Cahir était-il dupe ? Le plus surprenant, pour lui, c’est qu’il était toujours en vie, et n’était pas dans une prison impériale. Officiellement, il était un traître, un déserteur impérial, victime d’un complot politique qui avait fait de lui une cible recherchée par les forces de l’Empire. Et il connaissait le clan Dowell de réputation. C’était l’un des plus puissants clans vampiriques de Mijak, et les Dowell avaient même, au cours de leur riche histoire, abrité des Conseillers Impériaux. Alors, pourquoi le laisser ici ? Cahir était ravi de revoir Shad, mais se méfiait aussi de cet Alexandre Dowell. Quand Shad évoqua Lumen, Cahir l’embrassa sur le front.
« Évite de trop parler de tes liens avec Lumen ici. J’ignore ce que les Dowell nous veulent, mais… Écoute, je ne sais pas grand-chose d’Alexandre Dowell, mais sache qu’il est très ambitieux, et très calculateur. »
Il avait beaucoup de choses à lui dire, et s’assit ensuite sur le lit, à côté d’elle.
« Tu ne connais sans doute pas très bien l’histoire de Mijak, mais… Dowell est un comte. Et son comté s’étale sur une région limitrophe de l’Empire. La frontière, c’est la forêt de la Calla, une grande et profonde forêt qui mène à une ancienne baronnie eldoise, la Calla. Un royaume qui a beaucoup souffert ces dernières années. Avant que je ne quitte l’Empire, l’Empire envisageait d’envahir la Calla. »
L’apatride se racla encore la gorge. Il avait beau être marqué par l’affrontement redoutable à Brennenburg, l’homme n’en restait pas moins lucide. Lui aussi avait eu une haute éducation. Cahir avait encore des choses à dire, et se racla la gorge, attrapant doucement les mains de Shad. Ils ne partageaient pas forcément de lien amoureux, mais étaient à tout le moins des amants. Esquissant un léger soupir, Cahir reprit ses explications :
« Les Dowell ont participé activement au dernier effort de paix entre Lumen et Mijak. Alexandre a succédé à un Conseiller Impérial qui a été tué à l’Eld, lors de la Chute. C’est un clan en disgrâce, car la ligne politique qu’ils menaient a été battue en brèche. Mais j’ignore ce que souhaite Alexandre. En tout cas, s’il ne m’a pas dénoncé aux autorités, c’est qu’il suspecte quelque chose, visiblement lié à nos aventures à Brennenburg… »
Cahir réfléchissait à voix haute, mais Shad ne pouvait pas rester éternellement là. L’homme hocha la tête, et l’embrassa encore, avant de la laisser sortir.
Dehors, le garde invita Shad à la suivre. Alexandre n’était plus là, et le garde, tenant une torche à la main, la guida à travers les jardins. Ceux-ci étaient magnifiques, grands, savamment entretenus, avec des oliviers, des arbres, des buissons travaillés et longuement entretenus. Un léger vent nocturne rafraîchissait la zone, et, surtout, en levant la tête, on apercevait un spectacle magnifique, étoilé. Les constellations étaient nombreuses, et la vue parfaitement dégagée.
Le garde conduisit Shad jusqu’à un kiosque face à une grande fontaine en bas d’une petite crique circulaire finement taillée. Alexandre était là, assis, en train de déguster un peu de thé. Il était également nu des pieds à la tête, et invita Shad à la rejoindre.
« Les vampires vivent la nuit, Shad. Le jour, ce manoir grouille d’êtres vivants en tout genre. Des gardes, des pages, des serfs venant réclamer leurs doléances. La nuit, je profite du calme des lieux, de la beauté du paysage. »
Son hôte lui sourit lentement.
« Ne me prenez pas pour un pervers, mais j’aime l’idée de me ressourcer avec la nature, d’être nu au milieu de la flore. Enfin, je m’égare… Disons plutôt que, quand je suis là, que j’observe l’immensité des cieux, et l’éternité de la nature, je réalise combien nous sommes peu de choses au regard de l’immensité de la création. »
Philosophant un peu, Alexandre revint à des préoccupations plus prosaïques ensuite.
« Comme tu le vois, Shad, je ne suis pas un Maître foncièrement cruel. J’aspire à ce que nous construisions, tous les deux, une relation saine et aimante. Mon plus grand souhait, vois-tu, serait que tu me considères véritablement comme étant ton Maître. Mais je sais que cela arrivera. Mais, dis-moi… Si tu recouvrais ta liberté, où irais-tu ? Est-ce que tu as de la famille, quelque part ? Un foyer ? Et, au fait, n’hésite pas, si tu as envie de te désaltérer, il y a deux tasses. »