
On dénombrait en Alsace de nombreux châteaux-forts et autres manoirs médiévaux massifs. Ils étaient le fruit de l’histoire complexe dans cette région frontalière entre l’Allemagne et la France. Beaucoup de ces structures remontaient à l’ère du duc Frédéric II de Souabe, dit « Frédéric le Borgne ». Il faisait partie de la célèbre lignée des Hohenstaufen, lignée qui abrita bon nombre d’Empereurs du Saint-Empire romain germanique comme Frédéric Barberousse. Le Borgne érigea de nombreux châteaux pour protéger son domaine des envahisseurs. L’Histoire perdit la trace des Hohenstaufen au cours du 13ème siècle, mais ceux-ci ont en réalité toujours survécu, et leur lignée s’est perpétuée. Aujourd’hui encore, la dernière représentante de cette lignée dispose d’une vaste richesse. Par le truchement de sociétés civiles immobilières, de placements boursiers et d’investissements, celle qu’on considérait encore comme « la Duchesse Hohenstaufen » dirigeait son empire depuis un ancien fort rénové à la Renaissance, reconstruit en un immense manoir luxueux, le manoir Hohenstaufen.
Elle s’appelait Frederika Hohenstaufen. On la surnommait « La Duchesse », mais aussi « La Sorcière »… Car elle était une sorcière. Elle affirmait à quiconque l’interrogeait qu’elle était la fille du dernier des Hohenstaufen à avoir été couronné, l’Empereur Frédéric II, qui fut assassiné le 13 décembre 1250. Un Empereur talentueux, qui parvint à mener à bien la sixième croisade en Terre Sainte, la seule croisade qui se fit de manière pacifique, mais fut comparé par le Pape Grégoire IX à l’Antéchrist, et fut même excommunié deux fois. Le conflit entre Frédéric II et Grégoire IX précipita d’ailleurs la chute de l’Empereur, le Pape l’accusant de nombreux griefs, dont d’hérésie. L’Empereur alla même jusqu’à assiéger Rome, avant de mourir de maladie. Le fait est que l’Histoire oublia que l’Empereur aimait une sorcière, une femme qui fut inhumée avec lui dans son tombeau sous la cathédrale de Palerme. Frederika affirmait que cette femme était sa mère, une femme que l’Empereur récupéra en Terre Sainte, où elle avait appris la sorcellerie. Les gens étaient naturellement en droit de douter des affirmations de la Duchesse, mais sa magie était réelle.
Aujourd’hui, son manoir allait se préparer pour un rituel ancestral que la Duchesse répétait régulièrement. Elle attendait avec impatience. Les technologies du futur n’avaient pas échappé à la Duchesse, et elle avait découvert l’existence d’Internet, des réseaux sociaux, constatant que tous les vices étaient désormais libres et diffusés partout, notamment celui de la luxure. Elle avait réuni un profil d’une vingtaine de jeunes femmes, des camgirls, ces femmes qui s’exhibaient librement sur Internet. Sur ces vingt noms, des propositions avaient été faites, celles de participer à un concours spécial d’une semaine, le « concours de la perverse sexuelle ». Le principe était fort simple : accepter pendant une semaine d’être une esclave sexuelle en se livrant à quantité d’actes sexuels pervers et osés. La récompense était détonante, puisque les organisateurs proposaient à celles qui acceptaient leur offre un acompte de 100 000 euros. Celle qui gagnait ensuite les sélections recevrait un second acompte de 500 000 euros, et pouvait ensuite remporter 7 000 000 d’euros, soit un million d’euros par jour. Les offres étaient très sérieuses, car elles avaient été diffusées aux camgirls par leurs sponsors. Pour celles qui étaient surprises du prix, on leur disait que, pour voyager dans l’espace, les touristes spatiaux avaient dû payer un billet de 25 000 000 d’euros par tête.
La grande gagnante avait été une camgirl gothique sur laquelle Frederika avait parié dès le début : Maud Bailey. Une gothique qui n’hésitait pas à faire des live exhibitionnistes en public, comme se masturber à la fac’, dans un centre commercial, se prostituer en pleine nuit dans un parc. Elle était à la frontière de la légalité, et la Duchesse avait senti en elle une perverse née.
*La candidate rêvée pour accomplir le rituel…*
Une fois par siècle, Frederika devait réaliser un rituel particulier, une offrande de luxure à destination de sa Déesse. Sa récompense était de conserver ensuite sa jeunesse pendant un nouveau siècle.
Le soir était tombé quand la voiture qu’elle avait fait venir à la gare de Mulhouse se rapprocha. La route menant à son manoir était méconnue, elle ne figurait même pas sur les GPS. La Duchesse tenait à sa discrétion. La voiture se gara sur des garages situés sur une allée annexe au grand manoir. Le domaine était immense, avec un grand chenil pour chiens, et une écurie pour ses chevaux. Intégralement nue, la Duchesse ne portait qu’un long manteau noir qui traînait derrière elle avec une capuche, sa simple tenue de sorcière. Tandis qu’elle rejoignait le hall, elle lévitait un peu au-dessus du sol, les portes s’ouvrant toutes seules à son approche. Il en allait de même pour les bougies, qui s’illuminaient sur son chemin.
Maud fut quant à elle guidée par une très belle maid, qui lui demanda d’attendre dans le Grand Hall. C’était une grande pièce plongée dans la pénombre, avec un énorme escalier intérieur, une mezzanine, et un immense lustre en or qui était éteint… Les bougies s’allumèrent alors, et illuminèrent le Grand Hall. Il y avait des canapés dans les coins, ainsi que de grands candélabres dorés qui s’illuminèrent comme par enchantement. L’escalier intérieur, quant à lui, montait à une estrade avant de se séparer à gauche et à droite. Un immense vitrail se trouvait au-dessus de l’estrade, représentant une divinité nue.
La jeune femme put alors entendre les aboiements de deux chiens, qui s’arrêtèrent sur l’estrade, la regardant, avant de voir Frederika descendre, semblant glisser sur les marches, sa fine main glissant sur la rambarde.
« Ah ! Vous voilà enfin, Mademoiselle Bailey ! J’avais hâte de vous rencontrer ! »
Elle arriva à l’estrade, et descendit encore, avant de poser ses pieds sur le tapis rouge rembourré. Elle s’avança vers Maud, son manteau ouvert dévoilant sans aucune gêne ses parties intimes. Sa main caressa la joue de Maud, et Frederika, avec ses impeccables lèvres noires, lui sourit.
« Enfin, on peut se tutoyer, je suppose… Tu es encore plus belle que ce que je pensais, ma chérie. Je suppose que tu dois avoir faim, non ? J’ai souhaité que nous mangions ensemble. »
Tandis qu’elle marchait, ses deux chiens la suivaient. Ils se rapprochèrent de Maud, et vinrent frotter leurs museaux contre ses jambes, en la reniflant.
« Ne t’inquiète pas, Conrad et Fido sont très obéissants. »
Elle tendit sa main vers Maud, pour que celle-ci la saisisse, avant de rejoindre la salle à manger. Là encore, les portes s’ouvraient devant elles, comme par magie…