suivre mes dernières volontés. J’aurai aimé me manifester plus vite… Mais disons que la métempsycose n’est pas non plus une science exacte. Tu dois nous écouter, Scott, tu dois croire en la Reine. »

Malgré que Scott était incapable de lui faire quoi que ce soit physiquement, et qu’elle était dans une position apparemment de force, la Reine avait beaucoup à perdre dans cet échange. Avoir déjà échoué à convaincre le leader des X-Men de s’allier avec elle était un problème, une deuxième fois briserait possiblement l’avenir des mutants en Angleterre, et peut-être ailleurs.

Sentant l’agitation intense qui avait lieu dans l’esprit de Cyclope, elle s’y infiltra discrètement, et remarqua rapidement la présence paradoxale de Xavier, ou plutôt son empreinte, et malgré une relation difficile avec l’homme pieu – qui datait d’avant sa transformation en vampire – la Reine en fut soulagée. Ne prenant pas le risque de s’immiscer plus en profondeur dans l’esprit de Summers, ce qui lui avait déjà valu un refus peut-être compréhensible, elle décida de simplement exploiter le peu qu’elle avait pu surprendre.

« Je sais que les choses se sont...compliquées, depuis que Charles a formulé son plan... En vérité, elles avaient été compliquées avant même qu’il ait été formulé, Emmeline n’aimant ni être un simple remplacement ni n’être qu’un pion dans les machinations de Xavier, mais au final, lorsque celle la concernant fit appel à elle, elle répondit ...Je vous ai envoyé une lettre à Westchester – je sais où sont les X-Men, et quand bien même vous essaieriez de courir, vous n’avez plus de télépathe pour vous cacher de mes pouvoirs. À tout moment, j’aurais pu mettre fin à votre résistance et vous livrer à Dracula, confirmant sûrement sa domination sur cette Terre. Lorsqu’elle avait été prise par la faim de sang ou directement ordonnée par son supposé Seigneur, la Reine Blanche avait même été tentée par cette perspective. Je n’ai rien à gagner à ce petit jeu, Scott, si ce n’est le salut de notre espèce. »

N’ayant plus rien à ajouter, sa position étant après tout bien difficile à croire et compromise, Emmeline soupira, et sortit une petite clef d’un des nombreux replis de sa robe comme toujours somptueuses, pour la mettre dans la main de son prisonnier. Ce à quoi elle servait était évident, mais surtout, elle était une admission de la télépathe que peut-être le plan de Xavier avait irrémédiablement échoué ; Passé ses arguments faibles et suppliants, elle n’avait rien à offrir aux X-Men, leur demandant, ou en tout cas à leur leader, un saut de foi dans ses bras, sans garanti qu’elle ne le dévorerait pas aussitôt.

« J’ai mis les gardes dans une transe ; Sortez et ils ne se souviendront de rien, et vous pourrez retourner à Westchester comme si de rien n’était. Je vous conjure de faire autrement, car vous ne gagnerez pas cette guerre sans mon aide, mais si vous voulez essayer...Je n’ai pas le cœur à condamner vos amis à une mort encore plus tôt sans leur chef. »

Est-ce que tout cela faisait partie du plan de Xavier depuis le début ? Garder une carte maîtresse dans sa manche ? Scott avait toujours eu en Xavier une confiance inébranlable, et il savait que son mentor avait conservé cette habitude de ne jamais tout dire lorsqu’il envoyait ses X-Men combattre les forces de Dracula. Pour le cas où ceux-ci se faisaient capturer, il fallait éviter que Dracula, en vampirisant ses X-Men, puisse accéder à trop d’informations. Dans des moments de doute, parfois, il arrivait à Scott de se dire que son mentor avait sombré depuis longtemps dans la folie sous l’effet d’une paranoïa accrue, l’amenant à diffuser des informations différentes à ses X-Men, ou à masquer certains éléments cruciaux… On disait de lui qu’il pouvait prédire l’avenir avec ses pouvoirs télépathiques. Alors, Emmeline était-elle le carte-maîtresse de Xavier ? Face à Scott, la Reine Blanche dut sentir son indécision, ses doutes, car elle raisonna de manière logique avec lui. Elle lui expliqua que, si elle avait voulu exterminer les X-Men, elle aurait pu le faire depuis longtemps, puisqu’elle connaissait leur position. L’argument était fondé. Mais, à vrai dire, depuis que Jean était devenue l’épouse de Dracula, celui-ci aurait pu les envahir, et en finir avec les X-Men. S’il ne l’avait pas fait, c’était, de son propre aveu, parce qu’il estimait que les X-Men ne représentaient maintenant plus une menace… Mais pouvait-on le croire ? Jean connaissait tous les secrets de Westchester. Scott avait cette impression désagréable de redevenir à nouveau cet élève qui n’avait en main qu’une partie des cartes pour saisir le grand plan global.

Comme pour achever de le convaincre, Emmeline lui remit une clef dans le creux de sa main. Il releva lentement la tête, tandis qu’elle l’invita à rejoindre Westchester s’il le voulait. L’invitation était curieuse, après l’avoir enfermé. Tout cela était-il une machination supplémentaire ? Se pouvait-il que ce ne soit que du bluff ? Dracula ignorait peut-être la position du château de Westchester…

*Non, ça n’a aucun sens… Même sans avoir les souvenirs de Jean, trouver un château n’est pas ce qu’il y a de plus difficile. Seule la présence de Xavier avait dissuadé Dracula d’assiéger directement le château, mais maintenant… Il ne peut pas s’agir d’un piège !*

Silencieux, Scott finit par déplacer la clef, et se libéra. Il put faire tomber le lourd casque, ce qui lui permit, pour autant que ses yeux le lui permettaient, de voir davantage la Reine… Et elle était toujours aussi magnifique ! Elle jurait davantage ici, dans cette tour sinistre, avec sa robe somptueuse. Elle le fixait avec intensité, et Scott commença à se relever. Il se rapprocha de la porte de sortie, la contournant lentement, et constata que, dans le couloir, les gardes étaient hagards. Ils ne bougeaient plus, remuant lentement debout, dodelinant de la tête. Scott observa la situation, puis se retourna vers elle.

« Admettons que je puisse croire à votre histoire, Majesté… Que vous cherchiez à renverser celui qui devrait être votre Maître… Pourquoi vous adresser à moi ? Quel est votre plan ? »

Il la regarda encore, outrepassant sa beauté renversante.

« J’ai été incapable de vaincre Dracula, j’ai été incapable de l’empêcher de tuer Charles, ou de me voler mon épouse. Alors, que pouvez-vous bien attendre de moi ? »[/color]