Du sommeil à rattraper, ça elle en avait, oui ! Hosoo ne fit aucun rêve cette nuit là. Ni rêve ni cauchemar. Elle s'était endormie comme une masse. Le lit de sa professeure, diablement confortable, avait eu tôt fait de l'expédier tout droit entre les bras de Morphée. Ce n'est qu'à dix heures qu'on la "força" à se lever. Mission que l'on avait confiée à Marmelade. La lycéenne n'était pas suffisamment réveillée pour comprendre la raison logique qui se dissimulait derrière ce choix.
- Buaaah... D'accord, d'accord ! Je me réveille,... je me lève, je m'hab...ille ?
A tâtons, la kunoichi était partie en quête de sa combinaison. Sans résultat probant !
Elle déplaça son regard à l'endroit qui convenait...
Vide.
- Bah ?
Confuse, Hosoo se redressa, laissant le drap s'échouer autour de ses reins. Elle bâilla un grand coup, puis se frotta les yeux comme pour mieux voir.
Toujours vide.
Son regard abruti pivota vers Marmelade, qui s'impatientait pour le petit-déjeuner auquel on l'avait conviée, elle, l'intruse de la nuit dernière.
Ah !
Cela ne pouvait être que sa professeure. Sans doute pour l'empêcher de quitter son domicile en douce.
L'heure !
Le matin. La dizaine... passée ?
Oh, merde !
Le lycée, c'était fichu pour aujourd'hui.
La journée commençait moyennement bien.
Inutile de jouer la montre.
Marmelade lui avait remis une robe à fleurs. Pas le genre qu'elle porterait en temps normal, mais Hosoo préférait s'en vêtir plutôt que de descendre voir les autres les fesses à l'air. Et puis cela l'aurait embarrassé de se promener due, main dans la main avec Marmelade alors que cette dernière fonctionnait plus comme une enfant que comme une adulte.
J'ai comaté une dizaine d'heures, songea-t-elle. Je n'en reviens pas...
Il lui fallait encore un peu de temps avant d'émerger complètement. Au moins un bon quart d'heure supplémentaire. Mais bon, son état ne l'empêchait guère de se déplacer, et ce même si Marmelade la tirait en bas des escaliers.
Quelle énergie, chez cette drôle de fille !
Elle s'était posé une question en la voyant, la toute première fois - soit la veille au soir. Cette question n'avait toujours pas obtenu de réponse satisfaisante.
Je tiens la main d'une fille au corps gélatineux, capable de reproduire des armes avec. Je devrais m'en méfier mais... non, je n'y arrive tout simplement pas. C'est comme si l'aura positive que dégage cette... Marmelade me pousse à renoncer à mes bas instincts.
Elles se retrouvèrent au rez-de-chaussée. Fille et mère habillées de rose patientaient au beau milieu d'un buffet de viennoiseries, de sucreries, de boissons, de... nourriture qui mettait l'eau à la bouche de la kunoichi.
Le commentaire de Mélissandre suffit toutefois à museler sa faim.
- Pardon ?!
Cette histoire de couple entre sa nouvelle professeure et sa femme démoniaque avait débuté autour d'un petit déjeuner de ce genre ?
Hosoo se sentit refroidir.
Qu'est-ce que je fous là ?
L'enseignante, visiblement plus réfléchie que sa fille, trouva très vite les bons mots pour désamorcer le trouble de la kunoichi.
C'est vrai que Marmelade blablatait. Mais pour être franche, je n'ai presque rien retenu de notre discussion à sens unique...
Elle agita la tête.
Bordel ! Je commence vraiment à faire pitié, là !
Nouveau commentaire de Mélissandre, qui sonnait cette fois-ci comme une invitation à profiter d'un certain moment de chaleur partagé en plein cœur de ses quartiers.
...On dirait bien que je lui ai tapé dans l'œil.
Elle ne se souvenait que trop bien de leur proximité de la veille. Une pensée qui fit baisser les yeux de Hosoo sur les boissons présentes. Sans doute qu'aucune d'entre-elles ne renfermait les doux arômes de cette juteuse poitrine...
La kunoichi eut envie de se gifler.
Ce n'est absolument pas le moment !
Lissandre Verrières, en femme plus que responsable, avait déjà pris la peine d'informer le lycée de leur absence. De quoi couper l'herbe sous le pied à cette étudiante perturbée par des interrogations qui se bousculaient dans sa tête.
Je me sens de plus en plus démasquée.
On la savait orpheline, maintenant. Bon, pas très difficile à dénicher comme information, mais soit !
Et sans le vouloir, je viens de me glisser sous ses projecteurs... quelle chance !
Ç'aurait pu être pire, non ?
Toujours aucune trace de la dénommée Mélona.
Pourquoi n'osait-elle pas poser de question au sujet de la démone ? Lissandre lui répondrait sans détour, très certainement...
C'est... plus compliqué que ça en a l'air.
En réalité, Hosoo avait peur. Peur de devoir commettre l'irréparable. Peur de ne pas pouvoir empêcher sa main de frapper.
Peur de faire souffrir la mère de plusieurs enfants.
Plus j'en apprends sur cette drôle de famille, plus je me sens stupide et immature.
Voilà qu'on lui proposait de passer carrément tout le week-end dans cette villa !
Sincèrement étonnée, Hosoo regarda sa professeure, puis Mélissandre.
Elles savent ce que je suis, et pourtant je reste la bienvenue ?
Elle avait l'air abasourdie. Et gênée, aussi.
La prof' s'inquiète pour moi. C'est bien la première fois qu'une enseignante me dit une chose pareille.
Elle en eut presque la larme à l'œil.
- Euh... Je ne sais pas trop quoi vous dire...
Et si jamais la démone se pointait ? Et si, en la regardant, Hosoo se faisait assaillir par les visages de ses défunts ?
La kunoichi se surprit à contempler pensivement le vide.
Lissandre disait vrai en soutenant que tout, dans sa proposition, n'était pas à jeter.
- Je crois que la raison est de vôtre côté, finit-elle par dire en lorgnant sur les gâteries.
Mais ce n'était pas tout, non. Sa professeure avait au moins le mérite d'être honnête avec elle. Elle avait profité de son sommeil pour la contempler, pour étudier son corps...
Très fin ? Trop fin ?
La kunoichi s'imaginait mal plus arrondie.
Sa vélocité primait sur sa force. Et ses muscles, bien que fins et légers, ne manquaient pas d'explosivité.
Elle haussa les épaules.
- Si vous le dites. Je suis chez vous, après tout : autant que je suive vos recommandations.
Ces dernières impliquaient de dévorer tout ce qu'elle était en mesure d'avaler. Hosoo, pour qui le ventre avait commencé à grogner douloureusement, ne se le fit pas dire deux fois ! Elle s'installa sur le canapé et mangea donc, sans toutefois chercher à faire concurrence à l'insatiable Marmelade. Sa seule présence justifiait autant le choix et la quantité des mets à leur disposition.
Incroyable mais vrai.
Hosoo se rinça le gosier avec un bon verre de jus d'orange avant d'oser se jeter à l'eau :
- Dans un premier temps, il faut que je vous remercie. (Elle eut un geste en direction du petit-déjeuner copieux.) Pour tout ça. Alors merci, madame Verrières ! Merci d'avoir accueilli et nourri celle qui a voulu se glisser chez vous en douce, la nuit dernière. Cette... écervelée encore pleine de doutes ne le mérite pas.
Et là, il fallait à tout prix qu'elle prenne sur elle et qu'elle le lui demande. Ça lui trottait dans la tête et minait son moral. Or, Hosoo n'avait pas envie d'assombrir l'humeur de cette famille - qu'elle trouvait tout de même sacrément bizarroïde. Ses yeux noirs fixaient intensément sa mystérieuse professeure.
- Je ne veux surtout pas que vous me preniez en pitié, madame Verrières, mais il faut que vous sachiez que mes parents ne sont pas morts dans un accident ; ils ont tous les deux été tués en affrontant des monstres, et plus précisément des... (Un moment d'hésitation ? Il était trop tard pour faire machine arrière. Elle se mordilla la lèvre.) Des démons. Ils en ont occis beaucoup avant de tomber sous les coups d'un monstre plus puissant que ses congénères. Je me souviendrai toujours de cette silhouette, grande, imposante, qui se dresse au milieu d'un gigantesque brasier. Parfois, il me suffit simplement de fermer les yeux pour la visualiser... (Sa voix avait commencé à trembler. Ses mains aussi.) Si je vous raconte ça, c'est parce que votre fille m'a appris que vous entretenez une relation sérieuse avec une femme capable de se transformer en démon. Cette idée me perturbe, m'inquiète. J'ai l'impression d'être à la fois bien et mal placée pour la comprendre mais... non. Je sais pertinemment que ses faux. Que mes souvenirs et mes émotions altèrent mon jugement. (Elle serra les doigts sur ses genoux.) Votre situation m'a l'air stable. Vous avez l'air cohérente dans vos propos. Et pour tout vous dire, je vous trouve même très attirante aussi bien physiquement que mentalement. En compilant tout ça, j'ai envie de vous faire confiance. Et, par-dessus tout, j'ai besoin de vous entendre me parler d'elle. De votre Mélona. Même si je ne peux pas vous garantir que je comprendrai vos sentiments à son égard, je crains avoir besoin de passer par là pour... améliorer ma façon d'appréhender les sujets sensibles.
Oui : Hosoo s'était avalé un bon café avant d'en venir à cette conversation sérieuse.