The Multiversity

[Yaevinn]

"Cours!!"

L'embuscade était parfaite. Quand ils réfléchissaient, les humains pouvaient être de redoutables adversaires. Yaevinn en faisait l'amère et tragique expérience en cette belle journée ensoleillée. Le souffle court, il courait à travers un champ de blé, talonné de près par un des elfes de son groupe: les deux derniers survivants d'une cellule de la Scoia'tael.

Les derniers francs succès du groupe avaient poussé le chef, Ranis, à prendre des risques plus sérieux en s'attaquant à des convois protégés par des troupes régulières de la Confédération de Lumen. Jusqu'à présent, la vingtaine d'elfe, groupe conséquent, ne s'attaquait qu'à des cibles à sa mesure. Les elfes tuaient des soldats certes, mais en gardant toujours une supériorité numérique sur les luméens. Trois semaines auparavant, ils avaient éliminé vingt cinq soldats escortant une caravane convoyant les recettes d'impôts issus des controversées et usantes taxes agricoles. Pour cela, ils avaient usé des capacités de tirs à distance de leurs arcs longs face à la piétaille luméenne. La semaine dernière, usant des mêmes moyens, le groupe avait réalisé l'exploit d'exterminer une petite unité de cavalerie prise dans une embuscade bien montée. Cela avait fait grand bruit. Ranis, emporté par sa confiance en leurs capacités, n'avait pas cherché à se renseigner plus avant quand un informateur "fiable" avait annoncé le passage d'un nouveau convoi sous escorte à proximité des frontières sud du territoire étendu où opérait la cellule de Yaevinn.

Ce passage, cette information la donnait pour aujourd'hui. Et aujourd'hui, Ranis gisait dans une mare de sang, la tête séparée de son corps, à bon kilomètre du champ dans lequel courait le demi-elfe.

"Cours Yared!"

Le sifflement fusant d'une flèche, suivi d'un cri, indiqua à Yaevinn que Yared était perdu. Il ne restait donc plus que lui. L'attaque avait été brutale. Effectivement, le convoi s'était présenté comme prévu, escorté d'une dizaine d'hommes en armes. Il suivait la route, passant dans un sous-bois clairsemé quand les elfes s'étaient dévoilés sur de petites hauteurs pour tirer flèches sur flèches sur les luméens. Ceux-ci avaient bien réagi, se contentant de se protéger, groupés, derrière d'inhabituels grands boucliers.
Et les Stries Bleues avaient chargé: une cavalerie lourde manœuvrant facilement entre les arbres espacés. Leurs montures étaient puissantes et véloces, réactives aux ordres des cavaliers émérites. La milice avait planifié la réaction de Ranis, étudiée le terrain, préparée une approche discrète pour au final obtenir un résultat implacable. Dix neuf elfes venaient de trouver la mort et Yaevinn serait le dernier à les rejoindre. Pris en chasse dans le sous bois, il en avait atteint les limites pour s'aventurer en terrain découvert. Là, c'était perdu d'avance mais le demi-elfe courait avec l'énergie du désespoir et la haine au ventre. Tant d'années à lutter pour terminer ainsi? Non ... pas comme ça.

Mais entre volonté et réalité, l'écart était grand. Les cavaliers de cette maudite milice des Stries Bleues encerclèrent le rebelle et Yaevinn fut contraint de s'arrêter dans les blés d'or, menaçant quiconque l'approchait de son épée. Les miliciens riaient grassement, se moquaient de lui. Il n'avait aucune de chance de s'en sortir mais il semblait que le destin en voulut autrement. Le cercle hideux d'humains puants s'écarta pour laisser passer un cavalier massif au visage ingrat. Il avait les dents jaunes, le teint, de l'homme qui boit trop et une odeur à faire frémir un nain. Le milicien, peut être le chef de cette escouade, descendit de son destrier. Il tenait à la main un cercle de métal dans lequel étaient passées des oreilles d'elfes sanguinolentes.

"Putain d'oreilles pointues! Les loups vont bouffer les corps de ces enflures. Leurs âmes de pourceaux vont barboter dans la merde pour l'éternité."

Les cavaliers rirent. Leur haine suintait par tous les pores de leur peau.

"Mais toi, t'es un grand chanceux. On doit ramener un prisonnier. Le capitaine Roche a envie de parler un peu ..."

Vernon Roche ... la pire des vermines aux yeux de la Scoia'tael.

Yaevinn hurla et se précipita, la lame haute, sur l'officier. Il ne vit pas venir le coup qui le frappa à la nuque et le plongea dans l'inconscience.

OoOoOoOoOoO

Yaevinn avait mal. Tout son corps n'était plus qu'une enveloppe douloureuse. Cela faisait des heures , ou des jours peut être, qu'il était enchainé à cette potence. Torturé, il l'avait été, sans qu'aucune question ne lui soit posée. Vernon Roche attendait qu'il soit brisé pour le faire. Le capitaine de la milice observait le rebelle de loin, confortablement assis à l'ombre tandis que ses sbires alternaient instruments et méthodes de tortures horribles.
Ils étaient dans l'une des propriétés de Stries Bleues, quelque part ... Yaevinn ne se savait pas où et ne se souvenait d'ailleurs pas de son arrivée ici. Il avait été frappé tout au long de son voyage depuis sa capture. Son nez était cassé, ses pommettes brisées, ses doigts aussi. Il était en sang et le frais coulait sur les croutes séchées. Pour lui rappeler sa déchéance, le collier d'oreilles en décomposition était cloué à la poterne, près de son visage.

"Qu'est-ce qu'on attend pour faire parler ce fils de pute?" demanda un lieutenant à Roche.

"Il n' a pas encore assez mal pour ça. Prenons le temps de savourer ce moment. Loin des yeux, nous avons le temps de nous amuser. On ne l'entend pas crier de l'autre côté de l'enceinte?"

"Si ... Mais ça contribue à imposer le respect qui nous est dû. Nous sommes les sauveurs de Lumen."

Vernon Roche sourit méchamment. Il n'avait pas besoin qu'on le respecte. Il se foutait de la vie des autres, même de celle de cette putain de catin qu'on disait reine de Lumen. Non, lui voulait seulement débarrasser Terra de cette race maudite que représentait les elfes.

[Elena Ivory]

Tout cela remontait à il y a très longtemps.

Au début, Lumen était un royaume elfique, un royaume prospère qui avait vu l’avènement des humains. Petit à petit, la population humaine s’était développée, jusqu’à devenir majoritaire. Le royaume elfique avait alors évolué pour représenter les différentes ethnies, puis les humains avaient fini par prendre le pouvoir. Devenus majoritaires, ils avaient fondé Lumen, et les elfes de Lumen avaient été regroupés dans leurs propres quartiers. Victimes indéniables d’un racisme étatique, ceux qui étaient restés avaient fini par développer un fort ressentiment envers les humains. Si cette politique raciste avait fini par être abandonnée, elle avait laissé son empreinte. Certaines races non-humaines avaient commencé à vouloir renverser la table. Leur lutte initiale était juste, car, même si le racisme étatique avait disparu, il existait encore au sein de la population. C’est dans ce contexte que la Scoia’tael avait été créée.

Ce mot signifiait « Écureuil ». On glosait encore à ce jour pour comprendre l’origine de ce nom. À l’origine, la Scoia’tael était un regroupement de mercenaires non-humains chargés de protéger les non-humains des attaques et des agressions. L’organisation avait évolué, elle avait pris une dimension politique, puis martiale. Présente au sein de la Confédération de Lume, la Scoia’tael n’aétait pas une organisation centralisée, mais un ensemble de groupuscules décentralisés, des cellules indépendantes qui déployaient ici et là des moyens d’action. Les Renseignements Luméens avaient confirmé que la Scoia’tael bénéficiait de l’aide des Mijakiens, l’Empire voyant dans cette organisation un moyen efficace de déstabiliser Lumen.

La Scoia’tael avait peu à peu gagné de l’influence et de l’importance, si tant est que la Confédération avait conçu un groupe de chasseurs d’élite ayant pour mission de démanteler cette organisation : les Stries Bleues. Cette organisation existait officiellement pour traquer les déserteurs, ses méthodes étaient peu recommandables, et elle était dirigée par Vernon Roche, un soldat qui avait combattu les Mijakiens. On savait peu de choses sur Roche, mais on disait que, si tous ses ennemis devaient lui donner une pièce d’or, il pourrait racheter le Palais Royal de Lumen ; inversement, on disait aussi que, si tous ses amis devraient creuser sa tombe, alors Roche lui-même devrait la creuser.

Elena savait peu de choses sur Vernon Roche, mais elle savait une chose : elle n’aimait pas les Stries Bleues. Leurs méthodes brutales et arbitraires avaient engendré beaucoup d’injustices. Ils étaient du genre à interroger des civils et à menacer de les torturer pour obtenir ce qu’ils voulaient. Ils torturaient également allégrement leurs prisonniers. Aujourd’hui, les rapports qu’Elena avait pu consulter montraient que le principal commandant de la Scoia’tael, celui qui cherchait à unifier toutes les cellules, était Iorveth.

« Iorveth a été trahi par les Mijakiens, ils l’ont offert à un royaume de la Confédération en échange de prisonniers. Iorveth a été cruellement torturé, on lui a brûlé une oreille, et on l’a éborgné. Il a réussi à s’évader. »

Vernon Roche recherchait Iorveth à tout prix. Elena aussi le cherchait, mais pour d’autres raisons que Vernon. Iorveth en voulait autant aux Mijakiens qu’aux Luméens, et elle espérait pouvoir obtenir son aide.

Cela l’avait conduit à la forteresse des Stries Bleues, Drakenborg. Elles avaient été accueillies par une Strie bleue, Cyn. Ancienne fermière, Cyn avait vu son village natal être ravagé par une cellule de la Scoia’tael. Prisonnière de cette cellule, elle avait été sauvée par les Stries Bleues, et avait ensuite rejoint leur groupe.

Après les avoir accueillies, c’est le soir venu qu’Elena passa à l’action. La Reine était venue en compagnie de gardes et d’autres personnes, dont Zéphyr. Officiellement, Zéphyr était une simple servante, mais, en réalité, elle était une espionne d’Elena. Si Elena était venue, c’est parce qu’elle savait que Roche avait capturé un membre de la Scoia’tael qui détenait des informations sur Iorveth. Elena voulait donc se rapprocher de lui, amis elle savait que Roche ne la laisserait pas approcher des cellules.

La nuit venue, Zéphyr traversa donc discrètement la grande forteresse. Elle évitait les gardes, les patrouilles, et put ainsi rejoindre les prisons. Elle rejoignit ainsi la cellule de Yaevinn, et constata que celui-ci avait été torturé avec un fouet. Son dos était zébré de traces rouges, et les geôliers l’avaient laissé dans la salle, proche de la mort. Zéphyr grimaça brièvement devant ce spectacle affligeant.

*Ces brutes sont impitoyables… Je ne pourrais pas le faire sortir dans cet état.*

Fort heureusement, Adamante lui avait préparé des élixirs curatifs, notamment une Hirondelle, un élixir qui améliorait la cicatrisation du corps. Elle se rapprocha de Yaevinn, et l’amena à en boire le contenu, puis attendit ensuite que l’élixir fasse effet et qu’il se réveille…

[Yaevinn]

Dans la forteresse de Drakenborg, l'agitation qui avait précédé la venue puis l'arrivée de la reine Elena avait complètement échappé à l'elfe torturé. Yaevinn n'était que plaies et douleurs. Les bourreaux des Stries Bleues s'étaient acharnés sur lui avec autant de violence que de compétence. Malgré toutes les horreurs qu'il avait subi, ils avaient su le conserver en vie. Son corps meurtri n'était plus que viande sanguinolente. Le sang se coagulait en croûtes épaisses et l'elfe n'arrivait même plus à esquisser le moindre mouvement. Il gisait, à demi suspendu à des chaines le maintenant aux poignets. Ses bras en extensions le tirait et il avait beau prié tous les dieux du panthéon elfique de le libérer, il ne mourrait pas.
L'elfe oscillait entre délire et semi-conscience, bavait, marmonnait des insultes. Même seul dans sa cellule, l'humiliation continuait puisqu'il ne pouvait même pas uriner dans un coin ... C'était une épave irrécupérable. Mais ... il n'avait pas parlé. Ses tortionnaires n'avaient rien pu tirer de lui. A aucun moment, il n'avait répondu à leurs questions, principalement concentrées sur la position d'Iorveth, son chef, le mentor de la Scoia'tael.

Yaevinn ne frémit pas quand les gonds rouillés de la porte de sa cellule grincèrent quand elle fut poussée. Le supplice allait recommencer et il ne fit pas l'effort de relever la tête. Il s'attendait à être frappé, avec pour accompagnement un flot d'insultes au sujet des elfes et de cette race maudite. Les Stries Bleues n'étaient pas très inventifs et leurs propos sortaient rarement du cadre de leur haine.

Mais rien ne vint. Ses sens bien qu'émoussés perçurent une respiration sereine qui ne représentait pas une menace immédiate. Yaevinn sentit qu'on approchait quelque chose de sa bouche et il reconnut aussitôt la fragrance commune mais délicate de la chélidoine. N'importe quel elfe savait que cette fleur était utilisée pour réaliser la potion hirondelle. La chélidoine n'était pas une plante nocive aussi quand il sentit qu'on portait à ses lèvres un goulot, il accepta de boire. L'alchimiste qui avait conçu ce breuvage là devait être un botaniste de haut niveau. La qualité de la potion était exceptionnelle et dès les premières gouttes absorbées, un certain effet fut ressenti. Après une minute, les paupières de l'elfe dégonflèrent et il put ouvrir les yeux. Son corps réagissait positivement à ce remède. Proches de la nature, les elfes et les demi-elfes avaient des affinités avec la médecine ancienne dont une bonne partie avait été oubliée.

La douleur passa aussi et c'est un guerrier affaibli mais régénéré qui releva la tête pour ... dévisager ce qu'il n'attendait pas du tout. Qui Yaevinn aurait-il pu trouver là? Une Strie Bleue qui le soigne pour le torturer plus encore après? Non, il avait devant lui une belle femme. Une femme qu'il considéra d'un seul regard comme dangereuse. Elle n'était en rien effrayée mais portait dans son attitude les traits de celle qui sait se battre. Comme lui. Mais elle ne paraissait pas non plus être une menace, au contraire, son expression semblait offrir ... de la compassion.

Mais elle était humaine et il n'y avait rien de plus traitre et mensonger que les humains. Si c'était un piège, alors l'appât était bien choisi.

Yaevinn cracha au sol un caillot de sang. Tenter de parler lui fit mal aux cordes vocales et il dut attendre un peu que l'Hirondelle agisse encore.

"Que veux tu ... humaine?"

Il ne reconnut pas sa propre voix qui était râpeuse, abimée.

La femme était seule, ce qui était étrange. Pour le torturer, les Stries Bleues venaient à trois ou quatre, outillés et bruyants. Elle, était aussi furtive qu'un elfe et ne semblait même pas armée. Allait-elle utiliser une méthode douce pour lui soutirer les informations dont les humains avaient besoin pour débusquer Iorveth?

[Elena Ivory]

Zéphyr laissa Yaevinn reprendre un peu de couleur. Il était très affaibli, amaigri, dans un état déplorable. Il lui faudra plus de soins que ce qu’une Hirondelle pouvait fournir, mais, dans l’immédiat, Zéphyr n’avait pas mieux à proposer ! Elle le laissa donc reprendre ses esprits, tout en surveillant prudemment la porte d’entrée. Yaevinn finit par baragouiner quelque chose.

« Vous faire sortir d’ici. Je ne me serai pas donnée autant de mal, sinon ! »

Allait-il la croire ? Mais, d’un autre côté, elle était tout de même venue, et elle était seule. Pas de bourreau. Si Zéphyr lui disait que la Reine de Lumen en personne l’envoyait, Yaevinn, soit ne la croirait pas, soit croirait à une sorte de jeu sadique. La jeune femme réfléchit donc rapidement pour lui sortir un mensonge cohérent. Son objectif était de le faire sortir, elle pourrait ensuite rétablir la vérité.

« Des esclaves, il y en a aussi parmi les humains, vous savez. C’est Iorveth qui m’envoie. Il a appris votre capture, et souhaitait vous libérer. J’ai préparé votre évasion. Je m’appelle Zéphyr. »

Son histoire apparaissait suffisamment crédible pour endormir la méfiance de Yaevinn. Zéphyr perçut alors des bruits de pas à proximité de la porte menant à la cellule de Yaevinn. Elle se dissimula dans l’ombre, tandis qu’on déverrouillait l’épaisse porte de la salle de torture. Deux hommes entrèrent, dont le bourreau.

« Oh ! Tu es déjà debout, salopard d’elfe ? Tu es plus résistant que je ne le pensais !
- Laisse-toi faire, sale sous-race… Ou débats-toi, ça me fera une bonne raison de te cogner ! »

Deux Stries bleues se rapprochèrent de lui. Zéphyr se déplaça lentement. Elle souhaitait autant que possible éviter de faire couler le sang, mais, cette fois, elle n’avait pas le choix. Elle sortit de sa ceinture un couteau de lancer, et le lança dans la nuque de l’une des Stries bleues. Le soldat tomba lourdement au sol. Surpris, son comparse se retourna. Zéphyr s’élança vers lui, et se projeta en l’air. Il écarquilla les yeux sous la surprise, puis la lame de Zéphyr lui transperça le crâne. Il s’effondra mollement au sol. Zéphyr retira sa lame, récupéra son couteau de lancer.

« Vous me croyez, maintenant ? Si je travaillais avec eux, vous pensez que je les aurais tué ? Allez, il faut se dépêcher, ou toute la garnison va nous tomber dessus ! »

Ils avaient en effet peu de temps avant que les autres Stries bleues ne réalisent la mort de deux des leurs, et ce n’était pas Zéphyr qui allait pouvoir tenir tête à toute une garnison…

[Yaevinn]

Le demi elfe reprenait du poil de la bête. Ses sens revenaient alors qu'il les avait complètement perdus. Son acuité visuelle lui permit de mieux distinguer la femme et son impression précédente se confirma: elle était dangereuse. Mais il pouvait aussi voir, sentir, deviner, qu'elle agissait avec précaution et qu'elle aussi était à l'écoute de leur environnement. Son attitude allait avec son apparition mystérieuse. Elle chuchota une réponse à sa question sans tenir compte du mépris qu'il avait laissé transparaitre pour sa condition d'humaine.

Yaevinn se méfiait des humains comme de la peste et il ne fut pas convaincu par ce qu'elle lui dit. Mais qu'importe, si elle le faisait sortir d'ici, et c'était l'essentiel, il pourrait toujours s'arranger pour la prendre par surprise et lui trancher la gorge avant de disparaitre. Il se doutait qu'elle disposait de ressources en combat: ses gestes étaient sûrs et fluides et sa main ne tremblait pas; sa voix non plus; et sa respiration restait totalement maitrisée. Quelles que soient les raisons pour lesquelles elle agissait ainsi; il allait en profiter puis fuir le plus loin possible de cet antre maudit, ce trou puant de Drakenborg.

Il approuva en grognant, ni ne donnant son aval, ni ne s'opposant à cette aide précieuse. La femme défit ses liens qu'il n'aurait jamais pu desserrer seul quand des pas lourds résonnèrent non loin, très identifiables.. Le demi elfe se raidit. Il mourrait plutôt que de se laisser capturer vivant. S'il devait se déchirer la jugulaire avec un clou, il le ferait.

La femme venait de se dissimuler dans l'ombre, démontrant encore une maitrise de la furtivité. La lourde porte de la cellule s'ouvrit et la pièce fut inondée par la lueur des torches. Yaevinn plissa des yeux. Ils n'étaient que deux. Deux stries bleues trop sûres d'elles dont le bourreau, celui qui s'était amusé avec son corps jusqu'à ce qu'il soit une loque.

Yaevinn se redressa et recula d'un pas, les forçant à entrer plus encore dans son trou nauséabond. Le demi elfe s'apprêtait à se battre mais il n'en eut pas le temps. L'inconnue les terrassa si facilement que cela en fut presque effrayant. Il n'y eu pas de cris, juste les sons sourds de corps s'effondrant sur la terre battue qui s'imbiba aussitôt de sang.

Yaevinn observa la tueuse, toujours aussi calme. Peut être que finalement, il ne s'en débarrasserait pas aussi facilement que ce qu'il pensait... Il opta pour la prudence et décida au moins pour le moment de la suivre. Elle lui serait d'une aide précieuse s'ils devaient croiser d'autres Stries Bleues.

Il enjamba les corps et la suivit. Les couloirs humides des geôles puaient la pisse, la merde et le vomi. Des rats énormes passaient sous des portes de bois vermoulues après avoir montré les dents aux deux fugitifs. Le sol était inégal et Yaevinn, encore faible, glissa plusieurs fois. Il se rattrapa à sa compagne qui l'aida et quand il l'eut touchée, il sentit les pulsations de son cœur. Elle respirait la justice, et il en fut surpris. Entre deux pas de course, il lui souffla:

"Qui es tu vraiment?"

Il n'y avait qu'une seule sortie, tenue par un unique garde. C'était peu mais personne n'avait jamais attaqué la forteresse de Drakenborg. E t comme l'homme leur tournait le dos, il ne compris pas qu'il mourut d'un coup brutal en plein coeur.

Yaevinn inspira à l'air libre. Puis retint une toux tandis que son corps reprenait une certaine vitalité. Plus tard, il serait fatigué et il se reposerait mais pour l'instant, il fallait fuir. Ici, impossible d'échapper à la vigilance de Zéphyr donc autant la suivre.

"Quel est ton plan pour qu'on sorte d'ici?"

[Elena Ivory]

Yaevinn n’était pas dupe. Zéphyr le guidait vers la sortie de Drakenborg quand il lui réitéra à nouveau de savoir qui elle était vraiment.

« Je vous l’ai dit, je m’appelle Zéphyr. Maintenant, si vous voulez qu’on discute, attendez déjà qu’on sorte d’ici ! »

Il y avait peu de gardes ici. La réputation de Drakenborg suffisait généralement à faire fuir n’importe qui, et les Stries Bleues se trouvaient ailleurs que dans la prison. Sans les plans de la forteresse, Zéphyr n’aurait jamais pu réussir à s’infiltrer. Elle neutralisa sans peine la sentinelle. Yaevinn ne pouvait que constater l’évidence : outre la connaissance parfaite des lieux, Zéphyr disposait également des clefs de la porte. Un ajout qu’elle devait encore à la Reine de Lumen. Dehors, le duo avait rejoint la cour d’enceinte de la forteresse. Ici, les gardes étaient plus nombreux. Zéphyr avait pu passer seule, mais, avec Yaevinn, impossible de contourner les gardes, les chiens, les archers. Zéphyr avait fort heureusement tout prévu. Elle sortit de son soutien-gorge un rouleau de parchemin, et désigna ensuite un entrepôt à proximité.

« On va créer une diversion. Avant de venir te sauver, toi et tes beaux yeux, j’ai répandu un Rêve de dragon à l’intérieur de cet entrepôt. Ce rouleau-ci va me permettre de lancer une boule de feu à destination de l’entrepôt. L’explosion devrait attirer les gardes, et on filera en empruntant un cheval. »

C’était la partie risquée du plan.

« Tu tiens debout, non ? L’écurie est par là. Prépare un cheval pendant que j’irai faire la diversion. Ensuite, je te retrouve, on sort de là. De toute façon, tu n’avais pas envie de prendre racine ici, non ? »

Le temps leur était compté, car la garnison allait bientôt être en état d’alerte. Les herses du fort étaient relevées, mais, si l’alarme était sonnée, elles se fermeraient bien rapidement, il fallait donc partir avant…

[Yaevinn]

Le sauver? Yaevinn se méfiait de ce terme. Un sauvetage ne signifiait pas nécessairement qu'il puisse retrouver la liberté. Les humains étaient tellement tordus qu'il ne pouvait pas leur faire confiance. Rares étaient ceux auxquels il pouvait se fier et la plupart d'entre eux étaient morts. La politique d'extermination des elfes par Vernon Roche impliquait aussi la mort de tous ceux qui leur apportait du soutien. Demi elfe, Yaevinn avait vu le village de sa mère, une humaine, éradiqué par les milices meurtrières de Roche.

Donc, si cette Zephyr était digne de confiance? Non, surement pas! En revanche, elle était sa seule porte de sortie. Quelques minutes plus tôt, Yaevinn était voué à une mort certaine; à présent il avait peut être une possibilité d'en réchapper. Mais pour cela, il fallait encore pouvoir quitter le quartier général des Stries Bleues. Et là encore, la mystérieuse Zephyr avait un plan.

Yaevinn se baissa sur le cadavre encore chaud du garde pendant que l'espionne observait la cour de la forteresse. Elle ne vit pas qu'il récupérait une dague et la glissait dans l'une de ses bottes. Ainsi, si cela s'avérait nécessaire, il pourrait s'en servir pour retrouver une "véritable" liberté.

Le demi-elfe rejoignit ensuite l'espionne qui regorgeait de solutions à leurs problèmes. Une diversion était bien sûr la meilleure des choses à faire. Ils n'étaient pas capables de s'opposer à autant de miliciens dont beaucoup étaient des vétérans confirmés.

"J'y arriverai oui. Je peux le faire."

Quand la boule de feu percuta l'entrepôt, l'embrasement fut immédiat et bien plus important que ce qui pouvait être prévu. Zephyr et Yaevinn ne pouvaient pas se douter qu'un important stock d'huile en tonneau avait été amené et déposé là le jour précédent. De longues langues de flammes déferlèrent sur les miliciens les plus proches qui s'enflammèrent comme des torches. Cela eut pour effet de semer un vent de panique qui ne put qu'être bénéfique à la fuite des deux intrus.

Laissant Zephyr à sa préparation, Yaevinn avait réussi à atteindre les écuries en rampant de cachettes en cachettes et en restant dans l'ombre des zones qui n'étaient pas éclairées. Il était entré dans les écuries par une ouverture latérale, et était tombé nez à nez avec une jeune Stries Bleues. Le demi-elfe n'avait pas hésité une seconde, conscient qu'un long combat ne lui serait pas favorable. Misant sur une attaque brutale et unique, il s'était jeté sur elle, l'avait empoigné par le cou et lui avait brisé la nuque avant qu'elle ne puisse crier. Très vite, il avait caché le corps sous un tas de paille puis avait choisi deux chevaux. Il n'en avait équipé qu'un seul pour Zephyr, lui même montant à cru. C'était des destriers de guerre, piaffant, impatient de courir, mais il les calma en leur parlant en elfique, langue de la nature, aussi riche qu'ancienne et pleine de pouvoirs. Les animaux se calmèrent et quand Zephyr arriva, le demi-elfe lui tendit les rênes sans mentionner le meurtre de la garde.

Ils allaient devoir être rapide et franchir la zone entre l'écurie et la sortie de la forteresse, ce qui représentait un danger certain. Ils firent s'élancer leurs montures après avoir passé des capes et capuches qu'ils trouvèrent accrochées à des patères.

Ils furent décelés tout de suite et un cri signala leur fuite. Heureusement, le vacarme de l'entrepôt en feu s'effondrant couvrait cette première alerte. Mais une flèche siffla et transperça la gorge de la monture de Yaevinn qui bascula vers l'avant quand ses pattes fléchirent. Ce fut la culbute mais le demi-elfe était déjà prêt. Il s'était mis debout sur le dos du cheval et sauta juste avant la chute en croupe du destrier de Zephyr. Il se réceptionna juste derrière elle et lui ceintura la taille, non sans avoir constaté la tonicité de son corps. Il se cala contre elle, verrouillant son bassin à ses fesses, et tenta de voir l'archer, sans succès. Yaevinn rentra la tête dans les épaules quand une nouvelle flèche les frôla.

"Fonce! Fonce!! Plus vite!!"

[Elena Ivory]

La libération de Yaevinn se déroula finalement plutôt bien. La diversion de Zéphyr fonctionna à la perfection, et elle rejoignit ensuite l’écurie. L’explosion à retardement du moulin à vent surprit les défenseurs, mais le plan bien huilé de Zéphyr se heurta à un obstacle majeur quand une flèche transperça la gorge de leur cheval. Elle bascula au sol, et Yaevinn l’aida à se relever. Zéphyr, quoique un peu désorientée, se fia à l’adrénaline battant dans ses veines. Elle n’eut pas besoin de se le faire répéter deux fois, et se mit à courir en compagnie de Yaevinn vers le corps de garde.

« ÉVASION ! ÉVASION !! hurla un garde.
- Tuez-les ! »

Zéphyr vit la herse du corps de garde en train de tomber. Impossible de la rejoindre à temps ! Elle concentra sa magie, et envoya une boule de glace depuis sa main, qui congela la herse. Un sort qui allait ralentir la herse, tandis que des gardes se rapprochaient. Des cors d’alarme retentirent, et des flèches supplémentaires fusèrent autour d’eux. Zéphyr puisa encore dans sa magie, et généra un bouclier autour d’eux, qui intercepta plusieurs flèches, les déviant, mais fragilisant son sort. Le duo réussit finalement à passer sous la herse, et coururent à travers la route qui menait à la forêt. Derrière, on s’affairait à relever la herse, tandis que, depuis les remparts, les archers ennemis continuaient à tirer.

« Surtout, ne vous retournez pas, Yaevinn, on coupe à travers les bois ! »

Une idée bienvenue, car, en contrebas, il y avait d’autres Stries bleues, des patrouilles de sécurité ainsi que ceux vivant dans les camps alentour qui se rapprochaient. Le duo fila sur la droite, à travers deux arbres, quand Zéphyr entendit Yaevinn hurler. Une flèche venait de l’atteindre à l’épaule. Il tomba au sol. Zéphyr l’aida à se relever, tandis que des aboiements de chiens et des sabots de chevaux se faisaient attendre. Ils dévalèrent un ravin, apercevant les torches des Stries bleues qui les poursuivaient. La flèche de la Strie bleue était superficielle. Zéphyr put la retirer de l’épaule de Yaevinn, mais grimaça en constatant que la pointe était empoisonnée.

« Si on ne se dépêche pas, le poison va vous…
- HALTE ! »

Devant les deux, deux ennemis leur faisaient face. Ils étaient au beau milieu de la forêt. L’un tenait une torche, et l’autre une arbalète, visant la tête de Zéphyr. Même avec toute la rapidité du monde, il lui serait impossible de s’échapper.

« Dépose ton arme, sale pute !
- Abaisse ta capuche, salope d’elfe ! »

Zéphyr leva les mains en signe de reddition… Quand un éclair jaillit de derrière les deux Stries bleues. Le garde à la torche fut fauché par l’arrière, et s’écroula au sol, inerte. Surpris, l’arbalétrier eut à peine le temps de pivoter sur place qu’une épée jaillit, et le décapita violemment. Une femme se rapprocha ensuite. Elle portait l’uniforme des Stries Bleues.

« On dirait que j’arrive à point nommé…
- Tes informations étaient parfaites, mais nous n’avons pas eu de chance, le cheval a été tué… »

Cyn se rapprocha de Yaevinn. La Strie Bleue sortait de ses affaires une petite fiole, comprenant l’antidote dont il avait besoin.

« Tenez, buvez cela, si vous voulez survivre. »