Un
devil boat. Lara était presque sûre que le tas de ferraille devait datait de la Seconde Guerre Mondiale. Les Américains avaient beaucoup utilisé ces vedettes, que les Japonais surnommaient «
devil boats ». C’était une autre forme d’antiquité. Lara grimpa dessus, en se retenant de demander si la vedette allait s’écrouler. Revy avait l’air très fière de ce calibre, et Lara la suivit silencieusement. Elle avait passé une nuit assez ennuyeuse, qu’elle avait consacré au début à étudier soigneusement les cartes de Roanapur dont elle disposait, avant de s’endormir. Elle ne se rappelait plus de son rêve, mais elle était sûre qu’elle avait rêvé de faire l’amour avec Revy, même si le contenu du rêve était très flou. En tout cas, Revy lui fit une présentation sommaire, en lui expliquant que la vedette n’avait pas de torpilles. Lara hocha doucement la tête.
«
Je ne pense pas que nous aurons besoin de torpilles pour visiter les temples antiques. »
Lara avait étudié un peu le passé de Roanapur, et avait découvert ce qu’elle savait sur cette ville… Un ancien port moribond qui avait connu un regain d’activité lors de la Seconde Guerre Mondiale, quand les Japonais avaient utilisé cette petite ville portuaire pour y installer une base navale. La ville avait connu une nouvelle révolution lors de la guerre du Vietnam, des déserteurs américains et vietnamiens investissant la ville pour s’y implanter. Désormais, Roanapur ressemblait un peu à Madripoor, ou à Port Royal à l’époque du 17
ème siècle… Une ville libre, où le crime faisait loi. Lara avait aussi appris que l’un des pontes de Roanapur était un membre des Triades, un certain « Mr. Chang », représentant la très puissante triade Sun Yee On, une mafia chinoise internationale établie dans tous les continents de la planète.
La vedette fit le tour de l’île, longeant les récifs. Les paysages asiatiques étaient assez typiques, avec ces morceaux de roches qui flottaient le long de la côte. Roanapur se trouvait le long de la frontière avec le Cambodge, près d’un ensemble d’archipels très touristiques. Une eau bleue azur presque transparente, un décor de carte postal qui dissimulait des réalités bien plus sombres que Revy rappela en indiquant qu’ils étaient à la frontière du « Triangle d’Or ». Une appellation informelle désignant l’une des principales sources d’opium de la planète, une large bande impliquant plusieurs pays. Lara resta silencieuse, examinant la côte verdâtre avec ses jumelles. C’était une jungle épaisse qui s’offrait à eux, et la vedette s’y engagea péniblement. Lara reposa ses jumelles, avec la curieuse impression que, dans cette étendue d’arbres, de multiples yeux invisibles les observaient. Revy ne tarda pas d’ailleurs à le confirmer, tout en leur conseillant de «
faire gaffe »…
*
Plutôt cocasse, venant de sa part…*
Revy arma d’ailleurs une tourelle lourde sur le devant de la vedette, tout en proposant à Lara un fusil d’assaut. Des M16.
«
Et ben, je ne suis pas sûre que la discrétion soit de mise, avec tes gros joujoux… »
Sullivan soupira doucement en se rapprochant.
«
Nous approchons d’un village. Prudence, il vaut mieux ne pas se faire remarquer.
-
Je me demande ce que je ferais sans tes précieux conseils, Sullie. »
La vedette se rapprocha d’un petit village moribond, qui semblait être perdu dans le passé quelques siècles avant. De misérables bâtiments faits de tôle et de paille s’articulaient autour d’un antique barrage, et Lara vit plusieurs gardes se rapprocher. Ils portaient des AK-47 et des fusils à pompe Benelli. Des armes achetées visiblement sur le marché noir. La vedette s’arrêta, et Lara, nerveuse, laissa un homme monter à bord. Puant comme dix phoques, mal rasé, il inspectait le bateau lentement, et se permit une remarque des plus sexistes. En voyant Revy approcher sa main de la crosse de son arme, Lara attrapa doucement son poignet, et lui fit négativement signe de la tête.
«
Motif de votre visite ? demanda l’homme.
-
En quoi ça vous regarde ? soupira Dutch.
-
Il y a beaucoup de trafic en ce moment… Je ne voudrais pas laisser passer des contrebandiers, vous comprenez… » fit l’homme avec un sourire moqueur.
Dutch répondit alors :
«
Tourisme. Cette dame et… Son oncle… Souhaitent visiter l’arrière-pays.
-
Du tourisme à Roanapur ? Vraiment ? » répliqua l’individu en les regardant.
Sullivan allait répondre, mais Lara rétorqua à sa place :
«
On m’a dit que Roanapur était un endroit très apprécié pour les putes étrangères. »
Une moue nerveuse barra alors le visage de l’homme, qui grimaça.
«
Je veux bien vous laisser passer, mais il faut contribuer au financement du pays. Vous voulez voir l’arrière-pays, Mademoiselle ? Vous allez voir par vous-même que nous ne sommes pas très riches ici. Donc, il y a une taxe à payer… De 200 000 baht. »
Cela correspondait à un peu plus de 5 000 €.
«
Il n’y a aucun péage ici ! Lieutenant, vous feriez mieux de nous laisser passer !
-
Et si je refuse ? »
Les soldats de l’homme relevèrent leurs armes, braquant la vedette.
«
Ce n’est pas normal, grommela Sullivan.
Ces types nous cachent quelque chose…
-
Contentons-nous de payer, il y a des enfants dans ce coin, je ne veux pas de bain de sang inutile ! »
Lara haussa la voix.
«
Inutile de montrer les muscles, on va payer votre fichue taxe ! »
Lara descendit de la vedette, rejoignant le ponton, et se rapprocha du lieutenant. Celui-ci était nerveux.
«
Vraiment ?
-
Je n’ai pas l’argent sur moi, mais je peux vous faire un virement instantané…
-
Hmmm… Vous croyez qu’on a Internet ici ?
-
Et bien, à en juger par les tours radio que j’ai vus ici et là sur votre île, oui. »
L’homme resta silencieux pendant quelques instants, avant de sourire, amusé par la situation.
«
Soit… Suivez-moi. »
Lara acquiesça, et vit que Revy se mit à la suivre. Elles s’aventurèrent le long du port. Il y avait encore d’autres gardes tandis qu’ils rejoignaient un entrepôt métallique. Un ordinateur se trouvait là, et, tandis que Lara s’avançait, elle put voir d’autres hommes armés à l’intérieur.
«
Bien, bien, bien… Vous êtes plutôt riche, Mademoiselle… »
Lara se déplaça lentement, observant les lieux, sur la défensive.
«
Et si vous nous disiez à quoi tout cela rime ? Vous nous attendiez, n’est-ce pas ? »
Le lieutenant sourit doucement.
«
On ne peut rien vous cacher… Miss Croft. »
Lara fronça les sourcils, sur la défensive. Elle entendit autour d’elle le déclic significatif d’armes qui se pointaient vers elle et Revy.
«
Cette transaction ne vous concerne pas, Revy. Retournez sur votre barque, mes commanditaires ne souhaitent que Miss Croft.
-
Vos commanditaires ?
-
Vous vous êtes mis à dos des personnes très influentes, Miss Croft. »
L’homme récupéra un écusson, et, quand il le jeta sur la table, et que Lara le vit, elle déglutit en comprenant que les choses venaient de se compliquer… Comme une signature, elle voyait devant elle
l’écusson de la Trinité…