Le froid était terrible. Combien de degrés faisait-il en négatif ? Les gens disaient que, dans ce mùont verglacé, lors des tempêtes de neige nocturnes, il pouvait aller jusqu’à faire -20° Celsius. Loin devant elle, la lumière remuait parfois, difficilement visible à travers l’épaisse purée de poids de la tempête de neige.
« Ha-Harley... »
Elle avait essayé de l’appeler au début, mais, maintenant, elle murmurait son nom. Ses forces lui manquaient, et elle devait économiser l’oxygène. Sa bio-combinaison florale était la seule chose qui avait protégé son corps de l’hypothermie, mais elle était déchirée par endroits, et ne suffisait même plus à la protéger. On pouvait sans aucun doute y voir là une cruelle ironie du destin, celui d’une femme qui contrôlait la Nature, et qui allait finalement mourir à cause d’elle... Car elle ne voyait plus la lumière, et ses pieds disparaissaient dans une poudreuse de plus en plus épaisse. Elle s’appuya contre un arbre, respirant lourdement.
*Tu ne dois pas t’arrêter, le chalet n’est pas loin. S’arrêter, c’est la mort.*
Et, après tout, il y avait pire dans ces montagnes que le froid glacial. Elle reprit donc sa marche, sentant ses jambes s’alourdir, les sensations disparaître peu à peu. Elle avait perdu sa parka quand elle avait été attaquée tout à l’heure, en glissant dans la grotte. En cas de séparation, elles devaient se retrouver à ce chalet qu’elles avaient aperçu, mais... Ivy était désorientée. Son contrôle de la flore ne pouvait l’aider ici, comme si la forêt était animée par une volonté propre, et qu’elle refusait de plier à sa volonté. Ou peut-être qu’elle était tout simplement trop faible pour ça ?
Continuant à marcher, Ivy sentit le vent la saisir à nouveau, et heurta un tronc d’arbre, l’arbre lui donnant l’impression d’être sur le point de la dévorer avec ses griffes acérées en bois. Elle soupira lentement, se faisant l’impression d’être comme Blanche-Neige fuyant la nuit le château de la Reine, son imagination s’emballant en imaginant les arbres de la région l’attaquer, prendre des formes monstrueuses en l’agressant.
*Non... Non !*
Cette fois, il n’y aurait pas de Chevalier Noir pour la secourir. Elle continua à marcher, et, en fronçant les sourcils, crut discerner, à proximité, la lanterne du chalet. Mais était-ce juste le fruit de son imagination ? En baissant la tête, elle n’apercevait même plus ses jambes, et sentait surtout son esprit commencer à délirer sous le froid, un froid qui était en train de verglacer ses lèvres.
« Ha-Harley... »
Son pied heurta une racine, et elle tomba mollement dans la neige. Les flocons continuaient à tomber, dans une obscurité assourdissante, le silence de la montagne n’étant rompu que par le sifflement du vent, le bruissement des rafales. Peu à peu, son corps se recouvrait de neige.
Il y a de cela une soixantaine d’années, le mont Kholat Syakhl avait emporté la vie de neuf skieurs dans des circonstances qui n’avaient jamais été élucidées. Et, alors qu’Ivy sombrait, elle se rappela qu’il avait fallu plusieurs mois pour permettre aux autorités de retrouver les corps des quatre skieurs restants, enterrés sous quatre mètres de neige. On avait depuis renommé cette passe de montagne « col Dyatlov », en référence au chef de cette expédition mortifère, Igor Alekseïevitch Dyatlov.
Et, alors qu’Ivy se disait qu’elle allait finir sous une tonne de neige, elle aussi, son esprit dériva, divagua, se remémorant comment tout cela avait commencé...
Et, loin du froid ambiant de l’Oural, tout cela avait commencé dans leur chambre, dans des circonstances bien plus chaudes.
* *
« HA-HARLEY, haaaa... !! »
Elle en aurait presque eu les larmes aux yeux, tant Harley y allait fort. Pamela et Harley avaient récemment passé des vacances ensemble, dans un hôtel de luxe, ce qui avait été pour elle l’occasion de renouveler leur amour. Depuis que les deux avaient quitté Gotham City, elles s’étaient clairement avoué leur sentiment, bien loin des mâles encombrants de Gotham, comme Le Joker ou Batman. Et, lors de leurs vacances, Harley & Ivy avaient pris goût à, de temps en temps, inverser les rôles entre elles. Car, si Ivy s’amusait très souvent à prendre Harley dans une forêt de tentacules, il arrivait parfois qu’elles inversent les rôles...
...Comme en ce moment !
Leurs corps nus s’élançaient l’un contre l’autre. Harley la pénétrait avec une ceinture-gode, tout en la tenant avec une laisse reliée à un collier mis autour de son cou. Et, évidemment, quand Ivy ne l’appelait pas « Maîtresse Harley », elle recevait une solide fessée. Mais c’était aussi ça, le jeu de la soumission... Et, en réalité, Ivy était sincèrement heureuse de voir que Harley prenait de l’assurance, qu’elle devenait une femme plus libre, plus indépendante, plus sûre d’elle...
Ce moment était leur moment, une scène de pure joie... Rien, à ce moment, ne permettait à Ivy de croire que, sous peu, elle se retrouverait en train d’être enneigée dans les montagnes de l’Oural, bien loin du Japon.
Pour l’heure, tout ce qu’elle ressentait était un pur moment de bonheur.