The Multiversity

[Camille Marquise]

Si seulement Camille avait eu écho des pensées de Korë. Peut-être que… Peu importait car il se serait excusé. Il se serait senti coupable. Il n’aurait plus su où se mettre. Mieux valait que la vie continue son cours de cette façon pour le moment. Lui ne retenait que ses doigts entrelacés dans ceux de Korë. Et cela lui réchauffait le cœur. Déjà qu’il devait parfois s’affronter lui-même parce qu’il n’était pas à l’aise de tromper sa femme… (même si cette dernière aurait adoré enserré dans sa queue caudale les deux invitées de son mâle. Ses écailles auraient vibré pour les stimuler. Et tout cela aurait fini en orgie… Mais la situation était autrement intellectuelle qu’érotique présentement !)

Camille n’en revint pas de la pertinence de l’intervention de Korë. Bien évidemment, il n’eut rien à ajouter.

De son côté, Vi ne répondit pas immédiatement comme si elle avait à se justifier. Elle semblait à la maison. Elle marchait d’un pas léger. Son regard se perdant sur des choses sans intérêts comme si c’étaient les merveilles de ce monde.

Vi : « L’Académie est un lieu formidable. C’est un établissement magique qui ne peut être dessiné sur aucune carte. Même sa propre Histoire est magique. A l’instar du monde, un jour il n’y avait rien. Et le jour suivant, la Création avait fait son office. J’y mets une majuscule mais cela ne signifie pas que la Création soit une entité connue. C’est une manière de s’exprimer. Et son Maître, ou Maîtresse, est une figure mystérieuse et éternelle. Il est dit que tout le monde la rencontre de temps à autre. Mais qu’un mystérieux sortilège nous le fait sortir de ses mémoires. Au contraire de ses apprentissages. »

Elle fit une pause. Non pas parce qu’elle en avait besoin. Ou qu’elle s’essayait à un effet de style. Mais parce que ses yeux « éteints » venaient de se poser sur le vol d’un papillon. Elle s’accroupit pour l’observer sans le déranger. Le papillon repartit. Elle se releva et reprit son explication qu’on lui avait demandé.

(était-ce vraiment un événement de coïncidence ? Se pouvait-il que le papillon ait été envoyé pour lui imposer une pause dans ses révélations ?)

Vi : « Je n’ai pas à proprement un métier. Ou un rôle dans une sorte d’organigramme. L’Académie est avant tout un endroit de liberté et de connaissances. Comment pourrait-on expérimenter et découvrir des nouveautés en se conformant à des structures rigides et des emplois du temps ? Je vais là où on a besoin de moi. Parce que je peux voyager librement. Parfois je voyage même sans savoir pourquoi. Et parfois également, j’ai voyagé et je n’ai pas compris pourquoi. »

Camille comprit que la suite allait être personnel. Il ne put s’empêcher de s’arrêter alors que quelques mètres seulement les éloignaient des marches à grimper pour rentrer dans son manoir.

Vi : « Camille Marquise est un dommage collatéral. Excusez-moi pour ce terme qui manque d’une jolie métaphore. L’Académie a des vues sur Korë Grémorya. Un être capable de donner naissance magiquement à des créatures. Un être qui pourrait être affilié à la magie Rose, celle de l’Amour. Mais pas seulement. Car cette magie spécifique permet de donner aux Couleurs un canal par lequel s’exprimer. Avec Camille Marquise, ça a été le Gris. La prochaine fois, cela pourrait le Sang ou l’Or. Y a-t-il des règles ? Y a-t-il des explications profondes à ces naissances ? Quelle est la destinée de Korë Grémorya ? L’Académie a très faim de ces connaissances et-… »

Soudainement, Camille tira sur la main de Korë pour la mettre « à l’abri » derrière lui.

« Vous ne me l’enlèverez pas ! »

Il se retourna vers elle, soudain tout penaud.

« Excuse-moi. Je sais que tu n’as pas besoin d’être protégée. Et que tu es parfaitement libre de partir. J’ai agi par pulsion et non par raison. Excuse-moi encore une fois. »

Derrière lui, Vi observa avec le regard d’une femme qui aurait pu avoir la sagesse de plusieurs centenaires. Ce qui pouvait aussi exprimer cette impression de tristesse dans ces prunelles et son fin sourire actuel.

[Korë Grémorya]

La nouvelle arrivante, bien plus à l'aise que le contraire, semblait ne rien avoir à cacher au sujet de sa précieuse Académie. Tandis qu'elle analysait son environnement avec un certain ravissement, Vi parlait. Et elle avait vraisemblablement beaucoup de choses à dire, car elle commença par le début en mentionnant la Création avec un grand C, allant même jusqu'à comparer la naissance du monde à celle - tout aussi inexplicable - de son sanctuaire du savoir. Le Maître ou la Maîtresse des lieux, par contre, se montrait plus ouvert et instructif avec ses hôtes. Il ou elle était si puissant(e) et mystérieux que rien ne pouvait empêcher ses interlocuteurs d'oublier le moindre détail le/la concernant après chacune de ses rencontres.
L'on ne retient donc que ce qu'il s'imagine être utile...
C'en était presque inquiétant ! Et gênant pour une conteuse qui, à ce moment là, regretterait fortement cette absence de souvenirs... si cela lui eut été encore possible d'y penser, tout du moins.
Par bonheur, il est question d'un "être" à part. Tout le monde ne fonctionne pas de cette manière.
S'abstenant de tout commentaire pour ne pas décourager leur informatrice dont les yeux vagabondaient un peu dans tous les sens, Korë but ses paroles au sujet de la liberté et des connaissances. A l'entendre, le fonctionnement ambigu de l'Académie se conformait aux principes mêmes de la bardesse - une nomade avide de découvrir de nouvelles cultures.
Vi lui fit alors penser à un oiseau migrateur. Du genre à choisir l'endroit qu'il lui plaît, dans un climat propice, pour vivre sans jamais avoir à pâtir du renouvellement des saisons. L'Académie ne représentant à ses yeux qu'un nid tout juste un peu plus grand et douillet que les autres.
Est-elle venue nous rendre cette petite visite sous le simple coup du hasard ? Quelque chose en moi me souffle le contraire...
Son œuf ? Son instinct ?
Korë ne savait pas trop. Et elle n'eut guère davantage le temps de s'en soucier.
Elle tourna son regard vers Camille, qui s'était arrêté à quelques pas du porche de son imposant manoir.
Il a dû ressentir quelque chose, lui aussi. Je le lis sur son visage. Je le sens à travers ses doigts.
Qu'elle serra doucement dans les siens. Même dans ces conditions, ce contact n'avait rien de désagréable.
C'est alors que Vi en vint aux faits.
La Wyvérienne était leur nouvelle priorité. L'Académie la considérait comme un sujet d'étude particulièrement intéressant, et-
Camille, le soi-disant dommage collatéral, força la bardesse à se tenir derrière lui.
Il ne la voulait que pour lui - son cri du cœur ne laissait planer aucun doute là-dessus.
Passablement surprise, Korë croisa son regard riche en émotions. Elle porta instinctivement sa main libre à son propre cœur, qui s'était mis à battre un peu plus vite. Les excuses de son sauveur la firent sourire de douceur.
La Wyvérienne détacha sa main de sa poitrine légère pour la lui déposer sur la joue du même hémisphère.

- Excuses inutiles, souffla-t-elle avec une parfaite bienveillance. Je n'ai aucune envie de partir, Camille. Aucune envie de te fausser compagnie...

Mais ?
Elle soutenait toujours son regard, l'attendrissant avec le sien dont le rouge vif n'était qu'amour.

- Je ne pense pas que Vi nous mente à tous les deux. Je ne pense pas non plus qu'elle n'est qu'un simple instrument d'une organisation aussi maléfique que celle d'Elfrydd.

Elle observa l'intéressée, qui s'était également figée devant l'entrée pour les regarder.

- A mes yeux, vous ne pouvez pas être quelqu'un de mauvais. Je sens que c'est impossible - sans trop savoir comment me le justifier. Vous êtes une voyageuse intemporelle dont je ne saurais deviner l'âge rien qu'en vous contemplant. Vous êtes aussi belle que mystérieuse, à l'instar de ce que pourrait représenter l'Académie à nos sens...

Cette fois-ci, elle eut un sourire empathique.

- Enfin, vous êtes tous les deux pleins de lacunes, que vous cherchez à éclipser à travers une perpétuelle quête de connaissances. Ce qui pourrait s'avérer dangereux. Vous donner possiblement des idées un peu... extrêmes, si j'ose dire.

Comme orchestrer un enlèvement, par exemple. Ce que la Wyvérienne peinait toutefois à concevoir, avec cette ravissante jeune femme qui leur faisait face. Qui avait pris la peine de se présenter, en plus de leur décrire son principal lieu de vie.
Korë secoua doucement la tête.
Elle n'avait pas lâché la main ferme de son fidèle compagnon.

- Vous vous fourvoyez au sujet de Camille Marquise, déclara-t-elle un peu plus fort qu'elle l'avait sans doute voulu. Il n'est pas qu'un "dommage collatéral". Il est beaucoup plus que cela, car cet homme est celui qui m'a arraché aux griffes de mon tourmenteur. Il est en prime celui avec qui j'ai partagé les pouvoirs d'un de mes œufs - chose qui n'est jamais arrivée auparavant. Il est un être sensible à ma magie, bien qu'il ne sache pas encore l'utiliser à son plein potentiel. Il est également un père de famille attentionné avec qui - je n'ai pas honte de le dire - j'ai passé une nuit merveilleuse. Un parent tout à fait respectable qui - vous le savez sans doute déjà - m'a offert une nouvelle chance de donner naissance à une wyverne viable.

Elle se tourna vers lui, face à face, le prenant par les deux mains.

- Tu es quelqu'un d'admirable, Camille Marquise, mon sauveur et protecteur de cœur. Mais je pense qu'au vu des circonstances, nous aurions tort de tourner le dos à cette curieuse Académie.

Elle déplaça leurs mains chaudes sur son ventre, qui n'avait pas encore pris de volume.

- Nous allons certainement avoir besoin d'aide. Lorsque notre œuf aura éclos, et que notre enfant se sera matérialisé dans notre monde.

Elle se le figurait en colère et aussi perdu que ses prédécesseurs. Agressif, au point d'en devenir mortellement dangereux. Telle la descendance diabolique d'Elfrydd.

- Je dois m'attendre au pire, Camille. Alors en fin de compte, c'est plutôt à moi de te présenter des excuses...

Son sourire se fit piteux.
Elle n'avait pas confiance en ses facultés. En sa capacité insolite de donner la vie à des bêtes aussi effroyables que prodigieuses.
En revanche, elle avait confiance en lui. Suffisamment pour l'avoir autorisé à ce qu'elle leur fasse un œuf.

[Camille Marquise]

L’attente ne semblait pas être un problème pour Vi. Elle laissa Camille et Korë discuter et elle le fit sans leur imposer son regard ou se présence. A un point tel qu’elle semblait pouvoir se faire oublier. Mais la conversation entre l’ex-prisonnière et l’empoisonneur ne dura pas assez longtemps pour tester cette théorie.

Vi : « L’Académie peut devenir ce refuge que vous cherchez pour votre enfant, comme vous le nommez. »

« On ne sait pas à quoi il ressemblera… »

Camille s’adressa autant à Vi qu’à Korë. Puis son regard se porta au loin, sur son domaine immense où normalement personne n’aurait du entrer. Pas même un joli bout de petite femme comme l’était Vi. Camille n’y était pas insensible. Mais ce n’était pas le moment car son esprit était tourné vers ses propres enfants.

« Et il n’est pas question de partir d’ici, même pour un lieu incroyable comme semble l’être cette Académie, en laissant mes enfants derrière moi. »

Vi : « Bien entendu, ils pourront venir eux aussi. »

« Je n’ai jamais dit que j’étais d’accord. Peut-être que ma femelle sera revenu avant que Korë ponde. »

Vi : « Femelle ? »

« Oui, femelle. C’est une lamia. Une lamia echidna pour être précis. Normalement, elle aurait dû me dévorer il y a des années de cela. Car c’est une prédatrice de l’être humain. Au lieu de ça, elle m’a secouru. Bouleversé ma vie. M’a changé et m’a donné des enfants. »

Vi : « Je comprends le tableau d’ensemble. Si vous n’êtes pas un être d’exception, Camille Marquise, vous baignez assurément dans des événements exceptionnels. C’est intéressant. Mais que souhaitez-vous faire à présent ? Votre invitation au thé tient toujours ? Vous préférez attendre sur le pas de votre manoir le retour de vos enfants ? Vous savez, nous pouvons également les rechercher. Toute solution me convient également. »

« Merci. C’est gentil de me complimenter. Enfin, il m’a semblé que c’en était une forme. Etrange, mais une forme quand même. Je leur fais confiance. A mes enfants et à ce terrain. Ce n’est pas n’importe qui qui nous l’a offert, à ma femelle et à moi. Je serai choqué d’apprendre qu’un deuxième inconnu ait réussi à outrepasser les protections. »

Et pourtant, pauvre petit organe qui devait être choyé. Non que le cœur de Camille souffrait d’une faiblesse, mais il ne faisait pas partie de ces héros légendaire au sang-froid imperturbable. Car il y avait toujours là-bas, dissimulé dans une portion de la forêt, le Commandant Lancelot aux aguets. Seulement, le Destin semblait entrelacer maintenant l’Académie d’une manière plus reserrée. Ce n’était pas un drame. Le Commandant Lancelot pourrait alors faire sa première apparition dans la Taverne auprès d’Arxa.

« Entrons, mesdemoiselles. »

Vi (à l’attention de Korë) : « Vous avez mentionné un dénommé Elfrydd. Est-ce ce même détestable individu qui encadre l’horreur ? Telles des ailes de papillon géantes ou celles d’elfes ? »

De son côté, Camille était déjà affairé à faire chauffer de l’eau et préparer sur un plateau quelques tasses. Quel mélange d’herbes et de fleurs serait au goût de ces deux invités ?

[Korë Grémorya]

Camille n'avait que trop raison sur ce point : ils ignoraient à quoi ressemblerait - non pas leur enfant - leur progéniture. Korë, à force d'expérience, était même bien placée pour le confirmer. Elle ne jugea pourtant pas nécessaire d'enfoncer le clou - qu'elle aurait surtout senti s'enfoncer dans ses propres chairs.
Avec un peu de chance, il ne s'agira pas d'un monstre assoiffé de sang.
Que lui restait-il sinon l'espoir ? Wyvérienne Crépusculaire ou pas, la bardesse continuait à s'y cramponner. Au moins par égard pour son sauveur, qui lui avait offert l'asile. Ce même sauveur qui avait fait deux beaux enfants à une lamia echidna.
Vi fut mise au courant de ce fait en même temps que l'objet de sa venue. Pas de jalouse, donc !
Camille n'est pas spécial en lui-même ; c'est son entourage qui lui a permis d'éveiller son importance, de devenir celui qu'il est aujourd'hui.
Elle trouvait cela magnifique.
Le généreux propriétaire de ce manoir n'hésita pas à en vanter les mérites. Ce lieu se voulait sûr, sécuritaire pour l'ensemble de son cercle familial.

- J'ai confiance, affirma Korë. Et puis Vi ne m'a pas l'air d'être n'importe qui ; nous pouvons la considérer comme une exception bienvenue.

Plutôt que de partir à la recherche de ses enfants ou d'attendre bêtement sur le palier, Camille leur proposa d'entrer. Ses deux invitées s'installèrent dans le grand salon tandis que lui s'en était allé préparer le thé. Guère friande des produits corsés, Korë s'attendait à déguster quelque chose de doux et de parfumé. Des mets issus de la forêt voisine, peut-être ?
Vi redirigea ses pensées ailleurs. Vers un horizon plus sombre. Vers cette ombre qui était parvenue à lui donner un plaisir impie, dans et au-dehors de cette infâmante cage à oiseau...

- Cet Elfrydd, répondit la Wyvérienne en laissant son regard se perdre dans l'âtre sec de la cheminée. Ce même homme cruel, qui m'a capturée et fait sienne plusieurs jours durant.

Elle ne laissait transparaître aucune émotion sur son visage. Porter un masque, la bardesse savait faire dans des circonstances comme celles-ci.

- Influent, attirant et puissant. Tels sont les qualités inhérentes à ce boucher costumé.

Elle finit par déplacer son regard couleur rubis sur le minois lisse et placide de sa compagne.

- J'ai pondu un œuf de lui. Camille, comme hypnotisé, a posé les mains dessus lorsque je l'ai expulsé de mon corps. Je crois que c'est au moment où je suis entrée en contact avec lui que nous en avons partagé le pouvoir. Je n'ai pas d'autre explication à cela et...

D'une secousse de la tête, la bardesse marqua son refus d'aller plus loin avec ce sujet. Elle embraya plutôt sur cet élément d'importance qui, lorsque ses pensées n'étaient pas tournées vers le présent, revenait souvent la hanter :

- J'ignore ce qu'il est advenu de cette... progéniture. Tout ce que je sais sur son compte, c'est qu'elle s'en est pris à la ville entière, ne laissant que ruines, morts et renégats dans son sillage.

Et Vi ? Que savait-elle, au juste ? Avait-elle vu quelque chose ? Avait-elle... entendu des rumeurs, au sein de cette Académie ?

- Elfrydd, son ascendant paternel, lui a survécu puisqu'il nous a envoyé ses éclaireurs.

Dans ce bâtiment où ils avaient abandonné leurs affaires. Vêtements et instruments de musique compris. Des objets susceptibles d'offrir un lien utile à leurs sournois ennemis.
Ce manoir était-il vraiment un lieu sûr ?
Avec Elfrydd et sa clique, il n'y avait aucune certitude.

[Camille Marquise]

Quand il revint avec un plateau contentant une théière avec de l’eau chaude, des tasses au style de Delft et quelques gâteaux secs : ce fut pour entendre le terrible nom d’Elfrydd… Le visage de Camille s’assombrit en conséquence. La vaisselle s’entrechoqua un peu sur le plateau sans risquer de tomber et se briser en plusieurs morceaux. Le choc était passé.

« Si j’avais pu, je l’aurai empoisonné… »

Une messe basse. Camille n’était pas fier de souhaiter faire du mal à autrui. Peu importe son degré de malveillance. Chaque victime de sa main était un poids dans son cœur. Une raison supplémentaire de se réveiller en pleine nuit, en sueurs. Il n’était pas un tueur. Mais la vie l’avait placé sur une voie qui avait nécessité qu’il perde de sa gentillesse. Pour lui. Pour sa femelle. Ses enfants. Et aussi pour le plus grand nombre.

Mais il n’était pas un menteur. Alors, quand il reprit un visage souriant et étincelant, Vi et Korë avaient largement eut le temps d’assister au changement d’expression. Camille le savait. Et il fit comme si rien ne s’était passé.

« Je préférerais que ce nom ne soit plus prononcé dans ce manoir, s’il vous plaît. Il a provoqué trop de maux. Le nommer, c’est lui donner un petit plus de puissance d’existence, je crois. Certaines en ont fait les frais. »

Son regard se posa sur Korë. Il lui en voulut un petit peu. Parce qu’en réalité, il avait tout entendu. Elle l’avait trouvé influent, attirant et puissant. Elle s’était donnée à lui. Emprisonnée dans cette magnifique cage d’oiseau doré. Camille savait tout ça. Pas dans les moindres détails, certes. Mais il s’en voulait qu’un homme comme Elfrydd puisse avoir une telle vie. Et que des demoiselles comme Korë puissent se damner pour un homme pourri tel qu’Elfrydd.

Son visage en fut tiraillé d’afficher ses vrais sentiments et le côté de sa personnalité qui positivait tout le temps.

Et puis il dut s’asseoir. Une terrible possibilité flasha en une visualisation trop nette. Sa petite Eve, quelques années plus tard, emprisonnée dans la prison dorée d’Elfrydd. Avec cette même expression que Korë. En sachant que c’était mal. Mais en ayant vécu tout le bien que le corps et l’expérience de cet homme expérimenté connaissait.

Son poing se serra de fureur.
Pendant ce temps, Vi assista à cette lutte intérieure de son hôte sans prononcer un seul mot.

Vi : « Je ne suis pas une guerrière. Je suis principalement une voyageuse. Je n’irais donc pas dénouer le fil de la vie de cet homme dont le nom doit tomber dans l’oubli. Mais je pourrais aller voir. S’il y a des Couleurs dans la maison de cet homme, je pourrais m’y rendre. Bien entendu, toute tentative est un risque en soi. Je pourrais ne pas pouvoir revenir. Mais peut-être dois-je m’y rendre ? Je me questionne maintenant. Connaître cet homme. Connaître la destinée de cette progéniture pour en informer sa mère. Qui sait ? Ici n’était peut-être qu’une étape furtive. »

[Korë Grémorya]

La tête de la bardesse pivota en direction de leur hôte. Il était revenu les bras chargés d'un service à thé. Sa "maladresse" ayant secoué et fait s'entrechoquer le délicat matériel heureusement vierge de tout liquide. Korë se garda bien de loucher sur les petits gâteaux secs. Même si elle commençait à avoir une légère fringale. Par ailleurs, l'expression faciale de Camille la captivait bien davantage que ces quelques mets ; ses émotions qu'il n'avait pas su, sous le coup de la surprise, leur cacher, à Vi et elle.
La Wyvérienne comprenait très clairement sa requête.
Elfrydd a provoqué trop de maux. Et il continuera, hélas, à en engendrer plus encore...
Elle hocha silencieusement la tête, supportant le regard de l'empoisonneur sans sourire aucun. Camille déposa le plateau. Là encore, il ne renversa rien ; malgré sa froide colère, il était resté - à peu près - maître de ses mouvements.
Chercher à canaliser sa fureur plutôt qu'à la libérer n'est pas toujours une saine façon de faire.
D'un autre côté, la bardesse n'avait pas très envie de subir un accès de colère simplement pour avoir eu le malheur de prononcer le nom d'un grand vilain.
Motus et bouche cousue, donc !
Une expression que Vi ne connaissait sans doute pas ; la femme aux allures de poupée mentionna ouvertement sa potentielle intention de rendre une petite visite à Elfrydd au sein même de son repaire afin d'y effectuer une étude plus poussée.

- Je ne peux que vous le déconseiller fortement.

Même si savoir ce qu'il était advenu de sa progéniture l'intéressait, la Wyvérienne trouvait cette escapade de mauvais goût beaucoup trop dangereuse.

- Je ne vais pas vous mentir : il y a sans doute des Couleurs dans l'antre d'El-... (Elle regarda Camille avant de reporter ses yeux rouges sur le visage placide de Vi.) de cet homme. Vous pourriez très bien vous en servir pour votre voyage, mais m'est avis qu'il ne serait qu'à sens unique.

Prenant le relais de leur hôte, Korë assura la finalité du service en leur préparant une modeste tasse parfumée aux herbes. Elle s'installa ensuite sur un siège, non loin de l'âtre. Camille se trouvait entre ses deux invitées. Cerné par deux bouts de femme dont les douces odeurs enchanteresses, malgré les senteurs du thé, pouvaient facilement parvenir à ses capteurs olfactifs.

- Je ne vous connais pas beaucoup, Vi, mais j'ai le sentiment que vous perdre ou ne pas vous revoir du tout me chagrinerait.

Pensée un tantinet égoïste. La Wyvérienne ne se voulait guère pragmatique avec ses alliés. Vi, jusqu'à preuve du contraire, comptait parmi les siens. A défaut de se faciliter la vie par le biais des faveurs d'une apprentie espionne, elle espérait ne pas se faire tromper par son instinct...

- Un "étape furtive", répéta la bardesse en soulevant délicatement sa tasse. Ça aussi, ce serait dommage. (Elle souleva sur le liquide fumant.) N'expédions pas ce moment de pure courtoisie, voulez-vous ? Servons-nous-en plutôt pour raffermir nos liens qui, dans le futur, pourraient bien nous être d'un grand secours.

Pour ne pas dire vital ? Car sans Camille, Korë aurait continué à servir de jouet ou de matrice maléfique pour Elfrydd. Son sauveur était dès lors devenu autrement plus important que ce diable à face humaine qui, pour la capturer, n'avait pas hésité à lui envoyer une poignée de ses hommes qu'elle avait à moitié tués dans la rue.
Le dit bienfaiteur percevait-il toujours la reconnaissance dans son regard couleur rubis ?
Quand elle le regardait, ce sentiment - son éternelle redevabilité - pointait toujours. Une lueur quoique discrète qu'elle ne dédiait rien qu'à lui, et à lui seul.
Elle loucha paresseusement vers un de ces petits gâteaux...

[Camille Marquise]

Camille broyait du noir. Elfrydd avait réussi à pénétrer dans son manoir. Et ce n’était pas en interdisant de le nommer qu’il allait être exorciser. Pour preuve, il ne pensait plus qu’à lui…

Pendant ce temps, Korë l’avait remplacé. Elle s’occupa de remplir les tasses et de ne pas laisser le silence appesantir tout le monde. Elle parla avec Vi et ce fut avec un temps de retard qu’il réalisa qu’il était un obstacle entre elles deux. Pourquoi Korë avait-elle décidé de les gêner ?

Son oreille entendit toute la conversation. Même si son cerveau demeurait impénétrable car un plan commençait à se tisser : celui de s’échapper de son manoir, de se ré-équiper et de repartir dans cette ville ruine pour débarrasser un monde de son tyran.

Sauf que ses « grandes » idées furent balayées d’un coup d’un seul en découvrant l’expression de Korë. Oui, peut-être qu’il avait bien capté son sentiment de reconnaissance. Mais ça n’avait pas permis de le délivrer de sa propre « cage à oiseaux ». Il rit soudainement en la découvrant loucher sur les gâteaux secs !

« Ah ah ah ! Ne me dis pas que tu attends ma permission ? Ah ah ! Tu es une adulte, Korë. Sers-toi si tu en meurs d’envie. Ils sont là pour ça. »

Il n’était pas de ses séducteurs alors il musela sa pensée mais…

*Et si par hasard tu devais craindre de prendre un peu de poids, je pourrais me sacrifier pour quelques sessions de sport dans la chambre que nous avons partagé. *

Au lieu de cette douce provocation, il se contenta de tirer le bout de sa langue comme un enfant. Un peu de positivité ne pourrait pas faire de mal dans cette trop grande pièce !

« Korë a raison ! Vous êtes magnifique et intrigante. Ma femelle ne rentrera pas avant au moins quelques jours. Peut-être même quelques semaines. Tout cela pour dire que ce manoir est suffisamment grand et vide pour vous héberger. Et puis… »

Camille tourna la tête vers Korë avec une expression de bienveillance.

« Vous ne serez surement pas de trop à aider Korë à donner naissance. Ce n’est pas le travail d’un homme, je crois. Sans être insultant ou quoi que ce soit, il me semble que si sur cet autre monde le travail se nomme « sage femme », ce n’est pas sans raison. Et je crois que Vi est une personne très sage. Qui plus est, j’ai déjà eu la chance et l’opportunité de toucher ce miracle de mes mains nues. Je ne voudrais pas risquer de tout perdre à vouloir deux miracles pour mes fins égoïstes en si peu de temps. »

Ses yeux se baissèrent sur ses mains. Il se souvint de l’acier magique. Qui le ramena dans cette chambre où il avait vécu un moment intense avec Korë ! Avant d’être ramené à la réalité par une bataille contre des zygotes… sur le monde de ce funeste et satané… Elfrydd…

« Excusez-moi. Je crois que je vais vous laisser. Je n’ai pas le moral et je ne voudrais pas qu’il se répande comme une maladie. »

Camille était déjà en train de se lever pour aller faire une longue promenade dans son immense terrain quand Vi intervint.

Vi : « J’accepte de demeurer dans ce manoir. Et je ne pourrais pas y demeurer sans rembourser ce service par un autre. Je sais qu’à certains endroits, il est tabou de proposer du sexe. Je le propose. Etant donné votre situation particulière à tous les deux, je puis aussi vous proposer des cours d’introduction aux Couleurs. Ou bien essayer de vous conseiller à mieux contrôler la magie qui s’est niché en votre être. Sans être une spécialiste, je pense avoir passé suffisamment de temps dans les couloirs et salles de l’Académie pour avoir quelques bottes secrètes en réserve. »

Elle n’avait pas bougé. Toujours assise, toujours si fièrement dressée comme si elle était à l’épreuve de tout. Du sang-froid et une grande beauté qui tendant vers une tendresse doublée d’une bonhommie. Si ce sang-froid pouvait être rapporté à sa probable condition de « poupée vivante », Vi n’en demeurait pas moins exceptionnelle.

[Korë Grémorya]

Distraite, un peu tendue ou pas du tout, Korë accusa un léger sursaut en captant le rire bon enfant du dernier homme avec qui elle avait partagé sa couche. Il avait surpris son regard insistant, et voilà qu'elle passait pour une petite gourmande immature.

- C-ce n'est pas ça que j'attendais...

Sa permission ? Non, elle aurait bien voulu ne pas piocher la première parmi ces alléchants petits gâteaux. Histoire de ne pas avoir à passer pour la plus affamée du lot, voyez-vous ? Malheureusement, lui s'en était rendu compte. Et Vi qui n'avait pas l'air encline à se servir tout de suite...
Le mal est fait.
Elle mangea la première, donc. Lentement, par toutes petites bouchées. Comme s'il avait été question de savoureux macarons.
Entre-temps, Camille approuva l'opinion de son amante avant d'en venir à quelque chose qui leur tenait à cœur à tous les deux.
A cette nouvelle naissance - ou ponte ? - qui, cette fois-ci, donnerait vie à un être en lien avec eux deux.
Vi allait donc assister à cet évènement en y jouant le rôle de sage femme.
Korë n'eut pas beaucoup à réfléchir.

- Oui, votre présence nous serait d'une grande aide.

Le subit changement d'attitude de Camille détourna son attention. Elle comprit aussitôt qu'il envisageait de se retirer avant même de le déclarer.
La Wyvérienne n'eut pas à protester ; Vi, avec un calme souverain, le fit à sa place non sans proposer plusieurs... choses au couple.
Du sexe ? Avec nous ?
Très brièvement, Korë regarda son "compagnon de jeux originaux".
Oserait-il leur proposer, à toutes les deux, une séance de son cru ?
La bardesse n'y verrait aucun mal. Le sexe était un tabou ni pour elle ni pour les siens. Sans avoir à vendre son corps comme une prostituée quand elle ne chantait pas face à un public, Korë s'en servait pour vivre. Biologiquement, elle était bien incapable de s'en passer, de faire autrement. Ce qui n'était pas faute d'avoir essayé. Un sevrage totalement inutile !
Vi concentra de nouveau son attention.
Elle leur avait également proposé un cours d'introduction aux Couleurs. Un sujet qui intéressait de plus en plus son auditoire.

- Je vous trouve très généreuse...

Sans y avoir encore trempé les lèvres, Korë tenait sa tasse.

- Je préfère de loin vivre tout cela avec vous plutôt que de vous savoir en un lieu dangereux.

D'une inclinaison du menton et d'un regard appuyé, elle enjoignit Camille à retrouver sa place pour discuter de tout ceci.

- Camille aura besoin de vos conseils pour affiner ses nouveaux talents magiques ; étant donné que j'ai l'habitude d'en découvrir comme d'en user, les miens me sont suffisant.

Elle se tut un instant. Au cas où le propriétaire du manoir souhaiterait en glisser une ?

- En revanche, j'écouterai tout ce que vous aurez à dire au sujet des Couleurs. Ces dernières me semblent primordiales. Je pourrais même envisager d'écrire une chanson dessus. Afin d'égayer les cœurs.

Elle haussa les épaules. Comme si ce n'était qu'un détail pour elle : la professionnelle des rues et des tavernes.

- J'accepte également votre première proposition, mais à l'unique condition que notre hôte n'y voit pas non plus d'inconvénient.

Elle adressa un petit sourire à ce dernier. Le droit de décision lui revenait.

[Camille Marquise]

Soulagement. La proposition sulfureuse de Vi avait été passé sous silence. Korë s’intéressait aux Couleurs, à la magie. Soudainement, Camille était très intéressé de l’entendre chanter. Il faudrait qu’il lui montre une salle de son manoir. Lui présenter quelques instruments de musique. Etre son auditeur privilégié lui faisait un petit quelque chose. Il fut donc sorti brusquement de la pièce en entendant Korë accepter de se retrouver toutes les trois nues dans son lit. Lui avec deux femmes ! Deux magnifiques femmes, il devait le reconnaître.

« Je- ! Ah ! C’est mal passé. » dit-il en se tapotant la poitrine pour faire passer la douleur d’avoir mal avalé une gorgée de thé.

« Je ne-… Il ne faudrait pas que-… » bredouilla-t-il alors que l’idée faisait son petit bonhomme de chemin.

Peut-être Vi avait-elle quelques compétences en psychologie car elle intervint et sauva le propriétaire du manoir du marasme de ses sentiments.

Vi : « Les Couleurs sont un vaste sujet. Vous avez mentionné l’art de la musique. Qui pourrait être aussi nommé l’art des vibrations. Chaque vibration a sa fréquence. Chaque fréquence peut être coloré. Vous, par exemple, vous me faites penser au cyan avec vos cheveux. Le cyan vibre à environ 590. Je ne crois pas qu’il soit « esthétique » de parler d’unité de mesure. Bien qu’il soit important. Il pourrait être contre-productif lorsqu’on évoque l’art avant la science. Mais créer de la musique, c’est composer avec les lois de l’univers. Ca revient donc à produire de la magie. Je serais ravie de vous aider à composer une musique sur les couleurs et Couleurs. »

Camille avait suivi la leçon avec les esgourdes grandes ouvertes. C’était passionnant. Lui qui n’avait toujours vu que des couleurs « basiques ». Qui s’était toujours contenté d’écouter de la musique avec, au maximum, l’idée de se motiver ou au contraire, de se renfermer davantage sur lui-même en écoutant une musique qui le berçait dans sa mélancolie ou tristesse. Mais aujourd’hui, il avait la sensation que tout ce qu’il avait toujours connu était chamboulé. Qu’on lui avait appris le monde avec les bases. Des bases fausses. Mais des bases nécessaires pour aller plus loin.

Vi : « Laissez-moi reformuler de façon concise la suite des événements. J’aime quand il n’y a pas d’ambiguïté. La vérité peut être blessante aux premiers instants. Mais elle permet d’avancer avec sérénité par la suite. Donc, je propose de passer du temps avec mademoiselle Korë pour ressentir ses pouvoirs. Ce qui me permettra de passer du temps avec monsieur Camille pour éprouver le sien. Ensuite, je pourrais à nouveau passer du temps avec mademoiselle Korë pour l’aider à concevoir une chanson magique. Bien entendu, tout cela peut se vivre en étant toujours tous les trois. Comme cette proposition sexuelle que plussoie mademoiselle Korë en attendant la bonne volonté de monsieur Camille. »

« Aah ! Alors, euh… » commença-t-il en levant les mains devant lui.

Vi : « Nul besoin de ressentir un quelconque degré de panique. Prenez votre temps avec vos sentiments. Il me semble que vous êtes ici avec deux femmes ouvertes d’esprit et bienveillantes. »

« C’est d’accord. Enfin, je vous propose d’abord de passer déjà notre prochaine nuit toutes les trois dans mon lit. Je ne suis pas un animal en rut. Je ne suis pas de ce genre d’homme à profiter sans vergogne des femmes. Sans compter que je suis père de famille. Je dois m’occuper de mes enfants et de leur éducation. »

Vi : « C’est tout naturel. Vous avez devoir d’éducation. Et c’est une chose que je valorise, provenant moi-même de l’Académie. Que pensez-vous de tout cela, mademoiselle Korë ? »

[Korë Grémorya]

La timidité de l'empoisonneur avait ce petit quelque chose de mignon. Korë n'en gloussa pas, n'en rit pas non plus. Elle savait se tenir et garder pour elle ce qui peut nuire à une relation. Et elle tenait à ne surtout pas écorcher celle qu'elle entretenait avec, non pas un simple empoisonneur, mais un jeune homme capable, de surcroit père de deux enfants, qui avait su la sortir d'un guêpier et l'accepter pour ses... particularités.
Vi avait remis sur la table le captivant sujet des Couleurs, non sans y mêler la musique. La bardesse l'écouta de bout en bout, considérant subitement le cyan qui composait sa chevelure d'un œil autrement plus riche. Elle préférait un commentaire sur cette couleur plutôt que sur celle de ses iris flamboyants.
Le Rouge n'est pas que passion. Il est parfois synonyme de férocité, de colère et de violence...
Peut-être était-ce cela qui rendait sa descendance aussi agressive ? Cette Couleur dans laquelle ses œufs trempaient ?
Non, cela ne pourrait être aussi simple. Pas lorsque la magie et la biologie s'entremêlent au sein d'un même ventre.
Elle but une gorgée de son thé. Suffisamment grande pour recouvrer son calme intérieur.
Un soupir lui échappa avant qu'elle reprenne tout doucement la parole :

- Nous y travaillerons ensemble, alors.

Avec le parler et le sérieux d'une franche avocate, Vi clarifia les détails de leur futur partenariat. Ils allaient passer beaucoup de temps ensemble. D'une part pour éprouver leur magie, d'autre part pour mettre au point une "chanson magique" ; alors enfin, avec la validation de Camille, le trio s'adonnerait à une activité plus... sensuelle.
Vi n'est pas dépourvue de talent pour s'exprimer. Bien qu'elles ne retranscrivent aucune émotion particulière, ses paroles ont le mérite de disposer d'un certain pouvoir de persuasion. C'est assez impressionnant...
Pourtant, il n'y avait aucune magie là-dedans. Sans doute qu'elle avait été très bien formée par cette Académie et que ses riches enseignements, pour le coup, ressortaient naturellement au-delà de ses lèvres.
Le propriétaire du manoir, tout en mesurant ses responsabilités familiales, accepta de les recevoir tous les deux, la nuit, dans son lit.
Korë attendit patiemment que Vi lui permette de leur faire part de sa pensée.
« Mademoiselle Korë. » Sans trop savoir pourquoi, je trouve cela très plaisant qu'elle m'appelle ainsi.
Elle regarda Camille. Ou plutôt « monsieur Camille », à qui elle glissa un mince sourire.
Lui doit trouver cela parfaitement normal.
C'était tant mieux !
Ses prunelles rouges retrouvèrent alors le doux visage de Vi.

- Monsieur Camille dort dans un grand lit. La place ne manque pas - même pour trois adultes. D'autant plus que nous ne sommes pas ce qu'il existe de plus large en ce bas monde.

Elle écarta de ses pensées ce qu'ils avaient fait la nuit dernière. Ce n'était pas le bon moment pour raviver de tels souvenirs.

- Nous ne chercherons pas à le cacher aux enfants, mais nous ne leur dirons rien de concret non plus. S'ils nous posent des questions sensibles, nous ne leur révélerons qu'une partie de la vérité ; la plus saine, qui ne portera point préjudice à leur innocence. Il n'y aura pas de mensonge. Tout juste des non-dits.

Par-dessus sa tasse, elle jongla du regard entre ses interlocuteurs. La bardesse laissa planer un petit moment de silence.

- Après vous avoir entendus, Je vous sais capable, tous les deux, d'employer les bons mots dans des circonstances qui ne sont pas toujours idéales.

Ils formeraient un joli "trouple". Une triangle singulier, porté à la fois sur le plaisir et la magie des Couleurs.

[Camille Marquise]

Une forme de jeu de rôle se mettait en place. Monsieur Camille et Mademoiselle Korë. Etrangement, ça ne les vieillissait pas. Ca les élevaient. Comme s’ils avaient été annoblis. Quelque chose comme ça. Camille ne savait pas trop quoi en penser. Surtout que Korë avait lancé toute une tirade sur la vérité associée à l’innocence de ces enfants. Il savait qu’à trop y penser, il s’enfermerait dans des problématiques insolubles. Mieux valait « jouer le jeu ».

« Vous êtes vraiment géniales toutes les deux. Pardon, c’était déplacé. Enfantin, comme façon de parler. »

C’était plus fort que lui, il baissa le menton. Toutefois, il le vit en esquissant un sourire ravi. Il n’avait jamais été « fort ». Et il trouvait plaisir à être entourée de deux femmes plus fortes que lui. Non qu’elles étaient géantes, vicieuses et puissantes. Au contraire. Elles étaient petites et toutes en délicatesse. Comme lui. Des sortes de poupées presque parfaites. Vi l’étant un peu plus qu’eux deux. Poupée ou parfaite ? Peut-être bien les deux.

« Mademoiselle Vi ? »

Vi : « Oui ? »

« Je sais très bien que je suis le plus gêné à formuler une pareille demande mais, j’avoue que votre corps m’intrigue et m’émerveille. Ce tatouage dans votre dos. Je sais que ça n’en est pas vraiment un. Tout comme votre corps n’est pas vraiment humain comme les autres. Encore que, celui de mademoiselle Korë soit également différent. Humaine comme ma maman. Mais ovipare comme ma femelle. Euh, hum, je m’égare. Je suis désolé. »

Vi : « Monsieur Camille, vous vous intéressez au vitrail dans le haut de mon dos et de vous vous demandez où se trouve la frontière entre mon corps humain et mon corps poupée. »

Ce n’était pas une question. Sans tabou et doté d’un esprit réfléchi, elle avait résumé l’essentiel des balbutiements de son hôte. Camille ne put faire autrement que rougir. Lui-même était perdu, tout comme le corps de Vi. Ne sachant plus où se trouvait la frontière entre sa curiosité pour la femme et celle de la découverte des Couleurs. Il voulait tout. Et il était trop poli pour prendre comme Elfrydd, sans considération des sentiments de l’autre.

Vi : « Etant donné votre décision temporaire que je ne devienne pas votre nouvelle amante, j’en conclus que nous nous intéresserons tout d’abord à ce que vous avez nommé tatouage. Ca n’en est pas un. Pas dans la plus pure définition qui exigerait qu’il soit fait d’encre. Mais les tatouages peuvent également être vecteur de pouvoir, et donc de magie. »

Prenant son temps, elle déposa la petite assiette dans laquelle se trouvait sa tasse, sur la table basse devant elle. Elle se releva. S’approcha de Camille et se retourna pour lui exhiber son dos.

« Wow… »

Le mot du papillon était magnifique. Surtout qu’il y avait cette lumière naturelle qui lui sortait d’entre les omoplates. C’était magique. Féérique. Le motif du papillon semblait doué d’un sentiment de vie, à l’instar de ses illusions fixes qui donnaient la sensation de bouger en les observant.

« J’ai… j’ai l’impression de voir quelque chose au-delà. C’est… »

Alors Vi fit volte-face immédiatement !

Vi : « Monsieur Camille ! »

Ses douces mains se saisirent de ceux de l’androgyne.

Vi : « Il me semble que mon jugement sur votre personne d’auparavant a été la plus grande de mes erreurs récentes. J’ai préféré mettre fin à votre observation, excusez-moi. La raison étant que vous auriez pu voyager à travers les Couleurs et il aurait été indélicat d’annoncer à vos enfants la disparition de leur papa. A moins que vous ne vous découvriez une fibre d’explorateur et que vous soyez suffisamment en confiance pour nous laisser leur éducation ? »

« Quoi ?... Non ! Enfin, oui. Je veux dire, je vous fais confiance à toutes les deux. Mais je, je ne peux partir comme ça ! Attendez. Quoi ? J’ai manqué voyager ?! »

Vi : « Il faudrait expérimenter pour conclusion mon hypothèse. Mais il me semble que oui. Peut-être que votre expérience partagée et intime avec mademoiselle Korë a réveillé le potentiel magique en votre âme et essence. »

[Korë Grémorya]

Elle ? Géniale ? Et Vi aussi ?
Korë cligna plusieurs fois des yeux.
Avec un petit sourire en coin, elle but une gorgée de thé dans l'optique d'apaiser ses pulsations cardiaques.
Les compliments de Camille lui faisaient grand bien ! Elle avait presque peur d'en virer addicte...

- Je suis géniale à ses yeux, murmura-t-elle pour elle-même, une main timide plaquée sur une de ses joues pleines.

En parallèle, son amant se mit à étudier leurs cas à voix haute. Entre un brin de femme littéralement capable de pondre et une créature à mi-chemin entre la poupée et la demoiselle, le gai luron avait largement de quoi philosopher !
La seconde fut prompte à encadrer son analyse.
Korë l'écouta patiemment en croquant dans les petits gâteaux - son péché mignon - et en buvant quelques nouvelles gorgées de sa boisson chaude.
Leur invitée de l'Académie ne possédait pas de tatouage dans le dos ; il était vraisemblablement question d'autre chose de bien plus complexe. Tandis qu'elle lui exhibait ouvertement son motif, le regard de Camille se perdait littéralement dessus en contemplation. A tel point que Vi dut intervenir pour l'empêcher de s'y enfoncer de corps et d'esprit.
Cette possibilité abracadabrante invita la bardesse à reposer son thé au milieu de la petite assiette qui lui était associée.
La surprise ne l'empêchant guère de rester parfaitement silencieuse dans ses mouvements.

- Vous êtes en train de supposer que j'ai rendu Camille sensible à la magie des Couleurs ?

Elle n'aurait jamais pu imaginer que concevoir un œuf en compagnie d'un humain entretenait pareil scénario !
La curiosité de Camille avait produit un miracle.
Elle regarda son amant, puis l'agréable puits de science en magie qui s'était exprimé avant lui.

- Pensez-vous qu'en renouvelant cette expérience, la sensibilité de Camille s'en retrouverait accrue ?

L'évènement était prévu. Korë ne savait pas précisément quand, mais son sauveur et père de son futur enfant y participerait bel et bien. Alors, il ne pourrait s'empêcher d'entrer en contact de cet œuf et...

- Est-ce bien prudent d'emprunter cette voie ?

Cette complicité était belle, mais elle se faisait tout de même du souci pour l'avenir d'un homme déjà père par deux fois.

- J'aimerais éviter qu'il lui arrive malheur...

Elle n'en serait point à sa première perte. Quelques-uns de ses précédents partenaires avaient disparu sans laisser de trace.
Korë avait grand besoin d'être rassurée. Maintenant plus que jamais.

[Camille Marquise]

Vi : « Il est trop tard pour empêcher à monsieur Camille qu’il lui arrive des malheurs, mademoiselle Korë. »

Cela avait été dit toujours sur ce ton si neutre. Ce qui donnait l’impression à Vi d’être inutilement cruelle. Camille s’était dressé prêt à riposter et prendre défense de cette nouvelle partenaire de vie. Mais la femme-poupée reprit déjà la parole.

Vi : « Même si vous n’étiez pas là, il pourrait lui arriver des malheurs. N’a-t-il pas pris des risques avant de faire votre rencontre ? Voyez, vous n’y êtes pour rien. Je dirais même que grâce à votre existence, vous lui apportez le contraire des malheurs. En effet, vous vous êtes liés tous les deux et vous avez donné la vie. Mademoiselle Korë a également allumé la braise de magie qui était alors enfermé chez monsieur Camille. »

« C’est ce que je disais ! Korë est géniale. Si je n’étais pas déjà en couple avec Shaïra, j’aurais probablement essayé de la séduire pour passer le reste de ma vie avec elle. Oh !... »

Il avait parlé plus rapidement qu’il aurait voulu. Il venait d’avouer un état de fait très fort. Il en rougit profondément et ne sut plus où se mettre. S’il s’était trouvé ailleurs que dans son manoir protégé au milieu de nulle part, il aurait fui sans tarder davantage. Au lieu de ça, il demeura sur place, nerveux. Avec le cœur battant très fort dans sa poitrine. Est-ce que les deux demoiselles pourraient le voir déformer sa fine cage thoracique ?

Vi : « Notre hôte marchande avec ses émotions. Le temps qu’il en arrive à une conclusion et une acceptation, je vais continuer de monopoliser le temps de parole. Mademoiselle Korë, vous m’avez demandé si votre prochaine ponte pouvait exacerber la sensibilité Colorée de monsieur Camille. Je ne connais pas la réponse. Et j’aimerais déjà vous voir écarter les cuisses afin d’obtenir la réponse. Mais je sais être patiente et je serais présente pour observer le résultat. Quant à savoir si cette expérience est prudente, je ne peux le prédire. Mais n’avez-vous pas réussi à maîtriser le premier pouvoir tous les deux ? Pourquoi le résultat ne pourrait pas être répété ? Vous n’aurez qu’à reproduire les mêmes conditions d’expérience. »

Ce qui signifierait refaire l’amour. Et d’une façon insolite. Mais n’était-ce pas leur spécialité ? Tout avait commencé avec une prise de drogue et l’écoulement de cire chaude sur une peau nue.

« Je ne suis pas fragile ! »

Il s’était emporté. Il était si fragile. Ses sentiments étaient si forts en lui. Tout avait jailli avec tant de force. Peut-être était-ce qu’il considérait comme la « pureté » des deux femmes qui l’accompagnaient. Cela lui semblait si naturel d’être avec elles deux. Comme s’ils étaient faits pour passer du temps ensemble. C’était idiot, pensa Camille. Il n’y avait pas de « Grand Plan ». Il n’y avait pas une sorte de formule mathématique alchimique dont les composantes de l’équation étaient leurs vies. Et puis quoi encore, Camille serait résumé par la lettre C ou un symbole cryptique ? Tout cela lui montait à la tête autant que la chaleur bien physique.

« Je veux dire, j’ai accepté de partager ma vie avec vous deux. Je vous ai accueilli dans mon manoir alors que j’aurai pu lutter pour vous en éloigner et converser sur un terrain neutre. Mais vous êtes ici chez moi. Nous partageons des projets. Tant de choses. Même qui semblent inutiles comme la prise de thé chaud et de petits gâteaux sucrés. Alors cessez de parler de malheur me concernant comme si je n’étais pas juste à côté de vous deux. Euh, s’il vous plaît. »

Vi : « Bien entendu, monsieur Camille. Veuillez m’excuser si mes mots vous ont blessé. Ca n’en était pas l’objectif. Dites-moi vous deux, peut-être pourriez-vous me faire une démonstration de votre magie ? »

[Korë Grémorya]

- Trop tard... ?

La réponse de Vi s'était presque fait tranchante, ou disons sans aucun détour. Comme quoi la femme-poupée de l'Académie n'avait pas pour habitude d'allonger inutilement les chemins qu'elle empruntait ; elle se voulait directe, bien incapable de tourner inutilement autour du pot.
Pas vraiment ce dont avait besoin la Wyvérienne en cet instant de culpabilité !
Du moins, cette réplique vide d'émotion aurait peut-être suffit à la désarçonner si Vi n'avait pas ajouté à son intention quelque chose de plus logique et empathique.
Cette analyse de notre situation m'apparait plutôt cohérente...
Elle observa un silence lorsque Camille lui fit des louanges et qu'il imagina même, à voix haute, un scénario alternatif où, sans avoir connu la mère de ses deux enfants, il l'aurait prise pour femme après avoir passé des jours et des jouer à lui faire la cour.

- C'est très touchant, sourit Korë sans feindre quelque sentiment que ce fût. Merci.

Ce seul petit mot, bien qu'il n'eut pas été investi de son pouvoir de séduction, valait bien un de ses plus beaux chants ; il sonnait à l'oreille comme riche en reconnaissance autant qu'en amour à l'égard de ce jeune père si attachant. Les rougeurs qu'elle percevait autour de ses joues doucement masculines ajoutaient, auprès de ses prunelles carmines, à sa sincérité ainsi qu'à son charme naturel.
Vi profita de son trouble pour approfondir leur réflexion. Emotionnellement limitée ou pas, elle se disait carrément partante pour oser un coup d'œil académique entre les cuisses de la Wyvérienne.
Elle ne perd vraiment pas une minute pour nous dire tout ce qu'elle pense.
Dans un sens, c'était rassurant ; Korë la voyait très mal conserver de grands secrets rien que pour sa pomme.
L'émissaire de l'Académie leur proposa alors de faire au plus simple : à savoir reproduire "les mêmes conditions d'expérience" que la dernière fois.
Cette fois-ci, la bardesse manqua avaler un morceau de travers. Elle dut se tapoter du poing le dessus de la poitrine et tousser un bon coup pour se dégager les voies respiratoires.

- Khuff !... Je... pardon.

La forte réaction de Camille la fit ensuite sursauter !
Heureusement, Korë ne tenait pas sa tasse entre les mains ; sinon, elle aurait sans doute renversé de son délicat contenu un peu partout.
Sans oser piper mot, elle le regarda se remettre de ses vives émotions.
Leur hôte, à Vi et elle, ne souhaitait surtout pas qu'elles le traitassent en tant que simple victime des circonstances.
Korë hocha respectueusement la tête.

- C'est tout entendu, confirma-t-elle avant de se remettre debout.

Vi, de son côté, tenait à ce qu'ils lui exposent quelques bribes de leur magie partagée.
La Wyvérienne avait délaissé son grignotage dans l'optique de se rapprocher de son amant, devant lequel elle posa un genou à terre avant de prendre ses mains entre les siennes.

- Focalise ton attention entre nos paumes, lui suggéra-t-elle.

Elle allait se charger de donner forme à leur pouvoir conjugué. Pour cela, elle ferma les yeux et laissa ses pensées cheminer en direction de leurs doigts chauds. Une douce lumière naquit entre ceux-là avant que la tête d'une rose métallique s'y matérialise en tournoyant doucement sur elle-même. Ses magnifiques pétales variant entre seulement deux couleurs : le blanc de nacre et le noir de jais. Entre ces derniers luisaient de petites perles transparentes, semblables à la rosée du matin. Korë déplaça ses mains autour de celles de son bienfaiteur, invitant ces dernières à s'écarter avec une certaine grâce. Poussée par un courant ascendant, la fleur cristalline s'éleva dans les airs sans jamais interrompre son hypnotique rotation.

- En voici un pur échantillon, souffla la Wyvérienne alors que leur magie faisait écho à leurs sentiments.

Elle avait annoncé cela en ancrant ses iris de feu dans ceux de son plus cher compagnon.
Peu lui importait qu'il avait déjà pris femme ; Korë s'était déjà bien trop attachée à lui.

[Camille Marquise]

Camille crut stupidement, à un moment, que Korë allait lui faire une demande en mariage ! Son esprit s’affola. Qu’est-ce qu’il pourrait lui répondre ?! Et puis la tension chut. Pour remonter tout aussi rapidement. Il devait faire une démonstration de cette magie qu’il ne contrôlait pas devant des yeux d’une inconnue qui l’était toujours un peu moins au fur et à mesure que leur conversation se prolongeait.

Les instructions furent simples en mots. Ce qui aurait pu être compliqué s’avéra simple. Leur magie entrelacée donna naissance à une rose métallique de blanc et de noir. Si Camille n’aimait pas cet aspect manichéen, il loucha avec un sourire sur les petites perles qui lui évoquèrent ces gouttes de transpiration qu’on pouvait trouver sur un corps féminin.

La démonstration aurait pu s’arrêter à cet instant. Il n’en fut rien. Korë avait allumé la flamme. Autant par sa magie que par son regard intense plongé dans le sien. Camille ne comprenait rien aux règles qui animaient la magie. Et il n’avait certainement pas envie de suivre des cours théoriques et soporifiques. A cet instant, il savait comment faire. Il ne pouvait pas mettre des mots sur le fonctionnement mais il savait. Il « voyait ». Bien qu’un peignoir lui cacha sa toile.

Alors la rose magique déploya ses fins tentacules métalliques à partir d’épines qui s’allongèrent. Et plus la forme s’étirait, plus il y avait des divisions qui s’opéraient pour se refermer sur eux-mêmes, formant en trois dimensions ses entrelacs floraux qu’on retrouvait en deux. Ses tentacules métalliques devinrent les mains de Camille qui n’osaient rien faire des siennes de peur de « couper le contact » avec la magie.

Délicatement, le peignoir chut aux chevilles de Korë sous les yeux de Vi qui observait sans trahir la moindre émotion ou pensée.

Le moment fut suspendu selon le point de vue de Camille. Si le résultat se matérialisa en quelques instants seulement, pour lui, ce fut comme s’il avait peint durant une petite éternité de grande félicité. Ce qui était alors une rose devint un corset de nombreux tentacules si délicats. Venant soutenir cette petite poitrine. Venant épouser et magnifier les formes de la chanteuse. Les pétales de la rose venant se positionner entre les omoplates de la belle, sous un choker en fer forgé stylisé.

Et encore une fois, le métal était chaud. Car il était toujours inacceptable pour son créateur d’imposer un tel froid à sa Muse.

« Je… »

La transe se termina et il la découvrit : « habillée ».

« Je n’ai pas pu m’en empêcher. J’ai senti la magie. J’ai comme vu mon cœur être saturé d’une puissante couleur rouge. J’ai « tricoté ». Je n’ai pas pu m’en empêcher. C’était… comme prendre une drogue. Mais pas comme celle que j’ai pris la première fois qui a annihilé mes émotions. Une autre sorte. Pas pour qu’elles soient plus intenses. Je dirais… plus concentré ? Oui, plus concentré. »

[Korë Grémorya]

La démonstration ne prit point fin sur cette note florale. Korë avait réussi à stimuler la créativité de son amant. Passée sous son contrôle masculin, la magie opéra avec un style qui était devenu délicieusement familier auprès de celle qui la « subissait ». Le métal tiède s'étira à même leurs silhouettes. Il se fit d'ailleurs de la place sur celle de la Wyvérienne, la soulageant de son peignoir d'emprunt afin de mieux s'installer. Avec une fluidité admirable et criante de sensualité, l'alliage magique qui avait été une rose bicolore gagna sensiblement en proportions jusqu'à épouser et magnifier son buste à la manière d'un corset fantaisiste. Au-dessus des pétales de rose qui n'avaient fait que s'épanouir au cours de cette mutation stylisée, un collier enserrait joliment son cou délicat.
La bardesse en ressortit à la fois émerveillée et excitée.
Fort heureusement, la première de ces émotions couvrait gracieusement la seconde.
Korë ne put réprimer ce sourire où transparaissait toute la fierté qu'elle éprouvait à l'égard de son sauveur qui, malgré son statut d'empoisonneur et d'assassin, s'était découvert d'un véritable talent en tant qu'artiste-concepteur.

- Pourquoi empêcher l'impensable de se produire ? Tu n'aurais pas pu mieux agir qu'en cet instant magique...

A son tour de céder à l'appel. Sans plus se soucier de l'observation de la Fille de l'Académie, la Wyvérienne remonta une main sous le menton de son partenaire de magie tout en approchant son visage du sien. Sur ce baiser ô combien mérité, la brillante beauté aux cheveux de neige injecta toujours plus de fantaisie à leur art commun. Presque immédiatement, des bourgeons poussèrent à la surface de son corset. Puis de nouvelles fleurs métalliques s'ouvrirent entre sa taille et sa poitrine, avec en guise de noyau des joyaux colorés d'un éclat proprement mystifiant. Des tiges aux élégantes courbures s'attachèrent ensuite au corps de l'androgyne, enjolivant les muscles fins de ses bras et de ses épaules par-dessous ses habits. Korë veillant bien à ce qu'elles n'en déchirent point le tissu.
Toujours avec cette même délicatesse, elle rompit le baiser qu'elle avait elle-même initié, éloignant la main de sa gorge émoustillante.

- Telle est notre magie~

Des mots qu'elle lui avait soufflés au visage.
Dans son état actuel, la Wyvérienne devait se contenir pour ne pas aller plus loin.
Camille était devenu sa drogue. Et elle était particulièrement envoûtante.

[Camille Marquise]

« Notre magie… » souffla-t-il, émerveillé. Par leur magie. Par elle. Par cette alchimie électrisante. Vivifiante. Oui, envoûtante !

Cette robe de chambre qu’il portait était de trop ! Il la fit tomber et redécouvrit qu’en-dessous, il portait toujours des bas et des gants noirs qui lui remontaient après le coude. Mais il n’éprouvait aucune honte. Seulement de l’admiration pour entrelacs d’acier aussi chaud qu’une peau humaine. Il prit par la main sa belle magicienne et se rapprocha d’un grand miroir qui les dépassaient aisément tous les deux.

« Nous sommes beaux… Des artefacts vivants, oui… »

Naturellement, son sexe se raidit. Mais ce n’était pas seulement de se trouver à côté de sa bardesse à domicile. Evidemment, elle faisait partie de l’équation ! Mais à cet instant, Camille « souffrait » de narcissisme. Sans compter l’adrénaline qui grimpait de ressentir la magie circuler dans son corps.

Ses doigts glissèrent sur le métal qu’avait fait caresser Korë sur sa peau. Il en suivit chacune des courbes sur ses bras jusqu’à ses épaules. Et quand il aurait dû arriver au bout, le métal gouverné par cette nouvelle volonté continua à croitre. Dans le même style, il tourbillonna autour de ses propres tétons fièrement dressés. Puis ils continuèrent leur chemin pour former un délicat corset pour sa fine taille d’homme. Deux autres « Caresses de Métal » glissèrent pour venir imiter les portes jarretelles et se raccorder à ses bas.

Telle une femme s’admirant dans un miroir, il tourna d’un côté puis de l’autre pour admirer son œuvre. Ses formes. Il était victime de son reflet. Et aussi de sa magie.

Le désir montait… ~

Vi : « Le Corsetier. »

« Comment ? Qu’as-tu dit ? »

Trop plongé dans son monde, il n’avait pas compris ce que la femme-automate venait de dire. Même pour elle, cela semblait tenir au titre lâché dans un souffle. Par mysticisme. Comme si elle avait des difficultés à concevoir de découvrir un phénomène lu dans un ancien grimoire transmuté dans sa réalité immédiate.

Les lèvres de Camille se posèrent sur celles de Korë. Un chaste baiser. Mais il les voulait. Il en avait besoin. Pour se satisfaire. Pour la satisfaire. Pour lui dire silencieusement qu’il pensait à elle. Il lui tenait toujours la main ceci dit. Et il l’emmenait déjà ailleurs. Le grand miroir dans leur dos, ils se rapprochèrent de Vi qui ne bougea pas.

Vi : « Permettez-vous. »

Elle avait anticipé sa demande. Elle avait vu son envie dans ses yeux. Peut-être même que les yeux de Vi n’étaient pas comme ceux de ses deux interlocuteurs. Capable de voir la magie s’animer. Ce devait être un langage qu’elle parlait. Les Couleurs étaient emplis de mystères, capable de redonner aux adultes ces envies enfantines de rechercher des trésors. A l’aide d’une carte. En suivant une ligne pointillée jusqu’à une croix à trésor.

Camille ne pensait plus. Il était action et volonté, et magie. Ses doigts graciles ondulèrent dans l’air. Il ne savait si c’était utile. Mais il le fit. Et comme par un ordre invisible, son acier de chaleur organique, timidement d’abord, louvoya vers Vi. Ses doigts délicats à elle étaient déjà en train de faire tomber son corset, libérant sa chemise bouffante. L’acier magique de Camille glissait, découvrait cette étrange articulation mise à nu au niveau de son épaule. Il était impossible de dire que là s’arrêtait la peau humaine et là commençait l’articulation d’automate. Vi était un chef d’œuvre d’artisanat vivant !

Vi : « Voilà. Vous pouvez maintenant « peindre » mon corps de votre magique combinée, Corsetier. »

« Corsetier ? »

Vi : « Un couturier spécialisé dans la fabrique des corsets. Votre titre de magicien. C’est usuel d’obtenir une nouvelle appellation avec la venue de la magie dans la vie d’un pratiquant. Je vous en prie, exercez-vous. Votre compagne vous dévore des yeux. Amoureusement et au-delà. Sa réserve de patience ne durera pas éternellement. »

Et le Corsetier s’essaya à ne pas amoindrir la beauté de Vi. Il l’habilla d’un corset de métal et d’acier. Ils étaient maintenant tous les trois liés plus intimement que jamais. Les fils de leur vie entrelacés dans la Grande Tapisserie. Et tout cela n’était qu’un début.

[Korë Grémorya]

Camille parlait d'or : ils s'étaient magnifiés à travers leur merveilleuse magie. Le miroir reflétait ce talent, qu'ils partageaient sans honte, avec pour indéfectible compagnon leur bonheur conjoint.

- Des artefacts vivants...

Alors qu'elle se réjouissait de ces mots, Korë assista aux améliorations qu'apportait son amant à ce qu'elle lui avait façonné à même la peau. Il se fabriqua un corset qui continua à s'étendre de façon toujours aussi raffinée le long de ses cuisses, jusqu'à ses bas noirs. En le regardant faire elle aussi, Vi souffla un titre à voix basse.
Le Corsetier ?
Ce même Corsetier qui, les doigts de sa main noués aux siens, déposa un tendre baiser sur ses lèvres.
Ils s'éloignèrent du grand miroir, se rapprochant doucement de l'émissaire de l'Académie. Celle là même qui leur donna l'autorisation d'employer leur magie à même sa personne.
Korë regarda Camille et hocha la tête. Son partenaire de magie étendit leur art dans la direction de Vi tandis qu'elle se dénudait le plus naturellement du monde. La bardesse contempla les mouvements de ses muscles fins, d'une fluidité qui n'avait absolument rien à envier à ceux de l'espèce humaine.
Quelqu'un avait-il vraiment fabriquer cette femme ? Cela lui semblait tellement ahurissant !
Camille était en train d'embellir une jeune beauté qui n'avait décidément pas fini de les surprendre...
Le regard de la Wyvérienne finit malgré tout par revenir caresser la silhouette du père de famille, qu'elle avait connu si proche d'elle au sein de ce lit. Ce métal tiède qui épousait ses formes masculines le rendait encore plus attirant.
Vi eut tôt fait de remarquer sa chaude admiration.
La bardesse cligna bêtement des yeux, recentrant aussitôt son attention sur le travail qu'exerçait Camille sur sa nouvelle petite poupée.
Elle leur sourit à tous les deux.

- Afin de mieux patienter, je peux toujours y ajouter mon empreinte.

Tel une moitié de chef d'orchestre, la Wyvérienne dessina des arabesques avec la main en direction de Vi. Sur le nouveau corset métallique qu'elle portait germaient des pierres précieuses. Entre ces dernières, des courbes aux reflets bleutés s'insinuèrent, s'enroulant sur elles-mêmes, contournant parfois le délicat tracé de ses rondeurs. Car elles montaient plus haut que leur base stylisé, caressant les articulations de ses épaules pour, dans son dos, encadrer ce motif luminescent qui respirait la magie.
Korë baissa lentement la main.

- Vous êtes bien plus qu'un chef d'œuvre, Vi, lui fit savoir la Wyvérienne. Je me réjouis d'avoir eu la chance de poser les yeux sur vous, autant que celle d'accompagner Camille dans ce tournant qu'a pris sa vie.

Ils étaient tous les deux merveilleux. Non... tous les trois ?

[Camille Marquise]

Korë était belle. Camille n’aurait jamais pu dire le contraire. Mais à cet instant, il n’arrivait pas à détourner les yeux du corps « magnifique » de Vi ! Comment était-il possible de voir l’articulation de son coude telle une poupée de bois mais sur un corps si humain à la peau si chaude ? Pas chaude dans le sens brûlant, mais tiède et vivant comme un être humain. Ça fascinait à un point Camille qu’il en oubliait tout. Sa femelle de Lamia. Sa nouvelle amante secourue entre les mains d’un Diable en personne. Ses enfants, quelque part là dehors, et qui pourraient rentrer d’une minute à l’autre. Il se fichait de tout. Même de l’avertissement concernant le « vitrail » dans le dos de Vi…

Vi : « Non. Il en est hors de question, monsieur Camille. Veuillez stopper cette démarche de votre part, je vous prie. »

En effet, le jeune homme tournait déjà autour de la jeune femme en partie artificielle. Mais cette dernière ne comptait pas capturer, emprisonner, envoyer ailleurs cet homme que les Couleurs avaient mis sur son chemin.

« Si je voyais cette particularité si artistique dans votre dos, je pourrais alors magnifier encore davantage que j’ai, que nous avons fait glisser, caresser sur votre peau exquise. Oui, je pourrais-… »

Vi : « Vous n’en ferez rien. J’ai accepté de mettre ma chair à votre disposition tous deux si vous le désiriez. Mais je ne mettrais pas ma magie, ces Couleurs en particulier. Vous aurais-je mal jugé, monsieur Camille ? Iriez-vous contre l’absence de consentement de votre partenaire ? »

« Je-… Non. Bien sur que non. Mais-… Votre-… Vous-… »

De dépit ? Comme un enfant qui ferait son caprice mais qui ne l’obtiendrait pas, Camille se souvient alors de Korë. Il le regarda avec de si grands yeux implorants. Nul autre mot ne sort de ses lèvres (les mêmes qui pourraient retourner celles de son amante. La première…). Mais il sait déjà que Vi a raison. Que tout cela est probablement déjà allé trop loin. Comme avec la cire des bougies. Des envies étranges et, pourtant, des femmes qui se laissent faire. Incroyable !

*Je ne me souviens même pas comment nous nous sommes retrouvés dans cette situation rocambolesque ! Et franchement, je m’en fiche encore un petit peu. Parce que je n’ai pas envie que ça s’arrête. Alors… *

« Mademoiselle Korë est parfaitement capable de déployer notre magie pour magnifier mon sexe. Quant à moi… La curiosité m’appelle. Et vous m’avez donné votre autorisation. Alors… »

Il se rapprocha de Vi pour que, de son bras tendu vers le bas, l’extrémité de ses doigts viennent y découvrir si son sexe féminin était aussi « parfait » que le reste de son corps.

[Korë Grémorya]

Camille éprouvait quelque difficulté à ignorer l'attrait de ce vitrail habité par la magie des Couleurs. Vi ne perdit point son calme face à sa curiosité. Elle eut du répondant, bien sûr, mais pas de façon cinglante. Korë admirait sa réaction, et pas seulement parce qu'elle la trouvait juste. Le sang-froid de l'émissaire de l'Académie ressemblait plus ou moins au sien.
Se sentant coupable, leur amant s'était mis à buter sur les mots. Ce qui avait quelque chose de touchant aux oreilles de la bardesse.
Elle retrouva le regard de leur hôte bien-aimé, et crut voir un instant un grand enfant qui réclamait son appui.
Une attitude qui la fit doucement sourire.
Mais Camille n'était guère le seul attiré par la beauté et la grâce de Vi.
La Wyvérienne contourna le duo afin de se positionner dans le dos de la belle aux cheveux blancs, à qui elle glissa à l'oreille :

- Détendez-vous. Je protégerai vos arrières de son aimante curiosité~

Alors que Camille s'intéressait à son entrejambe, Korë passa les mains sous ses aisselles, caressant les riches aspérités de son corset. Elle employa à nouveau sa magie qui la liait à ses partenaires. Le métal se ramollit sans toutefois virer complètement liquide. L'accessoire de Vi demeurait fixe, à la limite du gélatineux. Tout juste de quoi permettre à la Wyvérienne de palper cette poitrine menue et ferme, qui n'avait rien à envier à la sienne. Elle percevait sa chaleur à travers le vêtement magique.

- N'hésitez pas. Dites-nous ce que vous ressentez. Et ce que vous désirez qu'il vous fasse~

C'était toujours plus fort qu'elle ; sa voix sensuelle transportait son art et sa magie. Tel le chant d'une sirène, le tout était susceptible d'éveiller/exciter le désir chez n'importe quel être vivant. Etant donné qu'il était si proche d'elles, Camille pouvait l'entendre, et donc devenir également objet de cette attraction.

- Monsieur le Corsetier sait se montrer très accueillant avec la gent féminine, mademoiselle Vi~

Comme si sa propre magie affectait ses sens, Korë s'enhardissait. Elle pelotait la femme-poupée avec davantage de conviction, cherchant même à lui presser les tétons par-dessus cette moelleuse couche de métal malléable.