The Multiversity

[Mélinda Warren]

Il était mort.

Dracula avait été retrouvé dans les quartiers de son magnifique et immense château, Castlevania. Carmilla, l’épouse officielle du roi, avait toujours mis en garde ce dernier contre une partie de sa progéniture jugée faible. Le tueur avait été rapidement identifié. Il était le fils de Dracula, Alucard. Issu d’un viol perpétré par son père sur sa mère, l’humaine Marie Lisa Belmont, Alucard tenta de se révolter contre son père, mais échoua. Cependant, Alucard avait un demi-frère humain, Trevor Belmont, qui décida à son tour de se révolter contre l’autorité de Dracula. Ensemble, les deux avaient réussi à le tuer, et à s’enfuir.

Carmilla avait découvert son corps, et elle savait qu’elle avait peu de temps pour agir. Dracula était un seigneur puissant, le maître des vampires. Un vampire qui avait réussi à gouverner la totalité des clans vampiriques européens et ottomans, ce qui n’était pas peu dire. Né humain, Dracula, de son nom « Vlad Tepes », avait été dès son jeune âge offert en otage avec son jeune frère, Radu, aux Ottomans. Carmilla avait toujours soupçonné que son époux était devenu un vampire lors de son séjour à Andrinople, la capitale de l’Empire ottoman. S’il avait été incapable au début de s’emparer de la Valachie, Vlad Tepes avait su profiter de la chute de Constantinople et de l’affaiblissement subséquent des troupes valaques pour s’emparer de la Valachie.

Dracula avait rencontré Carmilla avant de reprendre la Valachie, suite à son premier échec qui l’avait amené en Moldavie. Lors de son séjour à Andrinople, il avait déjà commencé à se rapprocher des clans vampiriques, et il avait vampirisé la jeune Carmilla en Moldavie, usant de son influence et de son statut de Princesse du voïvodat de Malachie pour rallier à sa cause d’autres aristocrates influents afin de les vampiriser, comme Matthias Corvin. Dracula avait un charisme incroyable, et définissait le vampirisme comme un don de Dieu, en rappelant à ses fidèles zélotes les propos du Christ sur son sang sacré. Il affirmait avoir trouvé le Saint-Graal chez les Ottomans, et être devenu l’homme puissant qu’il était en buvant du sang sacré.

Dracula avait réussi à repousser les Ottomans, et avait étendu l’influence de la Valachie. Il avait fait de Bucarest sa capitale, et ses méthodes cruelles avaient défrayé la chronique, ainsi que son influence croissante. Il provoqua la fureur et la haine de son propre frère, Radu, qui chercha à le tuer, épousa une femme pour asseoir son influence. Celle-ci se défenestra en refusant de devenir une vampire. Carmilla, sans être mariée à Dracula, devint de fait son épouse, disposant d’une influence certaine pour étendre la Valachie.

L’influence croissante de Dracula, ainsi que sa nature vampirique, amenèrent l’Église à ordonner sa mort, en voyant en lui un faux dévot capable de menacer son influence. Les puissances occidentales se réunirent et menèrent une féroce croisade qui continue encore à ce jour. Ils étaient aidés par Radu, déclaré par le Pape comme étant le commandant suprême des armées saintes.

Située entre la Moldavie et l’Empire ottoman, la Valachie était devenue un État puissant, qui menait une guerre féroce contre les Turcs et contre les Moldaves.

« Je retrouverai moi-même ce tueur… »

Dracula était mort, mais le Seigneur des Ténèbres était habitué de la mort. Il fut déposé dans son sarcophage. Le seul moyen de le réincarner était d’utiliser le sang d’Alucard, son propre fils. Ce sang puissant régénérait les cellules de Dracula. L’heure était grave. La mort de Dracula risquait de se répandre, et de galvaniser les forces croisées, et d’amener les royaumes européens à déployer des renforts. De plus, les différents seigneurs vampires obéissant à Dracula pourraient se lancer dans une guerre de succession.

Depuis le balcon de la chambre de son époux, Carmilla observait l’épaisse forêt qui s’étirait au loin. Castlevania était à proximité de Bucarest. Le combat entre Dracula et les Belmont avait abouti à ce que Trevor soit grièvement blessé. De toute évidence, les renégats allaient rejoindre la capitale, qui était entièrement sous le contrôle des vampires, les humains n’étant que des esclaves à leur service. Carmilla comptait s’y rendre en personne, avant que les choses ne dégénèrent.

Se transformant en une nuée de chauve-souris, elle s’envola donc à la poursuite des fugitifs…

[Alucard]

Dans les couloirs lugubres de Castlevania, l’air était chargé d’une odeur de cendres et de sang. Les torches vacillaient sous le souffle d’un vent glacé qui s’insinuait entre les pierres noircies, comme si le château lui-même frissonnait sous le poids d’une absence soudaine.
Devant la grande porte de la salle du trône, un serviteur attendait. Une silhouette voûtée, drapée de noir, dont les mains osseuses s’agrippaient à un sceptre orné d’un rubis sombre. Il n’était ni homme ni monstre, juste une ombre parmi tant d’autres, un être oublié dans les replis du temps qui servait son maître avec une loyauté inébranlable.

Mais le maître ne revint pas.
Ce fut un autre qui franchit le seuil.

Alucard apparut dans l’embrasure des portes ouvertes à demi, ses longs cheveux d’argent souillés d’éclats d’ombres et de cendre. Son manteau, autrefois d’une élégance raffinée, était lacéré, imprégné du sang d’un combat qui venait de s’achever.

Le serviteur sentit une onde glaciale remonter le long de son échine.
Il n’avait pas besoin de poser la question. Il le savait déjà.

Alucard s’avança lentement, son regard d’or pâle brillant d’une lueur insondable. Il ne s’arrêta pas, ne prononça aucun mot. Son épée dégouttait encore d’un fluide obscur, un sang trop ancien pour appartenir à un simple mortel.
Le silence s’étira, lourd, oppressant.
Puis enfin, dans un souffle, le serviteur murmura :

— Mon seigneur... est tombé.

Ce n’était pas une question.
Alucard s’immobilisa un bref instant. Ses traits, si semblables à ceux de Dracula et pourtant si différents, se figèrent dans une expression où ne subsistait ni triomphe ni regret. Seule une lassitude infinie marquait son visage.
Enfin, il détourna le regard et poursuivit son chemin.

Le serviteur ne tenta pas de l’arrêter. Il resta figé sur le seuil, tremblant, regardant cette silhouette s’éloigner dans l’obscurité des couloirs sans un bruit, telle une ombre qui retournait à la nuit.
Alors seulement, il osa franchir le seuil de la salle du trône.
Ce qu’il vit le laissa sans voix.

Le trône était vide. Le tapis rouge qui menait à l’estrade était en lambeaux, noirci par des flammes éteintes. Et au centre de la pièce, là où autrefois se dressait le plus grand des Seigneurs de la Nuit, il ne restait qu’un tas de cendres balayées par le vent glacé qui soufflait à travers les fenêtres brisées.
Dracula n’était plus.
Et son fils, lui, marchait déjà vers l’aube.

************************

La nuit étendait son manteau funeste sur la forêt, un voile d’ombres où le vent murmurait des souvenirs de mort et de trahison. Alucard avançait d’un pas mesuré, sentant le poids du destin s’appesantir sur ses épaules. Castlevania n’était plus qu’un tombeau silencieux derrière lui, un empire déchu dont le maître gisait dans une éternité de cendres et de regrets. Pourtant, l’héritage du Seigneur des Ténèbres ne se dissipait pas si aisément.

Une présence. Furtive, glaciale, insidieuse comme un poison distillé dans l’air nocturne.
Alucard s’arrêta, levant son regard vers le ciel voilé où un ballet d’ombres mouvantes prenait forme. Des ailes de ténèbres, une nuée qui s’agrégeait lentement, se recomposant dans l’obscurité pour donner naissance à une silhouette familière. Élégante, impérieuse, imprégnée de la noblesse cruelle des immortels.

Camilla…

[Mélinda Warren]

La région de Castlevania comprenait plusieurs villages et une grande ville, Bucarest, capitale de la Valachie, et sous la coupe de Dracula. Avec sa mort, Camilla anticipait la bataille de succession qui allait s’ouvrir, et qui risquait de fracturer le royaume de son époux. Elle s’attendait à des offensives, et à perdre le contrôle de l’Ordre du Dragon.

Cet ordre militaire initialement religieux avait été fondé par Sigismond de Luxembourg, et Vlad Dracula avait rejoint l’Ordre. Sous son influence, l’Ordre du Dragon, officiellement chargé de défendre la chrétienté, en était devenu l’un de ses ennemis. Dracula en était devenu le maître, et Sigismond l’un de ses bras droits. L’Ordre était tombé en disgrâce, et avait été dissous par les autorités catholiques, mais il avait en réalité survécu, et était devenu l’incarnation de l’organisation politique mise en place par Vlad Dracul. La mort du Dragon allait sûrement déclencher une guerre de succession. Pour empêcher cela, et pour conserver son autorité, Camilla devait mettre la main sur son meurtrier.

Volant dans les airs, elle était une véritable ange prédatrice, étirant ses longues ailes en survolant l’épaisse forêt qui entourait le château. Elle cherchait où Alucard pouvait se rendre, sachant que Bucarest était sans doute sa meilleure option. Il venait de tuer Dracula, et Camilla pouvait le pister en ressentant l’aura du Dragon sur lui. Elle connaissait mieux que personne Dracula. À ce stade, il aurait été assurément faux de dire qu’elle était en deuil, ou triste. Ambitieuse et cruelle, Camilla n’avait jamais vraiment aimé Dracula, mais il était préférable qu’il soit là pour contrôler la Valachie, et pour assurer à Camilla sa position de Reine.

*Je le sens…*

Camilla volait au-dessus d’une forêt, et se posa alors à côté d’un canyon. Elle replia ses ailes, et reprit sa forme humaine. Belle et fatale, elle se releva donc, et des grondements résonnèrent autour d’elle. Elle se retourna en voyant de multiples yeux argentés percer dans le noir.

*Les loups… Vous avez ressenti la mort de votre Maître…*

Le Seigneur des Ténèbres avait un contrôle absolu sur les loups, et son château avait été le théâtre de multiples expériences génétiques pour concevoir et contrôler des Lycans. Camilla portait sur elle l’aura de Dracula, et leva sa main vers les loups. Elle coupa sa paume, puis leur ordonna de retrouver Alucard.

« Celui qui a attenté à la vie de votre Maître rôde par ici, je sens son aura. Retrouvez-le ! »

Les loups rugirent, et aboyèrent. Des cris terrifiants, qui remontèrent jusqu’à un proche camp de bûcherons, une scierie. Les bûcherons furent réveillés par les hurlements féroces des loups. La route d’Alucard le mènerait naturellement vers cette scierie, car les loups allaient effectivement le retrouver. La scierie disposait d’une palissade en bois pour se protéger des attaques ordinaires de loups, mais, ce soir, ceux-ci étaient bien agités, furieux… Ils avaient soif de sang.

Et, comme pour le confirmer, quand les bûcherons se réveillèrent, ils purent voir que la lune émettait un reflet rouge, une lune de sang… Pour une nuit qui s’annonçait meurtrière.

[Alucard]

La neige crissait sous les sabots du destrier, chaque foulée soulevant un nuage blanc dans l’air glacé. Le vent cinglait le visage d’Alucard, soulevant les pans de sa cape noire alors qu’il galopait à travers la forêt obscure. Il n’avait pas le luxe de s’arrêter, pas alors que Carmilla et ses sbires étaient sur ses traces. Il devait mettre le plus de distance possible entre lui et elle.
Puis, un hurlement déchira la nuit.

Un, puis deux. Bientôt, ce fut une cacophonie sinistre qui résonna dans toute la forêt. Alucard n’eut que le temps de jeter un regard en arrière avant qu’une ombre ne surgisse des fourrés. Un loup massif bondit sur son cheval, plantant ses crocs dans la gorge de l’animal. Le destrier hennit violemment avant de s’effondrer, l’entraînant dans sa chute.

*Malédiction ! *

Alucard roula dans la neige, Dark Symphony jaillissant aussitôt de son fourreau. Le cheval se débattit un instant avant de s’effondrer dans un dernier râle. Déjà, d’autres silhouettes lupines apparaissaient entre les arbres, leurs yeux brillants fixés sur lui.
Il jura entre ses dents et se redressa. Son regard balaya les environs jusqu’à apercevoir, au loin, la scierie. Ses hauts murs de bois et sa palissade formaient une protection naturelle. C’était sa seule chance.

Il s’élança vers la bâtisse à grandes enjambées, fendant l’air gelé. Derrière lui, les loups se mirent à sa poursuite, leurs pattes griffues labourant la neige.
Il atteignit la scierie et franchit l’entrée en claquant la porte derrière lui. À l’intérieur, les bûcherons, une dizaine d’hommes armés de haches, le regardèrent avec un mélange de terreur et d’incompréhension.

« Verrouillez tout ! » ordonna-t-il, son souffle encore saccadé.

Mais avant même qu’ils ne puissent obéir, un choc sourd retentit contre la palissade. Puis un autre. Les loups déferlaient comme de la peste. Les bûcherons s’armèrent de tout ce qu’ils pouvaient, mais l’attaque fut brutale. Les premières bêtes escaladèrent la clôture de bois avec une agilité inhumaine, bondissant au milieu des hommes dans un déluge de crocs et de griffes.

*Merde ! Elle en a invoqué combien, cette sorcière ?!*

Le combat s’engagea dans un chaos sanglant. Un loup se jeta sur Alucard, qui esquiva de justesse avant d’abattre sa lame sur la créature, la tranchant en deux. Il pivota pour planter son épée dans le flanc d’un autre, mais une troisième bête profita de l’ouverture et le heurta violemment à l’épaule. Un éclair de douleur traversa son bras alors que les crocs s’enfonçaient dans sa chair. Il répliqua d’un coup précis, décapitant la bête avant de repousser son cadavre d’un coup de botte.
Autour de lui, les bûcherons se battaient avec un courage désespéré. Mais ils étaient en infériorité numérique. L’odeur du sang emplit l’air, se mêlant au bois coupé et à la suie.

Le dernier loup s’effondra dans un cri guttural, et un lourd silence s’abattit sur la scierie, ponctué uniquement par le souffle haletant d'Alucard. Ses yeux, brillants de l’éclat rougeâtre de sa transformation, balayèrent le carnage autour de lui : les cadavres des loups, un terrain de guerre maculé de sang.
La menace immédiate était écartée, mais il fallait toujours s'occuper du grand boss, a savoir Carmilla.

Sans hésiter, Alucard se tourna vers la petite maison attenante à la scierie. La bâtisse semblait abandonnée. Il s’élança vers elle pour se glisser à l’intérieur et refermer doucement la porte derrière lui. Le silence était total, comme si le temps lui-même avait cessé de s’écouler.
Il leva les yeux et aperçut les poutres du plafond. Parfait. Sans un bruit, il se hissa, sa silhouette se fondant dans l’ombre. Là, il resta immobile, collé contre le bois, son corps presque invisible dans l’obscurité.

Cependant, dans sa précipitation, Alucard n’avait pas prêté attention a une légère blessure qu’il avait subit au poignet durant son rixe… la pâleur de sa main droite commençant progressivement a etre immaculé par le rouge saillant de son hémoglobine…

… qui menaçait de tomber au sol.

[Mélinda Warren]

Les loups n’avaient aucune chance de venir à bout d’Alucard et des gens de la scierie. Mais là n’était pas le but. Ils étaient des pisteurs, des éclaireurs. Carmilla, elle, ne comptait pas prendre le risque d’affronter Alucard directement. S’il avait battu le Seigneur des Ténèbres, il était plus fort qu’elle. En soi, Alucard aurait pu réclamer le trône pour lui. Carmilla aurait même accepté de le servir. Mais, en fuyant comme un lâche, il la mettait dans l’obligation morale de le traquer, et de le tuer. À défaut, sa faiblesse éclaterait au grand jour, et la Valachie sombrerait. Il fallait donc rapidement le retrouver et le neutraliser, avant que la nouvelle ne remonte aux autres seigneurs vampiriques, et qu’ils viennent sans que Carmilla ne dispose du criminel.

Ses loups avaient permis d’enfoncer la porte principale de la scierie. Les bûcherons avaient ensuite tué les loups, puis se réunirent entre eux.

« L’homme qui est venu, il faut qu’on le retrouve !
- Mais il nous a sauvés !
- Les loups le poursuivaient ! La lune est rouge, cela signifie que les vampires sont de sortie ! Les loups le traquaient ! Si on ne veut pas mourir, il faut le retrouver, et remonter au village ! »

Les bûcherons s’activèrent. Deux d’entre eux prirent des chevaux, et filèrent le long du sentier menant au village. Les autres explorèrent le reste de la scierie, et rejoignirent l’entrepôt où Alucard s’était dissimulé.

« Une lune rouge, ce n’est pas normal… J’ai reconnu cet homme, il fait partie de la famille de l’Empaleur…
- Pourquoi les loups le traqueraient ? Cela n’a aucun sens !
- Il y a des rumeurs, des bruits qui courent… »

Ils virent alors des gouttes de sang.

« Il est là ?
- Vous devez nous protéger ! L’Empaleur va envoyer ses hommes, ils vont détruire le village, ils vont nous tuer ! »

De fait, il ne faudrait pas attendre longtemps avant que les cors de guerre des soldats de Dracula, désormais au service de Carmilla, ne résonnent, signe qu’ils allaient mener une attaque. Depuis la scierie, il était impossible de se défendre, mais, dans le village, Alucard aurait sans doute plus d’occasions d’organiser une défense…