L'embuscade était parfaite. Quand ils réfléchissaient, les humains pouvaient être de redoutables adversaires. Yaevinn en faisait l'amère et tragique expérience en cette belle journée ensoleillée. Le souffle court, il courait à travers un champ de blé, talonné de près par un des elfes de son groupe: les deux derniers survivants d'une cellule de la Scoia'tael.
Les derniers francs succès du groupe avaient poussé le chef, Ranis, à prendre des risques plus sérieux en s'attaquant à des convois protégés par des troupes régulières de la Confédération de Lumen. Jusqu'à présent, la vingtaine d'elfe, groupe conséquent, ne s'attaquait qu'à des cibles à sa mesure. Les elfes tuaient des soldats certes, mais en gardant toujours une supériorité numérique sur les luméens. Trois semaines auparavant, ils avaient éliminé vingt cinq soldats escortant une caravane convoyant les recettes d'impôts issus des controversées et usantes taxes agricoles. Pour cela, ils avaient usé des capacités de tirs à distance de leurs arcs longs face à la piétaille luméenne. La semaine dernière, usant des mêmes moyens, le groupe avait réalisé l'exploit d'exterminer une petite unité de cavalerie prise dans une embuscade bien montée. Cela avait fait grand bruit. Ranis, emporté par sa confiance en leurs capacités, n'avait pas cherché à se renseigner plus avant quand un informateur "fiable" avait annoncé le passage d'un nouveau convoi sous escorte à proximité des frontières sud du territoire étendu où opérait la cellule de Yaevinn.
Ce passage, cette information la donnait pour aujourd'hui. Et aujourd'hui, Ranis gisait dans une mare de sang, la tête séparée de son corps, à bon kilomètre du champ dans lequel courait le demi-elfe.
"Cours Yared!"
Le sifflement fusant d'une flèche, suivi d'un cri, indiqua à Yaevinn que Yared était perdu. Il ne restait donc plus que lui. L'attaque avait été brutale. Effectivement, le convoi s'était présenté comme prévu, escorté d'une dizaine d'hommes en armes. Il suivait la route, passant dans un sous-bois clairsemé quand les elfes s'étaient dévoilés sur de petites hauteurs pour tirer flèches sur flèches sur les luméens. Ceux-ci avaient bien réagi, se contentant de se protéger, groupés, derrière d'inhabituels grands boucliers.
Et les Stries Bleues avaient chargé: une cavalerie lourde manœuvrant facilement entre les arbres espacés. Leurs montures étaient puissantes et véloces, réactives aux ordres des cavaliers émérites. La milice avait planifié la réaction de Ranis, étudiée le terrain, préparée une approche discrète pour au final obtenir un résultat implacable. Dix neuf elfes venaient de trouver la mort et Yaevinn serait le dernier à les rejoindre. Pris en chasse dans le sous bois, il en avait atteint les limites pour s'aventurer en terrain découvert. Là, c'était perdu d'avance mais le demi-elfe courait avec l'énergie du désespoir et la haine au ventre. Tant d'années à lutter pour terminer ainsi? Non ... pas comme ça.
Mais entre volonté et réalité, l'écart était grand. Les cavaliers de cette maudite milice des Stries Bleues encerclèrent le rebelle et Yaevinn fut contraint de s'arrêter dans les blés d'or, menaçant quiconque l'approchait de son épée. Les miliciens riaient grassement, se moquaient de lui. Il n'avait aucune de chance de s'en sortir mais il semblait que le destin en voulut autrement. Le cercle hideux d'humains puants s'écarta pour laisser passer un cavalier massif au visage ingrat. Il avait les dents jaunes, le teint, de l'homme qui boit trop et une odeur à faire frémir un nain. Le milicien, peut être le chef de cette escouade, descendit de son destrier. Il tenait à la main un cercle de métal dans lequel étaient passées des oreilles d'elfes sanguinolentes.
"Putain d'oreilles pointues! Les loups vont bouffer les corps de ces enflures. Leurs âmes de pourceaux vont barboter dans la merde pour l'éternité."
Les cavaliers rirent. Leur haine suintait par tous les pores de leur peau.
"Mais toi, t'es un grand chanceux. On doit ramener un prisonnier. Le capitaine Roche a envie de parler un peu ..."
Vernon Roche ... la pire des vermines aux yeux de la Scoia'tael.
Yaevinn hurla et se précipita, la lame haute, sur l'officier. Il ne vit pas venir le coup qui le frappa à la nuque et le plongea dans l'inconscience.
OoOoOoOoOoO
Yaevinn avait mal. Tout son corps n'était plus qu'une enveloppe douloureuse. Cela faisait des heures , ou des jours peut être, qu'il était enchainé à cette potence. Torturé, il l'avait été, sans qu'aucune question ne lui soit posée. Vernon Roche attendait qu'il soit brisé pour le faire. Le capitaine de la milice observait le rebelle de loin, confortablement assis à l'ombre tandis que ses sbires alternaient instruments et méthodes de tortures horribles.
Ils étaient dans l'une des propriétés de Stries Bleues, quelque part ... Yaevinn ne se savait pas où et ne se souvenait d'ailleurs pas de son arrivée ici. Il avait été frappé tout au long de son voyage depuis sa capture. Son nez était cassé, ses pommettes brisées, ses doigts aussi. Il était en sang et le frais coulait sur les croutes séchées. Pour lui rappeler sa déchéance, le collier d'oreilles en décomposition était cloué à la poterne, près de son visage.
"Qu'est-ce qu'on attend pour faire parler ce fils de pute?" demanda un lieutenant à Roche.
"Il n' a pas encore assez mal pour ça. Prenons le temps de savourer ce moment. Loin des yeux, nous avons le temps de nous amuser. On ne l'entend pas crier de l'autre côté de l'enceinte?"
"Si ... Mais ça contribue à imposer le respect qui nous est dû. Nous sommes les sauveurs de Lumen."
Vernon Roche sourit méchamment. Il n'avait pas besoin qu'on le respecte. Il se foutait de la vie des autres, même de celle de cette putain de catin qu'on disait reine de Lumen. Non, lui voulait seulement débarrasser Terra de cette race maudite que représentait les elfes.