
Un bar plongé dans la pénombre d'une nuit fraîche. Des pancartes aux écriteaux lumineux, invitant les curieux à s'y aventurer. Une touche exotique apportée par la présence de ces deux lampions chinois qui en entouraient l'entrée. Il avait plu, cette nuit-là. Assez pour donner naissance, çà-et-là, à des flaques d'eau sale. Le flux céleste s'était tari depuis un petit moment déjà. La motarde, à la combinaison détrempée, avait garé sa bécane le long d'un flanc de cet établissement malfamé. Elle s'en était éloigné mais, curieusement, n'avait point renoncé au port de son casque. Cette protection, à la visière teintée au-dessus de laquelle trônait un motif en tête de mort, dissimulait efficacement ses traits.
Ses poings gantés bien serrés, la guerrière de la route s'immobilisa face à la lumineuse devanture.
Les épaules couvertes par une veste en cuir, un type au regard vicieux, qui attendait là, l'interpela aussitôt :
- Hep là, p'tit gars ! T'es qui, toi ? On s'décoiffe avant d'entrer. C'est not' règle.
Une voix bourrue qui se voulait intimidante. Une attitude de racaille, remarqua tranquillement son observatrice. Un type à problèmes, à n'en point douter, qui ne se considérait absolument pas comme de la merde...
Ne bougeant pas, la motarde poursuivit silencieusement son évaluation.
Son œil gauche était barré d'une fine cicatrice. Ses cheveux gominés, ramenés vers l'arrière, débordaient le long de sa nuque. Au cou, il portait une chaîne en argent agrémentée d'une tête de mort. Fixé à un passant de ceinture de son jeans beige, une chaîne semblable pendouillait le long de sa cuisse. Il avait une main enfoncée dans la poche.
Et dans cette dernière se devinait la forme d'un instrument tranchant, très facile à manier...
Du pouce, le voyou indiqua le bâtiment.
- Ici, c'est l'repaire de not' bande. Si j'peux pas voir ton visage : tu rent' pas - point barre !
Elle avait très bien compris le message.
L'imbécile se trouvait bien trop près pour avoir le temps de réagir.
Ce fut rapide - pour ne pas dire fulgurant !
En premier lieu, un coup de coude en travers du diaphragme ; le vilain, les yeux exorbités et la respiration coupée, s'était plié en deux.
En second mouvement, un uppercut balancé de l'autre main, à hauteur de mâchoire ; son visage soudain redressé, le voyou basculait vers l'arrière...
Enfin, pour la troisième et dernière étape, la motarde lui avait balayé ses appuis, l'enjoignant brutalement à embrasser le bitume et à y rester collé.
- Poing barre, conclut-elle d'une voix voilée.
L'autre n'était plus en mesure de l'entendre - et moins encore de l'emmerder.
Elle se baissa pour lui faire les poches, en sortit un couteau papillon en alu qu'elle balança négligemment dans une ouverture d'égouts.
Sous la visière de son casque lugubre, ses prunelles noisettes s'étaient tournées vers la porte.
Purgeons cet endroit.
A cette heure avancée de la nuit, la vermine y pullulait. On leur avait attribué - officiellement - de nombreuses infractions dont des vols brutaux, parfois à main armée. Une bande de tocards que les autorités locales avaient laissée trop longtemps fermenter dans son coin. Cette arrivée en oxygène, le Skull Raider comptait bien la leur couper définitivement.
Elle poussa la porte, s'introduisant dans ce bar comme dans un moulin auquel il aurait toujours dû être comparé.