The Multiversity

[Gine]

Le voyage n'avait pas été compliqué depuis Terra. Le couple n'eut rien de plus à faire que de prendre son courage à deux mains et de traverser, ensemble, un portail de consistance aqueuse vers l'inconnu. Ils furent tous deux recrachés de l'autre côté, leurs pieds plongés dans un sable aussi fin que chaud. Une chaleur doublement luminescente dans la mesure où elle provenait non pas d'un astre solaire mais de deux ! Le ciel était partagé entre ces globes incandescents. L'un brillait d'un jaune éclatant tandis que l'autre éclaboussait sa partie de monde d'un bleu quasiment nocturne.
Rien que ce spectacle était saisissant !



Gine, pour sa part, avait les yeux levés dessus. Avec bien entendu une main en visière, l'autre étant serrée sur la sénestre de son compagnon renard.

- Quel endroit incroyable, souffla-t-elle, aussi béate qu'émerveillée.

Est-ce qu'il faisait jour ou nuit ? La Saïyajin aurait été incapable de le dire ; de son simple avis, les deux réponses se valaient.
D'émotion, ses doigts se resserrèrent un chouïa supplémentaire autour de ceux de Kamiye.
En descendant légèrement, son regard brillant explorait le feuillage dru des palmiers qui s'étiraient vers la voûte céleste. Il voyagea jusqu'à l'horizon - aveuglant du côté du soleil jaune - où de cotonneux nuages blanc s'étaient amoncelés.

- Comment se nomme ce petit coin de paradis ?

Sur cette plage envoûtante, une eau turquoise et transparente s'écrasait en de paisibles vagues.
Gênée par un bruit d'écoulement constant, Gine tourna la tête.
Derrière eux, plusieurs portails étaient alignés là. Des failles spatio-temporelles de différentes couleurs qui reliaient bien des univers !
La femme à queue de singe, qui se sentait observée, remarqua, non loin d'eux, une sorte de petit bonhomme assis sur un coquillage presque aussi grand que lui. Ses cheveux bouclés coiffés d'une couronne de fleurs tropicales, l'être en question les toisait derrière des lunettes de soleil rondes. A ses poignets, à ses chevilles comme à son cou pendouillaient plusieurs breloques composées de perles colorées. Détail plus atypique encore : la créature, dans sa posture décontractée, possédait de petites ailes de fée attachées dans son dos.



- Ma foi, c'est un joli petit couple que nous avons là ! les interpella-t-il de sa voix enjoué.

Gine en conçut immédiatement de l'embarras.

- Euh... Merci ?

- 'Y a pas de quoi, ma p'tite dame !

Plein d'entrain malgré son attitude relâchée, il ne laissa guère le temps à Gine - et moins encore à Kamiye - de rebondir. D'un index boudiné, il les pointa tour à tour.

- Jolis cœurs, vos tenues à tous les deux sont clairement inadaptées à ce fabuleux séjour.

Avec un petit sourire rusé, il ajouta :

- Vous me voyez contraint de vous filer un p'tit coup de pouce~

Il claqua des doigts. Les vêtements de Gine et de Kamiye se décomposèrent en un nuage de poussière étoilée. Résidus mystifiants qui s'agrégèrent sur leur peau en un maillot taillé sur mesure !
En baissant les yeux sur sa silhouette, la Saiyajin se découvrit sous ses nouveaux atours.



Elle en rougit copieusement, en plus de pousser un petit cri.

- Hiiii !!! Mais q-q-q-q-que... (Elle manqua s'étrangler.) Comment avez-vous... ?!

Trop honteuse pour continuer à chevroter, elle finit par accepter sa condition et par se taire, ses joues enflammées.
Bien sûr : Kamiye eut, entretemps, lui aussi droit à son propre lot féerique !
L'être de magie, qui n'avait même pas pris la peine de se présenter, les salua bien bas avant de leur indiquer la plage :

- Bienvenue à la Plage des Confins Mutliversels !

D'un mouvement de main, il les enjoignit à se presser.

- Ne restez pas plantés là, mes tourtereaux des sables ! D'autres vacanciers vont finir par vous rentrer dedans.

Il y en avait déjà qui s'étaient installés sur des serviettes. Mais avant cela, ces bonnes gens s'étaient tous rendus près d'un cabanon où l'on distribuait le matériel de plage. Car comme Kamiye et Gine avant eux, ils avaient atterri ici les mains vides et sans trop savoir à quoi s'attendre.

[Kamiye Goupile]

Kamiye ne parvenait à apprécier autant l’endroit que Gine. Le sable et le soleil n’étaient pas tout de suite égales à bons souvenirs. A cause de leur traversée du désert récente… Et puis, il y avait de la magie dans ce lieu. Ce n’était pas normal qu’il fasse jour et nuit à la fois. Il n’y avait même qu’un pas à franchir pour passer de l’un à l’autre. Encore et encore. C’était plus fort que lui. Avant l’émerveillement, il y avait la peur.

Et ce fut elle qui le ramena. Inconsciemment, en reserrant sa main dans la sienne, elle le ramena de son sombre paysage mental. (de là même à évoquer un territoire propice au passage d’une Locomotive…). Toujours était-il qu’elle l’avait ramené auprès de lui ! Et il dut se concentrer, elle lui posa une question. Il répondit à voix basse. Presque gêné d’être si inutile…

« Je ne sais pas… »

Mais elle n’avait pas de temps à perdre. Force de caractère ? Expérience d’une vie mouvementée ? Peu importait, Gine était ancrée dans le présent et appréciait déjà chaque détail. Kamiye, lui, n’aima pas l’idée que d’autres personnes (non ! couple) puissent venir. Ce n’était pas un « oasis de paix » s’il devait craindre l’inconnu étant ces étranges à venir…

Parce qu’il était faible, il se « cacha » derrière Gine. Même d’un si petit être. Même d’un petit bonhomme bien familier qui était surement capable de vous vendre des choses dont vous n’aviez pas besoin. Kamiye se réfugia derrière Gina et ne participa pas à la conversation.

Et puis…

« Wow… »

Il en fut bouche bée.

« Tu es magnifique. »

Mais son compliment fut supplanté par le petit bonhomme tout plein de fougue. Gine était si belle qu’il ne s’intéressa plus au nom du lieu ou encore au fait que d’autres personnes allaient venir. Il était sous le charme. Hypnotisé. Il n’y avait plus que Gine à ses yeux et à son esprit. Tout le reste ne comptait plus.

« Tu es magnifique. »

Ce maillot de bain une pièce lui allait à ravir. En fait, ça réveillait même des envies en lui.

Il ne réalisa pas que lui aussi était en « tenue de plage ». Allez savoir pourquoi, le petit bonhomme ? La magie qui avait une volonté ? Peu importait quoi ! avait décidé qu’il ne porterait qu’une sorte de culotte marron à lacet. Il y avait un côté « sauvage ». Un côté « île ». Surtout qu’on lui avait fait porter une sorte de coller ? D’écharpe ? De soutien-gorge ? Quelque chose qui semblait appartenir à une petite tribu paradisiaque vivant à l’écart de tout dans des îles reculées.

(cette tenue serait allée parfaitement au fait que Kamiye soit une femme. Il ne l’était pas. Pas dans cette version du multivers. Mais cela mettait en évidence son corps gracile. Efféminé. Oui, sur cette plage, il était indéniable que Kamiye était beau. Dans une vie plus moderne, il aurait aisément pu suivre une carrière de mannequinat)

Il se rapprocha de Gine. Sa main commença un chemin. Mais elle ne savait plus si elle devait être romantique et se poser sur sa joue. Ou bien plus « animale » et explorer ce maillot de bain à la texture si étrange qu’elle renvoyait de reflets.

Malheureusement ? La ficelle de sa culotte se détendait déjà sur sa cuisse droite. Il ne le remarqua pas.

[Gine]

Gine et Kamiye, en s'écartant prudemment des portails, avaient donc choisi de respecter les consignes de sécurité du gnome aux petites ailes de fée. La première avait pris le second par la main. Sans trop se rendre compte qu'il avait bien failli se risquer à la peloter en public. Ce qui, dans ce contexte, aurait sans doute embarrasser Gine, qui n'était déjà pas très à l'aise dans sa tenue bigrement serrée.

- Au fait...

Elle n'alla pas plus loin. Pas tout de suite. Ce petit blanc sonore n'en était pas tout à fait un : il y avait pas mal d'animation à côté. Notamment à proximité de ce cabanon où l'on distribuait les fameuses serviettes de plage.

- Toi aussi, tu... tu es magnifique.

Elle se surprit à le dévorer des yeux. Yeux qui s'arrondirent un peu plus à la vue de cette ficelle brune et détendue, du côté de son entrejambe masculin, qui menaçait de faire glisser la culotte brune le long de sa cuisse.
Les joues toujours aussi rouges, Gine se couvrit pudiquement la bouche avant de lui indiquer d'un doigt tout tremblant :

- Ton maillot ! Il... va tomber !

Elle fut plus rapide ! Lâchant sa main qu'elle tenait, la Saïyajin s'était accroupie à mi-hauteur pour s'occuper de ce menu désagrément. Elle fit un joli nœud et sourit de soulagement avant qu'un couple qui les dépassait glousse en les surprenant ainsi.

- 'Y en a qui perdent vraiment pas de temps, lâcha la femme qui, étant donné son bronzage, avait déjà du se dorer la pilule quelque part avant de venir ici.

- J'vois ça ! (Il jubila.) Hé, vous deux ! Si vous voulez faire des choses, 'y a un espace réservé pour ça, de l'autre coté.

Du pouce, il leur indiqua ledit endroit qui se trouvait derrière une colline dévorée par d'immenses palmiers. En concentrant son ouïe par là bas, il était possible d'y entendre des gémissements. Nombreux, apparemment. Car il était surtout question d'un coin consacré aux couples échangistes en mal de frissons.
Gine s'était précipitée pour se remettre debout.

- C-ce n'est pas ce que vous croyez !

L'homme lui répondit par un "tss" incrédule accompagné d'un mouvement de main dédaigneux. Lui était persuadé du contraire.
Ce couple hautain s'en alla prendre du matériel du plage.
La femme à queue de singe les observa faire un instant avant de prendre sa décision :

- Tant pis pour les serviettes. On fera sans. Ou nous verrons ça plus tard ! Allons plutôt par là bas.

Elle pointa du doigt une direction où les sons n'étaient pas légion. Une zone nimbée d'un feu jaune et innocent, qu'elle espérait aussi paisible qu'accueillante. Ils coururent y trouver refuge. Mais ce qu'ils y découvrirent était d'une... tout autre nature.



Un régiment d'hommes à pinces de crabe se tenaient là. Ils étaient nombreux oui ! Bien charpentés, pour la plupart. Et ils n'avaient pas l'air commode.

- Halte là ! fit l'un d'entre eux en claquant des pinces. Au nom du Grand Crabitou, je me vois dans l'obligation de vous demander ce que vous êtes venus faire sur notre portion de plage !

- Euh... Vous voulez dire que c'est votre territoire ?

- Tout à fait, madame ! Vous ne pouvez pas y entrer sans la permission de notre chef adoré.

Gine se pencha vers son compagnon pour lui glisser à l'oreille :

- Je n'ai pas très envie de les contrarier. Nous ferions peut-être mieux d'aller voir ailleurs...

Mais cela ne leur était déjà plus possible. Le couple s'en aperçut rien qu'en se retournant. Tandis qu'ils parlaient, des hommes-crabes en avaient discrètement profité pour les encercler.

- Trop tard, souffla sensuellement un spécimen aussi pataud qu'il était barbu.

- C'est la faute à pas de chance : vous avez posé le pied sur le sable qu'il ne fallait pas fouler, surenchérit un cas au physique plus athlétique.

Qu'est-ce qui était le plus effrayant entre leurs visages d'adjudant ou leurs slips de bain qui dissimulaient à peine leur érection ?
Et surtout : est-ce que l'on tolérait les viols au sein de cet environnement ?
Gine fronça les sourcils.

- Qu'est-ce que vous comptez nous faire, au juste ? Nous pincer les fesses ?

- Ça, et bien d'autres choses ♥

Les pinces claquèrent de concert.
C'était horripilant !
Le séjour ne s'annonçait peut-être pas aussi beau que prévu...

[Kamiye Goupile]

Qu’il avait vite rougi quand Gine s’était mise à genoux devant lui. Il avait cru QUE- !! Son cœur battait la chamade alors que la féroce guerrière qu’elle était refaisait un nœud de ses doigts agiles. C’était mignon un tel fait ordinaire chez une personne aussi extraordinaire que Gine. Ca ne fit que l’aimer davantage.

Et puis… il y eut la révélation que c’était très loin d’être une plage déserte. Kamiye avait du se positionner des œillères en arrivant. (peut-être aussi que le maillot de Gine avait participé à cet aveuglement…) Mais présentement, il était mal à l’aise. Il rechercha rapidement la main de Gine pour avoir du soutien. Il baissa la tête. Ses oreilles s’aplatirent. Il voulait partir…

En fuyant, l’air s’était un peu allégé. Mais ça avait duré si peu de temps. La pression étreignit Kamiye. Sa main se resserra sur celle de Gine. Décidément, il voulait vraiment partir ! Cette plage, il ne l’aimait pas du tout. Si c’était le prix à payer pour le maillot de bain de Gine, c’était trop cher payé… Parce que Kamiye ne comprenait pas ce qu’il voyait. Des torses d’hommes, des bras de crabe et pas de jambes. De toutes petites jambes de crabe. Et, ah… non. Ils avaient bien des jambes humaines. Mais ils étaient tous sur leurs jambes repliées et la pointe de leurs doigts de pied. Ils se déplaçaient si bizarrement…

« O-on ne veut vraiment pas v-vous embêter ! S’s’il vous plaît !... »

Il déglutit. Il y avait tant d’hommes. Même accroupis, Kamiye voyait bien à quel point leur masse musculaire était bien au-delà de la sienne. Il était petit… Il était fin… Et il était beau. Efféminé, même. Lui aussi allait se faire pincer les fesses. Il mit sa main de libre dessus, comme si ça pourrait lui servir de bouclier. Quelle désillusion… Il ne voulait pas que les hommes-crabes retirent leur slip de bain pour exposer leur sexe en érection.

« Je… C’est ma femme ! »

Mince alors ! Il n’allait pas subir à chaque fois tout de même, oui ? Son cœur battait très vite. Il fit un pas pour se placer devant Gine. Ce qui était ridicule. Cela ne servait à rien étant donné qu’il y avait un cercle parfait qui les entourait.

« Vous ne devez pas faire ça. Nous pincer les fesses et les autres choses parce que, PARCE QUE elle est enceinte ! »

Vérité ? Mensonge ? Ca importait peu à ce moment. Kamiye espérait attirer la pitié des hybrides face à lui. Peut-être qu’ils avaient un code d’honneur ? Peut-être qu’ils auraient de la pitié ? Ou peut-être même qu’ils le féliciteraient d’avoir trouvé pareille moitié et d’avoir réussir à lui faire un enfant. Kamiye ne savait pas. L’adrénaline lui montant à la tête, il commit peut-être une bêtise en ajoutant :

« Et si ça ne suffit pas, vous n’avez qu’à m’emmener auprès de votre Grand Crabitou ! »

Cela pouvait passer pour un défi. Un duel ? Kamiye réalisa qu’il n’avait aucune idée si ce « Grand Crabitou » était un de ces hybrides mais seulement un autre, plus grand ? Plus costaud ? Plus quelque chose ? Ou alors, et c’était la pire des solutions, c’était une sorte de dieu. Etant donné qu’il y avait une petite fée sur cette plage, pourquoi pas une sorte de divinité absurde ? Il n’en savait rien. Et il se doutait déjà qu’il ne servirait à rien. Encore… Et que ce serait Gine qui lui sauverait les fesses. Encore…

[Gine]

La Saïyajin s'apprêtait à les défendre tous les deux quand l'annonce de son compagnon claqua dans l'air. Kamiye s'était affirmé, osant même se placer devant sa femme pour tenir tête aux hommes-crabes qui avaient subitement cessé de claquer des pinces. Le silence était soudain retombé dans les rangs. Il allait sans doute très vite se gorger des rires moqueurs de la vilaine troupe mais...

- Oh, Kamiye...

Il était trop craquant !
Son attitude protectrice lui avait mis le feu aux joues, à la femme à queue de singe. Mal à l'aise, celle-ci se dandina sur place.
Son homme si noble justifia aussitôt sa vaillante réaction, prétextant qu'elle était enceinte de lui.
Ce qui était vraisemblable, mais surtout très vrai.
je ne suis pas sûre que ce soit une très bonne idée de le leur avoir leur annoncé....
Elle s'était figée, les mains posées sur son ventre, son regard baissé sous le coup d'un embarras plus prononcé.
Plus courageux que jamais pour défendre sa petite famille, l'hybride renard poussa le bouchon entre plus loin en proposant aux hommes-crabes de l'emmener auprès du Grand Crabitou en personne.
Certains parmi leurs harceleurs émirent un sifflement outré. D'autres s'agitèrent en marchant rapidement d'un côté puis de l'autre.
De toute évidence, Kamiye venait de mettre un sacré coup de pied dans la fourmilière !
Avant que les vilains ne réagissent, Gine lui posa une main rassurante sur l'épaule.

- Tu m'épates, Kamiye ! Moi aussi, tout compte fait, j'ai bien envie de voir à quoi ressemble leur chef...

Elle souriait. De la confiance débordait de ses traits.
Un homme-crabe sacrément baraqué se dressa face au couple. Il était suffisamment large et imposant pour que son ombre parvienne les couvrir tous les deux.

- Une entrevue avec notre guide suprême ? Rien que pour vos beaux yeux ? Ha ! Et puis quoi encore ? N'allez pas croire qu'un gringalet et un ouistiti puissent avoir le droit de-

Sans attendre la fin de son monologue, Gine leva la main et lui fit exploser la caboche !
Tout le monde avait sursauté.
Il y eut de nouveau un silence. Des échanges de regard. Une profonde incompréhension sur ce qu'il venait de se passer à l'instant...
Le visage de la Saïyajin était froid comme la glace, et sa main tendue encore fumante.

- Je vous interdis de me traiter comme un petit singe !

Elle tourna la paume de sa main vers les plus gros spécimens. Tous se mirent à reculer en se protégeant derrière leurs lourdes pinces.
Ils avaient peur. Ils n'avaient jamais soupçonné l'existence du ki. Ces gens-là vivaient de façon complètement tordue dans leur petit monde de brutes épaisses.

- Même tarif pour ceux qui se moqueront de mon Kamiyou, qui est beaucoup plus précieux à mes yeux que votre fichu Crabitou !

Blasphème ! Leur entourage eut un mouvement d'humeur. S'ils n'attaquèrent pas tous en même temps, c'est surtout parce que la peur de se faire griller la tronche ne les avait pas encore quittés...

- Si je peux me permettre... ?

L'individu avait levé une pince. Comme un élève en classe estivale qui demande poliment avant de prendre la parole.
Le sentant tout de suite plus conciliant que les autres, Gine hocha la tête à son attention.

- Exprime toi sagement, et je promets qu'il ne te sera fait aucun mal.

Sous le regard mitigé des siens, l'intéressé, après un bref moment d'hésitation, finit par se jeter à l'eau :

- La femme est une guerrière plutôt violente. Même si elle a la progéniture du faib-... (Le froncement de sourcils de Gine le força immédiatement à se reprendre.) ...de son petit homme dans le tiroir, je pense que ça ne dérangera pas notre boss de les rencontrer tous les deux.

S'ensuivit des murmures. Les hommes-crabes se concertaient entre eux alors que celui qui avait entamé un véritable dialogue s'était muré dans les silence.

- Tu débloquerais pas un peu, toi ? intervint un protestataire. Cette gonzesse a des bombes à la place des mains, je te signale ! Elle pourrait parvenir à le blesser, ou pire encore...

Il n'était pas le seul à penser ainsi. Pourtant, il y en avait d'autres qui voyaient les choses autrement :

- Moi, j'ai foi en notre Maître. Le feu de cette femme ne pourra pas traverser sa sainte carapace - jamais !

- Et puis, il y a aussi son champion, leur fit sournoisement remarquer un autre.

- Ouais, c'est vrai, ça !

Ils se mirent tous à parler en même temps.
Gine, qui avait croisé les bras sur sa poitrine et qui tapait impatiemment du pied dans le sable, dut se racler très fort la gorge pour leur rappeler leur présence.

- On a pas toute la journée : décidez-vous, où bien je redeviens violente !

Elle se donnait de grands airs bien qu'elle n'avait aucune envie d'endosser ce rôle d'anti-héros.
Devant eux, les hommes-crabes s'écartèrent pour finalement former une longue haie d'honneur. Avec un grand sourire forcé sur le visage, ils inclinèrent leurs pinces en un geste qui se voulait invitatoire.

- C'est par là, madame !

Plus droite que jamais, Gine eut un reniflement dédaigneux à leur attention.

- Bien ! Merci.

Elle regarda Kamiye et, glissant ses doigts dans les siens, l'encouragea chaleureusement :

- Allons-y, Kamiyou ! Ensemble, comme deux amoureux~

Accompagnés par la horde de crustacés, Ils traversèrent la plage, foulant le sable doux et chaud sur près d'une lieue. Les rochers, jusqu'alors rares dans le décor, s'étaient sensiblement multipliés. Au bout du chemin, ils étaient devenus suffisamment nombreux pour former une grande caverne au sein de laquelle le trio put entrer. Un unique homme-crabe s'était risqué à les accompagner. C'était celui qui, le premier, avait émis la possibilité de cette entrevue avec leur grand chef. Il les guida à l'intérieur de l'antre dont le plafond, au cœur de la pénombre, s'élevait si haut qu'on ne le voyait pas.
Au bout d'un moment, sans crier gare, il s'inclina.

- Grand Crabitou ! Je... non, nous, plutôt, avons pris la courageuse décision de vous amener ces quelques voyageurs.

Il y eut un grand bruit - pareil à un raclement. Quelque chose d'immense s'était redressé. Deux lumières rouge apparurent au beau milieu de ce condensé de noirceur, où les contours d'une ombre gigantesque se découpaient à peine. Une tête jaune, couronnée de trois pics, sortit des ténèbres pour mieux inspecter ses "invités".

- Il est vraiment immense, souffla Gine, une main posée sur son cœur battant alors que sa taille lui rappelait immanquablement celle de sa propre forme simiesque et dévastatrice.

Outre ses proportions gargantuesques, le Grand Crabitou paraissait rudement âgé avec les tentacules qui pendaient de sa mâchoire inférieure, son absence totale de dentition, les quelques coquillages ayant fusionné avec sa carapace et les vieilles algues accrochées à ses aspérités. L'on ne voyait toujours pas son corps, que l'on devinait pourtant couvert de plaques solides et de pointes mal équilibré.
Ce monstre était-il lui aussi un être hybride ? Croisé avec un géant, en ce cas !
Sa voix grave et grinçante retentit alors dans le repaire :

- Qui ose me déranger pendant ma sieste ?

Le guide s'était gardé de toute réponse. Il laissait ce soin aux deux autres ; et notamment à celui, en particulier, qui les avait foutu dans ce royal pétrin.

- Cette caverne est mon sanctuaire, reprit le géant sur un même ton. La plage qui l'entoure est mon territoire. J'y fais régner ma loi, que cela n'en déplaise aux intrus. D'ordinaire, mes sujets n'ont aucun mal à les en éloigner. Ou à en abuser. Mais vous... je vous sens différents des autres. Alors je me répète : qui pensez-vous être pour oser venir jusqu'ici et m'adresser la parole ?

Gine, qui n'avait pas encore moufté, lança un regard en coin à son compagnon.
Est-ce qu'il avait un plan ?
Elle l'ignorait. Même si, à ce stade, avec cette découverte énorme, elle commençait légèrement à en douter...