Elle était dans une boutique, à écouter des morceaux de musique. Reika devait probablement faire partie des dernières jeunes femmes qui achetaient encore des CD, mais elle avait toujours aimé ça. Elle portait une lourde casquette masquant son visage, des lunettes de soleil, ses cheveux repliés en chignon. Elle était dans la gare de Shinjuku, attendant son train. Rien de spécial n’était supposé lui arriver, elle se déplaçait, et tuait le temps, évitant autant que possible ses propres disques. Si jamais les gens apprenaient qu’elle était là, elle risquait de créer un attroupement. Mais, avec ses vêtements amples, personne ne la reconnaissait. Reika aimait se déplacer discrètement. Elle jeta tout de même un regard vers sa montre. Il était bientôt 10 heures du matin.
« Maman, je peux l’avoir, lui ? »
La boutique était une boutique multimédia : CD, DVD, livres, mangas… Un endroit assez populaire. Généralement, l’allée des CD était la plus discrète, donc celle qui était la plus adaptée pour qu’on ne la remarque pas. Reika finit par se diriger vers la sortie. Elle regarda brièvement autour d’elle, mais ne vit aucun paparazzi.
*Enfin tranquille… Bon, il ne me reste plus qu’à aller vers ma station…*
La boutique se tenait à l’étage, surplombant le hall principal de la gare. La gare de Shinjuku était une gare d’arrondissement, elle n’était pas aussi grande que la gare de Tokyo. Reika rejoignit donc la mezzanine, et entendit alors des cris. Elle n’y fit pas spécialement attention sur le coup… Jusqu’à ce qu’un homme la renverse. L’homme chuta au sol, et se releva rapidement, jetant vers elle un œil paniqué. Les lunettes de Reika avaient glissé sur le sol.
« Tirez-vous, putain !
- Hey ! Vous pourriez vous excuser ! »
Reika entendit d’autres hurlements. Elle ne comprenait pas ce qui se passe. Reika voulut récupérer ses lunettes, mais d’autres badauds arrivèrent alors, fuyant rapidement. Des détonations supplémentaires résonnèrent, et Reika vit une chaussure éloigner ses lunettes de soleil. Elle allait les ramasser, quand une chaussure les fracassa. Elle allait hurler vers l’homme, mais le vit s’effondrer devant elle… Et nota quelque chose de curieux. Elle voyait bien sa paire de baskets, un jean délavé, puis un large sweatshirt à capuche rouge. Elle vit des écouteurs tomber sur une flaque rouge au sol, relié à un iPod qui avait atterri sur la flaque rouge. Elle vit un morceau osseux sur l’écran, illuminant ce dernier. Elle entendit les voix angéliques de Namakopuri, mais, ce qui l’étonna surtout, ce fut de sentir sur elle un liquide chaud, poisseux, et de constater que la moitié de la tête de l’homme n’était pas là. À la place de ses yeux, de son crâne, de ses cheveux ou de son nez, il y avait un trou avec un magma de sang qui jaillissait. Elle observa ses mains gantées, voyant des traces rouges…
…Puis elle sentit quelque chose heurter sa tête. Un canon froid, métallique. Reika sentit le temps se figer autour d’elle, comme si son cœur avait cessé de se battre… Ou se mettait au contraire à battre si fort qu’il en ralentissait le temps autour d’elle.
« ALERTE ! ALERTE ! LA GARE DE SHINJUKU EST VICTIME D’UNE ATTAQUE TERRORISTE, VEUILLEZ ÉVACUER LA GARE ! CECI N’EST PAS UN EXERCICE… »
Alors qu’elle ne se souvenait plus de respirer, elle se souvenait avoir entendu cette voix jaillir du haut-parleur.
La détonation qui vaporisa la moitié de sa tête, en revanche, elle ne l’entendit pas.
Reika tomba mollement au sol.
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À l’intérieur de la tempête psychique qu’était Sovereign, Reika était également en train de léviter, flottant dans les airs. Au centre de Sovereignj, de la tempête, une projection de Vecna observait ses proies, et les reliait entre eux. Un cordon télépathique qui allait les unir. Vecna constata vite que Reika vivait un traumatisme. Son corps s’agitait nerveusement, elle était en sueur, tandis que Balthazar avait une furieuse érection.
Comme quoi, certaines règles étaient universelles. Qu’ils vivent un rêve ou un cauchemar, leurs âmes lui appartiendraient bientôt, et lui donneraient la force de sortir enfin de cette prison…
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Reika se réveilla en sursaut dans son lit. Un éclair venait de zébrer le ciel.
Elle était dans un chalet isolé au sein des Alpes japonaises, et sortit de son lit en constatant que les plombs avaient sauté. Un simple tournage, elle devait danser dans ce décor de carte postale, allégorie du Japon éternel. Quand elle était partie se coucher, les gens de l’équipe technique étaient en train de jouer dans le salon. Elle, elle avait droit à une mezzanine au-dessus, avec son propre lit. Reika, curieuse de n’entendre aucun bruit, descendit les marches. Elle utilisa son téléphone portable comme lampe, et, quand elle rejoignit le sol, elle fut surprise de poser son pied nu dans une flaque sombre. Reika se pencha vers la flaque. Elle ne portait alors qu’une simple culotte avec un débardeur.
*Mais… C’est du sang…*
Un éclair supplémentaire illumina la pièce principale, et Reika hurla en tombant au sol, persuadée d’avoir vu une silhouette dans l’obscurité. Elle regarda autour d’elle, nerveuse, puis récupéra encore son téléphone portable. Elle se rapprocha du coin salon. Le feu de cheminée s’était éteint, mais, quand elle se rapprocha, il s’illumina brusquement. Des flammes rouges, sanglantes, jaillirent dans l’âtre de la cheminée, et elle vit les corps massacrés de l’équipe technique. Un éclair illumina encore la pièce, découpant derrière elle la silhouette massive d’un homme noir encapuchonné… Qui posa sur sa tempe le canon de son arme.
Un ultime éclair fut la dernière chose que Reika vit avant de chuter au sol.
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De tous ses prisonniers, Balthazar allait sans doute être le plus récalcitrant. Vecna n’avait pas encore pris conscience qu’il n’était pas mort, contrairement aux autres Gantzers. Il ne portait donc pas en lui ce traumatisme béant.
À ce stade, il était le plus à même de briser l’illusion de Vecna.