Cassias avait été lavée et nettoyée par les agents de la Rose-Ardente, mais elle avait toujours sur elle ce côté crasseux qu'on associait aux habitants de la rue. Elle le portait sur ses épaules, baissant régulièrement la tête, essayant de ne pas se faire repérer. C'était la première chose qu'on apprenait quand on vivait dans la rue : être discrets. Sinon, les gardes venaient vous arrêter, et vous passiez une sale nuit au poste dans les geôles. Cassias avait entendu des choses terrifiantes sur les mauvais traitements réservés aux gens comme elle, alors elle avait fini par rejoindre l'Ordre de la Rose-Ardente à l'occasion d'un prêche. Un prêtre de la Rose se chargeait de la soupe populaire, et en profitait pour encourager les déshérités à rejoindre l'orphelinat de la Rose. Cassias, qui était désemparée, avait donc accepté.
Elle se retrouvait donc ici, dans ce grand orphelinat, et fut rapidement intriguée par Limma, car elle sentait chez elle une odeur... Spéciale. Mais elle n'arrivait pas à se l'expliquer vraiment.
«
Et bien... Après le prêche que tu as eu, tu vas avoir droit à d'autres sermons. Ces humains ne nous gardent pas indéfiniment, ils cherchent à... À... À nous réinsérer socialement. »
Cassias avait pris du temps pour réussir à formuler cette expression. On pouvait vite comprendre qu'elle n'était pas très cultivée.
«
On nous apprend à lire, à écrire. Je suis ici depuis environ deux semaines, et nous sommes ensuite vendus à des personnes de bonne fortune. »
De cette manière, la Rose parvenait à financer ce système, et luttait contre le vagabondage. La promesse était de les vendre à des familles qui veilleraient sur eux, comme domestiques, majordomes...
«
Ils viennent nous chercher pour ça... Je me suis fait plusieurs amis que je n'ai jamais revu ensuite. J'imagine qu'ils sont partis dans un endroit meilleur... Comme celui d'où tu viens ? Je le sens sur toi, tu... C'est une odeur bizarre, agréable. »
Cassias avait déjà vu ici des gens portant une odeur similaire venir, cherchant les plus belles esclaves pour les prendre. C'était l'odeur des harems, et c'était ça qu'elle percevait chez cette femme.
«
Qui es-tu, Limma ? »
*
* *
Les crocs d'Akira se plantèrent dans le cou de l'homme. Elle était une vampire assez puissante, qui s'entraînait régulièrement, autant à améliorer ses capacités physiques que magiques. Elle pouvait pour cela compter sur l'aide de Vanillia, qui descendait d'une grande famille de vampires. Sa belle-mère savait donc comment exploiter leur potentiel magique, et, quand on commençait à développer la magie vampirique, on pouvait accéder à bien des pouvoirs. Par exemple, en avalant le sang d'une personne, Akira pouvait aussi drainer certaines de ses pensées, ce qu'elle faisait en ce moment. Fort heureusement, l'homme qu'ils avaient capturé n'était pas très malin, et n'avait développé aucune résistance contre les intrusions télépathiques.
«
Hmmm... »
Quand ses crocs se retirèrent, elle se désintéressa du hiérarque, qui tomba au sol, et essuya le sang sur ses lèvres d'un revers de sa manche.
«
Ils utilisent les sans-abris et les vagabonds pour les vendre comme esclaves... C'est une opération légale, qui permet de lutter contre le vagabondage et la pauvreté. »
Un tel système existait aussi à Mijak, et Mélinda récupérait par ce biais des esclaves. Pour eux, pour ces gens qui n'avaient rien, ils pouvaient ainsi rejoindre un groupe où ils seraient nourris, éduqués, logés, et contribueraient à la société. Si le choix était moralement condamnable, puisqu'il visait à tolérer l'esclavage, Akira avait fini par accepter que le système avait aussi des vertus, en évitant aux gens de mourir dans la rue de faim ou dans l'indifférence générale, comme cela existait sur Terre.
«
Toutefois, j'ai vu dans les pensées du hiérarque que certaines livraisons étaient destinées à un rôle bien précis... Nous devrions trouver leur registre, des documents à examiner. »
L'elfe que Brimstone et Xia avaient récupéré était probablement destinée à des clients très particuliers. Malheureusement, comme à Mijak, Lumen n'avait pas pu légiférer sur l'esclavage. Les groupes de pression étaient très forts. Akira savait que la famille royale voulait abolir l'esclavage, ou à tout le moins certaines pratiques liées à l'esclavage, comme les traitements inhumains et dégradants, mais la Couronne se heurtait à l'hostilité des guildes d'esclavagistes, très influentes.
Akira n'était pas sûre que sa mère irait se risquer à attaquer cette confrérie puissante. Si les autorités apprenaient qu'elle était Mijakienne, elle risquait d'être enfermée comme espionne.
«
Continuons à rester discrets, Brimstone... J'ai effacé ses souvenirs en le mordant, mais je te rappelle que ma mère ne tient pas à ce qu'on sache qu'elle est impliquée. »