Il faisait nuit ce jour là. Korë, qui venait peine de quitter la chambre d'une auberge, s'était précipitée en dehors de l'établissement silencieux. Toujours avec la discrétion pour maître mot, elle s'était habillée tout aussi rapidement avant d'abandonner ce nouvel amant à un sommeil réparateur. Ce qu'elle n'avait pas prévu de faire à l'origine, mais c'était hélas sans compter les brulures dans le creux de son estomac - un signe révélateur que la Wyvérienne ne connaissait que trop bien.
Si elle devait pondre, Korë souhaitait avant toute chose le faire en paix, bien à l'abri des regards. Elle savait par expérience qu'il lui serait difficile d'étouffer ses gémissements durant la ponte, et peut-être plus encore de dissimuler l'œuf de pouvoir résultant au curieux voisinage.
Bien à l'écart de la civilisation, adroitement dissimulée derrière un buisson deux fois plus grand qu'elle, l'aventurière au souffle court s'était accroupie en vue de mener à bien cette sombre affaire. En général, cela ne durait qu'une poignée de minutes - un rien qui pouvait tout de même paraître effroyablement long et épuisant aux yeux de la protagoniste.
Reprends ton souffle !
Son cœur battait la chamade et, pour une raison obscure, refusait de se calmer.
L'angoisse, peut-être ? L'appréhension de devoir donner naissance à une nouvelle wyvernes aux mœurs destructrices ?
La Wyvérienne fit la grimace.
Korë, il faut que tu te ressaisisses.
Malgré la douleur dans son bas-ventre, elle s'adonna à quelques exercices de respiration. Contre toute attente, cette pratique atténua radicalement ses maux avant qu'ils ne se volatilisent entièrement, comme par magie !
- ...Serait-ce un miracle ?
Cette bonne surprise lui apporta une soudaine envie de jouer. Pour ce faire, Korë s'empara de Cëol, son ocarina. Elle cala ses doigts dessus puis, tout en douceur, y déposa ses lèvres. A travers son souffle musical, la Wyvérienne rendit hommage à cet instant de tranquillité inespéré. Elle joua ainsi longuement - jusqu'à ce que ses lèvres n'en puissent plus.
La nuit emporta les dernières notes de sa généreuse mélodie.
Satisfaite, le cœur léger, Korë éloigna l'instrument de sa bouche.
- Quel étrange sentiment de liberté... Oui, je me sens... ?!
Soudain, le vent s'était mis à souffler dans la clairière. Tout autour d'elle, l'herbe ondulait avec force !
Décoiffée par cette étrange tempête focalisée, la Wyvérienne ouvrit de grands yeux sur un point blanc qui s'était formé à ras du sol. L'immaculé phénomène s'élargit conséquemment, adoptant la forme ambiguë d'un sceau de taille humaine dont Korë, malgré tout son savoir, ignorait la réelle signification. Ce motif complexe devint alors portail. La barde se sentit inexplicable attirée vers lui et, sans prendre conscience du danger, se décida à le traverser.
Autour d'elle : plus rien, ou presque. Un vide spatial, aussi ténébreux qu'un ciel nocturne constellé d'étoiles lointaines. Déboussolée, Korë pivota sur elle-même. Elle était partie en quête d'un point de repère quand une femme fit son apparition. Blanche de crinière, pâle de peau, une robe noire moulante sur les épaules assortie d'un châle en fourrure, l'inconnue se présenta comme étant Mira, la Gardienne de la Porte de la Luxure. Une des six issues menant sur le monde miroir, appelé Véda.
Comment se fait-il que je n'en ai jamais entendu parler ?
La barde eut droit à quelques éclaircissements. L'univers en question était régi par une divinité du nom d'Ouroboros. Une déesse de l'équilibre - mère du Chaos, du Mal, du Bien, du Début et de la Fin. Dans la hiérarchie céleste, Mira, parmi les six autres gardiens, se trouvait juste en dessous. Et plus bas encore trônaient les Quatre Reines - du Cœur, du Trèfle, du Carreau et du Pique.
Il y a de quoi composer une sacrée chanson !
C'était déjà un très beau cadeau en soit ! Mais Mira ne s'était pas limitée à cela ; elle lui expliqua lui avoir fait don de nouveaux pouvoirs, des capacités liées au pêché de la Luxure. Et qu'il lui faudrait mener à bien des missions pour espérer en développer davantage.
- Attendez une minute... Des missions ? Auprès de vous ? Mais de quel genre de mission parlons nous, exactement ?
En rapport avec ce qui lui avait valu ce présent, sans aucun doute !
Derrière la Gardienne, Véda attendait sa venue. L'autre extrémité du portail l'appelait. Korë dépassa son guide et plongea à travers la faille. Elle fut surprise de reconnaître les lieux - cette petite clairière anonyme par où elle était arrivée...
- ...Est-ce une sorte de canular ?
Une illusion ? Un mauvais tour de sorcier ?
Sceptique, la Wyvérienne s'éloigna de la zone. En chemin, tel un enfant perdu, elle se mit à lancer des regards dans tous les sens.
Sans trop savoir comment se l'expliquer, Korë sentait qu'il y avait quelque chose de différent au sein de cet environnement...
Une impression de déjà-vu un peu brouillonne ?
Dans son esprit, la frustration commençait à pointer le bout de son nez.