Un sourire hideux déforma les traits burinés du Brise-Monts. Le petit humain était sacrément couillu pour lui dresser un plan sur la comète après les avoir analysés ainsi, avec pareil détachement, à voix haute et au compte goutte.
Odogara s'était mise à grogner alors que Vortek lui installait sa laisse spéciale. Ce dernier jubila en imaginant la Louve de Sang se jeter au cou de Benjamin afin de lui bouffer la carotide comme elle rongerait un os.
- Personnellement, Je n'y verrais aucun inconvénient. Si notre sauvageonne de championne le dépèce vivant sous le regard éberlué de nos hôtes, qu'à cela ne tienne ! Au moins seront-ils avertis du danger qu'un seul de nos membres est capable de représenter pour les membres de leur race atrophiée.
Pourtant, ce fut Eviscéran en personne qui referma ses énormes doigts sur la chaîne maudite.
- Pour l'heure, le but n'est pas de les intimider mais de les séduire, contre-attaqua le capitaine.
C'est moi qui gérerai la sanglante impertinente. (Sous les yeux de l'humain, il serra un poing massif.)
Mais que le sale petit humain à l'artefact instable sache qu'il ne sera pas en reste : nous avons une autre petite chienne à fort caractère qui n'attend que d'être domptée.
Tout en tirant sur la laisse d'une Odogara boudeuse, il fit signe à sa mauvaise troupe de le suivre.
Ökale et Ilge, en encadrant le nouveau venu, prirent alors la relève de Vortek, qui lui marchait tranquillement aux côtés de l'irrésistible Ritualiste.
Celle que l'on surnommait la Caverneuse, soit l'indéfectible partenaire sarcastique de l'Implacable, se permit un commentaire amusé :
- Notre soit disant Vierge de Bronze va encore perdre un peu plus de sa précieuse dignité.
Shabel Sealgïr éternua. Ce qu'elle mit tout naturellement sur le dos de la poussière que soulevaient Dwëna et ses golems en s'affairant autour des chenilles dorées de la Charteresse. En même temps, cela ne pouvait pas être dû au froid : l'ex-mercenaire portait ses vêtements habituels, à contrario de ce qu'avait prévu son ignoble maître à la chair d'obsidienne.
Comment fait-elle pour bricoler dans ces conditions ?
La Vierge de Bronze ne comprenait pas la Golémaniaque. Dwëna Hogg'brennandi ne se souciait point de
son vulgaire accoutrement qui la laissait presque
les fesses à l'air, pas plus qu'elle n'avait l'air offusquée par le regard concupiscent des gardes nains qui la reluquaient à bonne distance.
Je respecte cette tête bien remplie mais, franchement, un tel degré de servitude ? ça me dépasse !
En tant que garde du corps et assistante, Shabel portait sa lance. Elle jetait fréquemment des regards méfiants à leurs grossiers observateurs quand Dwëna ne lui demandait pas de l'aide pour telle ou telle opération.
Aussi fut-elle la première du duo à voir le reste de l'équipage venir à leur rencontre. Pour ne pas la mêler à cette conversation à risques, Shabel s'éloigna un peu de Dwëna. Et en considérant l'humeur glacée de son capitaine et la présence de sa championne nue qu'il se trimballait au bout d'une chaîne de bien mauvais goût, la Vierge de Bronze se crispa, les lèvres serrées d'appréhension. Elle baissa d'abord les yeux sur le visage courroucé de la Lycanthrope Ecorchée avant de les faire remonter sur la mine patibulaire de l'orc noir. Elle soutint son regard un instant, dans un silence proprement inconfortable, puis dévia lentement ses prunelles couleur noisette sur ce visage qui ne lui disait rien.
- Vous vous êtes fait un nouveau compagnon, on dirait.
De gré ou de force ? Shabel était prête à parier sur la deuxième option.
La toisant de ses petits yeux porcins, l'orc noir ne répondit pas tout de suite. D'un geste autoritaire, il invita plutôt Daya Trifid, sa mutique empoisonneuse, à lui présenter
la "tenue" qu'elle aurait dû enfiler avant de s'aérer les miches aux côtés de Dwëna.
- Tu sembles avoir oublié quelque chose d'important, éluda-t-il.
L'ex-mercenaire eut une moue de dégoût.
- Je n'ai rien oublié du tout.
L'orc noir soupira bruyamment par le nez.
- Alors c'était donc vrai...
Secouant sa tête chauve, il adressa un autre signe de main destiné à Vortek cette fois-ci. Le vicieux sorcier brandissait une chaîne similaire à celle qui servait de laisse à la Louve de Sang.
Shabel fronça les sourcils.
- Pour avoir désobéi à un ordre de ton capitaine, tu auras toi aussi droit à ta laisse.
Il souriait malgré tout. Discrètement, cela dit.
- Je suis tout de même disposé à t'accorder une petite chance de rattraper ton erreur.
La Vierge de Bronze, qui avait reculé un pied et s'était accrochée à sa lance, n'aimait pas du tout ce ton-là.
- Qu'est-ce que vous me chantez ?
- Déloque toi sur-le-champ, dit-il en posant une lourde botte sur le dos d'Odogara,
et, contrairement à ma chienne de championne, je t'autoriserai à porter ta tenue de salope soumise.
- F-favoritisme, grommela la Louve de Sang qui supportait tant bien que mal la moitié du poids de son maître.
Shabel en était encore à étudier la proposition quand son capitaine ajouta tranquillement :
- Quoi que tu choisisses, c'est mon "compagnon" qui brandira ta laisse. Ce même compagnon que tu seras contrainte de pomper jusqu'à l'os si tu continues à jouer les fortes têtes.
Son affreux rictus, le tyran le lui exhiba avec une grande malignité.
- Peut-être que le goût d'une queue supplémentaire saura te remettre les idées en place ?
En guise de représailles, la Vierge de Bronze avait l'air prête à lui sauter dessus.
- Vous êtes ignoble...
- Non, cracha l'orc noir avec une rage à peine contenue.
Je ne me montre que trop charitable !
D'une poussée du pied, il étala Odogara sur le dos. Celle-ci couina d'indignation avant de se retrouver vissée au sol, cette même botte plantée sur son abdomen.
- Tu donnes un bien piètre exemple à tes semblables, esclave, et je commence à me dire qu'il serait peut-être plus judicieux de toutes vous punir !
- Vous le faites déjà en voulant nous offrir à ces queutards de nains alors que nous venons tout juste de repousser une invasion avec succès, répliqua Shabel.
Vous nous sanctionnez alors que nous n'avons pas fauté ! C'est injuste !
Ökale fit soudain prise d'une crise de rire.
Eviscéran la foudroya du regard.
- Qu'est-ce qu'il y a de si drôle ?
- Ce qui me fait marrer dans tout ça, c'est que notre Vierge de Bronze en est encore à jouer les prudes et qu'elle s'évertue, en prime, à s'imaginer que la notion de justice évoque encore quelque chose à quiconque au beau milieu de ces souterrains desséchés.
Ilge passa un bras puissant autour des épaules de la Caverneuse.
- En effet. Aucune autre loi que celle du plus fort ne régit ce monde, précisa l'Infernale en lorgnant du côté des nains.
En résistant vaillamment, les troglodytes nous ont prouvé qu'ils en avaient dans le pantalon. Nous n'avons d'ailleurs pas su leur ravir leur forteresse, ce qui ne fait pas de nous des vainqueurs.
- Sans oublier le fait que l'une de nos plus éminentes esclaves siège désormais parmi eux, et qu'elle semble avoir été bénie par une entité dont nous ne comprenons pas grand chose, leur rappela Véfa non sans couler un regard en coin à son capitaine.
Les rapports de forces sont branlants. Ce qui nous pousse à recourir à l'ensemble de vos charmes en vue de noyer l'opposition dans un désarmant océan de luxure. Nérénie, en préparant une orgie au nom de ses nouvelles croyances, nous en offre la possibilité.
La demi-drow en connaissait un rayon. Plutôt que de mettre son corps à profit, elle était disposée à faire fonctionner ses neurones en sa très probable qualité de maîtresse de cérémonie.
- Nous ne sommes donc plus des combattantes mais des putes, grinça Shabel.
- Ta liberté a été compromise le jour de ta défaite, où tu es tombée entre les griffes du Brise-Monts, conclut le Nécromancien.
En te confrontant à lui ici et maintenant, tu mets en péril l'intégrité du Rampant des Terres Noires. Es-tu prête à endosser la responsabilité de tes actes égoïstes, ou bien auras-tu l'obligeance de te plier aux caprices de ton maître ?
C'est à ce moment-là que Dwëna se joignit à la conversation. Avant de prendre la parole, elle tapota amicalement l'épaule d'une Shabel déconfite.
- Allez... tu as suffisamment débattu comme ça, ma brave assistante ! Il serait dommage que je te perde. Sache qu'aucun de mes golems ne saurait être en mesure de te remplacer.
A regrets, l'ex-mercenaire à court de mots entreprit finalement de se déshabiller.
- En parlant de tes serviteurs patauds, intervint le bourru capitaine.
Tu n'as pas jugé bon de me demander l'autorisation d'en fabriquer autant. Pourquoi ?
- Je craignais à juste titre qu'en prenant compte de leur nombre, vous seriez tenté de vous en servir comme de vulgaires partenaires d'entraînement. Or chacun de mes jouets patauds, comme vous le dites si bien, me coûte autant de temps que de sueur pour être mis sur pied. Je ne pouvais donc pas me résoudre à vous voir vous amuser à les tailler en pièces.
- Je vois. (Il se tourna vers Vortek.)
Prépare une autre chaîne pour cette cachotière.
- J'ai quand même une agréable surprise pour vous ! s'empressa de dire Dwëna avec un sourire embarrassé.
Son capitaine lui jeta un regard prudent.
- Si jamais tu me déçois encore une fois...
- Oh ! ce ne sera pas le cas~
Elle frappa dans ses mains. Un golem plus imposant que les autres, qui lui avait d'ailleurs servi de cric tout à l'heure avant de commencer à démonter les chenilles, vint se dresser dans son dos.
- Grotame, ouvre-toi !
L'automate se tassa à même le sol, de la fumée se dégageant de lui. Une ouverture se dessina en plein cœur de sa lourde cuirasse, qui s'ouvrit à la manière d'un frigo. A l'intérieur de la machine, des creux de différentes proportions. Des formes vides qui ressemblaient vaguement à des armes.
Non sans une certaine fierté, la Génialissime se fendit d'un geste théâtral en clamant haut et fort :
- Je vous présente notre robuste porte bagages ! Un coffre fort ambulant qui, vous vous en doutez, nous servira à transporter vous savez quoi sans jamais éveiller les soupçons~
Vortek paraissait sceptique.
- Encore faudrait-il que les nains acceptent de laisser cette chose nous accompagner au sein de leur forteresse.
- Nous négocierons son droit de passage, sourit Véfa en parfaite diplomate.
Vaguement étonné par cette "merveille", Eviscéran se massait songeusement la pointe du menton.
- Vortek, oublie la laisse pour le puits de science, décida-t-il avant de se tourner vers Shabel qui avait profité de la diversion pour "s'équiper" comme exigé, sans commettre le collier agrémenté de cette chaîne horrible.
Te voilà redevenue raisonnable. Parfait ! En guise de preuve de ta bonne volonté, je veux que tu remettes en mains propres ta chaîne entre les mains de l'homme qui va te promener. Et au passage, tu n'oublieras pas de ranger ta lance dans notre nouveau coffre à jouets.
La Vierge de Bronze, qui ne savait plus trop quelle partie de son corps cacher, lui lança un regard assassin.
- Vous ne cesserez donc jamais de m'humilier ?
- Tu connais déjà la réponse, siffla son maître.
Maintenant, obéis ou tu tâteras de sa verge.
Shabel fut bien obligée de s'exécuter. Elle le fit, oui, mais en conservant la tête haute et le regard tranchant.
Entre-temps, toutes les armes des différents protagonistes trouvèrent logis dans le golem prévu à cet effet.