Le maître de Ghurren avait été l’un d’eux, un grand parmi les meilleurs. Mais ses manigances, ses jeux de manipulation et les taxes qu’il avait cherché à éviter lui avait coûté sa réputation, sa gloire et surtout ses possessions dont son école de gladiateurs. Pour lui, dont l’égo était démesuré, il était hors de questions que ses biens soient donnés à un concurrent, surtout aussi corrompu que lui mais juste plus chanceux. Le laniste déchu avait libéré, par une nuit noire, tous ses gladiateurs et Ghurren en faisait partie. Vis ta vie, lui avait-il dit, aigri. Et rend à Mijak la monnaie de sa pièce. Hypocrisie mal placée mais le laniste ne savait pas à quel point Ghurren allait porter, un jour, atteinte à l’intégrité de l’empire.
L’orc avait préféré se séparer immédiatement de ses compagnons d’opportunité pour fuir seul vers les contrées au Nord de Mijak, les terres des clans orcs. Après Malevent, il avait rapidement parcouru une campagne où dominait l’agriculture. Ghurren était endurant et il avait réussi à rejoindre des sous-bois avant le lever du jour. Il s’y était caché, restauré chichement et reposé en guettant toute tentative des autorités de le traquer, lui, l’orc aux mille victoires sur le sable de l’arène. Mais heureusement, personne ne vint. Il ne repéra aucune patrouille ni danger particulier. Il progressa ainsi trois jours et trois nuits, s’éloignant de la capitale pour enfin quitter les immensités des champs de blés et de maïs.
Son nouvel environnement était plus favorable à la discrétion. Pour être rapide, il empruntait routes et chemins mais dès qu’une présence se manifestait, l’orc disparaissait dans les bois touffus les bordant. Les routes du Nord étaient empruntées par de nombreux commerçants, des caravanes et par quantité de voyageurs. Là encore, trois autres jours suivirent mais de par sa nature qui n’inspirait ni confiance ni amitié, Ghurren continua son voyage caché. Les humains haïssaient les orcs, viscéralement. Pour eux, ce n’était que des créatures brutales et stupides, pillant et répandant la mort à volonté. En bref, des parasites à exterminer. Ghurren n’était pas ainsi, bien au contraire. Alors certes, sa violence de gladiateur était exacerbée par sa taille et sa musculature mais il était cultivé et savait lire, écrire et parler plusieurs langues, dont certaines improbables.
Ces années à combattre autant qu’à s’instruire lui avaient été bénéfiques. Déjà, il avait survécu en développant des techniques de combat personnelles e tensuite parce qu’il avait trouvé dans la bibliothèque de son maître l’inspiration qui allait définir sa vie.
Un manuscrit traitait de l’histoire de Gheorok, un chaman orc qui il y avait bien longtemps, avait réussi à unifier tous les clans orcs pour faire front contre les expéditions guerrières de Mijak. Gheorok avait finalement péri, trahit par l’un de ses proches, mais l’important était qu’il avait accompli un exploit véritable en regroupant la totalité de la nation orc sous une même bannière. Ghurren rêvait de faire de même, il y était décidé, il pouvait le faire. Mais avant cela, il lui fallait accomplir une quête.
Ce soir, la nuit tombait, vite et fraiche, avant de devenir froide puis glaciale. Dans l’après midi, la neige avait recouverte la région en tombant finement mais en continu. La végétation avait aussi changé, laissant de grands résineux remplacer les chênes, les châtaigniers et les hêtres. Le terrain était moins plat également. La route et les chemins serpentaient entre des successions de petites collines, lieux propices à des attaques de bandits de grand chemin.
Ghurren se méfiait mais faisait confiance à ses sens de guerriers. Il avait trouvé un recoin protégé du vent, abrité par les branches tombantes d’un pin tricentenaire. L’orc s’était dégagé un espace sec et avait aménagé un âtre de fortune lui permettant d’allumer un feu pour se réchauffer et éloigner éventuellement les prédateurs de la nuit. Il venait de faire rôtir un lapin capturé le matin même et s’apprêtait à le dévorer. L’odeur alléchante, la lumière du feu, étaient susceptibles de dévoiler sa position mais le froid de la nuit allait être tranchant. En contrepartie, l’orc avait choisi un endroit bien isolé et au fond d’une déclivité entre deux monticules arborés.
Il avait faim.
Il contemplait les flammes réconfortantes quand sa grosse voix résonna dans la nuit.
"Qui es tu voyageur ? Celui qui recherche simplement la chaleur de mon feu, et dans ce cas, tu serais le bienvenu ; ou celui que le poids de ma bourse intéresse ?"
Il avait décelé une présence … une présence à l'odeur très particulière. Le vent, joueur, avait subitement tourné, révélant l'intrus, sinon il ne l'aurait pas senti s'approcher.
"Sache que ma hache pèse plus lourd que les quelques pièces de cuivre que je possède."
Ce faisant, il affermit sa prise sur le manche de l'arme monstrueuse à double lame qu'il avait saisi.