La torche squelettique s'était retirée dans son coin. Marisa, que leur entretien avait laissé tendue, soupira lourdement avant de s'affaler dans son siège. Sans le soutien d'Yggdrasia, la pauvre aurait sans doute fait tout capoter dans une étouffante mer de flammes !
Tu te sous-estimes. Mais ce n'est pas plus mal quand, dans une situation comme celle-ci, il te faut constamment rester sur tes gardes.
Un petit rappel à l'ordre ? La fermière se remit droite presque instantanément.
Tranquillise-toi. Car moi aussi, de mon côté, je veille à ta sûreté.
La dryade ne croyait pas si bien dire ! La locomotive ayant gagné en vitesse, le confort des voyageuses, malgré les luxueux sièges, n'était pas, aux yeux du conducteur, un élément indispensable. Les virages s'annonçaient relativement compliqués. Même la mercenaire, avec son poids lourd, parvenait à se détacher de son moelleux support.
- Mais qu'est-ce qui se passe ?
Afin de palier à cette vomitive agitation, Marisa dut carrément se cramponner aux sièges d'à côté, prendre place sur les genoux de madame Noël et, avec ses fesses, faire pression dessus. Elle sentit des petites douleurs dans le bas de son dos et grimaça conséquemment.
Au-dehors, de chaotiques bruits de métal se faisaient entendre.
- C'est... insupportable, gémit-elle sans pouvoir empêcher ses cheveux, dans le stress, de flamboyer et chatouiller le plafond.
Le calme était revenu d'un seul coup... pour mieux la surprendre !
Alors que leur wagon tanguait dangereusement d'un côté, le monde lui-même parut basculer.
- Iiiiiiiiih !!!
Malgré son vœu de régénération, Yggdrasia prit immédiatement les rênes et, à travers la silhouette menue de sa protégée, généra des racines qui maintinrent les voyageuses à leur poste. Bien sûr : le feu de Marisa, dans son état actuel, représentait un véritable poison pour les entraves. Mais il ne pouvait pas les réduire en cendres dans la seconde. Alors elles s'avéraient toujours bien utiles à cet effet.
Marisa continua de hurler. Même après que leur véhicule se fut complètement retourné et immobilisé. Les yeux fermés, elle n'entendit ni ne surprit cet échange rapide entre Crâne et le loup de métal qui leur avait ouvert la porte.
Reprends-toi, jeune hystérique ! La voie est libre.
Les racines qui retenaient le duo tombèrent en poussière. A nouveau tranquillisée par l'influence de la dryade, la rouquine s'exécuta comme un automate, oubliant jusqu'à la mercenaire sur laquelle elle était assise. Il y eut alors un effet de lumière qu'elle ne comprit pas tout de suite. Quelque chose de gros - d'immense même ! - était passé sur leur wagon, avait glissé dessus pour ensuite disparaître au-delà. Une main, qui en avait vomi en un millier d'autres, plus petites, toutes destinées à prendre d'assaut la mercenaire inconsciente ! Submergée, celle-ci disparut dans la masse avant de décoller dans les ténèbres.
La demi-pyrône n'eut même pas le réflexe d'abuser de ses flammes, sa pyrokinésie comme... verrouillée ?
Yggdrasia jouait un jeu relativement dangereux en manipulant ses propres fils.
Continue d'avancer. Ne cherche pas à réfléchir.
Une fois au-dehors, ses yeux incandescents s'arrondirent d'horreur. Toutes sortes de créatures cauchemardesques s'étaient jetées sur la Locomotive. Marisa découvrit entre autres choses des ours dont la gueule se résumait à deux mâchoires métalliques dentelées, un gigantesque oiseau de proie avec une longue seringue à la place du bec, ainsi qu'un affrontement entre une araignée grimaçante pourvue d'un abdomen à l'image d'une machine à vapeur en pleine confrontation avec un titan charbonneux à gueule de canon.
Ignore-les tous ! Détourne ton regard de ces damnées créatures. Répète-toi tel un mantra qu'elles ne sont pas réelles, puis file te mettre à l'écart !
Les membres tremblants, Marisa obéit. Et elle ne fut pas la seule à ressembler à un zombie ; inexpressive, le visage éteint, Madame Noël était réapparue et la suivait aussi.
Elle n'a toujours pas repris connaissance et pourtant... ?
Marisa faillit bien être contaminée par son scepticisme. Elle gémit entre ses lèvres serrées. Yggdrasia mit ses propres pensées de côté et la força à reprendre la route à pied.
Seule lumière dans la nuit noire, la Rose de Feu dévorait inlassablement la distance. Une sueur incandescente perlait de son front et, assez rapidement, se transformait en vapeur avant même d'attendre son menton. Madame Noël la talonnait toujours, colosse au féminin dont les membres lourds étaient soutenus par des fils qui se perdaient dans la voûte ténébreuse.
Attends !
La Dryade sentit plus qu'elle ne vit la végétation qui cernait cette petite cabane, au loin, dans cette curieuse bulle de lumière...
Etait-ce un autre piège de ce monde absurde ?
Quelle autre option leur restait-il sinon s'en approcher à pas de loup ?
Va, petite flamme. Mais ne te précipite surtout pas.
En raison du contraste, Marisa dut plisser les yeux tout en alignant un pied devant l'autre. Elle n'osait plus parler et se dirigeait machinalement vers cette maison abandonnée qui, avec un peu d'imagination - réconfortante ? - ressemblait grossièrement à sa précieuse petite ferme.
- Elles ne sont pas réelles. Pas réelles. Elles ne sont pas réelles. Pas réelles, mumurait-elle.
Yggdrasia s'en voulait un peu de lui avoir infligé ça. De l'avoir mise dans cet état. Pour autant, cela s'était avéré indispensable à leur survie. Et elle ne voyait pas d'autre solution que de poursuivre sur cette abrutissante lancée. De faire serpenter sa protégée lobotomisée, ainsi que son accompagnatrice zombifiée, autour de ces étranges bandes blanches qui garnissaient un sol herbeux et inondé.
Les lois de cet anti-monde, Il allait leur falloir les assimiler à la dure.