Durant toute cette mascarade, Kurono était resté immobile. Muet. Pas une protestation n'avait franchi ses lèvres tandis qu'il se tenait là, debout comme une statue de marbre fissurée, le regard flottant quelque part entre le sol dallé et les jambes élégantes de Leona. Il avait prononcé le serment. S'était agenouillé. Avait baisé ce pied qui le piétinait déjà. Tout ce qu'elle exigeait, il l'avait accompli.
Parce qu'il n'avait pas le luxe du refus.
Et pourtant, au plus profond de son être, quelque chose venait de se briser avec un craquement silencieux.
Il ne savait pas nommer cette sensation – honte, rage, ou cette acceptation malsaine qui s'insinuait en lui comme un poison lent. Peut-être tout cela à la fois. Mais par-dessus tout, il y avait elle. Tae. Elle ne méritait pas d'être broyée par cette machine impitoyable. Si Leona posait ne serait-ce qu'un doigt sur elle...
Non. Je ne permettrai jamais cela.
Alors il redressa la tête, ancra son regard dans celui de Leona. Il voulait qu'elle comprenne que malgré cette soumission de façade, son âme demeurait intacte. Il n'était ni un pion ni un jouet. Il possédait un cœur, et ce cœur battait pour quelqu'un d'autre qu'elle.
Mais il garda le silence, et se contenta d'un hochement de tête.
« Très bien... Je serai là ce soir. »
Puis, sans attendre de réponse, il pivota sur ses talons, poings serrés à s'en blanchir les jointures, et quitta la pièce d'un pas qui se voulait ferme.
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20h47.
Kurono était prêt.
Cheveux disciplinés avec soin, chemise impeccablement repassée, parfum subtil mais présent. Il patientait, le cœur comprimé dans un étau invisible qui se resserrait à chaque battement.
Dans quelques minutes, la voiture noire franchirait le seuil de sa modeste demeure pour l'emporter vers Leona. Vers cette nouvelle existence qu'il n'avait pas choisie.
Un regard furtif à son téléphone. Aucun message de Tae.
Il tendait la main vers sa veste quand la lumière vacilla brutalement.
Un éclair d'un noir d'encre.
Le néant.
*N-Non, pas maintenant !*
Son corps fut aspiré ailleurs, projeté dans cet espace qui défiant toute logique.
La pièce blanche. Nue. D'une perfection inhumaine qui glaçait le sang.
Gantz.
Ils étaient tous là, Reika, Kato et compagnie.
« Kurono, ça va ? », demanda Kato
« Oui… oui, ça va »
Au centre, immuable, la sphère noire.
"Vos vies vous appartiennent à peine. Voici votre nouvelle cible."
Kurono serra les mâchoires à s'en faire mal.
Bon sang, Gantz doit vraiment nous invoquer maintenant ?!
Mais le choix n'existait pas dans le monde de Gantz.
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La mission fut un brasier de violence.
Kurono émergea de ce cauchemar en titubant, son corps souillé de crasse et de sueur, son âme un peu plus écorchée qu'avant.
Il réapparut dans sa chambre.
21h19.
En retard.
Son cœur s'emballa, cognant contre ses côtes comme un animal en cage.
Il se rua vers la salle de bain, s'aspergea le visage d'eau glacée, enfila une chemise propre avec des gestes fébriles, effaçant tant bien que mal les stigmates du combat.
À 21h27 précises, les phares de la voiture noire transpercèrent l'obscurité de son entrée.
Le chauffeur descendit, consultant sa montre avec une surprise contenue. Il ne dit rien cependant – les Morimoto n'appréciaient guère les excuses.
Kurono s'approcha, haletant comme un homme qui aurait traversé une tempête invisible. La portière s'ouvrit dans un souffle feutré.
Il s'y engouffra, sans dire un mot.
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La voiture s'immobilisa devant les grilles imposantes du domaine Morimoto.
Une propriété tentaculaire noyée dans les ténèbres, où seules quelques lanternes au design épuré diffusaient une lumière dorée et tamisée, presque mystique. Une proprieté qui respirait la puissance. L'intimidation. Cette beauté écrasante qui était l'apanage de l'élite.
Le chauffeur descendit sans bruit et ouvrit la portière avec une déférence silencieuse.
Kurono émergea dans l'air nocturne.
Il avait l'apparence d'un jeune homme de bonne famille, soigné et présentable. Et pourtant... quelque chose en lui détonait. Son regard était trop aigu. Trop hanté. Comme celui d'un soldat rescapé d'un champ de bataille que nul autre ne pouvait voir.
Un majordome vêtu d'un costume d'un blanc immaculé glissa vers lui, inclina la tête avec une précision millimétrique, et lui adressa un geste discret mais impérieux.
« La Présidente vous attend dans le pavillon est. »
Kurono fut escorté par le majordome, et franchit enfin le seuil du pavillon.
Et là, elle était.
Leona.