Mélinda avait sans doute été trop loin. Son emballement, encore une fois ! Elle sentit le sang de Shiro se refroidir sur place, et Mélinda sentit qu’il fallait rapidement préciser ce qu’elle avait voulu dire. Sa main s’empara de celle de Shiro, comme pour l’empêcher de se retirer.
« Je connais ton serment, Shiro, et je ne t’impose rien. Tu m’as demandé ce que j’aimais faire, je ne t’impose pas de le faire… Mais ne te méprends pas. Sur Terre, je récupère des esclaves. Les chasses, je les fais sur Terra. »
Elle laissa quelques secondes de silence, et reprit :
« Nous sommes tous des êtres carnivores, Shiro. La viande que l’on mange provient d’animaux. Ce que je chasse, sur Terra, ce sont des monstres, mais aussi d’autres vampires sauvages. Les humains que je chasse sont des êtres monstrueux, je ne traque pas de simples personnes innocentes. Tu peux me trouver dure, mais tu vis dans un pays qui autorise toujours la peine de mort, Shiro. Quand je chasse des humains, ce sont souvent des gens cruels, qui commettent des actes qui les condamneraient à mort. La dernière personne que le Japon a condamné à mort est un individu qui a tué 36 personnes en incendiant un immeuble à Kyoto. »
Mélinda sentait bien que cela perturbait Shiro.
« Chasser n’est pas obligatoire, ce qui compte, c’est que tu te nourrisses de sang. Si tu ne bois pas de sang, tes neurones vont se détériorer. C’est une conséquence du vampirisme, nos cellules cérébrales se détériorent rapidement. Le sang permet de les régénérer. Si les neurones se détériorent trop, tu retournes à l’état sauvage. »
Elle relâcha la main de Shiro.
« Tu voulais épouser Tessia, non ? Les succubes aussi, tu sais, peuvent tuer. Je souhaite être franche avec toi, Shiro, je ne veux pas te mentir. Les vampires ne sont pas des biches, nous sommes des chasseurs, des prédateurs qui vivront éternellement. Alors, sache que les humains qu’il m’arrive de tuer le méritent entièrement. Je n’ai pas foi en la justice des hommes. J’estime que quelqu’un qui tente de violer un enfant ne mérite pas de pitié. Voilà le genre de gens que je traque. Le dernier que j’ai tué sur Terre était un homme d’affaires véreux, proche des Yakuzas, qui achetait des enfants réfugiés venant de pays asiatiques et qui faisait du tourisme sexuel en Thaïlande. Je traque ce genre de personnes, et j’avais tous les éléments nécessaires pour ne pas avoir de doutes. Moi et mon frère, nous l’avons pisté jusqu’à sa tanière, où nous avons vu les vidéos qu’il prenait, et le plaisir malsain qu’il tirait à torturer des enfants et à les violer. Alors, nous sommes intervenus. »
Elle lui expliqua qu’ils avaient neutralisé le pédophile, puis Mélinda avait emmené les enfants pour s’en occuper.
« Il finançait une association qui venait en aide aux enfants orphelins et réfugiés. Un profil insoupçonnable. Peut-être aurais-je dû le délivrer à la justice japonaise, mais j’ai préféré appliquer ma propre justice. Je voulais qu’il ressente la douleur de ce qu’il a infligé à ses victimes, la peur et la terreur. Je ne souhaitais pas juste le tuer, mais le punir. Alors, moi et mon frère, nous l’avons emmené au cœur d’une forêt, nu, et nous l’avons traqué toute la nuit, jusqu’à le tuer. Tu peux trouver ça cruel, mais je ne regrette pas de tuer de telles personnes. Il ne méritait plus de vivre… Et, en le torturant comme ça, nous obtenons aussi des informations sur ses complices. Ils finissent toujours par révéler des informations. Grâce à ça, j’ai obtenu les coordonnées de ses complices, et j’ai pu prévenir mon amie Tessou, une policière. Cela a permis beaucoup d’arrestations et de sauver bien des enfants. »
Mélinda se racla la gorge à nouveau.
« Je ne suis pas un monstre, Shiro. Mais c’est ça, la vision d’un vampire. Pour moi, la mort n’est pas un tabou, elle fait partie du cycle de la vie et de la mort. Si tu veux une allégorie, dans un pâturage où il y a dix brebis et un loup, si on ne tue pas le loup, il tuera les brebis. Des types comme ça, si je ne les tue pas, ils tueront d’autres personnes. »
La vampire se racla la gorge.
« Désolée, je ne pensais pas aborder ce matin une conversation si sérieuse… Mais, comme tu vois, je ne fais pas que faire l’amour. Il est normal que cela t’horrifie, ma puce, car tu raisonnes encore comme une humaine. Ce que je te dis n’est pas politiquement correct, mais c’est pourtant une réalité. Je suis les actualités terriennes, et je sais par exemple que, face à des terroristes et à des seigneurs de guerre, les gouvernements ordonnent des assassinats. On peut trouver ça effrayant, mais moi, je pense qu’il existe des personnes dont les crimes sont tels qu’ils perdent le droit de vivre. Bien sûr, je ne parle pas de tuer des voleurs, ou des délinquants ordinaires… Mais des cas horribles, il en existe. En France, il y a un homme, Pierre Bodein. Cet homme a été condamné à de nombreuses reprises par la justice française. Sept condamnations, plus exactement. Un individu qui a commencé comme braqueur, et qui réussissait toujours à sortir de cellule en se faisant passer pour un fou. »
Elle lui expliqua que cet homme avait été diagnostiqué en 1976 comme étant un végétatif en fauteuil roulant, un débile qui mangeait ses propres excréments. Libéré en 1980, Bodein avait alors recommencé ses braquages, en se faisant de nouveau passer pour fou après avoir été une nouvelle fois arrêté. Tous les psychiatres avaient confirmé alors qu’il était bel et bien fou. Pourtant, en 1992, le supposé fou parvint à quitter son fauteuil roulant pour s’enfuir de son hôpital psychiatrique.
« Lors de sa cavale, Bodein séquestra trois femmes, en viola une, braqua une banque, une armurerie, puis tira sur deux policiers. La justice le condamnera à 30 ans de prison en 1994, puis finalement à 20 ans après l’expiration de délais d’appel. Finalement, il sera libéré beaucoup plus tôt, en 2004. »
Mélinda poursuivit après quelques instants de silence :
« La police l’arrêtera à nouveau. Cette fois, Pierrot le Fou, comme on l’appelait, avait enlevé une fillette de 10 ans, qu’il a violé, puis tué. Il a ensuite tué une femme âgée de 38 ans en la violant aussi, puis a terminé son parcours criminel en violant et en tuant une femme de 14 ans. Il a alors finalement été condamné à la perpétuité incompressible. »
La vampire se tut à nouveau, après ce long monologue.
« Je t’ai parlé tout à l’heure du loup et de dix biches. D’aucuns trouveraient insupportables de tuer quelqu’un comme Bodein. Moi, je pense qu’à partir du moment où il a violé des femmes et tiré sur des policiers, il était apte à finir entre mes griffes. Si la France avait eu la lucidité de le condamner à mort, deux fillettes et une femme seraient toujours en vie. Je souhaite que tu y réfléchisses, Shiro. Je ne souhaitais pas aborder ce sujet dès maintenant avec toi, mais, puisque tu envisages de partager ma vie, tu dois aussi connaître ma vision des choses. Si je te parle du cas de Bodein, c’est pour te montrer que, parfois, il n’y a pas d’autre solution. Tu connais la parabole du scorpion et de la grenouille ? Un scorpion souhaite traverser une rivière, et demande à une grenouille de la porter pour traverser la rivière. Cependant, la grenouille est la proie du scorpion, alors elle indique au scorpion de ne pas la piquer. Le scorpion accepte, mais, en cours de traversée, il finit par piquer la grenouille, qui ne comprend pas, car, en tuant la grenouille, le scorpion se condamne lui aussi. Alors, la grenouille demande au scorpion pourquoi, et le scorpion répond… Que c’était sa nature. »
Sa conclusion vint ensuite :
« Certaines personnes sont irrécupérables, ma chérie. C’est comme ça, que ce soit sur Terra ou sur Terre. Certaines personnes sont le Mal incarné, et ne rêvent que de tuer les autres. Ce sont ces personnes que je traque. Alors, ce n’est pas fréquent, mais, quand j’en trouve une, je ne la lâche pas. Tu peux me trouver dure, et tu peux trouver ça horrible, mais c’est ma conviction. »