Bravo, Korë. Bravo à toi.
Elle avait été stupide - non, plutôt conne. Sa situation, la Wyvérienne la méritait. Enfermée à côté d'un sale type autrement plus méritant que sa petite personne. Le démoniste la toisait depuis sa prison. Comment faisait-il pour avoir l'air aussi à l'aise dans un espace aussi restreint ? On les escortait ils ne savaient où ; on les avait fouillés avant de leur confisquer leurs biens. Korë ne possédait plus qu'un seul instrument : sa voix. Et elle refusait de l'utiliser pour répondre à cet humain maléfique !
Une héroïne, moi ? Alors que le seul moyen que j'ai trouvé de préserver la vie des autres aura été de leur offrir le spectacle de mon corps en mouvement...
Elle fronça les sourcils.
Non : je ne suis qu'une pauvre sotte en mal d'affection. Tout juste bonne à jouer pour mieux se faire monter dessus.
La bardesse baissa les yeux sur ses poignets alourdis par des fers.
Que penseraient ses congénères en la découvrant ainsi ?
Yllanova Iarraleï Ravawynn Eilsys, de son vrai nom, préférait ne pas y réfléchir...
De la part d'un soldat à la patience limitée, le démoniste eut droit à une sévère injonction. Korë comprit alors qu'elle avait bien fait de ne pas ouvrir la bouche. Elle n'avait déjà pas l'air très intelligente, avec son séant et ses cuisses souillées...
Continuer à ne rien dire.
Et à conserver le peu de dignité qui lui restait.
Le petit jeu d'intimidation par le regard du démoniste attisa la frustration du soldat qui s'était jeté sur les barreaux en désespoir de cause. Cela ne parut pas déranger la marchandise humaine. Il se contenta d'émettre un commentaire déplaisant sur l'attitude de la garde avant de mettre vicieusement en avant le trop plein de fluide qui "décorait" les cuisses de la Wyvérienne.
Ce n'est qu'un détail à côté de l'horreur qui nous attend tous.
D'une oreille distraite, Korë écoutait les gardes se quereller. L'un d'entre eux avait vraisemblablement cherché à dépasser les bornes. Son collègue, ambitieux, quéreur d'une promotion, avait reçu des ordres du général en personne et s'était vu forcé de le recadrer non sans recourir à la menace verbale.
Je ne dois pas choisir de camp. Cette mésaventure doit me servir de leçon. Je dois observer discrètement mon entourage et me taire jusqu'au bout. Peu importe ce qui m'arrive : les autres ne doivent pas savoir ce que je pense. Inutile de leur donner plus de pouvoir qu'ils n'en ont déjà sur moi.
La Wyvérienne pensait tout particulièrement au démoniste qui, elle l'avait remarqué, cherchait souvent à capter son regard. Ce contact visuel la répugnait. Ce fourbe la mettait mal à l'aise, et le mieux à faire était tout simplement de ne pas entrer dans son jeu malsain.
Je ne le fascine pas : je l'amuse à mes dépends.
Elle tourna son regard carmin vers le soldat en quête d'une promotion. Il avait attiré son attention dans l'espoir de lui remettre un mouchoir, comme le démoniste avait fait remarquer l'absence de ce geste quelques secondes plus tôt. Korë hocha la tête avec un soupçon de reconnaissance et prit délicatement le papier entre ses doigts. Indifférente aux regards des autres, faisant le vide dans son esprit, elle s'essuya lentement les jambes. Elle se comportait comme quelqu'un obéissant simplement à une directive, avec des gestes mécaniques.
Qu'avait-elle de mieux à faire durant le trajet ? Protester vis-à-vis de son état de détention ?
Ha ! La Wyvérienne savait l'entreprise parfaitement inutile. Cette prison mobile n'était pas un endroit adapté à la défense.
Le démoniste ne l'ignorait pas non plus.