Comme on pouvait s'y attendre en bourrant dans le tas on s'est encore mises en danger, mais on a pris le dessus à une vitesse folle. La place-forte n'est pas bien grande, ramifiée dans la montagne pierreuse qui l'accule. J'ai filé seule à la poursuite de Kross à travers un long tunnel. Une banale sortie de secours pour une banale pourriture d'esclavagiste sociopathe. Je suis coupée de tout le monde, je ne doute pas une seconde qu'elles s'en sortent pendant que je traque la cible prioritaire. D'un autre côté je suis seule face à lui, entre la rage et l'adrénaline j'ai les idées un peu trop claires : tout me pousse à lui rentrer dedans aussi violemment que possible. Je n'ai pas beaucoup de temps, j'ai activé la fonction balise de ma broche en sortant du tunnel, les autres ne vont sans doute plus tarder. J'ai déjà crashé le vaisseau de Kross en asphyxiant ses moteurs dans une zone de basse pression, il me reste au mieux deux ou trois minutes.
" Tu ne veux vraiment pas me dire ton nom, fillette ? "
Kross... Maintenant je sais à qui je dois mes cheveux et mes yeux en plus de mes pouvoirs. Il me prend de haut et je ne cherche pas plus loin. Ce plateau rocheux est déjà le théâtre du combat de ma vie et je ne compte pas gâcher mes chances. Inutile de faire étalage de nos pouvoirs, reste la maîtrise du combat rapproché. Il est plus grand que moi, plus fort, plus robuste, mais aussi plus confiant. Je le fixe dans les yeux en prenant une posture de défense agressive.
" Armée celkhane ! Déposez lentement vos armes au sol et reculez de...
- Je connais la musique, t'es pas la première pisseuse à me la sortir. On va la jouer autrement. "
À lui de se mettre en position, garde basse pour pallier la différence de taille, pied droit en avant et sabre recourbé vers le sol. Je vois l'échange d'ici : taille ascendante, je dévie le coup mais ne parviens pas à bloquer la puissance, un moulinet et si ma lame n'est pas de retour à temps je me fais trancher. Il prévoit sans doute la même chose, du moins son sourire en coin annonce un coup gagnant. Il a trop d'allonge et d'autant plus de puissance, alors je vais la jouer autrement. Je fléchis les genoux, arme mon bras droit loin en arrière et repli le gauche devant, voûtée en campée pour repousser l'assaut... J'espère qu'il y croit.
" Un dernier mot ? "
Pour toute réponse j'étire un sourire en coin en le braquant dans les yeux, puis le majeur de ma main gauche. Il se renfrogne, nos visage durcissent en un éclair et la lame fuse. Une seule lame, la sienne. Je lâche la mienne pour me propulser en avant, trichant bien sûr avec un violent courant d'air qui donne plus d'élan encore à mon poing droit. Je passe sous son mouvement et sa garde pour balancer mon coup gagnant droit dans les babioles, après tout c'est un juste retour des choses, non ? Et c'est pas fini. Je profite du choc pour saisir son bras armé, j'abandonne mes appui pour monter caler mon bassin au creux de son aisselle et refermer tant bien que mal mes jambes. Aucun moyen technique de se défaire de cet étranglement, s'il veut me décrocher il va devoir le faire par la force.
Je lui mords la main aussi fort que je peux pour lui faire lâcher son sabre, puis lance une main saisir ma cheville pour serrer un peu plus l'étau. Son visage enfle déjà, il vire au rouge. Mais l'enfoiré ne se laisse pas faire. Sa main se referme sur la mienne et il se remet debout. Merde ! j'aurais dû lui péter le poignet. Trop tard, il m'envoie cogner contre un mur. Le choc me sonne et surtout me plante une douleur cuisante sur le côté du crâne. Je sens sa main libre dans le bas de mon dos, il me soulève. Sans réfléchir je souffle aussi vite que possible l'air que j'ai dans les poumons. Il m'abat au sol à plat-dos, et j'ai un mal fou à tenir ma prise. Mais je tiens. Et mieux encore je rectifie mon erreur en lui tordant le poignet, puis le brisant. Il gargouille une plainte, son visage cramoisi s'assombrit alors que ses yeux larmoyants rougissent.
Malgré la douleur je tiens, je frissonne même d'un plaisir sadique, meurtrier. Il est en train de mourir, ce monstrueux enfoiré qui a forcé sa queue entre les cuisses de ma mère et combien d'autres est en train de crever lentement entre les miennes... Et ça m'excite ! Crève, enculé ! Prend bien ton temps, surtout ! Laisse-moi en profiter ! Et crève ! Ma main droite retrouve ma cheville pour presser plus implacablement l'étau autour de ses voies respiratoires et sa jugulaire. Il décline, s'affaiblit, s'éteint un peu plus à chaque seconde qui passe. Même en tirant son poignet rompu je le fait à peine réagir. Ses yeux rougis se révulsent alors qu'ils ont l'air de vouloir sauter de leurs orbites. Dans une poignée de seconde il ne sera plus qu'un cadavre, et il sera mort à l'endroit précis où il a commis ses crimes : entre les cuisses d'une femme.
Mais un autre frisson me prend, un sursaut de ma volonté vacillante. Je serre les dents sur ma rage encore une seconde, puis d'une ruade envoie mon adversaire déchu au sol. je ne prends pas le temps de penser, j'ai trop mal et je suis trop sonnée, je dois me focaliser sur l'essentiel. Kross remue faiblement au sol, tousse en reprenant difficilement son souffle et ses esprits. Je roule sur le côté, me redresse au-dessus de lui et arme mon coude que j'abats en plein sur son ventre. Ça me laisse le temps de déboucler et de tirer sa ceinture. Un coup sur son poignet enflé et il roule mollement sur le flanc en espérant se protéger. Mais je n'ai qu'à tordre cette articulation déjà brisée, il suit le mouvement pour se retrouver ventre à terre, et bientôt les mains attachées dans le dos par sa propre ceinture. J'espère que tous ces petits détails le font rager.
Assise sur son cul, je m'assure que les liens sont bien serrés. Il râle et bave sans toute sur le sol poussiéreux, mais ce qui attire mon regard voilé vient de moi : du sang. J'effleure à peine la blessure à ma tête que je tressaille de douleur. Une grosse bosse, une petite coupure, rien d'alarmant. Je cherche des yeux ma broche. Mission accomplie : plus qu'à appeler les autres et attendre qu'elles viennent me récupérer. Mais quand je me relève...
J'ai l'impression de monter comme une fusée. Vertige, un voile sombre tombe devant mes yeux et ne fait que s'épaissir. Finalement ma blessure est alarmante, mais avec tous les coups que j'ai pris une douleur de plus ne m'a pas choquée. Je lutte pour rester à l'équilibre, titube sur un pas, un autre. Du tunnel je vois émerger une silhouette, ou deux. J'essaie de tendre les bras.
" Je... "
Le voile est déjà opaque. Je me sens flotter une seconde, puis une secousse...