Contrairement à Mélinda, Cupidon n’avait pas cette rébellion flamboyante en elle. Cupidon savait être douce, modérée, presque diplomate — ce qui ne l’empêchait pas de savoir quand parler et quand garder le silence. Elle comprenait instinctivement que son créateur, le fameux Observateur, cherchait simplement à la protéger. À préserver les fragments de souvenirs d’une époque qui s’apprêtait à disparaître dans les limbes du net.
Parce qu’il ne s’agissait pas que de Nowe ou de Dio. Non. Derrière les piques, les joutes et les sourires figés à l’écran, il y avait quelque chose de plus vaste, de plus fragile : la mémoire. TM1 allait bientôt s’effacer, lentement mais sûrement. Dans quelques jours, le rideau tomberait pour de bon. Plus de liens accessibles, plus de pages sauvegardées — juste un écran noir qui vous disait que l’adresse rentrée n’était pas la bonne.
Mais alors que la digression du narrateur prenait doucement la tangente vers les étoiles, Cupidon cligna des yeux, comme pour revenir à elle-même, rappelée à l’ordre par Gloria qui, visiblement, n’avait pas dit son dernier mot.
Gloria ne rit pas. Son visage resta figé, presque sévère, tandis que Cupidon finissait sa tirade douce-amère. L’idée d’un “RP couche-culottes” lui avait visiblement laissé un goût amer dans la bouche, pour des raisons évidentes, qui nécessitaient d’avoir accès a TM1…et lorsqu’elle se leva légèrement sur son siège pour s’adresser à tous, sa voix claqua comme un fouet, sèche et cinglante :
« C’est… touchant, vraiment. Ce petit tableau céleste, ces enfants à élever en tandem avec Yehaël… Un beau programme, si on oublie tout le reste.»
Elle pivota alors vers César, bras croisés, les yeux vrillés de lucidité.
« Mais franchement, César. Franchement. Est-ce qu’on peut parler de la véritable tragédie, là ? »
Sans attendre de permission, elle continua, plantant ses mots comme des couteaux bien affûtés.
« Nowe. Ce garçon si pur, si loyal, si pathétiquement fidèle… Il aurait dû coucher avec Merveil, cette prêtresse douce, belle, pleine de reconnaissance et présente, ELLE, dans le lit où il aurait dû être. Il aurait dû la serrer dans ses bras, lui murmurer des choses tendres, et tourner la page d’un amour qui ne l’a jamais mérité. »
Elle tourna brièvement les yeux vers Cupidon, un rictus au coin des lèvres.
« Oh, je sais, je sais… C’est tabou de le dire. Mais moi, je le dis : Cupidon ne le mérite pas. »
Un silence pesant tomba sur le plateau. Même César semblait hésiter à intervenir. Gloria, elle, ne faiblit pas. Elle s’adossa à son siège, l’air d’une juge sur son trône.
« Elle a couché avec un démon, César. Un démon. Et elle porte son enfant. Et elle a l’audace de parler d’éducation, de bébés ailés, de biberons célestes ? Pendant que Nowe, lui, dort seul, sur un canapé, le cœur transpercé d’un amour qui n’a jamais été consommé ? »
Elle haussa les sourcils, presque indignée.
« Vous appelez ça de l’amour, vous ? Moi j’appelle ça un carcan. Une prison invisible. »
Puis elle alluma une cigarette, dans un air désinvolte. Au meme moment, la caméra fit un gros plan sur elle.
« MisterCroquant doit briser cet attachement, il doit se libérer. Ce n’est pas de l’amour, c’est une idée d’amour. Un mirage. Elle ne lui appartient pas, elle ne lui a jamais appartenu, et elle a fait ses choix. »
Elle se rassit, les bras à nouveau croisés, laissant le silence faire le reste du travail.