Même si la Matriarche y allait de ses menace et de ses vannes à l'encontre de son congénère au teint gris, Celui-ci ne semblait guère en être affecté. A défaut d'être d'une grande honnêteté - ou même d'une petite -, Vortek savait se montrer digne en bien des circonstances. Digne ou indifférent, à la rigueur, au sort que lui réserverait alliés comme ennemis.
- Sans vouloir vous offenser, ô grande Matriarche, ici, nous ne sommes pas entre les murs de votre si charmante cité. Ce qui signifie que même si vous avez affaire à un fou, à un inconscient, à un idiot ou à je ne sais quel imbécile heureux, pas grand-chose ne saurait le faire pâlir ou même se confondre en de pitoyables excuses. (Le malin bougre se permit même l'esquisse d'un modeste sourire en chemin.) En ce qui me concerne, laissez-moi vous dire que je trouve votre idée d'une torture par empoisonnement sur le long terme très rafraichissante.
Une sentence ignoble et assurément douloureuse. Typiquement le genre de pratique que le Nécromancien appréciait. Surtout qu'il n'avait pas souvent l'occasion d'utiliser ses chefs d'œuvre toxiques sur un quelconque sujet. La dernière fois que Vortek avait joué avec ses produits, c'était en compagnie de Daya Trifid, sa seule et unique apprentie en la matière. Il avait pris la liberté de lui en injecter - les moins puissants de sa conception, à bon entendeur - afin de lui enseigner les douloureux revers du métier. En l'occurrence, la mithridatisation en représentait un beau !
Pile quand la caustique Streeaka Z'Ress en vint à basculer sur un sujet aussi sensible qu'intéressant en la personne d'un dangereux révolutionnaire Drow, Eviscéran réorienta la discussion sur la nature de leur récompense. Des besoins élémentaires, à base d'or et de vivres. Et en prime, de quoi permettre à Vortek de se documenter un peu, de s'enfoncer toujours plus profond dans ses pratiques obscures...
Avec son train de vie actuel, il ne demandait pas mieux.
Bref ! L'Orc Noir s'était peut-être un petit peu trop avancé. La Matriarche ne leur avait pas tout raconté. En bonne politicienne, elle aimait les longs discours et les explications fastidieuses. Sans compter le contact avec les autres, et les propositions sexuelles qu'elle pouvait à tout moment y ajouter.
La Capitaine n'en fut point épargné.
Il renifla de mépris.
- Merci mais non merci. Je baise quand cela me chante, et non pas l'inverse. (Il se permit un rictus à l'attention de ses filles.) Toutes mes pouliches - sans exception aucune - pourront vous le confirmer.
Certaines, comme cette pauvre Nérénie, firent la grimace. D'autres, moins discrètes, à l'instar de Shabel et Daya, montrèrent les dents ou froncèrent les sourcils. Les moins susceptibles du lot, telles qu'Ilge et Okäle, n'affichaient pas l'ombre d'une expression. Odogara, elle, était beaucoup trop claquée pour prêter une oreille à la conversation. Enfin, Véfa, qui s'amusait parfois à imprimer ses sceaux pervers sur le bas-ventre des prostituées à mi-temps, était certainement celle qui ne tarissait pas d'éloges à ce sujet.
Mais, là encore, il n'était pas assez important pour être creusé.
Très sérieuse, la Matriarche rentra dans les détails concernant la mission. Entre la forteresse convoitée des nains, l'usage illicite de la magie eldrichtienne, l'alliance entre deux Maisons Drows et les conséquences que tout cela pouvait avoir sur le culte de la Déesse Lolth... l'affaire sentait atrocement mauvais !
Seul, Vortek n'aurait jamais eu dans l'idée de l'accepter. Mais Eviscéran, lui, était d'une tout autre trempe.
Pour l'un comme pour l'autre, le fait que la Matriarche en personne ne mâche pas ses mots en leur présence sous-entendait beaucoup de choses. Des bonnes comme des mauvaises, oui ! Avec pour commencer la moins sympathique de toutes : celle qui impliquait l'impossibilité de faire machine arrière...
Ils en savaient déjà trop.
Au final, il n'était pourtant pas question de prendre d'assaut une forteresse naine ou de s'y infiltrer. Non, la Matriarche attendait du Barbarium qu'il localise un repaire à Griffefosse et récupère les prisonniers placés sous la surveillance d'un groupe de mercenaires. Streaaka Z'Ress considérait la "grotte fantôme" comme la pièce manquante de son sordide puzzle avec lequel deux prestigieuses Maisons pourraient facilement tomber en disgrâce.
Enfin, toujours aussi peu confiante en Vortek, la dirigeante suggéra de le tenir bien à l'écart de la tentation diabolique que représentaient les artefacts eldrichtiens.
Cette fois-ci, le Nécromancien fit la moue.
- Moi qui pensais que la laisse autour du cou était l'apanage des esclaves...
Gloussante, Véfa lui déposa une main maternelle sur l'épaule.
- Allons, ne boude pas comme ça ! Certains en ont bien une fichée dans l'arrière-train et finissent même par y prendre goût.
Cela ne le fit pas du tout rire. En fait, ç'eut exactement l'effet inverse.
La Ritualiste ne se laissa point démonter par son comportement :
- Vous n'avez aucune inquiétude à avoir. En ma qualité de Sondeuse, je veillerai à ce que la tentation ne le prenne pas à la gorge. Au sein de cet équipage, je suis de loin la mieux placée pour lui imposer de réelles limites.
- Pfeuh ! S'il y a bien une chose que je déteste chez toi, c'est justement ce côté rabat-joie.
- En revanche, tu te réjouis de mon franc parler, si peu répandu parmi les Drows, roucoula-t-elle en glissant une œillade à la Matriarche.
Se raclant bruyamment la gorge, Eviscéran attira de nouveau l'attention sur sa lourde personne. Les bras croisés sur sa musculeuse poitrine, il hocha la tête d'un coup sec.
- Grand bien vous fasse à tous les deux. Vous vous bécoterez plus tard. (Il toisa la Matriarche.) Je crois qu'on sait tout ce qu'il y a à savoir pour le moment. Va pour les sauf-conduits et les conditions que ça implique. Ces chiens de la Bregan d'aerthe vont avoir droit à une petite visite de "courtoisie" ! (Il plissa ses petits yeux d'Orc.) J'espère que vous n'avez rien contre leur faire sauter quelques têtes ? Nous avons les moyens de travailler tout en finesse mais je ne tiens pas, en cas d'improvisation, à ce qu'on m'empêche de faire couler le sang. La hache d'un ancien champion est beaucoup trop lourde pour qu'on la retienne lorsque vient le moment de fendre des crânes.
A l'inverse de Vortek, le Capitaine ne se gênerait pas le moins du monde pour déchirer sa laisse avec les dents !
- On peut se relever, maintenant ? gémit une toute petite voix.
Le regard de l'Orc se tourna lentement vers Dwëna, qui en avait vraisemblablement marre de frôler le sol. Il fut secrètement ravi de découvrir que l'ingénieure, d'ordinaire si effrontée dans ses propos, ait perdu un peu de sa désinvolture.
- J'ai les genoux en compote...
- Estime-toi heureuse qu'il n'en aille pas de même pour ton grâcieux petit cul d'humaine, cracha-t-il avant qu'une autre idée salace ne lui passe par la tête. (Nouveau regard vers la Matriarche.) Mon impolitesse est parfois sans bornes, mais elle n'est pas un défaut dans tous les cas de figure. Vous êtes notre invitée de marque dans ce vaisseau, pas vrai ? Alors la moindre des choses serait que je vous propose de faire ripaille ! Ce n'est pas tous les jours que je me retrouve avec une Matriarche à bord. Qu'est-ce qui pourrait bien vous faire plaisir ?
Il pouvait se montrer très accueillant lorsque le croassement de sa hache ne supplantait pas sa grande gueule.