Son beau Kamiye était confus. Tandis qu’il parlait, et qu’il avait du mal à croiser le regard de sa Maîtresse, celle-ci s’amusait à embrasser et à lécher sa peau, à hauteur de sa nuque, ou de ses épaules. Elle aimait sentir cette belle peau douce et fraîche. Après avoir joui, Kamiye s’excusait moins, mais avait du mal à parler. Mélinda choisit prudemment de ne rien dire, consciente qu’il avait besoin de se battre avec lui-même. Il lui avoua avoir envie d’elle, de suivre partout sa Maîtresse, car il ne voulait pas se sentir seul. Cela, Mélinda ne pouvait pas le lui reprocher, car c’était après tout le but de sa stratégie… Qu’il soit dépendant d’elle, qu’il ressente un sentiment confus, proche de l’amour, sans y être totalement… Comme une sorte de vénération, ou d’adulation. Cela passait nécessairement par le sentiment amoureux, qu’elle éduquerait et façonnerait ensuite pour convertir le phénomène amoureux en sentiment d’adulation. Tout cela prendrait le temps qu’il faudrait, Mélinda était patiente, mais, à l’entendre ainsi se confier, elle savait qu’elle était sur la bonne voie.
Continuant à chaudement l’embrasser, elle remonta finalement jusqu’à ses lèvres, et lui sourit ensuite.
« Tu te poses beaucoup de questions, mon petit Kamiye, alors que tout est tellement si simple… Ta Maîtresse est une vampire, mon chéri, tu comprends ce que ça veut dire ? Je suis une femme raffinée, une femme de bon goût, quelqu’un qui porte de jolis costumes et qui fait partie de la haute société… Et, pour autant, j’adore me masser dans le stupre, me faire baiser comme la dernière des chiennes. Comprends-tu cela ? Non, tu ne peux le comprendre, car cela ne s’explique pas rationnellement. »
Mélinda se redressa lentement, et s’assit à califourchon sur lui, puis attrapa ses mains, les serrant dans chacune des siennes.
« Tu ne feras pas que de la couture, mon mignon, tu assisteras aussi à des cours. Il faut travailler ta culture personnelle, et sans doute t’enseigner la philosophie, vu les questions existentielles que tu te poses. Pour eszsayer de te l’expliquer, tout être humain ressent ce que tu ressens. Il y a en nous deux êtres, deux pulsions qui se repoussent mutuellement. On résume ça grossièrement en invoquant une figure de la religion taoïste : le yin et le yang, l’expression de la dualité, et l’idée que toute force se nopuirrit de sa forcer opposée. En des termes plus savants, on parle de la pulsion de Thanatos et de la pulsion d’Eros. Chaque humain a en lui une pulsion de mort et une pulsion de vie. Une pulsion qui nous pousse à la citoyenneté, à la rationalité, à la tranquillité, mais qui, toute seule, rendrait la vie fade et désespérément morne. Une vie rigide, sans passion, ennuyeuse. Alors, il y a cette autre pulsion, cette pulsion primaire de joie, de sauvagerie, cette excitation enfantine et sauvage, le plaisir transgressif à l’idée de violer les règles. Comment expliquer autrement le plaisir sauvage que tu as eu à me dominer tout à l’heure ? À me faire l’amour sauvagement en me mordant ? On les appelle aussi ‘‘ça’’ et ‘‘sur-moi’’ en psychologie. »
Mélinda se remua encore un peu, et s’assit sur Kamiye, écartant ses jambes. Ses pieds se retrouvèrent à droite et à gauche de sa tête.
« Dis-toi que ton esprit est composé de deux parties, une partie consciente, celle que tu es en ce moment. Ce que tu penses, à l’instant précis, ce à quoi tu réfléchis, c’est toi, ta partie consciente. Mais il y a une autre partie de ton esprit, une partie inconsciente, qui est la somme de tout ce que tu as ressenti, de tout ce qui t’a façonné et construit, de ce que tes parents t’ont génétiquement apporté à ce que ton éducation t’a forgé. Toutes ces connaissances deviennent l’incarnation des pulsions dont je te parlais. Le sur-moi, c’est cette voix de la Raison qui veille sur toi, c’est ce petit ange qui te dit de me dire que tu es désolé d’être un mauvais esclave, car c’est tout ce que tu as appris. C’est aussi cette voix de la raison qui te donnera envie d’étudier et de te faire tes exercices quand tu apprendras à tailler des vêtements, à lire ou à compter. Mais tu as aussi le ça, cette pulsion sauvage qui te dira d’aller faire la fête… Cet animal en toi, comme tu le dis si bien. Ce ça a été brimé en toi, il a été enfermé, on t’a ordonné de taire la petite voix qui te donne du plaisir. C’est une forme de castration. Mais, quand on est dans un rapport sexuel, le sur-moi s’efface totalement. C’est le meilleur moyen de faire ressortir ce désir qui brûlait en toi. »
Elle se racla la gorge, puis se déplaça encore, et retourna embrasser Kamiye, s’allongeant de nouveau contre lui.
« Bref, tu n’as pas à être désolé, car tu as fait ce que je voulais. Je ne veux pas de loques humaines, Kamiye, je veux que mes protégés soient libres et épanouis. Alors, il est contradictoire d’être esclave et libre… Mais la contradiction, c’est le propre de l’homme. Moi aussi, j’ai mon sur-moi et mon ça… »
Mélinda l’embrassa encore.
« Ces deux voix, ce conflit intérieur… Il est notre lot à tous, Kamiye, et il en sera toujours ainsi, car aucune de ces deux voix ne peut l’emporter sur l’autre. Toute ta vie, tu devras jouer avec ces deux voix, et choisir laquelle suivre. Mais tu n’as pas à t’inquiéter, car ta Maîtresse est là pour te guider. »